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nions universellement reçues et à la manière générale de voir et de penser.

Avec le temps, je crois, on rendra justice à M. l'abbé de la Mennais, qui n'a fait que tirer les dernières consé quences de l'enseignement religieux, qui parle sans cesse à l'homme de sa misère, de sa foiblesse, de son néant, et qui, sans doute, n'a pas voulu attribuer la prérogative divine de l'infaillibilité de ses moyens de connoître à ce peu de cendre et de poussière. Certes, si jamais l'homme a fait une expérience décisive des erreurs de sa raison, c'est dans la révolution qui désole l'Europe et dans l'extravagance des milliers de lois fondamentales qui désolent la France; et la doctrine de l'auteur que je défends n'est au fond qu'une explication et une application positive de cet axiome aussi ancien que le monde, et vrai quand on le renferme dans de justes bornes, vox populi, vox Dei.

Laissons les vaines disputes. On peut faire sans doute de fortes objections, des objections, si l'on veut, insolubles, contre l'existence des corps que nous connoissons par le rapport de nos sens, dont nous avons le sentiment intime, et sur laquelle le raisonnement peut s'exercer; mais en sommes-nous moins persuadés de l'existence des corps, et n'agissons-nous pas, ne vivons-nous pas même dans cette croyance? C'est ainsi qu'on oppose des difficultés insurmontables à notre libre arbitre, et qu'on veut nous démontrer que, quoi que nous fassions, nous ne pouvons rien changer à un ordre de choses déterminé d'avance; et cependant nous croyons fermement à ce libre arbitre, et nous agissons constamment en conséquence de cette croyance. M. l'abbé de la Mennais a cherché dans

les choses qui tombent sous les sens, ou qui sont l'objet du sens intime, des exemples de l'impuissance de nos moyens de connoître, pour arriver à une certitude infaillible dans les choses morales: ces exemples, il les a peutêtre forcés; mais le fond de son système n'en est pas moins vrai, et il se réduit tout entier à cette proposition, que l'homme n'a pas en lui-même les moyens de parvenir à une certitude infaillible dans les choses morales. Ses adversaires soutiennent le contraire; et la dispute, ramenée ainsi à ses termes les plus simples, rappelle les différens qui existent entre les catholiques, qui croient que nous devons recevoir de l'autorité l'interprétation des livres saints, et les protestans, qui soutiennent que nous la trouvons dans notre propre sens, et qu'elle nous est rendue sensible comme les saveurs et les couleurs. Cependant la politique n'exige pas de nous cette certitude infaillible, même pour les fonctions où elle seroit nécessaire, et même indispensable, si on pouvoit l'obtenir, pour la fonction de condamner à mort: et quel est le juge ou le jury qui osât dire qu'il a une certitude infaillible de la culpabilité du condamné, et qu'il est impossible qu'il se soit trompé? La religion l'exige encore moins, puisqu'elle ne la fait venir que de l'autorité, et qu'elle nous avertit sans cesse de nous défier de nos lumières, et de ne pas croire à notre propre sens; sans doute une certitude infaillible, dans des êtres si fragiles, si foibles, si passionnés, scroit une bien haute prérogative, une perfection qui les approcheroit de la Divinité elle-même; mais la religion ne nous dit-elle pas que tout don parfait, tout ce qui nous est donné de meilleur, nous vient d'en haut, et descend du Père des

lumières, en qui il n'y a, ni ombre, ni changement, ni défaillance... Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est, descendens à Patre luminum, apud quem non est transmutatio nec vicissitudinis obumbratio, Il répugne que la certitude infaillible des vérités fondamentales de la société ait été donnée à un être contingent aussi passager, aussi faillible que l'homme; et certes, quand on voit les erreurs, même politiques, où sont tombés les plus grands esprits, et encore dans le siècle des lumières, et malgré la perfectibilité indéfinie de la raison humaine, on sent qu'il faut au moins ajourner à un temps plus heureux la déclaration de notre infaillibilité individuelle.

