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nos exercices. Il est très bien fait; ses jambes, ses cuisses, ses mains, ses épaules marquent une grande vigueur. Il ne manque point de jeunesse, mais peut-être est-il affoibli par les grandes fatigues qu'il a essuyées. Les travaux de la mer sont, à ce que je pense, ce qui épuise le plus un homme, quelque robuste qu'il puisse être.

Vous avez raison, répond Euryale à Laodamas; j'approuve fort la pensée qui vous est venue. Allez donc, et provoquez vous-même votre hôte. A ces mots, le brave fils d'Alcinous s'élance au milieu de l'assemblée, et parle à Ulysse en ces termes: Venez, généreux étranger, et entrez en lice si vous savez quelques uns de nos jeux; et vous paroissez les savoir tous. Pour moi, je ne vois rien de plus glorieux pour un homme que de réussir dans les exercices du corps. Venez donc vous éprouver contre nous. Éloignez la tristesse de votre esprit, votre départ ne sera pas long-temps différé. On a déja lancé à l'eau le vaisseau qui doit vous porter, et vos rameurs sont tout prêts.

Le prudent Ulysse lui répondit: Laodamas, pourquoi vous moquez-vous de moi en me faisant cette proposition? Je suis bien plus occupé de mes maux que de vos combats. Quel souvenir amer et désolant que celui de tout ce que j'ai souffert ! je ne parois ici que pour solliciter le secours dont j'ai besoin pour m'en retourner. Que le roi, que le peuple exauce mes vœux, et je n'ai plus rien à desirer. Euryale réplique inconsidérément : Vous ne vous êtes donc pas formé à ces combats établis chez toutes les nations célèbres ? N'auriez-vous passé votre vie qu'à courir les mers pour trafiquer ou pour piller? N'auriez-vous commandé qu'à des matelots, et songé qu'à tenir registre de provisions, de marchandises et de profits? Vous n'avez effectivement pas l'air et le ton d'un athlète ou d'un guerrier.

Ulysse, le regardant avec des yeux pleins d'indignation, lui dit : Jeune homme, vous vous ou bliez quel propos vous osez me tenir sans me connoître ! Nous ne le voyons que trop, les dieux partagent et divisent leurs faveurs. Il est rare qu'on trouve rassemblés dans un seul homme la bonne mine, le bon esprit et l'art de bien parler. L'un manque de beauté, mais les dieux l'en dédommagent par le talent de la parole; il se distingue et se fait admirer par son éloquence; il parle avec assurance; il ne lui échappe rien qui l'expose au repentir; il s'exprime avec une douceur et une modestie qui entraînent et persuadent la multitude; il est l'oracle des assemblées, et, dès qu'il paroît, on le suit comme une divinité. Un autre a la beauté

