Sur les motifs qui l'obligent à publier ses défenses, et les dispositions dans lesquelles il les publie. 28 février 1698. faut leur laisser le temps de deux choses: l'une, de | 102.-A LA MARECHALE DE NOAILLES. s'accoutumer eux-mêmes à cette suite de principes qu'ils n'avoient jamais rassemblés ; l'autre, de négocier avec la cour de France pour apaiser les esprits, et pour faire agréer le parti de silence que Rome prendra apparemment, si on y est pour moi. La proposition de mon voyage de Rome est bonne à renouveler toutes les fois qu'on attaquera ma doctrine personnelle et la sincérité de mes sentiments. Vous savez, mon cher abbé, que je vous donnai, quand nous nous séparâmes, une histoire de notre affaire dès son origine. Dieu m'est témoin qu'elle contient la vérité tout entière; elle répond à tout. M. de Meaux vint s'offrir pour me sacrer. Je ne l'acceptai point: ce fut madame de Maintenon qui le voulut. J'étois presque engagé à M. le cardinal de Bouillon, qui m'avoit offert son ministère avec une extrême bonté. Il ne faut point, par respect, citer madame de Maintenon. Pour M. le cardinal de Bouillon, vous pouvez le faire souvenir de son offre, que je n'ai garde d'oublier. On m'empêcha de l'accepter. Dans la suite, feu M. de Paris soutint qu'il étoit indécent qu'un évêque sacrât un archevêque. D'un autre côté, M. de Reims dit au roi que M. de Chartres, qui devoit, dans notre projet, être le second assistant, ne devoit point céder dans son diocèse, à Saint-Cyr, la première fonction à un évêque étranger. Le P. de La Chaise approuva le sentiment de M. de Reims. C'étoit à Compiègne. Je cédai à ce que le roi, persuadé par eux, me fit mander par M. de Beauvilliers. J'en avertis M. de Meaux, qui m'écrivit plusieurs lettres pour prouver, par les canons, que M. de Chartres pouvoit, dans son diocèse, n'être qu'assistant, et lui céder la fonction de me sacrer. Enfin ce sentiment prévalut. M. de Meaux étoit donc bien éloigné de ne vouloir pas me sacrer. Alors nous avions arrêté et signé ensemble les XXXIV Articles. Il ne me demanda point si j'étois dans sa doctrine: cette question eût été très indécente. C'est dans la doctrine de l'Église, et non dans celle d'un évêque particulier, qu'il faut être. Dans le fond, je croyois que nous étions pleinement d'accord; çar, je l'eusse vu prévenu contre moi, et très ardent contre le pur amour de bienveillance sans vue de la béatitude, je comptois néanmoins que les XXXIV Articles, dont j'étois fort content, avoient tout fini. Dans la suite, je lui montrai ma réponse à la sœur Charlotte, carmélite, dont il approuva toute la doctrine, comme ne laissant rien à desirer'. * Nous n'avons pas la suite de cette lettre. encore que Je déplore tous les jours, madame, la malheureuse nécessité de déplaire aux personnes pour qui je conserverai toute ma vie un respect et un attachement véritable. Mais, si peu qu'on veuille bien pour un moment se mettre en ma place, on verra qu'ils ne m'ont laissé de ressource pour justifier la pureté de ma foi qu'en montrant leur prévention. Du moins je ne le fais qu'à la dernière extrémité, avec la douleur la plus amère, et demeurant toujours dans les bornes de la plus grande vénération. Ce que je dis ici, madame, n'est point un simple compliment; car toute ma conduite répond à mes expressions. C'est encore moins un ménagement de politique. On a poussé les choses si loin, qu'on ne m'en a laissé aucune à ménager pour la justification de ma foi. D'ailleurs, je crois que personne ne m'accusera d'être trop politique. Mais en vérité, madame, plus mes raisons me paroissent claires, plus je suis affligé qu'on m'ait réduit à les publier. Il ne m'est permis de les affoiblir par aucun adoucissement; mais je tâche de ne dire que ce qui est précisément nécessaire à ma cause, et de le dire sans blesser ce qui est dû aux personnes. Pour mon cœur, j'ose me rendre ce témoignage devant Dieu, qu'il n'est ni changé, ni altéré. Je sépare entièrement les préventions que je crois voir dans les personnes, d'avec la vertu solide, et toutes les autres qualités qui méritent d'être singulièrement révérées. Il y a si long-temps que je les révère du fond du cœur ; et je le fais aujourd'hui avec autant de