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roi que Sa Majesté mettait ses armes partout. Le roi a répliqué par une lettre charmante, où, en parlant de la fable des dauphins, il dit entre autres : «Tant pis pour les dauphins qui n'aiment pas les grands hommes. » Le patriarche a pareillement reçu une lettre charmante de l'impératrice de Russie. Ce commerce soutenu qui s'établit entre les souverains et les philosophes appartient à notre siècle exclusivement, et fera une époque mémorable, non-seulement dans les lettres, mais encore par son influence dans l'esprit public des gouvernemens.

DES Lois de Minos.

Dans le temps que nous comptions voir la tragédie des Lois de Minos sur le théâtre de la Comédie Française, et qu'on disait tous les obstacles qui s'opposaient à sa représentation levés, elle vient de paraître imprimée. Le Sophocle de Ferney a une certaine dose de patience comme les enfans; quand elle est à bout, il n'y a plus de digue qui retienne. Notre incomparable Le Kain avait été à Ferney l'automne dernier, et avait joué plusieurs fois dans la troupe qui joue aux portes de Genève. Le vieux Sophocle lui avait fait présent des Lois de Minos, c'est-à-dire de ce que les représentations et l'impression pourraient produire à l'auteur. M. Le Kain, à son retour, a employé son crédit à mettre cette pièce au théâtre. Il a éprouvé beaucoup de difficultés, et peu de zèle de la part de ses camarades. Cela a duré plus de deux mois, l'impatience a enfin saisi le vieux Sophocle, et voilà la pièce imprimée à la fois à Genève et à Paris. Je crois que la perte que

M. Le Kain essuie par cette publication imprévue est médiocre; je doute du moins que, malgré la magie de son jeu, cette pièce eût obtenu un grand nombre de représentations. Elle m'a paru encore bien plus faible à l'impression, que lorsque je la lus en manuscrit le printemps dernier. C'est un radotage qui, par des traits vacillans et à moitié effacés, rappelle les caractères et les beautés des anciennes tragédies de M. de Voltaire. On retrouve dans Datame Zamore, dans Azémon Narbas, mais crayonnés d'une main débile. Cette extrême faiblesse s'étend sur le style, sur les personnages, sur les incidens, sur toute la contexture de la fable. Mais pourquoi vouloir ôter au vieux Sophocle l'amusement de faire des tragédies? Pourquoi lui en savoir mauvais gré? Cet amusement est nécessaire à la consolation de sa vieillesse, à la prolongation de sa vie. Tant de chefs-d'œuvre, tant de productions immortelles ne lui auraient-ils pas acquis le droit d'amuser ses derniers jours comme bon lui semble? et si nous étions susceptibles de la moindre reconnaissance envers ceux qui ont bien mérité du genre humain, ne le manifesterions-nous pas, en accordant un succès fort au-dessus de leur valeur aux productions faibles de la vieillesse d'un grand homme jusqu'à l'époque de sa mort? Mais on dirait que le moment de l'affaiblissement d'un homme de génie soit un sujet de triomphe pour son siècle, qui abandonne aux générations suivantes le soin tardif et vain d'encenser ses cendres inanimées. Oh! que le genre humain est hideux quand on le regarde en masse et de près! Pour rendre la tragédie des Lois de Minos odieuse au public, on a dit

qu'elle n'était faite que pour prêcher le despotisme. On peut la regarder, à la vérité, comme la satire de la constitution de Suède, abolie en dernier lieu, et de la constitution de Pologne, bonne à abolir; il n'y a pas jusqu'au liberum veto qu'on ne trouve dans les Lois de Minos, et l'auteur se déclare partout pour la puissance monarchique et absolue.

DÉBUT DE MADEMOISELLE RAUCOUR *.

