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mortels, avoit fait autrefois à Ulysse dans le pays de Lacédémone, où ils s'étoient rencontrés dans le palais d'Orsiloque. La reine fait porter, par ses femmes, à l'entrée de la salle, l'are, le carquois et le coffre où étoient les bagues qui devoient servir à l'exercice qu'elle alloit proposer. Princes, leur ditelle, puisque vous vous obstinez à demander ma main, je la donnerai à celui qui tendra cet arc merveilleux le plus facilement, et qui fera passer sa flèche dans les bagues suspendues à ces douze piliers.

Les poursuivants se mettent à table. Télémaque | un présent qu'Iphitus, fils d'Eurytus, égal aux imentre dans la salle; il y introduit Ulysse, et recommande avec autorité à tous les convives de respecter son hôte. Ils en furent étonnés; et Ctésippe, pour braver les menaces de Télémaque, se saisit d'un pied de bœuf, et le lance avec violence à la tête d'Ulysse, qui évite le coup. Son fils, en colère, lui dit qu'il est bien heureux de n'avoir pas blessé ce pauvre étranger, qu'il l'en auroit puni surle-champ en le perçant de sa pique. Que personne, ajouta-t-il, ne s'avise de suivre cet exemple; je ne suis plus d'age à souffrir de pareils excès chez moi. Télémaque a raison, dit Agélaüs, fils de Damastor: mais, pour mettre fin à tout ce qu'il peut souffrir de nos poursuites, que ne conseille-t-il à la reine de choisir un mari? il n'y a plus d'espoir de retour pour Ulysse, et tous les délais de Pénélope tournent à la ruine de son fils.

Quoi qu'il m'en puisse coûter, lui répondit Télémaque, je ne contraindrai jamais ma mère à sortir de mon palais, ni à faire un choix qui peut lui déplaire. Cependant Minerve aliène les esprits des poursuivants et leur inspire une envie démesurée de rire. Ils avaloient des morceaux de viande tout sanglants; leurs yeux étoient noyés de larmes, et ils poussoient de profonds soupirs avant-coureurs des maux qui les attendoient.

Le devin Théoclymène, effrayé de ce qu'il voyoit, s'écria Ah! malheureux! qu'est-ce que je vois? Que vous est-il arrivé de funeste?

Eurymaque, s'adressant aux convives, leur dit Cet étranger extravague, il vient sans doute tout fraichement de l'autre monde : qu'on fasse sortir ce fou de la salle : qu'on le conduise à la place publique. Je sortirai très bien tout seul, répondit Théoclymène ; j'en sortirai avec grand plaisir, car je vois ce que vous ne voyez pas; je vois les maux qui vont fondre sur vos têtes.

Tous s'écrièrent que Télémaque étoit bien mal en hôtes l'un, dirent-ils, est un misérable mendiant, et l'autre nous donne des extravagances pour des prophéties.

Voilà les beaux propos que tenoient les poursuivants. Télémaque ne daigne pas y répondre. Mais si le diner leur fut agréable, le souper qui le suivit ne lui ressembla pas.

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Alors Télémaque, prenant la parole, dit : Je ne puis pas être simple spectateur d'un combat qui doit me coûter si cher. Non, non, comme vous al lez faire vos efforts pour m'enlever Pénélope, il faut que je fasse aussi les miens pour la retenir : si je suis assez heureux pour réussir, je n'aurai pas la douleur de voir ma mère me quitter, et suivre un second mari; car elle n'abandonnera pas un fils qu'elle verra en état de suivre les grands exemples de son père.

Aussitôt il se lève, quitte son manteau et son épée, et se met lui-même à dresser les piliers et à suspendre les bagues. Il prend l'arc ensuite, il essaie trois fois de le bander mais ses efforts sont inutiles. Il ne désespéroit cependant pas encore, lorsque Ulysse, qui vit que cela pourroit être contraire à ses desseins, lui fit signe d'y renoncer.