joie que je le faisois autrefois. Si je me trompe, je demande à Dieu qu'il daigue m'ouvrir les yeux. Alors j'aurai une reconnoissance éternelle pour ceux qui ont eu le zèle de me corriger, quoiqu'ils aient passé les bornes en le faisant. Si, au contraire, je ne me trompe point, je ne cherche que le silence et la paix. Ma patience effacera peut-être peu à peu les préventions de ceux qui m'ont accusé. La liberté avec laquelle je parle, madame, est peut-être excessive, et je vous demande pardon de ce qui peut vous déplaire dans ce discours; mais je n'ai pu me résoudre de faire l'action de ma vie à laquelle j'ai eu la plus forte répugnance, sans vous ouvrir mon cœur avec toute la confiance que vous m'avez inspirée par vos bontés. Je les ai trouvées constantes jusque dans le temps où je les attendois le moins, et où vous pouviez le plus vous dispenser de m'en donner des marques. Jugez, madame, de l'attachement à toute épreuve et du respect sincère avec lequel je serai jusqu'à la mort votre, etc. 103. AU NONCE. sons pour prolonger l'affaire. Je n'en ai aucune qui ne me presse de la tinir au plus tôt. Quant à ses écrits, je ne suis point embarrassé à y répondre, et j'espère, avec l'aide de Dieu, éclaircir tout ce qu'il enveloppe; mais, quoique je n'aie Sur le nouveau livre de Bossuet, et le desir qu'il a de voir rien à craindre de cette guerre, j'aime la paix, et finir l'affaire. A Cambrai, 1er mars 1698. je voudrois m'appliquer entièrement à mes fonctions, plutôt que de donner au public des scènes dont il ne peut être que mal édifié. Quand j'ai fait une instruction pastorale, je n'ai attaqué personne; j'ai parlé de mes parties avec un respect qui devoit les apaiser. Depuis ce temps-là, je n'ai écrit que pour me justifier sur leurs accusations atroces, sans y mêler aucune passion. Je ne demande que la paix et le silence, quoique j'aie de quoi me plaindre et de quoi réfuter. Je connois la vivacité de ceux qui mènent tout ceci; nous ne finirons point, s'il n'intervient quelque autorité; et, quelque soin qu'on ait eu de prévenir le roi, je connois assez sa profonde sagesse et sa sincère piété, pour être assuré qu'il appuiera tout ce que le Saint-Père aura fait. Ainsi, monseigneur, je m'en vais lire promptement le livre de M. de Meaux, avec le desir de ne répondre rien, s'il est possible, ou du moins de faire au plus tôt une réponse très courte et très précise aux points essentiels; après quoi je ne demande qu'à me taire, à J'ai reçu avec beaucoup de reconnoissance les conseils que vous avez la bonté de me donner dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et je serai ravi de les suivre autant que je le pourrai. Je viens de recevoir le livre de M. de Meaux, que je commence à lire. Il me paroît rempli de tout l'art imaginable pour prendre toutes mes paroles à contresens, et pour les tourner à des sens impies. Pour moi, monseigneur, je vais le lire dans la disposition de ne répondre rien à toutes les accusations qui ne me paroîtront pas tout-à-fait importantes, ou auxquelles je croirai avoir déja assez répondu par avance. Pour celles qui seroient capables d'éblouir le public, je ne veux y répondre que d'une manière si courte et si douce, qu'on y puisse voir mon amour sincère pour la paix, et mon impatience de finir. M. de Meaux produit un nouveau livre plein de redites pour le fond, mais de tours nouveaux et dange-être jugé, et à obéir. Je souhaite que M. de Meaux, reux. Il le fait, monseigneur, à la veille de la décision du pape. Il ne peut le faire que pour frapper les examinateurs par des raisons que je n'aie pas le loisir de réfuter, ou bien pour éloigner la fin: mais j'espère que la sagesse et l'équité du Saintfin: mais j'espère que la sagesse et l'équité du SaintPèreévitera ces deux inconvénients. Si peu que le nouvel ouvrage de M. de Meaux fit d'impression sur les esprits à Rome, il seroit juste d'attendre mes réponses. C'est toujours l'accusé qui doit parler le dernier, surtout quand il s'agit d'accusations si horribles sur la foi, et que l'accusé est un archevêque, dont la réputation est importante à son Raisons qui l'obligent de répondre aux écrits de ses adverministère. Si M. de Meaux veut toujours écrire le dernier, il