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n'a pas été marqué seulement par de grandes révolutions politiques : comme l'a fort bien vu M. de N., il a été, presqu'autant qu'en Europe, une époque de fermentation et de renouvellement intellectuels. Jamais les deux grands facteurs, qui, depuis cinq ou six siècles, se trouvaient en présence sur ce sol, l'Islam et l'Hindouisme, n'entrèrent en un contact plus intime et n'essayèrent plus sérieusement de se comprendre. Ce fut la dernière tentative d'une civilisation purement orientale, tentative éphémère, car, encore une génération ou deux, et les Anglais vont apparaître, et même avant eux déjà, le fanatisme musulman, reprenant le dessus, l'aura étouffée dans sa fleur. Durant ce court espace de temps, l'art indo-persan fait éclore ses plus délicates merveilles, tandis que du rapprochement d'éléments si divers, favorisé d'en haut par une tolérance et une largeur d'esprit jusque-là sans exemple, se produisent, sur le domaine de la science, de la religion et de la politique, des ébauches, des aspirations troubles, si l'on veut, et malheureusement sans avenir, mais qui n'en donnent pas moins à l'époque une physionomie unique dans le passé de l'Inde. Rien de plus difficile à apprécier exactement et à retracer avec leur juste nuance que ces mouvements compliqués, dont l'intelligence, même quand ils sont le fait d'une élite peu nombreuse, exige la connaissance intime et du monde musulman, et du monde hindou. Or c'est là, pour le moins autant que dans la série assez monotone de ses expéditions et de ses guerres, qu'est l'histoire d'Akbar, dans ces mouvements intellectuels dont son long et glorieux règne marque l'apogée et dont sa propre personnalité fut la plus haute expression. Car il fut lui-même le produit le plus singulier de cette singulière époque, et le passé nous présente peu de figures plus curieuses que celle de ce conquérant philosophe, soldat dès l'enfance, capitaine constamment heureux, et n'aimant pas la guerre; épris de toutes les choses de l'esprit, d'art, de sciences, de lettres, sans être ni savant, ni lettré; désabusé de bonne heure, et pourtant plein de bontérêveur, parfois chimérique dans son cercle de beaux esprits, et l'homme d'action le plus pratique du monde à la tête des affaires; tour à tour mystique, dévot et sceptique à sa façon et à ses heures; curieux de toutes les religions, et n'appartenant à aucune; rêvant parfois d'en établir une nouvelle, et ne se permettant jamais de tracasser les anciennes. On le voit, le sujet choisi par M. de N. est de ceux où un historien peut donner toute sa mesure.

En assumant cette tâche à la fois séduisante et redoutable, M. de N. a-t-il suffisamment consulté ses forces? Il serait téméraire de se prononcer à cet égard sur l'inspection de son premier fascicule, le seul que j'aie sous les yeux, et qui n'est qu'une sorte de prologue s'arrêtant à la jeunesse du héros. M. de N. s'êxcuse modestement de n'être ni historien de profession, ni philologue. Mais il a l'amour de son sujet, et la façon dont il en parle dans la préface, montre qu'il en a bien saisi toute l'importance. Il a eu la bonne fortune de vivre dans l'intimité de Blochmann et, pour tout ce qui concerne la critique des documents directement re

latifs à cette époque, il n'aurait pu passer par meilleure école. Il s'est entouré de toutes les sources actuellement accessibles; il les estime chacune à sa valeur, et en fait l'usage le plus consciencieux. Or, si, pour le détail, il reste encore plus d'un point à élucider dans ces témoignages, pour l'ensemble du règne et pour l'appréciation du rôle politique du grand empereur, ils sont suffisants. Enfin il connaît l'Inde contemporaine pour y avoir vécu, et c'est là un avantage inestimable pour celui qui entreprend d'en retracer le passé. Dirai-je pourtant qu'il me reste quelques craintes? M. de N. semble parfois ne pas dominer suffisamment sa matière. Les faits se suivent chez lui dans l'ordre voulu; mais peut-être ne sont-ils pas assez éclairés. Les grandes lignes ne se dessinent pas toujours bien, et son exposé a trop souvent l'allure d'une chronique. C'est ainsi que tous ces faits de révolte et de trahison, le mal endémique de ces dynasties musulmanes, et où l'on voit régulièrement un personnage jusque-là impeccable se montrer tout d'un coup digne des dernières rigueurs, s'expliqueraient bien autrement, si l'auteur s'était donné la peine d'exposer plus complètement les conditions du pouvoir dans cette sorte de féodalité sans véritable aristocratie, où la subordination était basée non sur le régime fixe de la terre, mais sur le sentiment tout personnel de la fidélité envers le bienfaiteur, le compagnon d'armes, ou le maître dont on a accepté le sel et dont on mange le pain. Quel dommage encore pour le lecteur, que M. de N. n'ait pas réussi à faire mieux revivre dans son récit ces grands Timourides restés si vivants dans les souvenirs qu'ils nous ont laissés, la mâle et franche figure de Baber, avec sa fine bonhomie', celle d'Humayun, ce voluptueux d'une distinction plus fragile, mais chez qui l'intelligence et le cœur rachetaient, à bien des égards, les fai blesses de caractère. Même pour Akbar, on peut trouver que sa physionomie est jusqu'ici bien pâle, bien qu'il ait achevé sa 25o année à la fin du volume. La description géographique et ethnographique de l'Inde, par laquelle s'ouvre le livre, ressemble plus parfois à l'abrégé d'une introduction à l'histoire générale de la Péninsule, qu'au 1er chapitre d'une histoire spéciale 2. Par ci par là aussi la composition trahit quelque inexpérience. Ainsi, p. 175, on trouve rejetée en note la fin d'événements survenus à Kaboul dont le commencement avait été longuement développé dans le corps du récit, et qu'on avait un peu perdus de vue. Le même procédé a dû servir p. 179. Plus loin, p. 188, à propos de l'éducation d'Akbar, M. de N. revient à jeter un coup d'œil sur l'histoire

