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tre traités suivant les mœurs des Grecs et des Romains. De plus, nous n'avons que six pièces de ce grand auteur. Mais enfin, Molière a ouvert un chemin tout nouveau. Encore une fois, je le trouve

grand: mais ne puis-je pas parler en toute liberté

sur ses défauts?

VIII.

Projet d'un Traité sur l'histoire.

de l'Académie, qu'elle nous procure un traité sur Il est, ce me semble, à desirer, pour la gloire l'histoire. Il y a très peu d'historiens qui soient En pensant bien, il parle souvent mal; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. exempts de grands défauts. L'histoire est néanTérence dit en quatre mots, avec la plus élégante les grands exemples, qui fait servir les vices mêmes moins très importante: c'est elle qui nous montre simplicité, ce que celui-ci ne dit qu'avec une des méchants à l'instruction des bons, qui démultitude de métaphores qui approchent du gali-brouille les origines, et qui explique par quel che

matias. J'aime bien mieux sa prose que ses vers. Par exemple, l'Avare est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers. Il est vrai que la versification françoise l'a gêné; il est vrai même qu'il a mieux réussi pour les vers dans l'Amphitryon, où il a pris la liberté de faire des vers irréguliers. Mais, en général, il me paroît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions.

D'ailleurs, il a outré souvent les caractères : il a voulu, par cette liberté, plaire au parterre, frapper les spectateurs les moins délicats, et rendre le ridicule plus sensible. Mais quoiqu'on doive marquer chaque passion dans son plus fort degré et par ses traits les plus vifs, pour en mieux montrer l'excès et la difformité, on n'a pas besoin de forcer la nature, et d'abandonner le vraisemblable. Ainsi, malgré l'exemple de Plaute, où nous lisons, Cedo tertiam, je soutiens, contre Molière, qu'un avare qui n'est point fou ne va jamais jusqu'à vouloir regarder daus la troisième main de l'homme qu'il soupçonne de l'avoir volé.

Un autre défaut de Molière, que beaucoup de gens d'esprit lui pardonnent, et que je n'ai garde de gens d'esprit lui pardonnent, et que je n'ai garde de lui pardonner, est qu'il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu. Je comprends que ses défenseurs ne manqueront pas de dire qu'il a traité avec honneur la vraie probité, qu'il n'a attaqué qu'une vertu chagrine et qu'une hypocrisie détestable: mais, sans entrer dans cette longue discussion, je soutiens

que Platon et les autres législateurs de l'antiquité

païenne n'auroient jamais admis dans leurs républiques un tel jeu sur les mœurs.

Enfin, je ne puis m'empêcher de croire, avec M. Despréaux, que Molière, qui peint avec tant de force et de beauté les mœurs de son pays, tombe trop bas quand il imite le badinage de la comédie italienne :

Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnois plus l'auteur du Misanthrope'.
BOIL., Art. poét., chant. III.

min les peuples ont passé d'une forme de gouvernement à une autre.

Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays: quoiqu'il aime sa patrie, il ne la flatte jamais en rien. L'historien françois doit se rendre neutre entre la France et l'Angleterre : il doit louer aussi volontiers Talbot que Dugueselin, il rend autant de justice aux talents militaires du prince de Galles, qu'à la sagesse de Charles V.

il ne mérite d'être cru qu'autant qu'il se borne à Il évite également le panégyrique et les satires : dire, sans flatterie et sans malignité, le bien et le mal. Il n'omet aucun fait qui puisse servir à peindre les hommes principaux, et à découvrir les causes des événements; mais il retranche toute dissertation où l'érudition d'un savant veut être étalée. Toute sa critique se borne à donner comme douteux ce qui l'est, et à en laisser la décision au lecteur, après lui avoir donné ce que l'histoire lui fournit. L'homme qui est plus savant qu'il n'est historien, et qui a plus de critique que de vrai génie, n'épargne à son lecteur aucune date, aucune circonstance superflue, aucun fait sec et détaché; il suit son goût sans consulter celui du public; il veut que tout le monde soit aussi curieux que lui des minuties vers lesquelles il tourne son insatiable curiosité. Au contraire, un historien sobre et discret laisse tomber les menus faits qui ne mènent le lecteur à aucun but important. Retranchez ces faits, vous n'ôtez rien à l'histoire : ils

ne font qu'interrompre, qu'alonger, que faire
une histoire, pour ainsi dire, hachée en petits
morceaux, et sans aucun fil de vive narration. Il
faut laisser cette superstitieuse exactitude aux com-
pilateurs. Le grand point est de mettre d'abord le
lecteur dans le fond des choses, de lui en décou-
vrir les liaisons, et de se hâter de le faire arriver
au dénouement. L'histoire doit en ce point ressem-
bler un peu au poëme épique :

