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vers ces trois petits poèmes qui marquent les étapes d'un quart de siècle (1803, 1814, 1827).

Je signalerai rapidement le chapitre sur Virgile où l'auteur fait bien ressortir, après M. Boissier, le caractère tout religieux et fatal de la mission d'Enée, trait qui explique du même coup les faiblesses et parfois la petitesse de l'homme, considéré comme héros de drame humain. Enée a sa loi, non en lui, mais hors de lui, dans la volonté inéluctable des dieux et du destin : tout intérêt humain, en tant qu'opposé à cet intérêt suprême, doit être sacrifié et périr. Il est probable que le découragement de Virgile à laisser son œuvre inachevée venait du sentiment qu'il n'avait point eu le temps de concilier dans la vérité poétique ces deux êtres en lutte dans le cœur de son héros, à savoir : l'homme aux passions humaines, et l'instrument prédestiné d'une œuvre divine. Il faut reconnaître que la fusion ne s'est pas faite; d'où le vague et l'inintéressant de cette figure. Au fond, malgré toutes les différences infinies de l'extérieur, la situation la plus proche de celle que Virgile voulait peindre dans Enée est celle que Shakespeare a rendue dans Hamlet : des deux parts, une mission en lutte contre le caractère à qui elle est imposée. Les accès de douleur et de faiblesse du héros montrent clairement que, dans le plan primitif, telle était bien la conception du poète : il est impossible de dire jusqu'à quel point il l'eût accusée s'il avait laissé autre chose qu'une ébauche immortelle; moderne, il se fût dit : le génie qui a une mission marche à l'accomplissement à travers la mort du cœur c'était le Moïse de Vigny en douze chants.

Le lecteur lira avec intérêt, quoique faites de seconde main, les études sur la poésie des Highlands et sur le barde gaélique Mac Intyre. M.S. essaye de dégager la note dominante de la poésie celtique : une sensibilité profonde et vibrante, ouverte à toutes les émotions comme à toutes les sensations, humaine et mystique, passant en un instant de l'exaltation à l'affaissement, de la joie rayonnante à la tristesse sombre: gleams intensely bright, glooms profoundly dark : de là des accents, inconnus à la poésie grecque et latine, de tendresse déchirante qui semblent de quelque psalmiste. Il y a dans cette littérature un champ d'étude d'un charme singulier et qui devrait être cultivé en France plus qu'il ne l'a été jusqu'ici. Les Anglais commencent à reconnaître que l'élément celtique, dans la constitution de la race et de l'âme anglaise, est infiniment plus étendu et d'une action plus profonde qu'on ne l'imaginait plus encore la France, qui est essentiellement celtique, aurait-elle à apprendre sur elle-même de ces derniers représentants indépendants de la race, et cette étude modifierait peut-être les jugements courants, si enracinés et si superficiels, sur le fond du caractère français, où la prédominance extérieure de l'esprit dit gaulois a voilé aux regards les qualités plus profondes, plus puissantes et plus nobles qui sont l'âme même de la France. Je m'arrêterai un peu plus longtemps aux deux chapitres consacrés à Shelley et aux poètes en prose.

L'auteur, avec un goût très large et une sympathie aussi catholique que possible, ne peut cependant dissimuler une certaine aversion pour Shelley et son œuvre. Il y a là plus qu'une réaction contre les excès des Shelleyistes à outrance et que la lassitude d'entendre acclamer à tout bout de champ « le poète des poètes »; c'est là un titre, d'ailleurs, auquel nul poète n'a droit ou bien auquel tous ont également droit; car tout poète original et révélateur est le poète des poètes dans le coin du ciel ou de l'âme où le Dieu l'a établi : mais Shelley a moins que tout autre droit exclusif à ce titre, parce qu'il ne pourra jamais être que le poète de quelques-uns. Sa fortune merveilleuse dans les dernières années est due avant tout à des causes extérieures à son génie; c'est la poésie et la tristesse de sa destinée qui lui ont gagné les cœurs; c'est l'éveil de l'esprit révolutionnaire en Angleterre qui a élevé au faîte le poète de la révolte et « sa poésie non baptisée »; c'est l'homme enfin plus que le poète qui a fait un dieu de Shelley. M. S. fait bonne justice de cette part de la gloire de Shelley, quoique avec une sévérité peut-être excessive; il est bien vrai, comme il le dit, qu'un homme politique, un réformateur social, qui ferait de Shelley son prophète, arriverait bien vite à la dernière limite du fanatisme rationnel, le pire de tous; mais il ne faut juger les théories politiques et sociales d'un poète que comme matière poétique, parce qu'elles jaillissent de la même source, c'est-à-dire des formes de son imagination; aussi, entre Hazlitt, dénonçant en Shelley tous les symptômes du philosophe fanatique, et Byron, écrivant sur la tombe de son ami Cor cordum, c'est le jugement du poète qui restera définitif pour la postérité.

