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le pur amour de la vertu ; enfin je retrouvois tout, en retrouvant Mentor pour ne le plus quitter.

| fleuve d'oubli où se plongent les ames des morts, des peines éternelles préparées aux impies dans le gouffre noir du Tartare, et de cette heureuse paix dont jouissent les justes dans les ChampsÉlysées, sans crainte de pouvoir la perdre.

Pendant qu'Hasaël et Mentor parloient, nous aperçûmes des dauphins couverts d'une écaille qui paroissoit d'or et d'azur. En se jouant, ils soulevoient les flots avec beaucoup d'écume. Après eux venoient des Tritons, qui sonnoient de la trompette avec leurs conques recourbées. Ils environnoient le char d'Amphitrite, traîné par des chevaux marins plus blancs que la neige, et qui, fendant l'onde salée, laissoient loin derrière eux un vaste sillon dans la mer. Leurs yeux étoient en

Hasael s'avance sur le sable du rivage: nous le suivons: on entre dans le vaisseau; les rameurs fendent les ondes paisibles: un zéphir léger se joue de nos voiles, il anime tout le vaisseau, et lui donne un donx mouvement. L'ile de Chypre disparoit bientôt. Hasaël, qui avoit impatience de connoître mes sentiments, me demanda ce que je pensois des mœurs de cette île. Je lui dis ingénument en quel danger ma jeunesse avoit été exposée, et le combat que j'avois souffert au-dedans de moi. Il fut touché de mon horreur pour le vice, et dit ces paroles: O Vénus, je reconnois votre puissance et celle de votre fils : j'ai brûlé de l'encens sur vos autels; mais souffrez que je déteste l'in-flammés, et leurs bouches étoient fumantes. Le fâme mollesse des habitants de votre île, et l'impudence brutale avec laquelle ils célèbrent vos fêtes.

Ensuite il s'entretenoit avec Mentor de cette première puissance qui a formé le ciel et la terre; de cette lumière simple, infinie et immuable, qui se donne à tous sans se partager; de cette vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le soleil éclaire tous les corps. Celui, ajoutoit-il, qui n'a jamais vu cette lumière pure est aveugle comme un aveugle-né: il passe sa vie dans une profonde nuit, comme les peuples que le soleil n'éclaire point pendant plusieurs mois de l'année ; il croit être sage, et il est insensé; il eroit tout voir, et il ne voit rien; il meurt n'ayant jamais rien vu; tout au plus il aperçoit de sombres et fausses lueurs, de vaines ombres, des fantômes qui n'ont rien de réel. Ainsi sont tous les hommes, entraînés par le plaisir des sens et par le charme de l'imagination. Il n'y a point sur la terre de véritables hommes, excepté ceux qui consultent, qui aiment, qui suivent cette raison éternelle c'est elle qui nous inspire, quand nous pensons bien; c'est elle qui nous reprend, quand nous pensons mal. Nous ne tenons pas moins d'elle la raison que la vie. Elle est comme un grand océan de lumière ; nos esprits sont comme de petits ruisseaux qui en sortent, et qui y retournent pour s'y perdre.

Quoique je ne comprisse point encore parfaitement la profonde sagesse de ces discours, je ne laissois pas d'y goûter je ne sais quoi de pur et de sublime : mon cœur en étoit échauffé; et la vérité me sembloit reluire dans toutes ces paroles. Ils continuèrent à parler de l'origine des dieux, des héros, des poètes, de l'âge d'or, du déluge, des premières histoires du genre humain, du

