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l'avoit lu et relu, et qu'il le savoit par cœur. Il se proposa de marcher sur ses traces: mais en le prenant pour modèle, il ne renonça pas à cette liberté inséparable du génie, qui sait créer dans le temps même qu'il imite. Horace enfin fut le guide de Perse, comme Lucilius l'avoit été d'Horace. Formé par l'un et l'autre, il prit le stile de l'ancienne Comédie, et adopta ce dialogisme intéressant et vif qui remplace le théâtre, l'action, et les personnages. Craignant que la versification voisine de la prose, dont s'étoit servi Horace avec succès, ne lui réussît pas de son temps, comme sous Augufte, il s'assujettit aux agréments de la Poësie et à beaucoup plus d'exactitude dans ses vers. Ce n'est plus cette prose agréable et mesurée, qui ne diffère ordinairement de la véritable prose que par le dactyle et le spondée qui se font sentir à l'oreille; c'est une vraie poësie, une mesure sensible, une cadence faite pour la versification, et qui approche quelquefois de la majesté de l'épique et des grâces de Virgile. S'il mêle à de très-beaux vers quelque hémistiche, ou même quelques vers qui sont destitués de ce nombre et de cette cadence, ce qui lui arrive rarement, c'est à dessein, et pour ne pas s'écarter tout-à-fait du génie qui paroissoit affecté à la Satire, ou pour ne pas choquer de front le goût des amateurs. C'est dans cet esprit qu'il a écrit,

Euge, euge! omnes benè mira eritis res:

Il crut encore pouvoir s'écarter de la maniere Horace, en traitant dans chacune de ses Satires un sujet déterminé et resserré dans des bornes prescrites, au-lieu de se permettre ce style d'entretien, qui passe d'une matière à une autre. Chacune de ses six Satires a son sujet dont il ne s'écarte point. C'est un cercle dont les lignes reviennent toutes à une idée principale comme à leur centre. En s'éloignant de la méthode libre de ses maîtres, peut-être crut-il se rapprocher davantage de la raison, qui paroît d'abord choquée de cette variété de coups de pinceau dont on ne sauroit trouver l'ensemble, et qui n'ont pas de vrai point de réunion. Peut-être aussi se défia-t-il de ses forces; il en faut beaucoup pour placer tant de différents traits avec assez d'adresse pour que la disparate occupe agréablement et ne rebute jamais. Perse, jeune encore, et qui n'avoit que la théorie des choses dont Horace avoit une longue pratique, n'étoit pas sans doute en état de soutenir cette variété à l'infini, qui, de pièces de rapport et sans liaison apparente, fait un tout agréable.

Il trouva plus commode de s'astreindre à un sujet déterminé, dans chacune de ses pieces. Et c'est encore un des changements qu'il introduisit dans la Satire, et dans lequel il a lui-même servi

de modèle à ceux qui l'ont suivi. Par la premiere Satire, où il critique vivement les défauts des Poëtes et des Orateurs de son temps, il s'ouvrit aussi une carriere nouvelle et plus ample. Une observation à faire, c'est que dans cette Satire, qui peut passer pour un chef-d'œuvre d'esprit et de bon goût, il joint la Satire de l'esprit des Ecrivains de son siècle, et de leur fausse méthode, à celle du cœur ; et la critique des mœurs à celle des écrits: avantage que n'a pas notre Satire Françoise. Nous le disons avec assurance, la lecture de cette Satire de Perse est aussi utile que celle de l'Art Poëtique d'Horace, et des Inftitutions de Quintilien, puisqu'elle ne tend qu'à former un honnête homme, pendant que le Poëte y forme un Ecrivain sage et judicieux, et que le résultat en est la nécessité d'être un bon citoyen pour être un bon auteur. La cinquieme Satire, qui est l'éloge ensemble et l'apologie des points les plus contestés du Stoïcisme, prouve que Perse étoit en état de traiter les dogmes de son parti avec autant d'adresse que de force. Tout y paroît si raisonnable, si convaincant, qu'en la lisant, on est tenté de se déclarer pour les paradoxes du portique. Je ne dirai rien ici des autres Satires ma traduction, même dans l'état où elle est, les fera connoître. La seconde, sur les Voeux et le culte extravagant que les hommes

rendent à la Divinité, est digne d'un auteur éclairé des lumieres du Christianisme; et jamais la Philosophie n'a approché de plus près des leçons respectables de la Sagesse, de celles que le S. Esprit trace dans l'Ecriture par la bouche des Prophetes.

t

Je ne prétends point, en zélé traducteur, absoudre entiérement Perse de tous les défauts qu'on lui impute. Il n'a ni l'enjouement délicat, ni la fine plaisanterie d'Horace ; je m'explique ailleurs là-dessus. Il connoît la nécessité d'être plaisant, il le veut être, il dit même qu'il l'est, et ne l'est réellement pas ; ou du moins il ne l'est pas aussi souvent qu'il voudroit l'être. Cependant il y a quelquefois réussi; par exemple, dans la premiere Satire:

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Quel bonheur pour sa cendre, et que son sort est beau!
Les roses et les lys naîtront sur son tombeau.

Dans la seconde :

Ajoutant offrande sur offrande,

A la fin, il faudra que Mercure se rende.

Le Dieu seroit-il sourd? Non; mon troupeau s'accroît, Ma moisson est plus belle, et je vois du surcroît: Tout va me réussir.

Casaubon, avant moi, et quelques autres Savants, ont répondu aux reproches d'un stile obscur

et

et presque impénétrable. J'ose dire, pour l'avoir éprouvé, et je crois le démontrer dans mes remarques, que l'obscurité de Perse est plus sou vent le défaut du Lecteur, que celui de l'Auteur même. S. Augustin est peut-être le seul des An ciens qui se soit récrié contre cette obscurité. Quintilien et S. Jérôme en pensoient autrement; et Casaubon, qui s'y connoissoit, disoit, dans le dernier siècle, qu'on pouvoit lire presque tout Perse en se promenant, IN CISIO. Horace et Juvénal sont-ils sans obscurité? Quel Auteur, parmi ceux de la Grèce ou de Rome qu'on estime le plus, n'a pas ses ténèbres? Platon, duquel les ouvra→ ges sont si admirés, Thucidide, le plus estimable des Historiens, Pindare, Aristophane, tous les Tragiques Grecs, sur-tout dans les choeurs. Théocrite, &c. sont-ils à la portée de toutes les personnes de lettres? Tacite, Florus, Ovide, ce Poète, qui nous paroît si coulant, si facile, n'ar rête-t-il pas les plus savants Grammairiens? Eh, d'ailleurs, et en convenant des obscurités qui se trouvent dans quelques endroits, l'éloignement de notre siècle, et la différence de nos usages, le règne de Néron, ce règne de sang et de mort sous lequel écrivoit Perse, les sujets mêmes sur lesquels il paroît obscur, tout cela ne sert-il pas d'excuse à notre Poète? Transportons-nous à des siècles aussi éloignés de Boileau, que le nôtre

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