des immortels, mais les graces ne sont pas répandues sur ses lèvres. N'en êtes-vous pas une preuve? Vous êtes parfaitement bien fait, et je ne vois pas ce que les dieux mêmes pourroient ajouter à vos avantages extérieurs. Mais vous manquez de discrétion, vous parlez légèrement, et je n'ai pu vous entendre sans colère. Non, je ne suis point ce que vous pensez, et les exercices que vous estimez tant ne me sont point étrangers. J'y excellois même dans ma jeunesse. L'âge et les revers, les fatigues de la mer et d'une longue guerre que j'ai soutenues, car il y a long-temps que le malheur me poursuit, ont épuisé mes forces. Cependant, quelque affoibli que je sois, je veux entrer en lice; vos reproches m'ont vivement piqué; ils ont réveillé mon courage. Il dit; et s'avançant brusquement, sans se débarrasser même de son manteau, il prend un disque beaucoup plus grand, plus épais et plus pesant que ceux dont se servoient les Phéaciens. après lui avoir fait faire plusieurs tours avec le bras, il le pousse d'une main si forte, que la pierre siffle en fendant les airs, et que plusieurs Phéaciens tombèrent, étonnés de l'effort avec lequel elle fut jetée. Le disque ainsi poussé passe de très loin les marques de ses rivaux. Minerve, sous la figure d'un homme, désigne elle-même l'endroit où le disque s'arrête, et s'écrie avec admiration qu'un aveugle le distingueroit sans peine en tâtonnant, tant il est éloigné de tous les autres. Prenez courage, ajoute la déesse; personne ici n'ira aussi loin, personne ne pourra vous surpasser. Ulysse est étonné et ravi de trouver quelqu'un dans l'assemblée qui le favorise si hautement. Il se radoucit, et dit aux Phéaciens avec une modeste hardiesse: Que les plus jeunes et les plus robustes d'entre vous atteignent ce disque, s'ils le peuvent; je vais en lancer un autre aussi pesant, et beaucoup plus loin, à ce que j'espère. Pour ce qui est des autres exercices, puisque vous m'avez défié, je consens à éprouver mes forces contre le premier qui osera me le disputer, soit au ceste, soit à la lutte ou à la course; je ne refuse personne, excepté Laodamas. Il est mon hôte; et qui voudroit combattre contre un prince dont il a été si humainement traité? il n'y a qu'un insensé, un homme dépourvu de tout sentiment, qui pût se permettre de disputer le prix des jeux, dans un pays étranger, à celui même qui l'a accueilli avec bonté : ce seroit la méconnoître, et agir contre ses propres intérêts. Mais pour les autres braves Phéaciens, je ne refuse ni ne dédaigne aucun de ceux qui voudront éprouver mon adresse. Je puis dire que je n'en manque pas à ces sortes de jeux. Je sais aussi me

servir de l'arc; j'ai souvent frappé au milieu de | laissée suspendue à une colonne dans mon palais.

mes ennemis celui que je choisissois, quoiqu'il fût environné de compagnons d'armes tenant leur arc bandé contre moi. Le seul Philoctète me surpassoit quand nous nous exercions sous les murs de Troie ; mais je crois l'emporter sur tous les autres hommes qui sont aujourd'hui sur la terre, et quise nourrissent des dous de Cérès. Je ne prétends pas, au reste, m'égaler aux héros qui existoient avant nous, tels qu'étoient Hercule et Eurytus d'OEchalie. Ils le cédoient à peine aux dieux mêmes. Eurytus fut puni de cette arrogante présomption, et ne parvint point à un âge avancé; car Apollon, irrité de ce qu'il avoit eu l'audace de le défier, lui ôta la vie. Je lance une pique plus loin qu'un autre ne darde une flèche. Je craindrois seulement que quelqu'un de vous ne me surpassât à la course, car je n'ai plus de forces; je les ai consumées à lutter pendant plusieurs jours contre les flots et contre la faim, après que mon vaisseau a été brisé par la tempête.