de

char de la déesse étoit une conque d'une merveilleuse figure; elle étoit d'une blancheur plus éclatante que l'ivoire, et les roues étoient d'or. Ce char sembloit voler sur la face des eaux paisibles. Une troupe de Nymphes couronnées de fleurs nageoient en foule derrière le char; leurs beaux cheveux pendoient sur leurs épaules, et flottoient au gré du vent. La déesse tenoit d'une main un sceptre d'or pour commander aux vagues, l'autre elle portoit sur ses genoux le petit dieu Palémon son fils, pendant à sa mamelle. Elle avoit un visage serein, et une douce majesté qui faisoit fuir les vents séditieux et toutes les noires tempêtes. Les Tritons conduisoient les chevaux, et tenoient les rênes dorées. Une grande voile de pourpre flottoit dans l'air au-dessus du char; elle étoit à demi enflée par le souffle d'une multitude de petits zéphirs qui s'efforçoient de la pousser par leurs haleines. On voyoit au milieu des airs Éole empressé, inquiet et ardent. Son visage ridé et chagrin, sa voix menaçante, ses sourcils épais et pendants, ses yeux pleins d'un feu sombre et austère, tenoient en silence les fiers Aquilons, et repoussoient tous les nuages. Les immenses baleines et tous les monstres marins, faisant avec leurs narines un flux et reflux de l'onde amère, sortoient à la hâte de leurs grottes profondes, pour voir la déesse.

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LIVRE V.

Suite du récit de Télémaque. Richesse et fertilité de l'ile de Crète: mœurs de ses habitants, et leur prospérité sous les sages lois de Minos. Télémaque, à son arrivée dans l'île, apprend qu'Idoménée, qui en étoit roi, vient de sacrifier son fils unique, pour accomplir un vœu indiscret; que les Crétois, pour venger le sang du fils, ont réduit le père à quitter leur pays; qu'après de longues incertitudes, ils sont actuellement assem

blés afin d'élire un autre roi. Télémaque, admis dans cette assemblée, y remporte les prix à divers jeux, et résout avec une rare sagesse plusieurs questions morales et politiques proposées aux concurrents par les vieillards, juges de l'ile. Le premier de ces vieillards, frappé de la sagesse de ce jeune étranger, propose à l'assemblée de le couronner roi; et la proposition est accueillie de tout le peuple avec de vives acclamations. Cependant Télémaque refuse de régner sur les Crétois, préférant la pauvre Ithaque à la gloire et à l'opulence du royaume de Crète. Il propose d'élire Mentor, qui refuse aussi le diadème. Enfin l'assemblée pressant Mentor de choisir pour toute la nation, il rapporte ce qu'il vient d'apprendre des vertus d'Aristodème, et décide aussitôt l'assemblée à le proclamer roi. Bientôt après, Mentor et Télémaque s'embarquent sur un vaisseau crétois, pour retourner à Ithaque. Alors Neptune, pour consoler Vénus irritée, suscite une horrible tempête, qui brise leur vaisseau. Ils échappent à ce danger en s'attachant aux débris du mát, qui, poussé par les flots, les fait aborder à l'ile de Calypso.

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et il nous expliqua ce qu'il en connoissoit. Cette île, disoit-il, admirée de tous les étrangers, et fameuse par ses cent villes, nourrit sans peine tous ses habitants, quoiqu'ils soient innombrables. C'est que la terre ne se lasse jamais de répandre ses biens sur ceux qui la cultivent: son sein fécond ne peut s'épuiser. Plus il y a d'hommes dans un pays, pourvu qu'ils soient laborieux, plus ils jouissent de l'abondance. Ils n'ont jamais besoin d'être jaloux les uns des autres: la terre, cette bonne mère, multiplie ses dons selon le nombre de ses enfants qui méritent ses fruits par leur travail. L'ambition et l'avarice des hommes sont les seules sources de leur malheur : les hommes veulent tout

avoir, et ils se rendent malheureux par le desir du superflu; s'ils vouloient vivre simplement, et se contenter de satisfaire aux vrais besoins, on verroit partout l'abondance, la joie, la paix et l'union.