Léodès, fils d'Enops, prit l'arc qu'avoit abandonné Télémaque, et s'efforça vainement de le bander, et prophétisa que les autres n'y réussiroient pas mieux, et trouveroient la mort dans ce prétendu jeu. Antinous, offensé de cette prédiction, lui reprocha sa foiblesse avec aigreur, et chargea le berger Melanthius de faire fondre de la graisse pour en frotter l'arc, et le rendre plus souple et plus maniable.

Dans ce moment, Eumée et Philétius, très attachés à Ulysse, sortent de la salle; le roi d'Ithaque les suit, se déclare eux, leur demande s'il peut compter sur leur courage et leur fidélité, leur donne ses ordres, et leur assigne les postes qu'ils doivent occuper ; ils rentrent ensuite l'un après l'autre, et trouvent Eurymaque désespéré de ne pouvoir tendre l'arc qu'il tenoit à la main. Quelle honte pour nous, s'écrioit-il, de ne pouvoir faire aucun usage de cette arme, dont Ulysse se servoit si facilement !

Antinous, toujours confiant, lui dit : Ce n'est pas la force qui nous manque, mais nous avons mal pris notre temps; c'est aujourd'hui une grande fête d'Apollon est-il permis de tendre l'arc? Tenonsnous aujourd'hui en repos; faisons un sacrifice à ce dieu, qui préside à l'art de tirer des flèches, et, favorisés de son secours, nous achèverons heureusement cet exercice.

Ulysse se lève alors; il applaudit au discours d'Antinoüs, et demande cependant la permission de ma

nier un moment cet arc, pour éprouver ses forces, et voir si elles sont encore entières, et comme elles étoient avant ses fatigues et ses malheurs. Malheureux vagabond, lui dit Antinous irrité, ainsi que tous les poursuivants, de tant d'audace, le vin te trouble la raison demeure en repos, ne cherche point à entrer en lice avec des hommes si fort au-dessus de toi.

Pourquoi non? dit Pénélope : cet étranger n'aspire pas sans doute à m'épouser; je me flatte qu'il n'est pas assez insensé pour se bercer d'une telle espérance. Mais, dit Eurymaque, quelle humiliation pour nous, grande princesse, si un vil mendiant nous surpassoit en force et en adresse !

C'est votre conduite, lui répliqua la reine, qui doit vous couvrir de confusion. Donnez-lui donc cet arc, afin que nous voyions ce qu'il sait faire s'il vient à bout de le tendre, je lui donnerai une belle tunique, un beau manteau, des brodequins, une épée, un long javelot, et je le ferai conduire où il voudra. Eumée remet l'arc entre les mains d'Ulysse ; Pénélope se retire dans son appartement par le conseil de Télémaque, et ce jeune prince ordonne à Euryclée d'en fermer les portes, afin qu'aucune des femmes de sa mère ne puisse en sortir. Ulysse alors examine son arc, s'assure qu'il est en bon état, et soutient, sans s'émouvoir, toutes les mauvaises plaisanteries des poursuivants; il le tend ensuite, sans aucun effort, et aussi facilement qu'un maître de lyre tend une corde à boyau en tournant une che ville. Pour éprouver la corde, il la lâcha; la corde lâchée résonna, et fit un bruit semblable à la voix de l'hirondelle. Après cette épreuve, il prend la flèche, il l'ajuste sans se lever de son siége, et tire avec tant de justesse qu'il enfile les anneaux de tous les piliers. Jeune prince, dit-il ensuite à son fils, votre hôte ne vous fait point de honte ; il n'a point manqué le but ; je ne méritois point le mépris et les reproches des poursuivants.

En même temps il fait signe à Télémaque, qui l'entend, prend son épée, s'arme d'une bonne pique, et se tient debout près du siége de son père.

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PRÉCIS DU LIVRE XXII.

Ulysse jette ses haillons, saute sur le seuil de la porte avec son arc et son carquois, verse à ses pieds toutes ses flèches; et s'adressant aux poursuivants: Il est temps que tout ceci change de face, et que je me propose un but plus sérieux ; nous verrons si j'y atteindrai, et si Apollon m'accordera cette gloire.

