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APRÈS avoir immortalisé son consulat en sauvant la république des poignards de Catilina et de ses complices, Cicéron était rentré dans la vie privée. Son titre de consulaire lui donnait un des premiers rangs au sénat. En tout autre temps, il aurait pu jouir d'un repos accompagné de gloire; mais, dans l'état violent où se trouvait Rome, tout homme appelé à prendre part, même comme simple sénateur, aux affaires publiques, ne pouvait espérer le repos. On peut dire que la vie de Cicéron fut désormais plus agitée que lorsque questeur, édile ou préteur, il s'était imposé tant de travaux pour arriver au comble des honneurs.

Quelque temps après la défaite de Catilina, on avait entrepris à Rome de nouvelles recherches contre ses complices, à la requête de L. Vettius, chevalier romain, qui, ainsi que Q. Curius, accusait César d'avoir participé à la conjuration. César, alors préteur, fit mettre en prison son accusateur, et le questeur Novius, qui avait accueilli la plainte de Vettius. D'autres citoyens, moins puissans et moins audacieux que César, furent convaincus, condamnés et bannis, les uns par contumace, les autres par un jugement contradictoire. Tel fut le sort de M. Porcius Léca, de L. Cassius, de C. Cornelius, de L. Vargunteius, de Servius Sylla, d'Autronius, etc. Il fut procédé contre eux en vertu de la loi Plautia, contre les violences.

Cicéron ne paraît pas avoir pris une part très-active à ces condamnations. Seulement, sollicité par Autronius, son ancien compagnon d'école, de prendre sa défense, loin de lui accorder ce bon office, il servit au contraire de témoin contre lui, et contribua à sa condamnation.

Notre orateur se montra moins rigoureux à l'égard d'un autre citoyen, qui était accusé d'avoir, soit comme coupable de brigue, soit comme complice de la conjuration, partagé tous les torts d'Autronius. C'était Sylla.

P. Cornelius Sylla, fils aîné de Servius Sylla, et neveu du dictateur, avait été questeur du temps de la domination de son oncle. Il

participa avec avidité à la tyrannie dictatoriale, et s'enrichit sans scrupule des dépouilles des proscrits. Dès l'an 687, il brigua le consulat avec P. Autronius, pour l'année 689; et, afin de préparer d'avance leur élection, il eut si ouvertement recours à des menées coupables, que le consul C. Calpurnius Pison fut obligé de porter contre les brigues une nouvelle loi plus sévère que les précédentes. D'après ses termes, toute personne convaincue d'avoir brigué frauduleusement les suffrages, devait non-seulement perdre le fruit de son élection, mais se voir de plus chassée du sénat et condamnée à une amende considérable. Malgré cette loi, que ce consul fit publier avec appareil au temps du tribun Cornelius, Autronius et Sylla continuèrent leurs intrigues, et furent, l'an 688, désignés consuls pour l'année suivante, au préjudice de L. Manlius Torquatus et de L. Aurelius Cotta, par le suffrage universel de toutes les centuries. Ceux-ci, mécontens de se voir éliminés, accusèrent les deux consuls désignés d'avoir acheté les voix, et demandèrent qu'ils fussent punis des peines portées par la loi Calpurnia, ouvrage de Pison. Torquatus fut l'adversaire de Sylla, et Cotta celui d'Autronius. Il fallait que la corruption fût bien manifeste, puisque l'élection fut cassée; ce qui jusqu'alors était sans exemple. Les deux accusateurs furent nommés à la place des accusés. « Ce fut, dit Cicéron, un exemple terrible, << mais nécessaire dans un tel temps, quoique peut-être dangereux << pour l'avenir » (Pro Corn., Fragmens, et AscoN. PEDIANUS, ibid.). Toutefois notre orateur avait prétendu, dans la défense de Sylla, que le plus grand malheur de celui-ci dans cette affaire avait été de s'y trouver mêlé avec Autronius. Enfin, dans les dialogues de Finibus (lib. 11, cap. 19), Cicéron dit encore que Torquatus le fils, un des interlocuteurs, parut n'enlever le consulat à P. Sylla, que pour le donner à son père.