SUR LE SECOND VOLUME

DE

L'ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE

EN MATIÈRE DE RELIGION;

Par M. GENoude.

La religion fut d'abord toute la philosophie des chrétiens, comme elle avoit été la philosophie des Hébreux. Parmi les premiers peuples, aucun ne sentit le besoin d'une philosophie pour découvrir les vérités nécessaires, `qui étoient toutes renfermées dans les traditions qui re

montoient à Dieu même. Ils n'en appclèrent, ni au témoignage des sens, ni au sens intime, ni au raisonnement, de ce qu'ils devoient croire. Nos pères nous ont dit, parce que nos pères ont reçu la vérité de Dieu même ; voilà sur quel fondement reposa d'abord la vérité. Les traditions furent ensuite altérées par l'orgueil et par les passions. Alors parurent les systèmes des philosophes. Quand le christianisme eut converti le monde, et même les philosophes, ceux-ci voulurent retenir leurs vains systèmes, et les concilier avec la religion. Bientôt mille sectes déchirèrent l'Église. L'invasion des Barbares arrêta ce mouvement inquiet des esprits. Durant plusieurs siècles les peuples se reposèrent dans la foi: on croyait alors à l'existence de Dieu, à la création de la matière, à l'union de l'ame et du corps dans l'homme, à la distinction du juste et de l'injuste, aux peines et aux récompenses de l'autre vie, non parce que la philosophie démontroit ces vérités, mais parce qu'elles faisoient partie de la religion. On ne cherchoit pas alors si c'étoit sur le sens intime ou sur le raisonnement qu'on doit appuyer ces vérités ; on se contentoit de la religion comme de la règle infaillible de vérité, car la religion est la raison de Dieu même, transmise à chaque homme par la tradition. A la renaissance des lettres, l'orgueil, sous le nom de science, enivra quelques esprits foibles; on se prosterna devant Aristote, et on sépara la philosophie de la religion; on crut à certaines vérités, qu'on appela philosophiques, parce qu'on les jugeoit évidentes, et on crut les autres parce qu'elles étoient enseignées par l'Église. L'esprit humain ne s'arrête jamais dans l'erreur, et bientôt une grande scission eut lieu dans

l'Église chrétienne. Des hommes parurent qui affirmèrent que, même dans la religion, il ne falloit rien croire d'après l'autorité, mais qu'on ne devoit se soumettre qu'à ce qui paroissoit évident dans l'Écriture et la tradition. On se défend difficilement d'une erreur fort répandue et qui flatte notre orgueil. Descartes, qui attaqua la philosophie d'Aristote, établit le doute universel. Toutes les traditions. furent rejetées par ce nouveau philosophe, qui disoit que, pour bien connoître, il ne falloit pas chercher ce qu'on avoit écrit ou pensé avant nous, mais savoir s'en tenir à ce qu'on reconnoissoit soi-même pour évident. Il fit donc reposer toute la philosophie sur le sens intime, sur l'évidence, et commença ainsi la science de l'idéologie. « C'est Descartes, dit Thomas dans son éloge, qui créa << cette logique intérieure de l'ame par laquelle l'entende«ment se rend compte à lui-même de toutes ses idées ». Descartes isola donc l'homme des traditions, et détruisit ainsi l'homme social dans le fond de son être, dans son intelligence: et quand il sort de son doute universel pour nous dire, Puisque je doute, je pense; puisque je pense, j'existe ; il franchit un abîme immense, et pose au milieu des airs (suivant les expressions de l'auteur de l'Essai) la première pierre de l'édifice qu'il entreprend d'élever. Le principe de sa philosophie, de ne regarder comme vrai que ce qui est évident, n'en conserve pas moins tout son danger. Ce que dit Thomas pour prévenir l'accusation de témérité dans la philosophie de Descartes est fort remarquable, et fait voir qu'il sentoit très bien la contradiction que Descartes établissoit entre la philosophie et la religion. « Il n'est pas nécessaire d'avertir que le doute philo

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