Semper ad eventum festinat, et in medias res,
Non secus ac notas, auditorem rapit; et quæ

lumière sur tous les autres. Souvent un fait montré par avance de loin débrouille tout ce qui le prépare. Souvent un autre fait sera mieux dans son jour étant mis en arrière; en se présentant plus tard, il viendra plus à propos pour faire naître d'autres événements. C'est ce que Cicéron compare au soin qu'un homme de bon goût prend pour placer de bons tableaux dans un jour avantageux : Videtur tanquam tabulas bene pictas collocare in bono lumine'.

Ainsi un lecteur habile a le plaisir d'aller sans cesse en avant sans distraction, de voir toujours un événement sortir d'un autre, et de chercher la fin, qui lui échappe pour lui donner plus d'impatience d'y arriver. Dès que sa lecture est finie, il regarde derrière lui, comme un voyageur curieux, qui, étant arrivé sur une montagne, se tourne, et prend plaisir à considérer de ce point de vue tout le chemin qu'il a suivi et tous les beaux endroits qu'il a traversés.

Desperat tractata nitescere posse, relinquit '. Il y a beaucoup de faits vagues qui ne nous apprennent que des noms et des dates stériles: il ne vaut guère mieux savoir ces noms que les ignorer. Je ne connois point un homme en ne connoissant que son nom. J'aime mieux un historien peu exact et peu judicieux, qui estropie les noms, mais qui peint naïvement tout le détail, comme Froissard, que les historiens qui me disent que Charlemagne tint son parlement à Ingelheim, qu'ensuite il partit, qu'il alla battre les Saxons, et qu'il revint à Aix-la-Chapelle; c'est ne m'apprendre rien d'utile. Sans les circonstances, les faits demeurent comme décharnés: ce n'est que le squelette d'une histoire. La principale perfection d'une histoire consiste dans l'ordre et dans l'arrangement. Pour parvenir à ce bel ordre, l'historien doit embrasser et posséder toute son histoire; il doit la voir tout entière comme d'une seule vue; il faut qu'il la tourne et qu'il la retourne de tous les côtés, jusqu'à ce qu'il ait trouvé son vrai point de vue. Il faut en montrer l'unité, et tirer, pour ainsi dire, d'une seule source, tous les principaux événements qui en dé-meur d'un homme, est un trait original et précieux pendent: par-là il instruit utilement son lecteur, il lui donne le plaisir de prévoir, il l'intéresse, il lui met devant les yeux un système des affaires de chaque temps, il lui débrouille ce qui en doit résulter, il le fait raisonner sans lui faire aucun raisonnement, il lui épargne beaucoup de redites, il ne le laisse jamais languir, il lui fait même une narration facile à retenir par la liaison des faits. Je répète sur l'histoire l'endroit d'Horace qui regarde le poème épique :

Ordinis hæc virtus erit et Venus, aut ego fallor,
Ut jam nunc dicat, jam nunc debentia dici
Pleraque differat, et præsens in tempus omittat 2.

Un sec et triste faiseur d'annales ne connoît point d'autre ordre que celui de la chronologie il répète un fait toutes les fois qu'il a besoin de raconter ce qui tient à ce fait ; il n'ose ni avancer ni reculer aucune narration. Au contraire, l'historien qui a un vrai génie choisit sur vingt endroits celui où un fait sera mieux placé pour répandre la

HOBAT., de Art. poet., v. 148-150.

Le poëte d'abord de son sujet s'empare:

Il nous jette au milieu de grands événements,
Nous supposant instruits de leurs commencements.

Il bannit avec soin de son heureux ouvrage
Ce qu'il ne peut parer des graces du langage.

De Art. poet., v. 42-44.

DARU.