C'est ce que Minos, le plus sage et le meilleur de tous les rois, avoit compris. Tout ce que vous verrez de plus merveilleux dans cette île est le fruit de ses lois. L'éducation qu'il faisoit donner aux enfants rend les corps sains et robustes on les accoutume d'abord à une vie simple, frugale et laborieuse; on suppose que toute volupté amollit le corps et l'esprit, on ne leur propose jamais d'autre plaisir, que celui d'être invincibles par la vertu, et d'acquérir beaucoup de gloire. On ne met pas seulement ici le courage à mépriser la mort dans les dangers de la guerre, mais encore à fouler aux pieds les trop grandes richesses, et les plaisirs honteux. Ici on punit trois vices, qui sont impunis chez les autres peuples : l'ingratitude, la dissimulation et l'avarice.

Après que nous eûmes admiré ce spectacle, nous commençâmes à découvrir les montagnes de Crète, que nous avions encore assez de peine à distinguer des nuées du ciel et des flots de la mer. Bientôt nous vimes le sommet du mont Ida, qui s'élève au-dessus des autres montagnes de l'île, comme un vieux cerf dans une forêt porte son bois ranieux au-dessus des têtes des jeunes faons dont il est suivi. Peu à peu, nous vîmes plus distinctement les côtes de cette île, qui se présentoient à nos yeux comme un amphithéâtre. Autant que la terre de Chypre nous avoit paru négligée et inculte, autant celle de Crète se montroit fertile et ornée de tous les fruits par le travail de ses habitants. De tous côtés, nous remarquions des villages Pour le faste et la mollesse, on n'a jamais bebien bâtis, des bourgs qui égaloient des villes, et soin de les réprimer; car ils sont inconnus en des villes superbes. Nous ne trouvions aucun Crète. Tout le monde y travaille, et personne ne champ où la main du diligent laboureur ne fût songe à s'y enrichir; chacun se croit assez payé imprimée; partout la charrue avoit laissé de creux de son travail par une vie douce et réglée, où l'on sillons : les ronces, les épines, et toutes les plantes jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est qui occupent inutilement la terre, sont inconnues véritablement nécessaire à la vie. On n'y souffre en ce pays. Nous considérions avec plaisir les creux ni meubles précieux, ni habits magnifiques, ni vallons où les troupeaux de bœufs mugissoient dans festins délicieux, ni palais dorés. Les habits sont les gras herbages le long des ruisseaux; les mou- de laine fine et de belles couleurs, mais tout unis tons paissants sur le penchant d'une colline; les et sans broderie. Les repas y sont sobres; on y boit vastes campagnes couvertes de jaunes épis, riches peu de vin: le bon pain en fait la principale partie, dons de la féconde Cérès; enfin les montagnes or- avec les fruits que les arbres offrent comme d'euxnées de pampre, et de grappes d'un raisin déja mêmes, et le lait des troupeaux. Tout au plus on coloré qui promettoit aux vendangeurs les doux y mange un peu de grosse viande sans ragoût; présents de Bacchus pour charmer les soucis des encore même a-t-on soin de réserver ce qu'il y a hommes. de meilleur dans les grands troupeaux de bœufs Mentor nous dit qu'il avoit été autrefois en Crète; pour faire fleurir l'agriculture. Les maisons y sont

propres, commodes, riantes, mais sans ornements. La superbe architecture n'y est pas ignorée; mais elle est réservée pour les temples des dieux et les hommes n'oseroient avoir des maisons semblables à celles des immortels. Les grands biens des Crétois sont la santé, la force, le courage, la paix et l'union des familles, la liberté de tous les citoyens, l'abondance des choses nécessaires, le mépris des superflues, l'habitude du travail et l'horreur de l'oisiveté, l'émulation pour la vertu, la soumission aux lois, et la crainte des justes dieux.