Il dit, et tire en même temps sur Antinous: il portoit à la bouche une coupe pleine de vin; la pensée de la mort étoit alors bien éloignée de lui; il tombe percé à la gorge, et inonde la table de son sang. Les

convives jettent un grand cri; ils se lèvent, courent aux armes : mais ils ne trouvent ni bouclier ni pique; Ulysse avoit eu la précaution de les faire enlever. Ne pouvant donc pas lui résister par la force, ils tâchent de l'intimider par des injures. Ulysse, les regardant avec des yeux terribles, se fit alors connoître. Lâches, leur dit-il, vous ne vous attendiez pas que je reviendrois des rivages de Troie, et, dans cette confiance, vous consumiez ici tous mes biens; vous déshonoriez ma maison par vos infames débauches, et vous poursuiviez ma femme, sans vous remettre devant les yeux ni la crainte des dieux ni la vengeance des hommes.

Il dit, et une pâle frayeur glace leurs esprits. Le seul Eurymaque eut l'assurance de lui répondre que, s'il étoit véritablement Ulysse, il avoit raison de se plaindre; mais qu'Antinous étoit le plus coupable, qu'il s'en étoit vengé, et que pour eux ils étoient prêts à réparer tous les dommages qu'ils lui avoient faits.

Non, non, répliqua le roi d'Ithaque; ce ne sont pas vos biens qui pourront me satisfaire, j'en veux à votre vie; vous n'avez qu'à vous défendre ou à prendre la fuite.

Eurymaque alors tire son épée, se lance sur Ulysse; celui-ci le prévient, et lui perce le cœur d'une fleche. Amphinome tombe sous les coups de Télémaque, qui lui laisse la pique dans le corps, et avertit son père qu'il va chercher des javelots et des boucliers, et armer les deux fidèles pasteurs qu'il avoit chargés de garder les portes. Allez, mon fils, répondit Ulysse; apportez-moi ces armes; j'ai encore assez de flèches pour me défendre quelque temps : mais ne tardez pas; car on forceroit enfin ce poste que je défends tout seul.

Télémaque, sans perdre un moment, monte à l'appartement où étoient les armes ; il en apporte pour son père, pour lui-même, pour le fidèle Eumée, et pour Philétius. Mélanthius, voyant que le fils d'Ulysse avoit négligé de fermer la porte de l'arsenal, y monte par un escalier dérobé, et en rapporte aux poursuivants des boucliers, des casques et des javelots. Ulysse, s'apercevant de la trahison de Mélanthius, et le voyant enfiler encore l'escalier dérobé, ordonne à Eumée et à Philétius de le suivre, de le saisir, de le lier, de le suspendre à une colonne de l'appartement, et de le laisser lå tout en vie souffrir long-temps les peines qu'il a méritées. L'ordre est ponctuellement exécuté.

Mais les amants de Pénélope, bien armes, se préparent au combat, semblent ne respirer que le sang et le carnage. Minerve alors, sous la figure de Mentor, se joint à Ulysse, qui la reconnoît, et l'exhorte à l'aider à se défendre. Les poursuivants, qui la prennent pour le véritable Mentor, cherchent à l'intimider par les plus terribles menaces. Minerve en

fut indignée, et disparut après avoir encouragé ! Ulysse et Télémaque : mais elle rendit inutiles les efforts de leurs ennemis, et détourna tous les coups qu'ils vouloient porter au roi d'Ithaque. Il n'en fut pas de même de ceux d'Ulysse; les quatre plus braves tombèrent sous ses traits, et le reste ne tarda pas à périr victime de sa vengeance.

Le chantre Phémius, cherchant à éviter la mort, et ne pouvant l'éviter par la fuite, vint alors se je ter aux pieds d'Ulysse. Fils de Laërte, lui dit-il, vous me voyez à vos genoux; ayez pitié de moi, donnez-moi la vie. Vous auriez une douleur amère d'avoir fait périr un chantre qui fait les délices des hommes et des dieux ; je n'ai eu dans mon art d'autre maitre que mon génie. C'est malgré moi que je suis venu dans votre palais pendant votre absence. Pouvois-je résister à des princes si fiers, et qui avoient en main l'autorité et la force?

