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DISCOURS

SUR LA SATIRE,

ET LES

SATIRIQUES LATINS ET FRANÇOIS

JE ne rappellerai point ici tout ce que les savants hommes du dernier siècle (1) ont dit de la Satire des Grecs, et de son origine parmi les Romains. Je ne l'envisagerai que dans l'état où nous la connoissons, et comme un Poëme débar rassé de la Scêne et des Acteurs, où le Poëte sans l'appareil dramatique, attaque le vice et les vicieux, la folie ou le ridicule des hommes tantôt avec les armes de la plaisanterie et dè l'enjouement, tantôt avec le stile sérieux et le fiel de la colère, et le plus ordinairement avec le sel piquant de la raillerie. Ainsi, laissant à l'écart la forme qu'ont donnée à leurs Satires, en Grece, Eupolis, contemporain d'Alcibiade,

(1) J. C. Scaliger, dans sa Poëtique; Dan. Heinsius, dans sa Dissertation de Satira; Isaac Casaubon, à la tête de son Perse; J. Gérard Vossius, dans ses Institutions Poëtiques; et après eux, le docte Dacier, dans son Discours sur la Satire,

qui, dit-on, le fit noyer; Ariftophane, que la mort de Socrate rendra à jamais odieux; et Cratinus, qui prétendit rendre l'Odissée d'Homère ridicule. Sans m'arrêter aux ouvrages d'Ennius, de Pacuvius et de Varron, non plus qu'aux Mimes de Laberius, et de Publius Syrus, je passe au célèbre Lucilius (1), qu'on peut regarder comme le premier inventeur de la Satire latine, dont nous parlons. (2) Génie libre et d'une fécondité prodigieuse, Lucilius répandit à pleines mains le sel le plus vif, et les railleries les plus amères sur tout ce qui se trouva en son chemin. Le vice, la sottise, et le ridicule eûrent en lui un ennemi redoutable, que ni la qualité ni le rang ne retenoient. Le Peuple (3) et les Grands, les Dieux mêmes étoient également en bute à ses traits; et, suivant l'expression de Perse, il ne donnoit point de coups de dent qu'il n'y parût :

(1) Voyez, sur Lucilius, Petrus Crinitus, le Giraldi, Vossius, de Poëtis Latinis; le Jésuite Briet, qui a fait plusieurs fautes; Fr. Douza, dans son Recueil des Fragments de Lucilius, avec des notes; Horace, Satire IV du premier Livre, & Satire X; Casaubon, sur Perse, Satire I; Dacier, sur Horace; nos Dictionnaires, & sur-tout Bayle, à l'article Lucilius.

(2) Caractere de Lucilius, & de sa Satire.

(3) Primores populi arripuit populumque tributim.

HORAT..

Genuinum fregit in illis. C'étoit un fond inépuisable de bonne plaisanterie. La liberté dont jouissoient encore les Romains de son temps, et l'amitié de Scipion l'Africain et de Lélius le mettoient au-dessus de la crainte, et à l'abri de la vengeance. Lucilius étoit d'ailleurs lui-même un homme du premier rang (1); militaire distingué, il avoit servi sous Scipion avec succès. L'estime qu'on avoit pour ses Satires étoit extraordinaire, et il avoit des partisans si nombreux et si zélés, qu'il n'étoit pas permis (2) de blâmer les écrits d'un homme qui n'épargnoit personne. Cette passion pour l'auteur fut si constante, que du temps d'Horace on n'en étoit

(1) Il étoit grand oncle de Cn. Pompée dit le Grand, fils de Lucilia niece di Poëte,

(2) Plusieurs Savants ont prétendu (Dacier est même de ce nombre) qu'un de ces zélés alloit dans les rues de Rome armé d'un fouet, & s'en servoit contre quiconque étoit assez hardi pour mal parler des poësies de Lucilius; cette anecdote n'est pas tout-à-fait vraie, & Heinsius, qui nous la donne pour telle, donne luimême la preuve de fon erreur, dans d'anciens vers qu'on trouve à la tête de la dixieme Satire du premier Livre, qui regarde Lucilius. Ces anciens vers nous apprennent que Caton, qui étoit un des admirateurs de Lucilius, en préparoit une édition corrigée; projet moins vif, dit l'auteur des vers, & moins choquant que celui du jeune Chevalier Romain, qui vengeoit, avec le fouet & un uerf-de-boeuf à la main, les anciens Poëtes

pas encore revenu, et que l'ami d'Auguste fut obligé de faire l'apologie de la critique qu'il avoit faite du désordre des idées de Lucilius, et du stile négligé de sa versification. Il paroît même certain qu'avec tout son esprit et sa délicatesse Horace ne réussit pas auprès du public prévenu. Le mérite de l'invention parloit pour Lucilius. Il débarrassa (1) la Satire des Acteurs, du Théâtre, des Choeurs, de la forme dramatique qu'elle avoit avant lui. Et au lieu de l'exposition, du naud, et du dénouement (2), qu'exigeoit la Satire des Grecs, imitée par Livius Andronicus, Ennius, Pacuvius, et les premiers

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de nos dégoûts. Cela ne regardoit pas Lucilius plus particuliérement qu'un autre Poëte ancien :

Qui multùm puer, & loris, & funibus udis
Exornatus, ut esset opem qui ferre POETIS
ANTIQUIS posset contra fastidia nostra.

D. HEINSIUS, de Satira Horat. pp. 165 & 166.·.·

(1) C'est ce qui a fait dire à Horace :

Hæc ego LUDO,

Quæ nec in æde sonent certantia, judice Tarpá,
Nec redeant iterùm atque iterùm fpectanda Theatris.

HORAT, L. I, Sat. x.

(2) C'est ce que les Grecs appellent Protase, Epitase; & Péripétie, dont l'idée est très-bien rendue par nos expres sions Françoises Exposition, naud & dénouement.

Poëtes de la vieille Rome, il présentoit un Poême, une Satire in-promptu, où, sans personnages, sans fable et sans action, l'ouvrage devenoit la Scêne et le Théâtre, et où l'Auteur seul se chargeoit de tous les rôles. La versification Latine, réduite à la mesure des vers ïambes, n'étant pas assez sensible à l'oreille, Lucilius adopta le vers hexamètre, beaucoup plus nombreux; mais ce fut en donnant à sa versification tant de liberté, qu'elle approcha plus de la prose que de la sévérité de la poësie. Le dialogisme remplaçoit les personnages de l'ancienne Satire; la poësie libre suppléoit à la liberté de l'ïambe. Les lois de l'action, ou de la fable, étant ban` nies, le Poëte se livroit, sans gêne, à toutes les idées satiriques qui tomboient sous sa plume, sans se fixer à un même objet, ni même à la nécessité des transitions; il paroît que, comme Varron le dit de lui-même dans Cicéron, Lucilius pouvoit dire de ses Satires: l'ai assaisonné mes ouvrages de beaucoup de gaieté, et l'on y trouve des choses tirées de la plus profonde Philosophie (1). Les bons mots, l'ironie fine, la critique soutenue, soit dans l'expression, soit dans le fond des choses, beaucoup d'esprit et de bon sens, firent le mérite des Satires de Lucilius. I

- (1) Quâdam hilaritate conspersimus multa admixta ex intimá Philosophia. Cic. Quæst. Acad. Lib. I.

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