Ainsi parla le divin Alcinoüs: un héraut se détache aussitôt pour aller prendre cet instrument. Neuf juges furent choisis au sort pour présider aux jeux et régler tout ce qui étoit nécessaire. Ils se pressent de faire aplanir le lieu où l'on devoit danser. Le héraut arrive; il donne la lyre à Démodocus, qui se place dans le centre. Les jeunes gens se rangent autour de lui; ils commencent, ils frappent la terre de leur pied léger. Ulysse les regarde, en applaudissant à l'agilité, à la justesse de leurs mouvements. Démodocus chantoit sur sa lyre les amours de Mars et de Vénus, le début de cette intrigue, les présents que le dieu de la guerre fit à la déesse de la beauté, l'accueil qu'elle lui fit. Phébus en fut témoin, il en avertit Vulcain. A cette nouvelle le dieu vole dans son atelier; il redresse son enclume, et, pour se venger, il forge des filets qu'on ne pouvoit ni rompre ni relâcher. Sa fureur contre Mars lui fait imaginer cette espèce de piége. Quand il l'eut mis en état de servir son ressentiment, il entre dans son appartement, il l'entoure de ses liens indissolubles ils étoient comme des fils de toiles d'araignée; nul homme, nul dieu même ne pouvoit les apercevoir, tant le travail en étoit fin et délicat. Vulcain, après avoir dressé le piége où devoient se prendre les deux amants, annonça qu'il partoit pour Lemnos, qu'il préfère à toutes les autres contrées où on l'honore. Mars, qui l'épioit, crut légèrement qu'il s'absentoit, et court aussitôt chez la belle Cythérée.... Les mauvaises actions sont rarement impunies, s'écria un des dieux présents à cette honteuse scène. La lenteur a surpassé la vitesse : le tardif Vulcain a attrapé Mars, le plus léger de tous les dieux.... Démodocus chantoit toutes ces aventures. Ulysse et les Phéaciens étoient ravis de l'entendre. Alcinous commanda à ces deux fils, Halius et Laodamas, de danser seuls; car nul autre n'osoit se mesurer à ces deux princes. Pour montrer leur adresse, ils se saisissent d'abord d'un ballon couleur de pourpre, brodé par les mains habiles de Polybe. L'un d'eux, se pliant et se renversant en arrière, le pousse jusqu'aux nues; l'autre le reprend en sautant, et le repousse Allons donc, jeunes Phéaciens, vous surtout avant qu'il tombe à leurs pieds. Après s'être ainsi qui vous distinguez dans la danse, montrez à cet essayés, ils se mirent à danser avec une grace et illustre étranger tout ce que vous savez, afin qu'à une justesse merveilleuse. Les jeunes gens qui son retour il apprenne aussi à ses amis combien étoient debout autour de l'enceinte battoient des nous surpassons les autres peuples à la course, à mains, et tout retentissoit de leurs applaudissela danse, dans la musique, et dans l'art de con- ments. Alors Ulysse dit à Alcinous: Vous aviez duire des vaisseaux. Que quelqu'un aille prompte- grande raison de me promettre d'excellents danment chercher la lyre de Démodocus, qu'on a seurs vous tenez bien votre parole. Je ne puis

Ainsi parla Ulysse personne n'osa lui rien répliquer. Le seul Alcinous, prenant la parole, lui dit: Cher étranger, rien de plus convenable que ce que vous venez de dire. Nous ne vous blâmons point ni de la sensibilité que vous témoignez pour les reproches si déplacés d'Euryale, ni de la proposition que vous nous faites d'essayer vos forces et votre adresse contre nous. Peut-on, sans être injuste, méconnoître votre mérite et vos talents? Mais écoutez-moi, je vous en prie, afin qu'un jour, retiré dans vos états, et conversant à table avec votre femme, vos enfants, et les hôtes que vous y admettrez, vous puissiez leur raconter ce que vous avez vu chez les Phéaciens, la vie qu'ils mènent, leurs occupations, leurs amusements, et les exercices dans lesquels ils ont constamment excellé. Nous ne sommes pas les meilleurs lutteurs du monde, ni ceux qui se servent le mieux du ceste; mais nul peuple ne court ni n'entend la navigation comme nous. Nous aimons les festins, la musique et la danse : nous prenons plaisir à changer souvent d'habits, à prendre le bain chaud; nous sommes jaloux de tout ce qui rend la vie agréable et commode.

vous exprimer le plaisir qu'ils me font et l'admi- à goûter mieux le plaisir de la table et de la muration qu'ils me causent.

Alcinous parut touché de cet éloge; et, s'adressant aux Phéaciens, il leur dit: Cet étranger me semble un homme sage et d'une rare prudence; faisons-lui, selon l'usage pratiqué pour les hôtes d'un grand mérite, faisons-lui des présents convenables. Vous êtes ici douze princes de la nation, qui la gouvernez sous moi, qui suis le treizième. Que chacun de nous lui offre un manteau, une tunique bien lavée, et un talent d'or. Apportonsles au plus vite, afin que, touché de notre générosité, ce soir il se mette à table avec plus de joie. J'exhorte aussi Euryale à l'apaiser par des excuses et par des présents, car il a manqué à la justice et aux égards qu'il lui devoit.