Je lui demandai en quoi consistoit l'autorité du roi, et il me répondit: Il peut tout sur les peuples; mais les lois peuvent tout sur lui. Il a une puissance absolue pour faire le bien, et les mains liées dès qu'il veut faire le mal. Les lois lui confient les peuples comme le plus précieux de tous les dépôts, à condition qu'il sera le père de ses sujets. Elles veulent qu'un seul homme serve, par sa sagesse et par sa modération, à la félicité de tant d'hommes; et non pas que tant d'hommes servent par leur misère et par leur servitude lâche, à flatter l'orgueil et la mollesse d'un seul homme. Le roi ne doit rien avoir au-dessus des autres, excepté ce qui est nécessaire, ou pour le soulager dans ses pénibles fotions, ou pour imprimer aux peuples le respect de celui qui doit soutenir les lois. D'ailleurs, le roi doit être plus sobre, plus ennemi de la mollesse, plus exempt de faste et de hauteur, qu'aucun autre. Il ne doit point avoir plus de richesses et de plaisirs, mais plus de sagesse, de vertu et de gloire, que le reste des hommes. Il doit être au-dehors le défenseur de la patrie, en commandant les armées; et au-dedans, le juge des peuples, pour les rendre bons, sages et heureux. Ce n'est point pour lui-même que les dieux l'ont fait roi; il ne l'est que pour être l'homme des peuples : c'est aux peuples qu'il doit tout son temps, tous ses soins, toute son affection; et il n'est digne de la royauté qu'autant qu'il s'oublie lui-même pour se sacrifier au bien public. Minos n'a voulu que ses enfants régnassent après lui qu'à condition qu'ils régneroient suivant ces maximes il aimoit encore plus son peuple que sa famille. C'est par une telle sagesse qu'il a rendu la Crète si puissante et si heureuse; c'est par cette modération qu'il a effacé la gloire de tous les conquérants qui veulent faire servir les peuples à leur propre grandeur, c'est-à-dire à leur vanité; enfin, c'est par sa justice qu'il a mérité d'être aux enfers le souverain juge des morts.

Pendant que Mentor faisoit ce discours, nous

abordâmes dans l'île. Nous vimes le fameux labyrinthe, ouvrage des mains de l'ingénieux Dédale, et qui étoit une imitation du grand labyrinthe que nous avions vu en Égypte. Pendant que nous considérions ce curieux édifice, nous vîmes le peuple qui couvroit le rivage, et qui accouroit en foule dans un lieu assez voisin du bord de la mer. Nous demandâmes la cause de leur empressement; et voici ce qu'un Crétois, nommé Nausicrate, nous raconta:

Idoménée, fils de Deucalion et petit-fils de Minos, dit-il, étoit allé, comme les autres rois de la Grèce, au siége de Troie. Après la ruine de cette ville, il fit voile pour venir en Crète; mais la tempête fut si violente, que le pilote de son vaisseau, et tous les autres qui étoient expérimentés dans la navigation, crurent que leur naufrage étoit inévitable. Chacun avoit la mort devant les yeux ; chacun voyoit les abîmes ouverts pour l'engloutir ; chacun déploroit son malheur, n'espérant pas même le triste repos des ombres qui traversent le Styx après avoir reçu la sépulture. Idoménée, levant les yeux et les mains vers le ciel, invoquoit Neptune : O puissant dieu, s'écrioit-il, toi qui tiens l'empire des ondes, daigne écouter un malheureux; si tu me fais revoir l'île de Crète malgré la fureur des vents, je t'immolerai la première tête qui se présentera à mes yeux.

Cependant son fils, impatient de revoir son. père, se hâtoit d'aller au-devant de lui pour l'embrasser: malheureux, qui ne savoit pas que c'étoit pour courir à sa perte! Le père, échappé à la tempête, arrivoit dans le port desiré; il remercioit Neptune d'avoir écouté ses vœux : mais bientôt il sentit combien ses vœux lui étoient funestes. Un pressentiment de son malheur lui donnoit un cuisant repentir de son vœu indiscret; il craignoit d'arriver parmi les siens, et il appréhendoit de revoir ce qu'il avoit de plus cher au monde. Mais la cruelle Némésis, déesse impitoyable, qui veille pour punir les hommes et surtout les rois orgueilleux, poussoit d'une main fatale et invisible Idoménée. Il arrive; à peine ose-t-il lever les yeux : il voit son fils, il recule, saisi d'horreur. Ses yeux cherchent, mais en vain, quelque autre tête moins chère qui puisse lui servir de victime.