trouble l'ordre de toute procédure, et il ne veut point finir. Si je suis obligé de lui répondre, je le ferai, monseigneur, si promptement et si courtement, que ma réponse ne retardera guère le jugement de Rome. Il peut avoir des rai■ Ce livre a pour titre : Divers Écrits ou Mémoires sur le livre intitulé Explication des Maximes, etc. Sommaire de la Doctrine, etc. Declaration des trois Éréques, etc., avec une Preface sur l'Instruction pastorale donnée à Cambrai le 15 septembre 1697. On a déja vu que les Divers Écrits, le Sommaire et la Déclaration étoient connus à Rome depuis plusieurs mois. Bossuet y joignit la Préface, avec un long Arertissement contre les Réponses de Fénelon; et ce recueil fut publié à la fin de février 1698. qui se donne tant d'autorité, soit aussi docile et aussi soumis à la décision du Père commun. Ce qui me fait espérer qu'il gardera le silence, c'est que le roi suivra les impressions qui lui viendront du Saint-Siége. Pardonnez, s'il vous plaît, monseigneur, la confiance sans réserve que j'ai en vos bontés. Je suis pour toute ma vie, avec un zèle et un respect singulier, etc. 104. AU NONCE. saires. A Cambrai, 10 mai 1698. Vous avez la bonté de me donner un conseil digne de votre sagesse, en m'exhortant à garder le silence; mais, en me le donnant, faites que je le puisse suivre. Dois-je et puis-je en conscience me taire, lorsqu'on attaque si violemment ma foi? Par exemple, monseigneur, ai-je pu me dispenser de montrer que je n'ai point falsifié saint François de Sales, comme M. de Meaux m'en accuse? Une Lettre là-dessus, que je prends la liberté de vous envoyer, n'étoit-elle pas nécessaire pour empêcher mon entière diffamation? Voila attendrions avec soumission ce qui nous viendroit de Rome. Alors la plus prompte décision seroit la meilleure elle ne sauroit venir trop tôt. Quelle qu'elle puisse être, je la recevrai d'un cœur sincère, soumis, et docile sans aucune réserve. Dieu veuille que les autres en fassent autant! Mais la piété du roi vous doit assurer qu'il fera soumettre au jugement du pape les esprits les plus hardis et les plus hautains. Ainsi, monseigneur, tout peut finir avec une extrême diligence, et vous pouvez facilement, par l'autorité du roi, nous faire imposer maintenant le silence pour attendre la décision. Elle peut même venir bientôt, en cas qu'on ne produise rien de nouveau; car les examinateurs et les cardinaux ont eu le temps d'examiner l'affaire. Pour moi, je ne demande en ce cas qu'un prompt jugement; je presse avec la dernière instance, et vous pouvez même envoyer à Rome cette lettre, comme un engagement solennel par lequel je m'ôte tout prétexte de reculer. Que si vous ne pouvez, monseigneur, engager mes parties au silence, et s'ils veulent absolument, malgré toutes vos remontrances de la part du pape, faire contre moi de nouvelles accusations, à la veille du jugement, pour le retarder; souffrez que je vous prenne à témoin que ce n'est pas moi qui retarde, et que c'est eux au contraire qui font le retardement. Je vous supplie même d'avoir la bonté de le faire bien entendre au roi ; car je sais qu'on lui dit que je ne cherche qu'à reculer, lors même que je presse pour attendre la décision, et pour supprimer toute nouvelle production qui pourroit la retarder. Enfin, monseigneur, si le roi veut encore laisser écrire mes parties, n'est-il pas juste que le retardement leur soit imputé, et qu'on me laisse le temps de leur répondre sur les points essentiels avec la brièveté et la diligence dont j'ai déja usé depuis peu? Je renoncerai même à toute réponse, si je ne trouve dans leurs nouveaux écrits rien d'essentiel. J'espère, monseigneur, que vous aurez la bonté de représenter tout ceci à Sa Majesté, et ensuite d'envoyer cette lettre à Rome, pour y montrer avec quelle sincérité je demande un prompt jugement. Je serai toute ma vie avec un singulier respect, etc. mes réponses finies. Je me suis borné aux points | du pape, finiroit cette scandaleuse scène, et nous essentiels, pour finir plus promptement; et vous voyez bien, monseigneur, que j'ai usé, dans cette réponse, de toute la diligence que je vous avois promise. Mais je sais que mes parties vont recommencer par de nouveaux écrits: par-là je serai contraint de recommencer aussi, malgré moi, pour repousser les plus horribles accusations. Ils m'accusent de retarder le jugement de Rome, et je sais qu'ils n'oublient rien pour le faire entendre au roi. Mais qui est-ce qui recule, ou l'accusé, qui ne fait que répondre courtement et en diligence aux points essentiels, à mesure qu'on l'attaque sur sa foi; ou les accusateurs, qui font sans cesse des productions nouvelles, à la veille du jugement du procès? Vous savez, monseigneur, qu'immédiatement après avoir répondu à l'Instruction pastorale de M. l'archevêque de Paris, j'eus l'honneur de vous écrire, pour vous assurer que je ne demandois qu'un prompt jugement, sans aucune défense nouvelle, si mes accusateurs vouloient bien laisser juger le Saint-Siége sur les écrits déja publiés par eux, et sur mes réponses. Au lieu d'en demeurer là, M. de Meaux a fait un gros livre plein de tout ce qu'on peut imaginer de plus atroce et de plus horrible. J'ai répondu, environ dans l'espace d'un mois, aux points principaux, par mes Lettres; et je suis prêt encore à renoncer à toute autre défense, si mes parties veulent bien garder enfin le silence, et attendre respectueusement en paix la décision du Saint-Siége. S'ils sont aussi soumis qu'ils le disent, s'ils n'agissent que pour l'intérêt de la vérité, et sans passion, ils n'ont qu'à laisser juger le Père commun, qui ne favorisera pas le quiétisme. Qu'y a-t-il à craindre pour la vérité, après qu'ils ont tant critiqué mon livre, et tant écrit pour me confondre? La vérité sera-t-elle en péril, quand le Saint-Siége l'examinera à fond, et décidera? Veulent-ils être plus éclairés ou plus zélés contre l'erreur que l'Église romaine? Puisque vous souhaitez tant le silence, monseigneur, et qu'en effet il est si desirable, engagez-les à le garder. De ma part, vous n'aurez aucune peine à me retenir, et je serai docile comme un enfant à toutes les volontés du Saint-Père. Plus on écrira, plus cette dispute se tournera en aigreur. Mes réponses, quoique douces et patientes, pendant que les écrits de mes parties sont pleins de hauteur et d'âcreté, les irritent toujours de 105. AU P. DE LA CHAISE. plus en plus. Des accusateurs animés ne peuvent Il se justifie sur les prétendus retards que ses adversaires souffrir que l'accusé paroisse tranquille, et réponde clairement à de si horribles accusations. Un mot bien précis, que vous diriez au roi de la part | l'accusent d'apporter à la conclusion de l'affaire. A Cambrai, 12 mai 1698. Je n'ai garde, mon révérend Père, de vous de mander des choses indiscrètes, et de souhaiter que vous fassiez aucun pas pour mon affaire; mais je crois devoir vous expliquer certaines choses principales, afin que vous soyez au fait, si on vous parle de moi. Je sais que mes parties ne cessent de dire que j'alonge l'affaire, pour éviter le jugement de Rome. Pendant qu'ils parlent ainsi, ils demandent euxmêmes à Rome actuellement qu'on ne juge point, jusqu'à ce qu'ils aient envoyé ce qu'ils impriment contre moi. Ainsi ils reculent à Rome, et font semblant de presser en France. La règle de justice est que comme les accusateurs parlent les premiers, ils doivent aussi être toujours les premiers à se taire, et l'accusé a toujours le droit de répondre le dernier. D'abord ils ont fait leur Déclaration, le Sommaire, et puis l'Instruction pastorale de M. l'archevêque de Paris. J'ai répondu à tous ces écrits avec une extrême diligence. L'unique retardement qui soit sur mon compte regarde l'impression de mes défenses et leur publication, parce que j'aurois bien voulu ne produire ces défenses qu'à Rome, et ne les montrer jamais au public. Mais ce retardement n'a regardé que le public; car, pour mes défenses manuscrites, elles étoient à Rome six semaines après les écrits auxquels elles répondoient. Alors je mandai à Rome, et ensuite j'écrivis à M. le nonce, qu'après avoir répondu à tant d'écrits, j'étois prêt à me taire, et à renoncer à toute autre défense à l'avenir, pourvu que mes parties voulussent aussi garder le silence; qu'en ce cas, nous n'aurions plus qu'à attendre en paix et avec soumission la prompte décision du pape. Mais en ce temps-là M. de Meaux pressoit à Rome pour obtenir