Il dit: tous les princes approuvent Alcinous, et chacun d'eux commande aussitôt à son héraut d'aller prendre les présents. Euryale lui-même, s'adressant à Alcinoüs, promet de donner à Ulysse la satisfaction qu'on exige. Il lui présente une épée d'un acier très fin, dont la poignée est d'argent, et le fourreau couvert d'un ivoire merveilleusement travaillé. J'espère, dit-il à Ulysse, que vous ne trouverez pas cette arme indigne de vous acceptez-la, ô mon père ! et s'il m'est échappé quelques reproches que vous ne méritez pas, que les vents les emportent, et qu'ils sortent pour toujours de votre mémoire. Fassent les dieux que vous ayez bientôt la consolation de revoir votre femme et votre patrie! N'y a-t-il pas assez long-temps que le malheur vous persécute, et vous tient éloigné de tout ce qui vous aime? Cher Euryale, repartit Ulysse, je prie les dieux de vous combler de joie et de prospérité. Puissiez-vous ne sentir jamais le besoin de cette épée! Tout ce que vous m'avez dit est réparé par le don magnifique que vous me faites, et par les douces paroles qui l'accompagnent. En achevant ces mots, le roi d'Ithaque met à son côté cette riche épée. Le soleil alloit se coucher les autres présents arrivent, portés par des hérauts. On les dépose aux pieds d'Alcinous; ses enfants les prennent, et les portent eux-mêmes chez la reine. Le roi marchoit à leur tête. Lorsqu'ils furent arrivés dans l'appartement d'Areté, et qu'on eut placé et fait asseoir les chefs des Phéaciens, Alcinous dit à la reine: Ma femme, faites apporter ici la plus belle de mes cassettes, mettez-y un beau manteau et une tunique neuve. Ordonnez à vos esclaves de faire chauffer de l'eau ; il faut faire baigner notre hôte, étaler ensuite et ranger proprement nos présents. J'espère que ce beau coup d'œil lui donnera une joie secrète, et le préparera

sique. Pour moi, je le prie d'accepter une belle coupe d'or, afin qu'il se souvienne de moi, et qu'il fasse tous les jours des libations à Jupiter et aux autres dieux.

La reine commande aussitôt à ses femmes de mettre un trépied sur le feu elles obéissent, portent un grand vaisseau d'airain, le remplissent d'eau, mettent dessous beaucoup de bois. Dans un moment la flamme s'élève, et l'eau commence à frémir.

Cependant Areté se fait apporter une belle cassette pour Ulysse : elle y dépose les habits, l'or, tous les présents des Phéaciens; elle y ajoute pour elle-même une tunique et un manteau magnifique. Quand tout fut rangé avec beaucoup d'ordre, la reine lui dit : Considérez tout ce que cette cassette renferme, mettez-y votre sceau, afin que dans le voyage on n'en dérobe rien pendant que vous dormirez dans votre vaisseau.

Le fils de Laërte, après avoir admiré tous ces riches présents, après en avoir marqué sa reconnoissance, baisse le couvercle de la cassette, et la scelle d'un nœud merveilleux dont Circé lui avoit donné le secret. On l'avertit ensuite d'entrer dans le bain ; il le trouve chaud : il en paroît ravi, car il n'en avoit point usé depuis qu'il étoit sorti de la grotte de Calypso. Alcinous ne lui laisse rien à desirer, et après que les femmes d'Areté l'ont fait baigner, après qu'elles lui ont prodigué les parfums les plus exquis, elles lui jettent de magnifiques habits. Ulysse quitte la salle des bains, et se rend dans celle des festins. Nausicaa, dont la beauté égaloit celle des déesses mêmes, étoit à l'entrée de la salle. Dès qu'elle aperçut Ulysse, elle fut frappée d'étonnement, et lui dit : Étranger, je vous salue. Quand vous serez arrivé dans votre patrie, ne m'oubliez pas; car je suis la première qui vous ai secouru, et c'est à moi que vous devez la vie.