L'ordre à mes yeux, Pisons, est lui-même une grace:
L'esprit judicieux veut tout voir à sa place.

Habile à bien choisir, préférez, rejetez,

Et montrez à propos ce que vous présentez:
Le choix du lieu, du temps, absout la hardlesse.

DARU.

Une circonstance bien choisie, un mot bien rapporté, un geste qui a rapport au génie ou à l'hu

dans l'histoire il vous met devant les yeux cet homme tout entier. C'est ce que Plutarque et Suétone ont fait parfaitement. C'est ce qu'on trouve avec plaisir dans le cardinal d'Ossat: vous croyez voir Clément VIII, qui lui parle tantôt à cœur ouvert, et tantôt avec réserve.

Un historien doit retrancher beaucoup d'épithètes superflues et d'autres ornements du discours : par ce retranchement, il rendra son histoire plus courte, plus vive, plus simple, plus gracieuse. II doit inspirer par une pure narration la plus solide morale, sans moraliser: il doit éviter les sentences comme de vrais écueils. Son histoire sera assez ornée, pourvu qu'il y mette, avec le véritable ordre, une diction claire, pure, courte et noble. Nihil est in historia, dit Cicéron 2, pura et illustri brevitate dulcius. L'histoire perd beaucoup à être parée. Rien n'est plus digne de Cicéron que cette remarque sur les Commentaires de César 3 :

Commentarios quosdam scripsit rerum suarum, valde quidem probandos: NUDI enim sunt, recti et venusti, omni ornatu orationis tanquam veste detracta. Sed dum voluit alios habere parata unde sumerent qui vellent scribere historiam, INEPTIS gratum fortasse fecit qui volunt illa calamistris inurere, sanos quidem homines a scribendo deterruit 4.

Un bel-esprit méprise une histoire nue: il veut l'habiller, l'orner de broderie, et la friser. C'est

De claris Oratoribus, cap. LXXV, n. 261.
"Ibid., n. 262.
3Ibid.

4 Il a écrit, sur ses actions, des Commentaires d'un très grand mé

une erreur, ineptis. L'homme judicieux et d'un | nuels. Un historien qui représentera Clovis envi

goût exquis désespère d'ajouter rien de beau à cette nudité si noble et si majestueuse.

Le point le plus nécessaire et le plus rare pour un historien est qu'il sache exactement la forme du gouvernement et le détail des mœurs de la nation dont il écrit l'histoire, pour chaque siècle. Un peintre qui ignore ce qu'on nomme il costume ne peint rien avec vérité. Les peintres de l'école lombarde, qui ont d'ailleurs si naïvement représenté la nature, ont manqué de science en ce point ils ont peint le grand-prêtre des Juifs comme un pape, et les Grecs de l'antiquité comme les hommes qu'ils voyoient en Lombardie. Il n'y auroit néanmoins rien de plus faux et de plus choquant que de peindre les François du temps de Henri II avec des perruques et des cravates, ou de peindre les François de notre temps avec des barbes et des fraises. Chaque nation a ses mœurs, très différentes de celles des peuples voisins. Chaque peuple change souvent pour ses propres mœurs. Les Perses, pendant l'enfance de Cyrus, étoient aussi simples que les Mèdes leurs voisins étoient mous et fastueux. Les Perses prirent dans la suite cette mollesse et cette vanité. Un historien montreroit une ignorance grossière, s'il représentoit les repas de Curius ou de Fabricius comme ceux de Lucullus ou d'Apicius. On riroit d'un historien qui parleroit de la magnificence de la cour des rois de Lacédémone, ou de celle de Numa. Il faut peindre la puissante et heureuse pauvreté des anciens Romains.

Parvoque potentem », etc.

