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un calcul des passions. On ne parle plus pour convaincre; on n'écoute plus pour s'éclairer, mais pour répondre ou pour passer le temps. Répandez une vive lumière sur un sujet quelconque, on dira: Cela peut se soutenir. Voilà le plus grand triomphe auquel la logique et l'éloquence puissent prétendre aujourd'hui, et elles le partagent avec le sophisme. Les preuves ne prouvent plus, elles étonnent; les esprits les sentent sans y acquiescer. Une chose dont ils doutoient d'abord, parce qu'elle leur paroissoit obscure, ils en doutent ensuite, parce qu'ils présument qu'avec le temps elle leur paroîtra moins claire : il n'existe pour eux que des appa

rences.

Cette disposition sceptique, ils la portent principalement dans la Religion. Ce ne sont plus ces efforts du raisonnement contre le christianisme, ces argumentations hautaines du dernier siècle. Je ne crois pas, je ne puis croire, voilà maintenant

le mot avec lequel on répond à tout, l'unique difficulté, l'unique objection; et l'on ne trouve partout que le doute à combattre. Il règne au fond des ames; il y étouffe l'espérance, le desir même de connoître la vérité et combien n'avons-nous pas vu d'infortunés de tout âge et de toute condition l'emporter jusque dans le tombeau !

Frappé des ravages que fait chaque jour cette funeste maladie, nous en avons cherché la cause, et nous avons cru la découvrir dans la philosophie qui, rendant la raison de chaque homme seule juge de ce qu'il doit croire, ne donne aucune base solide à ses croyances, ni aucune règle sûre à ses jugemens; et nous montrons en effet, dans le second volume de l'Essai et dans notre Défense, que cette philosophie a toujours abouti au scepticisme, et qu'elle doit nécessairement y conduire tout esprit qui est conséquent.

La philo. Elle commence par placer l'homme dans un état d'isolement complet; et puis,

comme nous le montrerons, pour toute règle de certitude, elle lui dit: Tout ce que tu crois fortement être vrai est vrai. Dès lors tout est vrai et tout est faux ; puisque, s'il n'est point de vérité qui n'ait été crue par quelques hommes, il n'est point non plus d'erreur qui n'ait été crue par quelques autres. Mais si tout est vrai et tout est faux, rien n'est faux et rien n'est vrai; et la sagesse consiste dans un doute absolu.

Il n'est donc point d'égarement d'esprit que cette philosophie n'autorise. L'hérésie n'en est qu'une application. Elle consacre même la folie; car il n'est pas de fou qui ne doive, d'après ses principes, regarder comme autant de vérités certaines les rêves de son imagination troublée. En effet, qu'un homme dise, Je suis Descartes; que lui répondra le cartésien? Voyons s'il trouvera dans sa philosophie un moyen de lui prouver qu'il n'est pas Descartes.

LE CARTÉSIEN.

Ce n'est pas sérieusement que vous prétendez être Descartes; songez donc

que ce grand homme est mort depuis plus de cent cinquante ans.

LE FOU.

C'est vous qui plaisantez quand vous dites que Descartes est mort; car je suis Descartes, et certainement je vis.

LE CARTÉSIEN.

Quoi! vous êtes l'auteur des Méditations, des Principes de Philosophie, de ces magnifiques ouvrages que l'Europe admire depuis près de deux siècles? Allez, vous êtes un fou.

LE FOU.

Une injure n'est pas une raison, et ce n'est point par cette méthode de philosopher que je me suis acquis l'admiration dont vous parliez tout à l'heure. Si j'ai

B

tort, prouvez-le moi; je vous saurai gré de me détromper.

LE CARTÉSIEN.

Eh bien, encore une fois, il y a longtemps que Descartes n'est plus. Vous ne me croyez point? Allez en Suède, on vous y montrera son tombeau.

LE FOU.

Si je me pressois autant que vous de juger les autres sévèrement, je serois à mon tour tenté de croire que vous n'êtes gude sage. Comment pouvez-vous me proposer d'aller en Suède, pour me convaincre que je suis enterré ?

LE CARTÉSIEN.

Jamais homme, vous le savez, n'a vécu deux cents ans.

LE FOU.

Pardonnez-moi : mais, en tout cas, j'en serois le premier exemple.

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