Ulysse lui répondit: Belle Nausicaa, fille du grand Alcinoüs, que Jupiter me conduise auprès de ma femme et de mes amis, et je vous promets de me souvenir sans cesse de vous, et de vous adresser tous les jours des vœux comme à une déesse tutélaire à qui je dois la vie et mon bonheur.

Après ce remercîment fait à Nausicaa, Ulysse s'asseoit auprès d'Alcinoüs. On sert les viandes découpées, on mêle le vin dans les urnes: un héraut amène par la main Démodocus; il le place au milieu des convives, et contre une colonne qui lui servoit d'appui. Alors le fils de Laërte, s'adressant au béraut, prend la meilleure partie du morceau qu'on lui avoit servi par honneur, et le

charge de le porter de sa part à Démodocus, et de lui dire que la tristesse qui flétrit son ame ne le rend point insensible à ses chants divins. Les chantres comme lui, ajoute Ulysse, doivent être chéris et honorés de tous les hommes. Ce sont les Muses qui les inspirent, et ils en sont les principaux favoris.

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Il dit, et le héraut s'acquitte de sa commission. Démodocus est touché de cette attention. Les convives se livrent au plaisir de la bonne chère; et quand l'abondance eut chassé la faim, Ulysse adresse la parole à Démodocus. Il n'y a point d'hommes, lui dit-il, qui méritent plus de louanges que vous. Vous êtes instruit par les Muses, ou plutôt par Apollon lui-même. Quand vous auricz été au siége de Troie, quand du moins quelques uns de ceux qui s'y sont le plus distingués vous en auroient parlé, vous ne pourriez pas chanter d'une manière plus touchante les travaux des Grecs, et tout ce qu'ils y ont fait et souffert. Mais contiet racontez-nous, je vous prie, l'aventure du cheval de bois que construisit Epéus avec le secours de Minerve; de quelle manière Ulysse le fit conduire dans la citadelle, après l'avoir rempli des guerriers qui devoient saccager Ilion. Si vous réussissez à nous dépeindre ce merveilleux stratagême, je publierai partout que c'est Apollon qui vous a inspiré de si beaux chants.

nuez,

Aussitôt Démodocus, saisi d'un divin enthousiasme, se met à chanter. Il commence au moment que les Grecs mirent le feu à leurs tentes, et firent semblant de se retirer sur leurs vaisseaux. Ulysse, avec plusieurs des principaux capitaines, étoit au milieu de la ville, caché dans les flancs du cheval de bois, et les Troyens ont l'imprudence de letratner jusque dans la citadelle. Après l'y avoir placé, ils délibèrent autour de cette énorme machine, et il y eut trois avis les uns vouloient qu'on la mît en pièces, les autres conseilloient de la précipiter du haut des remparts dans les fossés, et les troisièmes de la conserver, et de la consacrer aux dieux pour les apaiser. Cet avis devoit prévaloir. Le destin avoit résolu la ruine de Troie, puisqu'il avoit permis qu'on fit entrer dans son enceinte ce colosse immense, avec les guerriers qui alloient y porter la désolation et la mort. Il chante ensuite comment les Grecs, sortis des flancs de ce cheval comme d'une vaste caverne, saccagèrent la ville; il représente leurs plus braves héros portant partout le fer et la flamme. Il dépeint Ulysse semblable au dieu Mars, et courant avec Ménélas au palais de Déiphobus; le combat furieux et long-temps incertain qu'ils y soutinrent, et la victoire qu'ils rem