Il ne faut pas oublier combien les Grecs étoient encore simples et sans faste du temps d'Alexandre, en comparaison des Asiatiques : le discours de Caridème à Darius le fait assez voir. Il n'est point permis de représenter la maison très simple où Auguste vécut quarante ans, avec la maison d'or que Néron fit faire bientôt après :

Roma domus fiet : Veios migrate, Quirites,
Si non et Veios occupat ista domus 4.
Notre nation ne doit point être peinte d'une fa-
çon uniforme : elle a eu des changements conti-

rite. Ils sont NUS, simples, gracieux, entièrement dépouillès des orne-
ments et en quelque sorte des habits de l'art. Et tandis qu'il a voulu,
par-là, fournir à d'autres des matériaux pour écrire une histoire,
peut-être a-t-il fait plaisir aux gens sans goût qui voudront les orner

ronné d'une cour polie, galante et magnifique, aura beau être vrai dans les faits particuliers; il sera faux pour le fait principal des mœurs de toute la nation. Les Francs n'étoient alors qu'une troupe errante et farouche, presque sans lois et sans police, qui ne faisoit que des ravages et des invasions: il ne faut pas confondre les Gaulois, polis par les Romains, avec ces Francs si barbares. Il faut laisser voir un rayon de politesse naissante sous l'empire de Charlemagne ; mais elle doit s'évanouir d'abord. La prompte chute de sa maison replongea l'Europe dans une affreuse barbarie. Saint Louis fut un prodige de raison et de vertu dans un siècle de fer. A peine sortons-nous de cette longue nuit. La résurrection des lettres et des arts a commencé en Italie, et a passé en France fort tard. La mauvaise subtilité du bel-esprit en a retardé le progrès.

Les changements dans la forme du gouvernement d'un peuple doivent être observés de près. Par exemple, il y avoit d'abord chez nous des terres saliques, distinguées des autres terres, et destinées aux militaires de la nation. Il ne faut jamais confondre les comtés bénéficiaires du temps de Charlemagne, qui n'étoient que des emplois personnels, avec les comtés héréditaires, qui devinrent sous ses successeurs des établissements de familles. Il faut distinguer les parlements de la seconde race, qui étoient les assemblées de la nation, d'avec les divers parlements établis par les rois de la troisième race, dans les provinces, pour juger les procès des particuliers. Il faut connoître l'origine des fiefs, le service des feudataires, l'affranchissement des serfs, l'accroissement des communautés, l'élévation du tiers-état, l'introduction des clercs praticiens pour être les conseillers des nobles peu instruits des lois, et l'établissement des troupes à la solde du roi pour éviter les surprises des Anglois établis au milieu du royaume. Les mœurs et l'état de tout le corps de la nation ont changé d'âge en âge. Sans remonter plus haut, le changement des mœurs est presque incroyable depuis le règne de Henri IV. Il est cent fois plus important d'observer ces changements de la nation entière, que de rapporter simplement des faits particuliers.

Si un homme éclairé s'appliquoit à écrire sur les

de parures affectées; mais il a tellement effrayé les hommes judicieux, règles de l'histoire, il pourroit joindre les exem

qu'ils n'oseront les embellir.

Cyropæd., lib. 1, cap. 11, etc.

VIRG.. Eneid.. lib. vi. V. 843.

3 QUINT.-CURT., lib. 1. cap. I.

ples aux préceptes ; il pourroit juger des historiens de tous les siècles; il pourroit remarquer qu'un excellent historien est peut-être encore plus rare

4 Rome ne sera bientôt plus qu'une maison: Romains, retirez-vous qu'un grand poëte.

à Veles; pourvu que cette maison n'envahisse pas aussi Veies. (SULT.. Ner., n. 39.)

Hérodote, qu'on nomme le père de l'histoire,

Cette critique des historiens anciens et modernes seroit très utile et très agréable, sans blesser aucun auteur vivant.

raconte parfaitement; il a même de la grace par la | m'apprendre ce que je vois qu'il ne peut pas savariété des matières : mais son ouvrage est plutôt voir me fait douter sur les faits mêmes qu'il sait. un recueil de relations de divers pays, qu'une histoire qui ait de l'unité avec un véritable ordre. Xénophon n'a fait qu'un journal dans sa Retraite des dix mille tout y est précis et exact, mais uniforme. Sa Cyropédie est plutôt un roman de philosophie, comme Cicéron l'a cru, qu'une histoire véritable.

Polybe est habile dans l'art de la guerre et dans la politique; mais il raisonne trop, quoiqu'il raisonne très bien. Il va au-delà des bornes d'un simple historien: il développe chaque événement dans sa cause; c'est une anatomie exacte. Il montre, par une espèce de mécanique, qu'un tel peuple doit vaincre un tel autre peuple, et qu'une telle paix faite entre Rome et Carthage ne sauroit durer.