Cependant Sylla, prétextant les jeux qui devaient être donnés au peuple en exécution du testament de son oncle, rassembla dans la Campanie une troupe nombreuse de gladiateurs, qu'il envoya à L. Cécilius, tribun du peuple, frère de sa femme. Celui-ci proposa au peuple une nouvelle loi qui aurait rendu presque sans effet celle de Pison. Il comptait la soutenir par la force et la faire passer à main armée. Mais il y eut au sénat, sur ce sujet, des débats extrê– mement vifs, et plus grands encore lorsqu'on se rendit à l'assemblée du peuple. Autronius avait ameuté la populace par le moyen

de ses émissaires; lui-même, à la tête des gladiateurs et des esclaves, l'excitait par ses cris et par des menaces terribles contre le sénat. Mais Pison, malgré les pierres et les bâtons qui furent aussitôt mis en jeu, soutint jusqu'au bout l'autorité de la loi, en criant à haute voix cette formule, qui ne se faisait entendre à Rome, dit Cicéron, que dans les temps les plus orageux: Que tous ceux qui voudraient sauver la république eussent à se ranger du côté des consuls. La nouvelle loi proposée par Cécilius resta donc sans effet. Selon tous les écrivains, Sylla, ainsi qu'Autronius, dans leur dépit, s'abouchèrent avec Catilina, dont le ressentiment n'était pas moindre pour avoir vainement brigué le consulat. Tous trois ensemble formèrent un premier projet de conjuration avec le préteur Cn. Pison, que Cicéron,dans son discours sur la demande du consulat, nomme le petit poignard d'Espagne (pugiunculum hispaniense). On prétend qu'ils firent entrer dans le complot Crassus et César, alors édile. C'est ce que Cicéron donne à entendre dans une lettre à Accius, lorsqu'il lui écrit que César s'est assuré, pendant son consulat, de la suprême puissance, qu'il avait tâché d'usurper pendant son édilité. Le projet des conjurés était, dit Tite-Live (Epitom. 101), de se défaire de tous les sénateurs qui leur seraient odieux, d'élever à la dictature Crassus, qui nommerait César général de la cavalerie, enfin de rendre à Sylla et à Autronius la dignité de consuls, dont ils avaient été privés. Le jour fut pris pour l'exécution au dernier décembre 689 (CICE*RON, première Catilinaire, ch. vi; pro Murena, cap. xxv), veille de l'entrée en charge des consuls Torquatus et Cotta. Les conjurés se rendirent au sénat, armés de poignards cachés sous leurs robes. Mais, Crassus ayant manqué au rendez-vous, César ne donna point le signal, et l'exécution du complot fut renvoyée au 5 février suivant. Catilina, pour cette fois, se chargea de donner le signal (CICERON, première Catilinaire, ibid.). Les consuls encore en exercice, Man. Emilius Lepidus et L. Volcatius Tullus, ayant quelque soupçon de ce qui se tramait, avaient placé à la porte du sénat une garde considérable; et Catilina s'étant même trop pressé de donner le signal avant que les conjurés fussent tous rassemblés, ils ne se crurent pas assez nombreux pour oser rien entreprendre. Les consuls voulurent même faire déclarer par le sénat que cet appareil extraordinaire de force militaire n'avait été déployé que sur l'avis qu'il se tramait un complot contre l'état. Mais un tribun du peuple

s'opposa formellement à cette déclaration, qui aurait, à coup sûr, été suivie d'une information fâcheuse. Peu de jours après, le sénat éloigna Pison en lui donnant le gouvernement de l'Espagne, contre l'ordre habituel des distributions de provinces. A son départ, il convint avec les conjurés que, tandis qu'ils agiraient au dedans, il ferait soulever les Gaules et l'Espagne; mais tous ces projets furent déconcertés par la mort imprévue de Pison. Asconius fait entendre qu'il fut assassiné par les créatures de Pompée, qui donna son consentement à ce crime. Suétone, dans la vie de Jules-César, nous fait aussi connaître ces détails. Quoi qu'il en soit, la culpabilité de César et de Crassus dans cette conjuration est un problème. Pour ce qui regarde Sylla, on verra que Cicéron, dans son plaidoyer, passe légèrement sur la première conjuration. Il se contente de dire qu'il s'en rapporte, pour ce chef d'accusation, à Hortensius, chargé de cette partie de la défense de Sylla; que, pour lui, il n'est pas assez instruit des faits, ne s'étant point mêlé pour lors des affaires de l'état. Il est à croire que Cicéron ne se serait pas contenté de cet argument négatif, s'il avait pu établir positivement que Sylla était tout-à-fait étranger à ce premier complot.