Un phénomène aussi singulier qu'imprévu vient de fixer et d'absorber toute l'attention de Paris. Mademoiselle Raucour, jeune actrice de seize à dix-sept ans, grande, bien faite, de la figure la plus noble et la plus intéressante, débuta le 23 décembre dernier, sur le théâtre de la Comédie Française, dans les grands rôles tragiques. Elle a joué sans interruption depuis ce moment avec un succès et des applaudissemens, dont il est impossible de se faire une idée quand on n'a jamais vu l'ivresse et l'enthousiasme de Paris. Elle est fille d'un acteur de province, et on l'a vue, dans sa tendre enfance, jouer de petits rôles sur le théâtre de Cadix. Son père lui remarquant des dispositions heureuses, et

1. Il règne dans ce tableau de l'enthousiasme du public pour mademoiselle Raucour, une vivacité et une chaleur d'expression qui font de ce brillant début une véritable époque historique sous le rapport des mœurs. Grimm lui-même se montre électrisé par l'apparition de ce phénomène, au point de partager le délire général. On a peine à reconnaître la gravité ordinaire de ses jugemens, et cela est d'autant plus remarquable, que, peu de mois après, le phénomène n'était plus à ses yeux qu'une actrice très-médiocre.

la voyant de jour en jour croître et embellir, la conduisit à Paris, et la mit entre les mains de M. Brisart, acteur de la Comédie Française. Brisart n'a pas un talent décidé, ni supérieur. Il est essentiellement froid, il a peu de nuances et de variété dans son jeu; mais il a la plus belle figure du monde, une belle voix, l'air d'un honnête homme, avec des cheveux naturellement gris, qui lui ont donné à trente ans un air vénérable, et lui ont perinis de se charger des rôles des vieillards dans les tragédies. D'Alembert disait de lui « qu'il était comme Samson, que toute sa force était dans ses cheveux. » Depuis, Brisart a prouvé ce que pouvaient l'étude et le travail opiniâtre, et il est parvenu à jouer, surtout les rôles de force et de véhémence, comme celui du vieil Horace, par exemple, avec le plus grand succès. Mais, s'il n'est pas lui-même toujours acteur sublime, je le crois très-capable de donner de bons conseils sur son art, et d'aider avec beaucoup de bon sens au développement des talens naissans. Celui de mademoiselle Raucour lui fera vraisemblablement un honneur immortel dans les fastes du Théâtre Français. On prétend qu'il ne lui a jamais rien déclamé luimême, mais qu'il a borné ses soins à lui faire répéter ses rôles d'après les différentes observations qu'il lui faisait, à mesure que l'occasion s'en offrait, ne cessant de la faire répéter que lorsqu'il ne voyait plus rien à désirer dans son jeu. Je crois cette méthode bonne, et très-préférable à celle d'endoctriner par son exemple, qui ne me paraît guère propre qu'à former des perroquets, bien ou mal sifflés. Voilà pourquoi il ne m'est pas démontré que les plus grands acteurs soient les plus

capables de former de grands acteurs. Brisart a pourtant désiré que son instruction fût saupoudrée de quelques leçons de mademoiselle Clairon, et c'est avec ce sauf-conduit qu'il nous présenta sa jeune et charmante élève dans le rôle de Didon, le 23 décembre. Il vint luimême haranguer le parterre avant la tragédie, lui demander son indulgence pour un talent naissant, et l'assurer que son élève, formée par les leçons du public, serait un jour son ouvrage. Le parterre, qui aime à la folie qu'on lui parle, et surtout qu'on lui dise qu'il est l'arbitre du goût et des talens, applaudit avec chaleur la harangue d'Achate Brisart. Mais lorsqu'on vit la plus belle créature du monde et la plus noble s'avancer en Didon sur le bord du théâtre; lorsqu'on entendit la voix la plus belle, la plus flexible, la plus harmonieuse, la plus imposante; lorsqu'on remarqua un jeu plein de noblesse, d'intelligence et de nuances les plus variées et les plus précieuses, l'enthousiasme du public ne connut plus de bornes. On poussa des cris d'admiration et d'acclamation; on s'embrassa sans se connaître; on fut parfaitement ivre. Après la comédie, ce même enthousiasme se répandit dans les maisons. Ceux qui avaient vu Didon se dispersèrent dans les différens quartiers, arrivèrent comme des fous, parlèrent avec transport de la débutante, communiquèrent leur enthousiasme à ceux qui ne l'avaient pas vue, et tous les soupers de Paris ne retentirent que du nom de Raucour. Il y a près d'un mois que ces transports se soutiennent dans tout leur feu; c'est un des plus forts et surtout des plus longs accès d'enthousiasme que j'aie vus à Paris. Les jours que mademoiselle Raucour jouait, les portes de

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