Thucydide et Tite-Live ont de très belles harangues; mais, selon les apparences, ils les composent au lieu de les rapporter. Il est très difficile qu'ils les aient trouvées telles dans les originaux du temps. Tite-Live savoit beaucoup moins exactement que Polybe la guerre de son siècle.

IX.

Réponse à une objection sur ces divers projets. Voici une objection qu'on ne manquera pas de me faire. L'Académie, dira-t-on, n'adoptera jamais ces divers ouvrages sans les avoir examinés. Or, il n'est guère vraisemblable qu'un auteur, après avoir pris une peine infinie, veuille soumettre tout son ouvrage à la correction d'une nombreuse assemblée, où les avis seront peut-être partagés. Il n'y a donc guère d'apparence que l'Académie adopte ces ouvrages.

Ma réponse est courte. Je suppose que l'Académie ne les adoptera point. Elle se bornera à inviter les particuliers à ce travail. Chacun d'eux pourra la consulter dans ses assemblées. Par exemple, l'auteur de la Rhétoriquey proposera ses doutes sur l'éloquence. MM. les académiciens lui donneront leurs conseils, et les opinions pourront être diverses. L'auteur en profitera selon ses vues, sans se gêner.

Les raisonnements qu'on feroit dans les assemblées, sur de telles questions, pourroient être rédi

secrétaire composeroit sans partialité. Ce journal contiendroit de courtes dissertations, qui perfectionneroient le goût et la critique. Cette occupation rendroit MM. les académiciens assidus aux assemblées. L'éclat et le fruit en seroient grands dans toute l'Europe.

Salluste a écrit avec une noblesse et une grace singulière; mais il s'est trop étendu en peintures des mœurs et en portraits des personnes dans deux histoires très courtes. Tacite montre beaucoup de génie, avec une pro-gés par écrit dans une espèce de journal que M. le fonde connoissance des cœurs les plus corrompus: mais il affecte trop une brièveté mystérieuse; il est trop plein de tours poétiques dans ses descriptions; il a trop d'esprit ; il raffine trop; il attribue aux plus subtils ressorts de la politique ce qui ne vient souvent que d'un mécompte, que d'une humeur bizarre, que d'un caprice. Les plus grands événements sont souvent causés par les causes les plus méprisables. C'est la foiblesse, c'est l'habitude, c'est la mauvaise honte, c'est le dépit, c'est le conseil d'un affranchi, qui décide, pendant que Tacite creuse pour découvrir les plus grands raffinements dans les conseils de l'empereur. Presque tous les hommes sont médiocres et superficiels pour le mal comme pour le bien. Tibère, l'un des plus méchants hommes que le monde ait vus, étoit plus entraîné par ses craintes que déterminé par un plan suivi.

D'Avila se fait lire avec plaisir; mais il parle comme s'il étoit entré dans les conseils les plus secrets. Un seul homme ne peut jamais avoir eu la confiance de tous les partis opposés. De plus, chaque homme avoit quelque secret qu'il n'avoit garde de confier à celui qui a écrit l'histoire. On ne sait la vérité que par morceaux. L'historien qui veut

X.

Sur les anciens et les modernes.

Il est vrai que l'Académie pourroit se trouver souvent partagée sur ces questions: l'amour des anciens dans les uns, et celui des modernes dans les autres, pourroit les empêcher d'être d'accord. Mais je ne suis nullement alarmé d'une guerre civile qui seroit si douce, si polie, et si modérée. Il s'agit d'une matière où chacun peut suivre en liberté son goût et ses idées. Cette émulation peut être utile aux lettres. Oserai-je proposer ici ce que je pense là-dessus?

1° Je commence par souhaiter que les modernes surpassent les anciens. Je serois charmé de voir, dans notre siècle et dans notre nation, des orateurs plus véhéments que Démosthène, et des poètes plus sublimes qu'Homère. Le monde, loin d'y perdre, y gagneroit beaucoup. Les anciens ne seroient

pas moins excellents qu'ils l'ont toujours été, et les modernes donneroient un nouvel ornement au genre humain. Il resteroit toujours aux anciens la gloire d'avoir commencé, d'avoir montré le chemin aux autres, et de leur avoir donné de quoi enchérir sur eux.