portèrent par le secours de Minerve. Ainsi chantoit Démodocus. Ulysse fondoit en larmes, et son visage en étoit couvert. L'attendrissement qu'il éprouvoit n'étoit pas moins touchant que celui d'une femme qui, voyant tomber son mari combattant pour sa patrie et pour ses concitoyens, sort éperdue, et se jette en gémissant sur son corps expirant, le serre entre ses bras, et semble braver les ennemis cruels qui redoublent leurs coups, et préparent à cette infortunée une dure servitude, une longue suite de misères et de travaux. Uniquement occupée de sa perte présente, elle ne déplore qu'elle, elle se lamente, elle ne songe qu'à sa douleur actuelle. Ainsi pleuroit Ulysse. Les Phéaciens ne s'en aperçurent point: Alcinous, auprès de qui il étoit, fut le seul qui vit couler ses pleurs et qui entendit ses sanglots. Sensible à l'état où il lui paroissoit, il pria les convives de trouver bon qu'il fit cesser Démodocus. Ce qu'il chante, dit-il, ne fait pas la même impression de plaisir sur tous les assistants. Depuis que nous sommes à table, et que ce divin musicien s'accompagne de la lyre, mon nouvel hôte n'a cessé de pleurer et de gémir. Une profonde tristesse s'est emparée de lui; écartons ce qui peut la causer : que Démodocus suspende ses chants, et que cet étranger partage gaiement avec nous le plaisir que nous trouvons à le traiter. Cette fête n'est que pour lui; c'est pour lui que nous équipons un vaisseau ; c'est à lui que nous adressons des présents: un étranger, un suppliant, doivent être regardés comme frères par tout homme qui a l'ame honnête et sensible. Mais, étranger, ne refusez pas de répondre exactement à ce que je vais vous demander. Apprenez-moi le nom que votre père et votre mère vous ont donné, et sous lequel vous êtes connu de vos voisins; car tout homme, quel qu'il soit, en reçoit un en naissant. Dites-nous quelle est votre patrie, quelle est la ville que vous habitez, afin que nous vous y remenions sur nos vaisseaux, qui sont doués d'intelligence. Car il faut que vous sachiez que les vaisseaux des Phéaciens n'ont besoin ni de pilotes ni de gouvernail pour les conduire : ils ont de la connoissance comme les hommes, et savent les chemins des villes et de tous les pays; ils parcourent les plus longs espaces, toujours enveloppés d'épais nuages qui les empêchent d'être découverts par les pirates ou nos ennemis, et jamais ils n'ont à craindre ni les orages ni les écueils.

Je me souviens seulement d'avoir entendu dire à mon père Nausithoüs que Neptune entreroit en colère contre nous, parce que nous devions nous charger trop facilement de reconduire tous les

hommes, sans distinction, qui réclameroient notre secours, et qu'il nous menaçoit qu'un jour, pour nous punir d'avoir remené dans sa patrie un étranger qu'il n'aimoit pas, il feroit périr notre vaisseau, et que notre ville seroit écrasée par la chute d'une montagne voisine. Voilà la prédiction de ce vénérable vieillard. Les dieux peuvent l'accomplir ou la laisser sans effet, selon leur volonté racontez-nous à présent, sans déguisement et sans crainte, quelle tempête vous a fait perdre votre route; dans quelles contrées, dans quelles villes vous avez été ; quels sont les peuples que vous avez trouvés cruels, sauvages, injustes; quels sont ceux qui vous ont paru humains et hospitaliers. Apprenez-nous pourquoi vous pleurez et vous soupirez quand vous entendez parler des Troyens et des Grecs. Les dieux, qui permirent la chute de cette fameuse ville, nous font trouver dans cette catastrophe de quoi les célébrer et nous instruire. Avez-vous perdu devant cette place un beau-père, un gendre, quelques autres parents encore plus proches? y auriez-vous vu périr un ami, compagnon d'armes, sage et fidèle? car un tel ami n'est pas moins digne qu'un frère de nos tendres et éternels regrets.