Shelley est poète lyrique avant tout et rien de plus, et il est lyrique idéaliste: la vision intérieure soulève et remplit toute sa poésie. M. S., tout en admirant pleinement cette poésie, lui reproche le vague et le vide de ses créations; elles sont toutes dans le rêve, nulle dans la réalité; point de caractères humains ses pulsations, ses désirs, ses aspirations lui en tiennent lieu; à peine une description de paysage réel: il ne rend que l'impression qu'il en a reçue, ou quelque lueur passagère qui en a flotté et s'est évanouie dans ses yeux. Il est si bien chez lui dans ce monde d'abstractions et d'ombres qu'il a créé que, s'il a à décrire des objets visibles et communs, il le fait en les comparant à ces fantômes de sa pensée, les seuls qui lui soient familiers. Virgile compare les ombres qui se pressent sur le Styx aux feuilles mortes qui tombent à l'automne; pour Shelley, ce sont les feuilles mortes qui sont « comme des spectres fuyant sous la baguette de l'enchanteur » :

Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing;

les voiles repliées du bateau immobile et endormi sont comme les pensées repliées du rêve:

Our boat is asleep on Serchio's stream,

Its sails are folded like thoughts in a dream.

(The Boat)'.

1. Byron, dans le temps qu'il fut sous l'influence de Shelley, voit quelquefois sous cet angle (voir notre édition de Childe Harold, III, 47 note; IV, 72).

« Ce monde idéal, dit M. S., est pour lui si réel que, par les lèvres pâles de ce peuple de spectres, il verse des flots d'émotion aussi ardents que jamais poète par les lèvres les plus roses et les yeux les plus brillants. de créatures terrestres. Asia, Panthea, la Dame de la Plante sensitive, sont pour Shelley des créatures aussi visibles que pour Burns sa bonne Jeanne ou Mary. Et sa pensée était si pénétrée de son idéalisme que, quand ses affections descendaient, non plus sur des abstractions, mais sur des créatures de chair et de sang, il les élevait de terre dans une atmosphère raréfiée et les revêtait du même style et des mêmes images que ces fantômes de sa pensée » (p. 239). Il est étrange qu'avec une intelligence si profonde du génie de Shelley le critique marque pour lui si peu de sympathie : il est bien vrai, comme il le lui reproche, que cette poésie ne sera jamais réellement comprise que par un petit nombre et ne répondra jamais aux sentiments de l'humanité en masse : en est-elle moins pour cela une forme souveraine et d'originalité suprême? Tout ce qu'on pourra dire contre Shelley pourrait se dire aussi bien contre Wordsworth : Wordsworth décrit un lever de soleil presque sans traits matériels, par la seule description des impressions évoquées : Shelley n'est que l'extrême gauche de Wordsworth: le soleil se lève dans son cœur au lieu du ciel. Il s'adresse à une élite encore plus restreinte que Wordsworth, parce que si la vision spiritualiste est plus rare que la vision matérialiste, la vision idéaliste est plus rare encore que l'une et l'autre et marque un dévelop pement plus haut de la pensée et un pas en avant dans ses usurpations sur la matière. Loin que la poésie de Shelley doive perdre avec le temps, elle ne pourra qu'enraciner sa prise dans ce domaine étroit, mais profond. La souveraineté de plus en plus puissante de la pensée sur le monde extérieur ne pourra que développer le monde intérieur aux dépens des apparences du dehors: toute certitude et toute science sort du dedans, comme toute émotion, et le triomphe apparent du matérialisme dans ce siècle n'est que l'avant-coureur d'un idéalisme scientifique le monde extérieur tend à se résorber dans la vision intérieure dont il n'est que le développement et la projection. Cette façon de percevoir le monde privilège ou maladie ne sera sans doute jamais que le fait de quelques-uns de ceux-là, Shelley est le poète né.