Télémaque intercéda pour Phémius, et pria aussi son père d'épargner le héraut Médon, qui a pris tant de soin de son enfance. Médon, encouragé par la supplique de Télémaque, se montra alors, et sortit de dessous un siége où il s'étoit couvert d'une peau de bœuf nouvellement dépouillé. Ulysse leur accorda la vie à tous les deux, et les fit sortir de ce lieu de carnage.

Après avoir fait mordre la poussière à tous les poursuivants, il appelle Euryclée, et lui demande le nom des femmes de Pénélope qui ont participé à leurs crimes; elles paroissent tremblantes et le visage couvert de larmes. Ulysse leur ordonne d'emporter les morts, de nettoyer la salle, et de laver les siéges et la table; après quoi, pour les punir de leur trahison et de leurs désordres, il les condamne toutes à perdre la vie.

Cette horrible exécution faite, Ulysse, pour purifier son palais, demande du feu et du soufre, et fait descendre ensuite dans la salle les autres femmes de Pénélope; elles se jetèrent à l'envi au cou de ce prince il les reconnut toutes, et répondit à leurs caresses par des larmes et des sanglots.

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PRÉCIS DU LIVRE XXIII.

Euryclée, transportée de joie, monte à l'appartement de la reine. Le zèle lui redonne les forces de la jeunesse; elle marche d'un pas ferme et assuré, et dans un moment elle arrive près du lit de la princesse, et lui crie: Éveillez-vous, ma chère Pénélope; Ulysse est enfin revenu, il est dans ce palais, il s'est vengé des princes qui aspiroient à votre main. La sage Pénélope, éveillée, lui répond, dans sa surprise Pourquoi venez-vous me tromper? pourquoi troubler un sommeil qui suspendoit toutes mes douleurs?

Je ne vous trompe pas, réplique Euryclée; Ulysse est de retour; c'est l'étranger même à qui vous avez parlé, et qu'on a si maltraité dans votre maison.

Pénélope alors ouvre son cœur à la joie, saute de son lit, embrasse sa chère nourrice, et la conjure de lui dire la vérité, et de lui raconter comment on a pu se défaire en si peu de temps de tant de concurrents. Puis, retombant dans ses inquiétudes, elle lui dit : Ce sont des contes que tout ce que vous me rapportez. N'est-ce pas quelqu'un des immortels, qui, ne pouvant souffrir les mauvaises actions de ces princes, leur a donné la mort ? Pour mon cher Ulysse, il a perdu toute espérance de retour : il a perdu la vie! Descendons néanmoins, allons trouver mon fils, et voir l'auteur de ce grand exploit.

En finissant ces mots, elle s'avance en délibérant sur la conduite qu'elle devoit tenir. La crainte de donner dans quelque piége funeste à son honneur la rendit très réservée. Télémaque, surpris de son embarras, lui reproche sa froideur; elle s'excuse sur le saisissement que lui cause toute cette aventure. Je n'ai, dit-elle, la force ni de parler à cet étranger, ni de le regarder; mais s'il est véritablement mon cher Ulysse, il lui est fort aisé de se faire con noitre sûrement.

Ulysse dit alors, en souriant, à Télémaque : Mon fils, donnez le temps à votre mère de m'examiner ; laissez-la me faire des questions : elle me méconnoît, parce qu'elle me voit malpropre et couvert de haillons; elle ne peut s'imaginer que je sois Ulysse : cela changera. Pensons à nous mettre à couvert des suites que nous devons craindre de tant de princes immolés à notre vengeance; tâchons de donner le change au public, avant que le bruit de cette expédition éclate; mettons tout en ordre dans la maison; prenons le bain; parons-nous de nos plus beaux habits; que tout le palais retentisse de cris de joie et d'allégresse, et que le peuple trompé s'imagine que Penélope a fait son choix, et vient de donner la main à un de ses prétendants.

On exécute les ordres d'Ulysse. Lui-même, après s'être baigné et parfumé, se couvre d'habits magnifiques Minerve lui donne un éclat extraordinaire de beauté et de bonne mine. Il va se présenter à la reine; il s'asseoit auprès d'elle; il lui reproche son air d'indifférence.