Cependant le fils se jette à son cou, et est tout étonné que son père réponde si mal à sa tendresse; il le voit fondant en larmes. O mon père, dit-il, d'où vient cette tristesse? Après une si longue absence, êtes-vous fâché de vous revoir dans votre royaume, et de faire la joie de votre fils? Qu'ai-je fait ? vous détournez vos yeux de peur de me voir !

Le père, accablé de douleur, ne répondoit rien. Enfin, après de profonds soupirs, il dit : O Neptune, que t'ai-je promis! A quel prix m'as-tu garanti du naufrage! rends-moi aux vagues et aux rochers qui devoient, en me brisant, finir ma triste vie; laisse vivre mon fils! O dieu cruel! tiens, voilà mon sang, épargne le sien. En parlant ainsi, il tira son épée pour se percer; mais ceux qui étoient autour de lui arrêtèrent sa main.

Le vieillard Sophronyme, interprète des volontés des dieux, lui assura qu'il pouvoit contenter Neptune sans donner la mort à son fils. Votre promesse, disoit-il, a été imprudente : les dieux ne veulent point être honorés par la cruauté; gardez vous bien d'ajouter à la faute de votre promesse, celle de l'accomplir contre les lois de la nature : offrez cent taureaux plus blancs que la neige à Neptune; faites couler leur sang autour de son autel couronné de fleurs; faites fumer un doux encens en l'honneur de ce dieu.

Cependant le peuple, touché de compassion pour l'enfant et d'horreur pour l'action barbare du père, s'écrie que les dieux justes l'ont livré aux Furies. La fureur leur fournit des armcs; ils prennent des bâtons et des pierres; la Discorde souffle dans tous les cœurs un venin mortel. Les Crétois, les sages Crétois, oublient la sagesse qu'ils ont tant aimée; ils ne reconnoissent plus le petit-fils du sage Minos. Les amis d'Idoménée ne trouvent plus de salut pour lui qu'en le ramenant vers ses vaisseaux : ils s'embarquent avec lui; ils fuient à la merci des ondes. Idoménée revenant à soi, les remercie de l'avoir arraché d'une terre qu'il a arrosée du sang de son fils, et qu'il ne sauroit plus habiter. Les vents les conduisent vers l'Hespérie, et ils vont fonder un nouveau royaume dans le pays des Salentins.

Cependant les Crétois, n'ayant plus de roi pour les gouverner, ont résolu d'en choisir un qui conserve dans leur pureté les lois établies. Voici les mesures qu'ils ont prises pour faire ce choix : Tous les principaux citoyens des cent villes sont assemblés ici; on a déja commencé par des sacrifices; on a assemblé tous les sages les plus fameux des pays voisins pour examiner la sagesse de ceux qui paroîtront dignes de commander. On a préparé des jeux publics, où tous les prétendants combat

Idoménée écoutoit ce discours, la tête baissée, et sans répondre la fureur étoit allumée dans ses yeux, son visage, pâle et défiguré, changeoit à tous moments de couleur; on voyoit ses membres tremblants. Cependant son fils lui disoit : Me voici, mon père; votre fils est prêt à mourir pour apaiser le dieu; n'attirez pas sur vous sa colère je meurs content, puisque ma mort vous aura ga-tront, car on veut donner pour prix la royauté à ranti de la vôtre; frappez, mon père; ne craignez point de trouver en moi un fils indigne de vous, qui craigne de mourir.