La seconde conjuration, qui éclata sous le consulat de Cicéron, et qu'il sut réprimer avec autant de prudence que de courage, est assez connue. P. Sylla y trempa avec son frère Servius, si l'on en eroit Salluste et presque tous les auteurs qui ont écrit suivant l'opinion commune (MORABIN, Hist. de Cicéron). Le plaidoyer de Cicé-ron est-il capable d'ébranler cette croyance? Je n'ose l'affirmer. Cicéron me semble, sur ce point, défendre son client avec plus d'adresse que de solidité: on peut dire encore qu'ici ses preuves sont plutôt négatives que positives, et qu'il s'attache moins à justifier Sylla qu'à rendre son adversaire odieux, ou plutôt ridicule. Au reste, Cicéron, l'orateur perpétuel du pour et du contre, vient lui-même épaissir les nuages qui voilent cette question : car, dans ses autres ouvrages, il parle fort diversement de Sylla, selon les circonstances, tantôt employant toute son éloquence pour en faire un portrait favorable, tantôt le traitant extrêmement mal. On voit que ce dernier sentiment était celui qui prédominait chez Cicéron, lorsque aucune considération particulière ne le portait à en parler autrement.

Un fait rapporté par Aulu-Gelle semblerait prouver que Sylla était coupable, et que néanmoins Cicéron, pour un vil intérêt, ne se serait

pas fait scrupule de parler contre sa conviction; chose que chez lui l'habitude rendait toute naturelle. Il avait acheté de Crassus une fort belle maison sur le mont Palatin, ce qui l'avait mis dans le cas d'emprunter plus des deux tiers du prix qu'elle lui fut vendue. On lui fit, à cette occasion, deux reproches: d'abord, d'avoir déclaré, contre la vérité, qu'il ne pensait pas à cette acquisition, alors même qu'il s'en occupait; en second lieu, de l'avoir payée des deniers de P. Sylla, dans le temps même qu'il travaillait à sa défense. A ces reproches, dit Morabin, il ne répondit point, ou plutôt il répondit mal. Quoi qu'il en soit, cette somme, qui se montait à deux millions de sesterces (409,000 fr.) paraissait si forte à Cicéron lui-même, qu'il disait, par forme de raillerie, que pour payer ses dettes il aurait eu besoin d'entrer aussi dans une conjuration, au cas qu'il s'en fit une, et qu'on voulût bien l'y admettre. (Lettr. famil., liv. v, lett. 6.)

Si Morabin accueille cette anecdote, l'autre biographe de Cicéron, Middleton, la rejette avec mépris, comme un mauvais conte qu'Aulu-Gelle avait tiré sans doute de quelque recueil de bons mots attribués à Cicéron, et qui se répandirent dans le public, nonseulement après sa mort, mais même pendant sa vie, comme il en fit souvent ses plaintes à ses amis. (Lettr. famil., liv. VII, lett. 32.)

A quelque opinion qu'on s'arrête sur cette anecdote de la vie de Cicéron, qu'il ait défendu Sylla par intérêt, par esprit de parti ou par conviction, le plaidoyer existe, et c'est ce dont nous devons nous occuper. On a vu, dans la première accusation pour cause de brigue, que Sylla, attaqué avec Autronius par Torquatus le fils, avait été défendu par Hortensius. Dans cette seconde accusation il avait pour adversaire le même Torquatus, et pour défenseur Cicéron. Torquatus, plein d'ardeur, de feu et de talent, dédaignant pour ainsi dire un adversaire comme Sylla, dirigea principalement ses attaques contre Cicéron. Ainsi l'exigeait d'ailleurs l'intérêt de sa cause: car qui devait mieux connaître que Cicéron les complices d'une conjuration dans laquelle il n'y avait point eu d'avis donné, point de déposition, ni d'indice, qui ne fussent parvenus à sa connaissance? Quelle apparence que le vengeur d'une entreprise si odieuse et si criminelle se démentît au point de devenir le soutien et le patron d'un des conjurés? Torquatus avait si bien senti ces conséquences, que, pour les détruire dans leur principe, traitane Cicéron avec une liberté qui approchait de l'insolence, il com

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