Prince, lui répond Pénélope, mou embarras ne vient ni de fierté ni de mépris. Vous me paroissez Ulysse mais je ne me fie pas encore assez à mes yeux ; et la fidélité que je dois à mon mari, et ce que je me dois à moi-même, demandent les plus exactes précautions et les sûretés les plus grandes. Mais, Euryclée, allez, faites porter hors de la chambre de mon mari le lit qu'il s'est fait lui-même : garnissezle de tout ce que nous avons de meilleur et de plus beau, afin qu'il aille prendre du repos.

Cela est impossible, répondit Ulysse, à moins qu'on n'ait scié les pieds de ce lit qui étoient attachés au plancher.

A ces mots la reine tombe presque évanouie, elle ne doute plus que ce ne soit son cher Ulysse. Enfin, revenue de sa foiblesse, elle court à lui, le visage baigné de pleurs ; et en l'embrassant avec toutes les marques d'une véritable tendresse, elle lui dit. Mon cher Ulysse, ne soyez point irrité contre moi, ne me faites plus de reproches. Depuis votre départ j'ai été dans une appréhension continuelle que quelqu'un ne vint me surprendre par des apparences trompeuses. Combien d'exemples de ces surprises! Hélène même, quoique fille de Jupiter, ne fut-elle pas trompée? Présentement que vous m'en donnez des preuves si fortes, je vous reconnois pour mon cher Ulysse que je pleure depuis si long-temps.

Ces paroles attendrirent Ulysse, et le remplirent d'admiration pour la vertu et la prudence de Pénélope. Hélas! lui dit-il alors en soupirant, nous ne sommes pas encore à la fin de tous nos travaux; il m'en reste un à entreprendre, et c'est le plus long et le plus difficile, comme Tirésias me le déclara le jour que je descendis dans le ténébreux palais de Pluton, pour consulter ce devin sur les moyens de retourner dans ma patrie.

ser de ses fatigues; et, quand l'aurore parut, il partit pour aller embrasser son père, en ordonnant à Pénélope de se tenir dans son appartement, et de ne se laisser voir à personne.

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PRÉCIS DU LIVRE XXIV.

Cependant Mercure avoit assemblé les ames des poursuivants de Pénélope. Il tenoit à la main sa verge d'or, et ces ames le suivoient avec une espèce de frémissement. Arrivées dans la prairie d'Asphodèle, où habitent les ombres, elles trouvèrent l'ame d'Achille, celle de Patrocle, celle d'Antiloque, celle d'Ajax, le plus beau et le plus vaillant des Grecs après le fils de Pélée. L'ame d'Agamemnon étoit venue les joindre. Achille, lui adressant la parole, lui dit : Fils d'Atrée, nous pensions que de tous les héros vous étiez le plus chéri du maître du tonnerre; la Parque inexorable a donc tranché le fil de vos jours avant le temps?

Fils de Pélée, lui répondit Agamemnon, que vous êtes heureux d'avoir terminé votre vie sur le rivage d'Ilion! les plus braves des Grecs et des Troyens furent tués autour de vous, et jamais guerrier ne fut pleuré plus amèrement, jamais monarque ne

Quel est-il ? répliqua Pénélope : comment se ter- reçut tant d'honneurs au moment de ses funérailles. minera-t-il ?

Heureusement, lui répondit Ulysse; et le devin m'a assuré que la mort ne trancheroit le fil de mês jours qu'au bout d'une longue et paisible vieillesse ; qu'après que j'aurois rendu mon peuple heureux et florissant.

Ulysse lui raconta ensuite tout ce qu'il avoit éprouvé de malheurs, tout ce qu'il avoit couru de dangers depuis son départ de Troie : il commença par la défaite des Ciconiens; il lui fit le détail des cruautés du cyclope Polyphême, et de la vengeance qu'il avoit tirée du meurtre de ses compagnons, que ce monstre avoit dévorés; il lui raconta son arrivée chez Eole, les caresses insidieuses de Circe, sa descente aux enfers pour y consulter l'ame de Tirésias; il lui peignit le rivage des Syrènes, les merveilles de leurs chants et le péril qu'il y avoit à les entendre; il lui parla des écueils effroyables de Charybde et de Seyila, de son arrivée dans l'île de Trinacrie, de l'imprudence de ses compagnons qui tuèrent les bœufs du Soleil, du naufrage et de la mort de ses compagnons en punition de ce crime, et de la pitié que les dieux eurent de lui en le faisant aborder seul dans l'ile de Calypso; il n'oublia pas les efforts de la déesse pour le retenir, ni les of fres qu'elle lui fit de l'immortalité. Enfin il lui raconta comment, après tant de travaux, il étoit arrivé chez les Phéaciens, et de là à Ithaque.