En ce moment, Idoménée, tout hors de lui, et comme déchiré par les furies infernales, surprend tous ceux qui l'observent de près; il enfonce son épée dans le cœur de cet enfant : il la retire toute fumante et pleine de sang, pour la plonger dans ses propres entrailles; il est encore une fois retenu par ceux qui l'environnent. L'enfant tombe dans son sang; ses yeux se couvrent des ombres de la mort; il les entr'ouvre à la lumière; mais à peine l'a-t-il trouvée qu'il ne peut plus la supporter. Tel qu'un beau lis au milieu des champs, coupé dans sa racine par le tranchant de la charrue, languit et ne se soutient plus; il n'a point encore perdu cette vive blancheur et cet éclat qui charme les yeux, mais la terre ne le nourrit plus, et sa vie est éteinte ainsi le fils d'Idoménée, comme une jeune et tendre fleur, est cruellement moissonné dès son premier âge. Le père, dans l'excès de sa douleur, devient insensible; il ne sait où il est, ni ce qu'il a fait, ni ce qu'il doit faire; il marche chancelant vers la ville, et demande son fils.

celui qu'on jugera vainqueur de tous les autres, et pour l'esprit et pour le corps. On veut un roi dont le corps soit fort et adroit, et dont l'ame soit ornée de la sagesse et de la vertu. On appelle ici tous les étrangers.

Après nous avoir raconté toute cette histoire étonnante, Nausicrate nous dit : Hàtez-vous donc, ô étrangers, de venir dans notre assemblée : vous combattrez avec les autres; et si les dieux destinent la victoire à l'un de vous, il régnera en ce pays. Nous le suivîmes, sans aucun desir de vaincre, mais par la seule curiosité de voir une chose si extraordinaire.

Nous arrivâmes à une espèce de cirque trèsvaste, environné d'une épaisse forêt; le milieu du cirque étoit une arène préparée pour les combattants; elle étoit bordée par un grand amphithéâtre d'un gazon frais sur lequel étoit assis et rangé un peuple innombrable. Quand nous arrivâmes, on nous reçut avec honneur; car les Crétois sont les peuples du monde qui exercent le plus noblement et avec le plus de religion l'hospitalité. On nous fit asseoir, et on nous invita à combattre. Mentor s'en excusa sur son âge, et Hasaël sur sa foible santé. Ma jeunesse et ma vigueur m'ôtoient toute excuse;

je jetai néanmoins un coup d'œil sur Mentor pour | je lui tendis la main pour le relever. Il se redressa découvrir sa pensée, et j'aperçus qu'il souhaitoit lui-même, couvert de poussière et de sang; sa que je combattisse. J'acceptai donc l'offre qu'on honte fut extrême; mais il n'osa renouveler le me faisoit je me dépouillai de mes habits; on combat. fit couler des flots d'huile douce et luisante sur tous les membres de mon corps, et je me mêlai parmi les combattants. On dit de tous côtés que c'étoit le fils d'Ulysse, qui étoit venu pour tâcher de remporter les prix; et plusieurs Crétois qui avoient été à Ithaque pendant mon enfance me reconnurent.