du temps, afin qu'on attendit son dernier volume; et ce gros volume parut comme une nouvelle production, à la veille du jugement du procès. Cette multiplication d'écritures n'a fait qu'embrouiller et alonger. Je n'ai employé qu'environ un mois pour répondre, par mes Lettres, à tous les principaux points de ce long ouvrage. Ma cinquième Lettre, pour montrer que je n'ai pas falsifié saint François de Sales, comme M. de Meaux m'en accuse, va paroître, et elle est déja à Rome avec les quatre autres. Ce n'est pas avoir perdu du temps pour répondre; ce n'est pas fuir au contraire, tout homme qui sait ce que c'est que de composer en matière si délicate, contre des gens si animés et si puissants; ce que c'est que de répondre à tant d'accusations entassées, de tours subtils et éblouissants, et de citations altérées; enfin ce que c'est que de faire imprimer en des lieux éloignés de soi, avec beaucoup d'embarras et de mécomptes, avouera que ma diligence a été extraordinaire. Dès que cela a été fini, j'ai réitéré à Rome et à M. le nonce les mêmes offres que j'avois faites la première fois. Veut-on imposer silence? je suis prêt à le garder. Quoique je sois l'accusé, et qu'il s'agisse de ce qui est le plus capital en ce monde, je suis prêt à renoncer à toute défense nouvelle, et je demande une prompte décision, si mes parties veulent bien en offrir autant. En faisant cette offre à M. le nonce, je le prie d'envoyer ma lettre à Rome, afin qu'elle y serve d'engagement solennel de ma part, pour presser avec les plus vives instances le jugement, si mes parties veulent bien ne plus le reculer par aucune production nouvelle. Est-ce là, mon révérend Père, ce qu'on appelle fuir? Je suis fort assuré que mes parties n'accepteront point ce parti. Je sais qu'ils veulent écrire, et retarder encore le jugement, afin qu'on puisse voir ce qu'ils préparent. Ils tâcheront même de le produire à la veille du jugement, pour m'ôter le temps d'y répondre, ou pour se plaindre de mes fuites, si je demande, selon les règles manifestes de la justice, un terme très court pour y répondre. Mais enfin, mon révérend Père, s'ils demandent du temps pour m'accuser, n'est-il pas juste que j'en aie à mon tour pour réfuter leurs accusations? S'il n'étoit question que de quelque matière peu importante, ou de quelque point d'honneur, je prendrois avec joie le parti de me taire pour la paix, et de leur céder. Mais il s'agit de savoir si je suis, comme ils le soutiennent, un impie, un fanatique, et un hypocrite qui déguise ses impiétés. Ne serois-je pas l'horreur et le scandale de toute l'Église, si je me taisois sur de telles accusations, et si je voulois bien laisser entendre, par mon silence, que je suis convaincu? Je dois donc répondre jusqu'à la fin à tout ce qu'ils écriront d'éblouissant contre moi. Ou ils n'ont rien de nouveau à dire, ou ils préparent des preuves nouvelles. Si, après plus d'un an de recherche, ils n'ont plus rien de nouveau à dire, pourquoi prolonger le scandale, et reculer la décision par des redites? Ne vaut-il pas mieux pour eux-mêmes qu'on leur impose silence? Si au contraire ils ont de nouvelles preuves à produire, doit-on vouloir me priver de la liberté d'y répondre? Il faut se souvenir que le retardement doit être imputé non à moi, qui ne demande dès aujourd'hui que le silence et le jugement, mais à mes parties, qui recommencent à écrire, et qui me contraindront malgré moi de répondre. On ne doit 106. A L'ABBÉ DE CHANTERAC. pas croire que je craigne leurs nouveaux écrits; car j'ai intérêt de purger à fond cette affaire, et de montrer au public qu'ils ont épuisé toutes leurs accusations. D'ailleurs, je ne demande point qu'on leur fasse supprimer les écrits qu'ils préparent. Je demande seulement qu'on prévoie les suites de ces écrits. Ils retardent actuellement la décision jusqu'à ce que ces écrits aient paru; et quand ils seront envoyés à Rome, mes parties, qui ne manqueront pas de crier sur mes fuites, seront eux-mêmes la véritable cause du retardement nécessaire pour attendre que je leur réponde. D'ailleurs, plus elles écriront, plus ils s'animeront; car la gageure sera pour eux plus grosse tous les jours, et vous verrez qu'ils voudront toujours, jusqu'à