La déesse votre mère, avertie par nos cris de votre mort funeste, sortit de la mer avec ses nymphes; elles environnèrent votre bûcher: et quand les flammes de Vulcain eurent achevé de vous consumer, elle nous donna une urne d'or, présent de Bacchus et chef-d'œuvre de Vulcain, pour renfermer vos cendres précieuses avec celles de votre ami Patrocle. Toute l'armée travailla ensuite à vous élever un magnifique tombeau sur le rivage de l'Hellespont. Oui, divin Achille, la mort même n'a eu aucun pouvoir sur votre nom; il passera d'âge en âge, avec votre gloire, jusqu'à la dernière postérité. Et moi, quel avantage ai-je retiré de mes travaux? J'ai péri honteusement, victime du traître Egisthe et de ma détestable femme.

Ils s'entretenoient encore, lorsque Mercure leur présenta les ames des poursuivants. Achille et Agamemnon ne les virent pas plus tôt, qu'ils s'avancè rent au-devant d'elles; ils reconnurent le fils de Mélanthée, le vaillant Amphimédon. Quel accident, lui dirent-ils, a fait descendre dans ce séjour tén‹breux une si nombreuse et si vaillante jeunesse?

C'est, répondit Amphimédon, la colère d'Ulysse : nous le croyions enseveli sous les eaux; nous poursuivions la main de Pénélope : elle ne rejetoit ni n'acceptoit aucun de nous; mais elle nous faisoit de vaines et inutiles promesses, dans l'espérance que son cher et vaillant Ulysse viendroit tôt ou tard Il finit là son histoire : le sommeil vint le délas- la délivrer de nos poursuites. Il est arrivé après

vingt ans de courses et de travaux; et aidé de son seul Télémaque, il s'est, comme vous le voyez, cruellement vengé de notre témérité et de notre insolence. Ah! s'écria aussitôt Agamemnon, que vous êtes heureux, fils de Laërte, d'avoir trouvé une femme si sage et si vertueuse ! Quelle prudence dans cette fille d'Icarius ! quelle fidélité pour son mari! La mémoire de sa vertu ne mourra jamais; et pour l'instruction des mortels, elle recevra l'hommage de tous les siècles. Pour la fille de Tyndare, elle sera le sujet de chants odieux et tragiques, et son nom sera à jamais couvert de honte et d'opprobre.

Ainsi s'entretenoient ces ombres dans le royaume de Pluton. Cependant Ulysse et Télémaque arrivent à la campagne du vieux Laërte: elle consistoit en quelques pièces de terre qu'il avoit augmentées par ses soins et par son travail, et dans une petite maison qu'il avoit bâtie; tout auprès l'on voyoit une espèce de ferme où logeoient ses domestiques peu nombreux qu'il avoit conservés : il avoit auprès de lui une vieille femme de Sicile, qui gouvernoit sa maison, et prenoit un grand soin de sa vieillesse dans ce désert où il s'etoit confiné. Ulysse ordonna à son fils et aux bergers qui l'accompagnoient, de se retirer dans la maison, d'y porter ses armes et d'y préparer le diner. Pour lui, il s'avança vers un grand verger où il trouva son père seul, occupé à arracher les mauvaises herbes qui croissoient autour d'un jeune arbre : il étoit vêtu d'une tunique fort usée, portoit de vieilles bottines de cuir, avoit aux mains des gants fort épais, et sur la tête un casque de peau de chèvre.