2o Il y auroit de l'entêtement à juger d'un ouvrage par sa date.

... •

Et, nisi quæ terris semota, suisque
Temporibus defuncta videt, fastidit et odit.....
Si, quia Graiorum sunt antiquissima quæque
Scripta vel optima. . .

Si meliora dies, ut vina, poemata reddit,
Scire, velim, pretium chartis quotus arroget annus........
Qui redit ad fastos, et virtutem æstimat annis,
Miraturque nihil, nisi quod Libitina sacravit.....
Si veteres ita miratur laudatque poetas,

Ut nihil anteferat, nihil illis comparet, errat.....
Quod si tam Græcis novitas invisa fuisset,
Quam nobis, quid nunc esset vetus? aut quid haberet
Quod legeret, tereretque viritim publicus usus ?

Si Virgile n'avoit point osé marcher sur les pas d'Homère, si Horace n'avoit pas espéré de suivre de près Pindare, que n'aurions-nous pas perdu! Homère et Pindare mêmes ne sont point parvenus tout-à-coup à cette haute perfection : ils ont cu sans doute avant eux d'autres poëtes qui leur avoient aplani la voie, et qu'ils ont enfin surpassés. Pourquoi les nôtres n'auroient-ils pas la même espérance? Qu'est-ce qu'Horace ne s'est pas promis?

Dicam insigne, recens, adhuc
Indictum ore alio.

Nil parvum aut humili modo,
Nil mortale loquar.

Exegi monumentum ære perennius.

Non omnis moriar, multaque pars mei 3, etc.
'HORAT., Epist., lib. 11, epist. i, v. 21-92.

Tout ce qui respire, importunant ses yeux,
N'obtient de son orgueil que dédains odieux,
De tout ce qui respire idolâtre imbécile.....
La Grèce eut, il est vrai, des chantres révérés,
Plus antiques toujours, toujours plus admirés.....

Mais aux vers, comme au vin, si le temps donne un prix,
Faisons donc une loi pour juger les écrits;
Sachons précisément quel doit être leur âge,
Pour obtenir des droits à notre juste hommage.....
Un homme, ennemi des vivants,

Qui juge du mérite en supputant les ans.....
Ses préjugés souvent trompent son équité :
Il s'abuse, s'il croit, admirant nos ancêtres,

Qu'ils ne peuvent trouver de rivaux ni de maîtres.....
Contre la nouveauté partageant cette envie,

Si la Grèce, moins sage, eût eu cette manie,

Où seroit aujourd'hui la docte antiquité?
Quels livres charmeroient la triste oisiveté?

2 Od., lib. ut, od. xxv, v. 7, 8; et 17, 18.

DARU.

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Pourquoi ne laissera-t-on pas dire de même à Malherbe?

Apollon à portes ouvertes, etc. .

5o J'avoue que l'émulation des modernes seroit dangereuse, si elle se tournoit à mépriser les anciens, et à négliger de les étudier. Le vrai moyen de les vaincre est de profiter de tout ce qu'ils ont d'exquis, et de tâcher de suivre encore plus qu'eux leurs idées sur l'imitation de la belle nature. Je crierois volontiers à tous les auteurs de notre temps que j'estime et que j'honore le plus :

Vos, exemplaria græca

Nocturna versate manu, versate diurna 2.

Si jamais il vous arrive de vaincre les anciens, c'est à eux-mêmes que vous devrez la gloire de les avoir vaincus.

4° Un auteur sage et modeste doit se défier de soi, et des louanges de ses amis les plus estimables. Il est naturel que l'amour-propre le séduise un peu, et que l'amitié pousse un peu au-delà des bornes l'admiration de ses amis pour ses talents. Que doit-il donc faire si quelque ami, charmé de ses écrits, lui dit :

Nescio quid majus nascitur Iliade 3?

il n'en doit pas moins être tenté d'imiter le grand et sage Virgile. Ce poëte vouloit en mourant brûler son Énéide, qui a instruit et charmé tous les siècles. Quiconque a vu, comme ce poëte, d'une vue nette, le grand et le parfait, ne peut se flatter d'y avoir atteint. Rien n'achève de remplir son idée, et de contenter toute sa délicatesse. Rien n'est icibas entièrement parfait :

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