l'infini, répondre à toutes mes réponses. Enfin, quoique je souhaite sincèrement et avec impatience le silence et la prompte décision, je ne demande pourtant pas qu'on supprime leurs nouveaux ouvrages; mais du moins qu'on leur impute tout le retardement, puisque c'est uniquement la multiplication de leurs écrits qui le cause et qui le causera. Si on eût voulu imposer maintenant silence, l'affaire auroit pu être finie à la Pentecôte. Toutes mes défenses sont à Rome. Les examinateurs devoient finir leurs avis dès le commencement de ce mois, et les cardinaux, préparés de longue main, pouvoient en peu de jours donner leurs suffrages: ainsi, le pape auroit pu conclure avant la fête prochaine. Mais la passion de M. de Meaux pour écrire, et pour rapprocher de lui le public, qui l'a presque abandonné, lui fait faire un dernier effort pour me noircir et pour se justifier. C'est ce qu'il demande à Rome, qu'on attende, pendant qu'il se plaint à Versailles de mes artifices pour fuir. Jugez vous-même, par des faits si clairs, qui est-ce qui recule. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il pardonne à ceux qui me font l'injustice de m'accuser auprès du roi là-dessus, et qui donnent à un fait si faux les plus odieuses interprétations. Quand il n'y auroit que la juste peine que cette affaire fait au roi, je donnerois mon sang et ma vie pour l'abréger. Vous voilà, mon révérend Père, informé de la vérité. Je ne vous demande d'en faire usage qu'au eas qu'on vous en parle. Je suis avec reconnoissance et vénération, etc. Dès que j'aurai vu les écrits qu'on prépare contre moi, je prendrai mon parti, ou pour ne rien y répondre, s'il n'y a rien d'essentiel, ou du moins pour répondre très courtement, et tout au plus tôt. Il lui annonce la Réponse de l'archevêque de Paris à ses quatre Lettres, et la réfutation qu'il va y opposer. Contradictions de Bossuet. Il montre que lui-même n'a pas varié dans l'explication de l'intérêt propre. Je suppose, et A Cambrai, 30 mai (1698). mon cher abbé, que vous aurez déja vu la Réponse que M. de Paris m'a faite. Elle avoue l'amour naturel, ne répond rien sur les systèmes, abandonne le champ de bataille pour la doctrine, et ne fait qu'escarmoucher sur des difficultés détachées. Son grand fort est le procédé, où il estropie tous les faits, raconte de petites histoires sans preuves, et qui ne concluent rien. Cet ouvrage n'est que venin et que foiblesse. Il n'est pas emporté comme M. de Meaux ; mais il n'a pas moins de hauteur et de fiel. Je ne l'ai reçu que depuis trois jours, et la fête du Saint-Sacrement est survenue. Ainsi je n'ai pu travailler; mais je vais le faire avec une extrême diligence. L'unique chose qui me retardera, c'est que je ne veux rien avancer sur les faits qu'avec de bons témoins, qu'il faut que je concerte avec eux ce que je dirai. Mais comptez et promettez d'un ton bien ferme que vous aurez dans peu de jours une pleine évidence. Si vous voyez clairement que cette lettre de M. de Paris, ni le nouvel ouvrage de M. de Meaux, qui répond à mes lettres, et que je n'ai pas encore vu, n'ébranle point les cardinaux et les examinateurs, ne retardez point le jugement; mais si les faits de M. de Paris ou les raisons de M. de Meaux rejettent les esprits dans de nouveaux doutes, appuyez fortement pour obtenir deux choses la première est qu'on attende mes réponses, qui seront très courtes et très promptes; la seconde, qu'on donne des bornes précises aux accusations, afin que l'accusé parle le dernier, et que les accusateurs n'éternisent point le procès. Faites valoir le silence de M. de Paris sur le salut essentiellement juste que Dieu doit à toute créature intelligente, etc.; sur le paradis profane, dont le desir fait, selon lui, la mercenarité des justes imparfaits. Un homme si poussé sur des points si essentiels, et qui ne répond rien dans un ouvrage où il déclare qu'il ne répondra plus, doit penser toutes les erreurs que je lui impute. Nos amis vous auront envoyé cette lettre, qu'on assuroit devoir être assommante '. Vous avez des Mémoires plus On attribue cette réponse à Racine; mais il n'a fait que préter sa plume à M. de Noailles, et mettre en œuvre les matériaux qu'on lui a fournis. |