Quand Ulysse aperçut son père dans cet équipage pauvre et lugubre, il ne put retenir ses larmes : puis, se déterminant à l'aborder, et craignant de se faire connoître trop promptement, il feignit d'être un étranger qui doutoit s'il étoit dans l'ile d'Ithaque. Il lui demande donc quelle est la région où il se trouve, le félicite sur le succès de ses travaux, la propreté de son jardin, et l'abondance de légumes et de fruits qu'il lui procuroit. Vous êtes, ajoutat-il, vêtu comme un pauvre esclave, et cependant vous avez la mine d'un roi; que ne jouissez-vous donc du repos et des avantages que vous pourriez avoir? Il lui parla ensuite d'Ulysse, de l'hospitalité qu'il lui avoit donnée, des présents qu'il lui avoit faits. Hélas! s'écria Laërte au nom d'Ulysse, mon cher fils n'est plus! s'il étoit vivant, il répondroit à votre générosité.

Après ces mots, le vieillard tombe presque de foiblesse; Ulysse se jette alors tendrement à son cou, et lui dit : Mon père, je suis celui que vous pleurez. Si vous êtes Ulysse, ce fils si cher, répondit Laërte, donnez-moi un signe certain qui me force à Vous croire.

Ulysse alors lui montre la cicatrice de l'énorme plaje que lui fit autrefois un sanglier sur le mont Parnasse, lorsqu'il alla voir son grand-père Autolycus. Si ce signe ne suffit pas, je vais vous montrer dans ce jardin les arbres que vous me donnâtes autrefois, lorsque dans mon enfance je vous les demandai. Je vous en dirai le nombre et l'espèce.

A ces mots, le cœur et les genoux manquent à Laërte; mais revenu bientôt à lui, il s'écrie: Grand Jupiter! il y a donc encore des dieux dans l'Olympe, puisque ces impies poursuivants ont été punis de leurs violences et de leurs injustices! Mais ne voudroit-on pas venger leur mort ?

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Ne craignez rien, répond Ulysse allons dans votre maison, où j'ai envoyé Télémaque avec Eumée et Philétius, pour nous préparer à manger.

Ils entrent la vieille Sicilienne baigne son maître Laërte, le parfume d'essence, et lui donne un habit magnifique pour honorer ce grand jour. Dolius arrive aussi avec ses enfants: nouvelle reconnoissance très attendrissante. On se met à table; et à peine at-on diné, qu'on apprend qu'Eupithès, à la tête des habitants d'Ithaque, qu'il avoit soulevés pour venger la mort de son fils Antinoüs, arrivoit pour attaquer Ulysse.

On prend les armes. Laërte et Dolius s'en couvrent comme les autres, quoiqu'ils soient accablés sous le poids des ans. Ulysse fait ouvrir les portes; il sort fièrement à la tête de sa petite troupe, et dit à Télémaque Mon fils, voici une occasion de vous distinguer, et de montrer ce que vous êtes; ne déshonorez pas vos ancêtres, dont la valeur est célèbre dans tout l'univers.

Mon père, répondit Télémaque, j'espère que ni vous, ni Laërte, vous n'aurez point à rougir de moi, et que vous reconnoîtrez votre sang.

Laërte, ravi d'entendre ces paroles pleines d'une si noble fierté, s'écrie : Quel jour pour moi ! quelle joie! Je vois de mes yeux mon fils et mon petit-fils disputer de valeur, et se montrer à l'envi dignes de leur naissance.

Il s'avance, et, fortifié par Minerve qu'il invoque, il lance sa pique aveoroideur; elle va donner dans le casque d'Eupitès, dont elle perce et brise le crâne. Ulysse alors et son généreux fils se jettent sur la troupe, déconcertée de la mort de leur chef; ils portent la mort dans tous les rangs, et il ne s'en seroit pas échappé un seul, si Minerve, en inspirant aux ennemis une telle frayeur que les armes leur tomboient des mains, n'eût aussi inspiré à Ulysse des sentiments de compassion et de paix. Cette déesse, sous la figure du sage Mentor, en dicta les conditions, et l'on ne songea plus qu'à les cimenter par les sacrifices et les serments accoutumés.

FIN DE L'ODYSSÉE.

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