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Comment se refuser aux prières du plus juste et du plus humain des rois ? répondit Ulysse à Alcinoūs. Ne vaudroit-il, pas mieux cependant entendre Démodocus, dont les chants égalent par leur douceur celui des immortels? Non, je ne connois rien de plus agréable que de voir régner l'aisance et la joie dans tout un peuple, que de le voir goûter paisiblement les plaisirs de la table et de la musique c'est l'image ravissante du bonheur.

Ne seroit-ce pas le troubler, ce bonheur, ne seroit-ce pas réveiller tous mes chagrins, que de vous raconter l'histoire de mes malheurs? Par où commencer ce triste récit, et par où dois-je le finir? car il est peu de traverses que les dieux ne m'aient fait éprouver.

Je vous dirai d'abord mon nom daignez le retenir. Si les dieux me protegent contre les malheurs qui me menacent encore, malgré la longue distance qui sépare ma patrie de la vôtre, accordezmoi de vous demeurer toujours uni par les liens de l'hospitalité.

Je suis Ulysse, Ulysse fils de Laerte. J'ai acquis quelque réputation par mon adresse et ma prudence; les dieux mêmes ont applaudi à mon cou

rage et à mes succès dans la guerre. Ma patrie est l'ile d'Ithaque, dont l'air est très sain, et qui est célèbre par le mont Nérite, tout couvert de bois; elle est environnée de plusieurs autres îles toutes habitées et qui en dépendent, de Dulichium, de Samé, de Zacynthe qui n'est presque qu'une forêt. Ithaque touche pour ainsi dire au continent : elle est plus septentrionale que les autres îles; car celles-ci sont, les unes au midi, et les autres au levant. Le sol en est pierreux et peu fertile, mais on y élève des hommes braves et robustes. Tel est le lieu de ma naissance; il y en a de plus beaux, mais il n'y en a point de plus cher à mon cœur.

J'en ai été très long-temps éloigné. Calypso a voulu me retenir dans ses états, et m'a offert sa main immortelle. Circé, si célèbre par ses secrets merveilleux, a tout tenté inutilement pour me fixer dans son palais enchanté. J'ai résisté à leurs promesses et à leurs charmes. Rien n'a pu me faire oublier ma patrie, mes parents et mes amis. J'ai cédé à ce sentiment si profond et si légitime : je lui ai sacrifié les honneurs, les richesses, les plaisirs, et l'immortalité même.

Mais il est temps de vous raconter mon histoire, et les malheurs qui par l'ordre des dieux, ont traversé mon retour depuis la trop fameuse expédition de Troic. Dès que je quittai cette ville infortunée, dès que je mis à la voile, un vent furieux et contraire me poussa sur les côtes des Ciconiens, vers le mont Ismare. J'y fis une descente, je pillai et saccageai leur principale ville. Les richesses et les captifs furent partagés avec égalité, après quoi je pressai mes compagnons de partir et de se rembarquer au plus vite. Les insensés refusèrent de m'obéir, et s'amusèrent à faire bonne chère sur le rivage. Le vin ne fut point épargné; ils égorgèrent quantité de bœufs et de moutons. Pendant ce tempslà, ce qui restoit des Ciconiens implora le secours de ses voisins. Ils étoient plus éloignés de la mer. De ces endroits bien peuplés il s'assemble une armée d'hommes plus aguerris que les premiers, beaucoup mieux disciplinés, et très accoutumés à combattre à pied et à cheval. Ils parurent dès le lendemain en aussi grand nombre que les feuilles et les fleurs que font naître le printemps et les larmes de l'Aurore. Alors tout change, les dieux se déclarent contre nous; et ce furent là nos premiers, mais non pas nos derniers malheurs.

Nos ennemis s'avancent, nous attaquent devant nos vaisseaux à coups d'épées et de javelots armés de pointes d'acier. Nous résistâmes long-temps et courageusement. Pendant tout le matin, les efforts de cette multitude ne nous ébranlèrent point; mais

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