L'homme ne peut jamais assez prévoir les dangers qu'il doit éviter. Le matelot carthaginois craint le Bosphore, et ne pense pas aux périls que lui garde ailleurs l'aveugle destin; le soldat romain craint la flèche du Parthe et sa fuite rapide; le Parthe redoute les chaînes et le bras robuste du Romain: mais toujours une mort inattendue a frappé et frappera les humains. Que j'ai été près de voir le royaume de la sombre Proserpine, Eaque et son tribunal, les demeures écartées des âmes pieuses, et Sapho se plaignant sur les cordes éoliennes des jeunes filles de sa patrie; et toi, Alcée, faisant répéter aux mâles accens de ta lyre d'or les dangers de la mer, les maux de l'exil, les maux des combats! Les Ombres les écoutent tous deux, et admirent ces chants dignes d'un religieux silence; mais la foule épaisse du vulgaire prête une oreille plus avide aux récits des combats et des tyrans détrônés. Faut-il s'en étonner, puisqu'à ces chants divins, le monstre aux cent têtes, immobile, stupéfait, baisse ses noires oreilles; puisque les serpens enlacés aux cheveux des Euménides tressaillent de ravissement? Prométhée et le père de Pélops trouvent dans ces doux accens l'oubli passager de leurs maux; Orion luimême ne songe plus à poursuivre les lions et les lynx. timides. LÉON HALevy. XIV. AD POSTUMUM. EHEU! fugaces, Postume, Postume, Afferet, indomitæque morti. NON, si trecenis, quotquot eunt dies, Sive inopes erimus coloni. VISENDUS ater flumine languido Cocytus errans, et Danai genus Infame, damnatusque longi Sisyphus Æolides laboris. LINQUENDA tellus, et domus, et placens Uxor; neque harum, quas colis, arborum Te, præter invisas cupressos, Ulla brevem dominum sequetur. XIV. A POSTUME. POSTUME, hélas! cher Postume, les années fugitives s'écoulent, disparaissent; et nos prières ne peuvent retarder les rides de la vieillesse qui nous presse, et la mort que rien ne peut dompter. En vain, ami, chaque jour, par trois hécatombes, tu tenterais de fléchir l'implacable Pluton, qui enchaîne de ses tristes ondes Tityus et le triple Géryon; rois ou pauvres laboureurs, nous tous qui vivons sur cette terre, il nous faudra passer ce fleuve redoutable. En vain éviterons-nous le glaive sanglant de Mars et les flots de l'Adriatique qui se brisent en mugissant; en vain, pendant l'automne, chercherons-nous un abri contre le souffle empoisonné de l'Auster: il nous faudra visiter le noir Cocyte et ses ondes languissantes, et la coupable race de Danaüs, et Sisyphe fils d'Éole, condamné à un éternel supplice. Il te faudra quitter cette terre, ta maison, ton épouse chérie, et, de tous ces arbres que ta main cultive, l'odieux cyprès est le seul qui suivra son maître d'un jour. ABSUMET heres Cæcuba dignior XV. IN SUI SECULI LUXURIAM. JAM pauca aratro jugera regiæ Stagna lacu, platanusque cœlebs Fertilibus domino priori; Auspiciis, veterumque norma. PRIVATUS illis census erat brevis, Commune magnum : nulla, decempedis Metata, privatis opacam Porticus excipiebat Arcton. NEC fortuitum spernere cespitem Templa novo decorare saxo. Un héritier plus sage boira le Cécube que tu renfermes sous cent clefs, et sur tes marbres magnifiques il fera ruisseler ce vin qu'envierait la table d'un pontife. ERNEST PANCKOUcke. XV. CONTRE LE LUXE DE SON TEMPS. DÉJA les édifices somptueux ne laissent plus qu'un faible espace au soc agriculteur. De tous côtés s'étendent des bassins plus spacieux que le lac Lucrin; le platane, orgueilleux de son célibat, remplace l'utile ormeau ; les berceaux de myrte, la violette, et mille touffes de fleurs embaument de leurs doux parfums les lieux où naguère le fertile olivier enrichissait un autre maître. Les épais rameaux du laurier déroberont bientôt à la terre les ardens rayons qui la fécondent. Il n'en était pas ainsi sous l'empire des lois prescrites par Romulus, et révérées par nos sages et par l'austère Caton. Alors les fortunes privées étaient modiques, la fortune publique était immense : le citoyen n'élevait pas de vastes portiques où le souffle du nord éternise la fraîcheur. Les lois ne souffraient point qu'un Romain dédaignàt l'humble toit que lui accordait le sort: il était réservé à l'état de décorer d'un marbre fastueux les monumens et les temples divins. DE PONGERVILLE. |