M. S. prend comme types du poète en prose Carlyle et le cardinal Newman, deux pôles intellectuels l'un un Michelet, mais puritain, méprisant, amer, mécontent de toute l'humanité excepté de lui-même, pharisien de génie; l'autre une sorte de François de Sales, éclos dans l'atmosphère anglicane où il a étouffé. Il y a dans ces pages bien des observations fines et délicates à l'appui du mot si simple et si profond de Coleridge: «< prose ne s'oppose pas à poésie, mais à vers. Un siècle qui a produit en Angleterre De Quincey, Carlyle, Newman, Ruskin, en France, Châteaubriand, Maurice de Guérin, Lamennais, Quinet, Michelet, (sans parler des œuvres en prose de Lamartine et Hugo),

doit se débarrasser du préjugé qui fait du vers le vêtement indispensable de la poésie. M. Shairp constate le fait sans en rechercher la cause elle est, je crois, dans la nature même de la poésie. « Il y a, disait Wordsworth, beaucoup de poètes semés par la nature et à qui a manqué le talent du vers:

many are the poets sown by nature,

Yet wanting the accomplishment of verse ».

Au contraire, Carlyle, sans doute par quelque ressentiment personnel de ses efforts infructueux, tranche que la forme métrique est un anachro nisme, et que le vers, comme véhicule de pensée et de sentiment sincère, est une chose du passé. Le mot de Wordsworth n'est vrai qu'à moitié et celui de Carlyle est absolument faux le fait est qu'il y a une poésie qui ne peut se rendre que par la prose. C'est sans doute quelquefois l'inexpérience du vers qui force le poète d'écrire en prose une poésie faite aussi bien pour le vers: mais souvent aussi cette impuissance du poète à écrire en vers est la preuve que la nature même de sa poésie est réfractaire au mètre. On conçoit sans peine le Centaure de Maurice de Guérin écrit en vers; on ne conçoit pas la Montagne, la Mer, l'Oiseau de Michelet, et du Carlyle en mètre serait un non-sens. La poésie métrique suppose dans la pensée même et dans l'émotion une symétrie, une harmonie, un balancement, qui quelquefois leur seront naturels et seront leur forme dès l'état naissant; que souvent elles pourront prendre et adopter après coup sans contradiction et sans effort — c'est le cas le plus ordinaire; mais que parfois elles ne pourront revêtir sans perdre leur vie : c'est la prose dans ce cas qui sera l'instrument nécessaire de la pensée poétique. Cette rébellion de la pensée contre le mètre se produit toutes les fois que l'émotion se précipite et se transforme avec un élan qui ne permet plus les arrêts, si rapides qu'ils soient, que les balancements de la mesure imposent à l'expression. Dans cette nature de poètes, le battement du cœur, seul et dernier principe de tout rythme non artificiel, est trop irrégulier et trop précipité pour s'adapter à la cadence métrique : arrêté par les lenteurs du mètre, le cœur cesse de battre et du même coup que le vers vient, toute sa poésie meurt. Il se fait donc, à défaut du mètre, un rythme personnel, qui est d'une variété et d'une vérité infinie', parce que ce rythme suit toutes ses pulsations et change à chaque soubresaut d'émotion et d'image; et qui est d'une puissance égale à celle de la musique, parce qu'il peut procéder par cris et silences: la poésie métrique est incapable de cette liberté sans borne et de cette sincérité sans frein. James DARMESTETER.