Le premier combat fut celui de la lutte. Un Rhodien d'environ trente-cinq ans surmonta tous les autres qui osèrent se présenter à lui. Il étoit encore dans toute la vigueur de la jeunesse ses bras étoient nerveux et bien nourris; au moindre mouvement qu'il faisoit, on voyoit tous ses muscles: il étoit également souple et fort. Je ne lui parus pas digne d'être vaincu, et, regardant avec pitié ma tendre jeunesse, il voulut se retirer; mais je me présentai à lui. Alors nous nous saisîmes l'un l'autre; nous nous serrâmes à perdre la respiration. Nous étions épaule contre épaule, pied contre pied, tous les nerfs tendus, et les bras entrelacés comme des serpents, chacun s'efforçant d'enlever de terre son ennemi. Tantôt il essayoit de me surprendre en me poussant du côte droit, tantôt il s'efforçoit de me pencher du côté gauche. Pendant qu'il me tâtoit ainsi, je le poussai avec tant de violence que ses reins plièrent il tomba sur l'arène, et m'entraîna sur lui. En vain il tâcha de me mettre dessous; je le tins immobile sous moi; tout le peuple cria: Victoire au fils d'Ulysse! et j'aidai au Rhodien confus à se relever. Le combat du ceste fut plus difficile. Le fils d'un riche citoyen de Samos avoit acquis une haute réputation dans ce genre de combats. Tous les autres lui cédèrent; il n'y eut que moi qui espérai la victoire. D'abord il me donna dans la tête, et puis dans l'estomac, des coups qui me firent vomir le sang, et qui répandirent sur mes yeux un épais nuage. Je chancelai; il me pressoit, et je ne pouvois plus respirer; mais je fus ranimé par la voix de Mentor, qui me crioit : O fils d'Ulysse, seriez-vous vaincu? La colère me donna de nouvelles forces; j'évitai plusieurs coups dont j'aurois été accablé. Aussitôt que le Samien m'avoit porté un faux coup, et que son bras s'allongeoit en vain, je le surprenois dans cette posture penchée: déja il reculoit, quand je haussai mon ceste pour tomber sur lui avec plus de force: il voulut esquiver; et perdant l'équilibre, il me donna le moyen de le renverser. A peine fut-il étendu par terre, que

Aussitôt on commença les courses des chariots, que l'on distribua au sort. Le mien se trouva le moindre pour la légèreté des roues et pour la vigueur des chevaux. Nous partons : un nuage de poussière vole, et couvre le ciel. Au commencement, je laissai les autres passer devant moi. Un jeune Lacédémonien, nommé Crantor, laissoit d'abord tous les autres derrière lui. Un Crétois, nommé Polyclète, le suivoit de près. Hyppomaque, parent d'Idoménée, qui aspiroit à lui succéder, lâchant les rênes à ses chevaux fumants de sueur, étoit tout penché sur leurs crins flottants; et le mouvement des roues de son chariot étoit si rapide, qu'elles paroissoient immobiles comme les ailes d'un aigle qui fend les airs. Mes chevaux s'animèrent, et se mirent peu à peu en haleine; je laissai loin derrière moi presque tous ceux qui étoient partis avec tant d'ardeur. Hippomaque, parent d'Idoménée, poussant trop ses chevaux, le plus vigoureux s'abattit, et ôta à son maître l'espérance de régner. Polyclète, se penchant trop sur ses chevaux, ne put se tenir ferme dans une secousse; il tomba: les rênes lui échappèrent, et il fut trop heureux de pouvoir en tombant éviter la mort. Crantor voyant avec des yeux pleins d'indignation que j'étois tout auprès de lui, redoubla son ardeur: tantôt il invoquoit les dieux, et leur promettoit de riches offrandes; tantôt il parloit à ses chevaux pour les animer : il craignoit que je ne passasse entre la borne et lui; car mes chevaux, mieux ménagés que les siens, étoient en état de le devancer: il ne lui restoit plus d'autre ressource que celle de me fermer le passage. Pour y réussir, il hasarda de se briser contre la borne; il y brisa effectivement sa roue. Je ne songeai qu'à faire promptement le tour pour n'être pas engagé dans son désordre, et il me vit un moment après au bout de la carrière. Le peuple s'écria encore une fois : Victoire au fils d'Ulysse! c'est lui que les dieux destinent à régner sur nous.

Cependant les plus illustres et les plus sages d'entre les Crétois nous conduisirent dans un bois antique et sacré, reculé de la vue des hommes profanes, où les vieillards que Minos avoit établis juges du peuple et gardes des lois nous assemblèrent. Nous étions les mêmes qui avions combattu dans les jeux; nul autre ne fut admis. Les sages ouvrirent le livre où toutes les lois de Minos sont recueillies. Je me sentis saisi de respect et de

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