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1. Ne pas confondre cette prose de la poésie avec ce que l'on appelait, au commencement du siècle, la prose poétique, création artificielle et sans vérité et qui vient bien de l'inhabileté du poète à manier le vers et non de la résistance intime du sujet l'écrivain aspire au vers, il en donne le maximum en son pouvoir, et comme, en fait, sa poésie est de celle qui se prête au vers, son style flotte dans un mensonge perpétuel (une partie de Châteaubriand et Mac Pherson tout entier).

THÈSES DE DOCTORAT ÈS LETTRES

Soutenance de M. Cons.

Thèse latine: De Atace.

Thèse française: La province romaine de Dalmatie.
I

M. Cons, maître de conférences à la Faculté des lettres de Montpellier, a présenté à la Sorbonne deux thèses de géographie : l'une, en latin, sur l'Aude; l'autre, en français, sur la province romaine de Dalmatie.

Dans la première, M. C. s'est proposé d'étudier les variations qu'a subies le cours inférieur de l'Aude, depuis l'origine des temps historiques, et d'examiner quelle influence ces variations ont exercée sur la fortune de Narbonne.

Le titre « De Atace » pourrait donc être mieux choisi : il dit à la fois trop et trop peu. Aussi en résulte-t-il une certaine incertitude d'un bout à l'autre de l'ouvrage : tantôt l'auteur semble sortir de son vrai sujet pour se conformer à son titre, pris dans toute son extension, tantôt, au contraire, il ment à son titre pour se restreindre plus strictement à son vrai sujet. Dans la thèse, comme dans le titre, il y a à la fois trop et trop peu.

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C'est là ce que M. Himly a fait tout d'abord observer, et, tandis que quelques-uns des juges se plaignaient de digressions, d'autres ont pu réclamer certains détails, que M. C. avait omis comme étrangers à son sujet. C'est ainsi que M. Pigeonneau s'est étonné de trouver quatorze pages consacrées à l'histoire de la fondation de Narbonne, tandis que M. Zeller eût souhaité de voir M. C. insister sur l'importance de Narbonne comme place d'importation pour les Romains.

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Sur l'ancien littoral, si complètement modifié par les atterrissements de l'Aude, M. C. ne fait guère que reproduire les opinions de ses devanciers, MM. Lenthéric et Desjardins. C'est dans les chapitres vi, vi et vIII que réside tout l'intérêt de la thèse. M. C. y recherche quelles étaient, à l'époque romaine, les communications de Narbonne avec la mer. Selon M. C., l'Aude, dans l'antiquité, passait tout entier sous l'arche demi-ruinée qui se voit encore près de Narbonne, et les bouches de l'Aude, dont parlent les anciens, doivent être placées au sud de Narbonne, vers les étangs de Bages et de Sigean. Cependant, dès l'époque impériale, le lit du fleuve devant Narbonne commençait à s'exhausser sensiblement, et déjà les eaux tendaient à s'échapper vers le Nord, du côté de Vendres; aussi, pour sauver la prospérité de Narbonne, dont le fleuve faisait toute la richesse, construisit-on une digue, en amont de Narbonne, au-dessous de Sallèles d'Aude, digue qui avait pour but de s'opposer à la fuite des eaux vers Vendres et de les ramener sur Narbonne.

En aval de Narbonne, vers Montfort, l'Aude entrait dans un ancien golte, déjà à demi comblé par les alluvions à l'époque romaine, que les anciens appellent Rubresus (plus exactement Rubraeus) ou Rubrensis lacus, et dont les étangs de Bages, de Sigean et de Gruissan sont aujourd'hui les restes. Jusqu'ici on avait cru que les Romains avaient frayé à l'Aude une issue vers la mer en lui creusant, à travers les eaux stagnantes du golfe, un canal qui aurait abouti au grau de la Nouvelle, en contournant l'île de Sainte-Lucie, et on pensait que ce canal aurait servi au trafic, alors si important, de Narbonne avec la Méditerranée. Mais M. C. a établi - et c'est là la partie nouvelle de sa thèse, que ce prétendu canal romain devait avoir été fait par les Goths, et qu'en tout cas, à l'époque romaine, l'embouchure principale de l'Aude et le chenal suivi par la navigation se trouvaient plus au nord, au grau de la Vieille-Nouvelle.

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