1. Ses Mémoires sont le seul livre oriental, à ma connaissance, où il y ait ce que nous appelons de la bonne humeur.

2. Il s'y trouve quelques inexactitudes. P. 26, M. de N. fait des Aryens les pre miers immigrants venus de l'Ouest. A quelle époque et de quel côté pense-t-il que soient venus les Dravidiens? Ibidem, il semble ranger parmi ces derniers tous le aborigènes de l'Inde centrale. P. 57, il aurait fallu citer les chiffres du recensement de 1872, qui a enlevé toute autorité à celui de 1867.

antérieure des Mogols: ici encore et parfois bien mal à propos, il retombe dans la chronique.

Après tout, il n'y a rien là de bien grave. Ce qui m'inquiète davantage, c'est la connaissance imparfaite que M. de N. paraît avoir de l'Hindouisme. En tout cas, le tableau qu'il en trace est tout à fait insuffisant, et devra être repris à neuf dans les volumes suivants. Ce n'est pas à l'aide de schémas pareils que le lecteur se représentera cet étrange monde de l'Inde sectaire. Que lui importe d'avoir des idées plus ou moins justes ou fausses sur les purohitas védiques, sur les quatre castes de Manu qui se seraient multipliées jusqu'au nombre de soixante-dix 1, sur la répartition de la propriété entre les Çûdras, les Vaiçyas et les Kshatriyas, de savoir qu'il y a six systèmes de philosophie et deux religions principales, la vishnouite et la civaïte, divisées l'une et l'autre en beaucoup de sectes, si de tout cela le peu qui subsiste au temps d'Akbar se réduit à des cadres plus ou moins officiels et fictifs? Il faudra que M. de N. se décide à pénétrer plus au fond des choses, s'il veut faire comprendre au lecteur l'état social, religieux et intellectuel de l'Inde au xvIe siècle et lui donner une notion juste de la personne et du rôle du grand empereur. Car, si Akbar reste en somme un souverain musulman, l'homme en lui fut aux trois quarts d'un hindou.

Voici bien des réserves. Comme on voit, ce sont des désidérata et des craintes, plutôt que des critiques. Elles se résument en ce désir si naturel qui nous porte à demander la perfection à l'historien d'une grande époque, et il n'est rien que je souhaite davantage que de voir M. de N. les faire tomber une à une dans la suite de son travail. En tout cas, il ne faudrait pas en conclure qu'elles me font méconnaître les sérieux mérites que l'ouvrage présente à beaucoup d'égards: le soin scrupuleux avec lequel l'auteur recueille et utilise les sources immédiates de son sujet, la sûreté de jugement avec laquelle il les discute quand elles sont en conflit, la simplicité, la clarté, la convenance de son style également éloigné du laisser-aller et de la prétention 2. De toute façon, M. de Noer nous donnera une bonne et honnête histoire d'Akbar, ce qui sera déjà beaucoup. Il nous racontera consciencieusement le règne du grand empereur, s'il ne lui est pas donné de le faire en quelque sorte revivre.

A. BARTH.

1. Ce chiffre, comme tout autre qu'on pourrait donner, n'est qu'un élément arbitraire et abstrait de classification, auquel ne répond rien de réel. En ajoutant deux zéros, M. de N. eût approché davantage de la vérité.

2. Il y a pourtant quelques négligences : je doute, par exemple, que « die hauptsæchlichsten Râdschpûtenstæmme » (p. 15) soit du bien bon allemand. P. 31 M. de N. semble vouloir dire que Delhi fut pillée bien que la population fût en majorité musulmane. C'est pourtant ce que sa phrase ne dit pas. — Voici quelques fautes d'impression: p. x, l. 15, lire wie; p. xix, 1. 10, Heinrich; p. 157, 1. 25, bat; P. 196, 1. 4, Morgenland; p. 201, l. 27, des Chân's ; p. 203, 1. 27, den Raubzügen. P. 187, Montesquieu est cité incorrectement; il faut « de ses propres forces ». Un lapsus assez plaisant est le « général Iskander Cunningham », p. 184, note 1.

9.

The mystery of Hamlet, an attempt to solve an old problem, by Edward P. VINNING. Philadelphie, J.-A. Lippincott and Co. 1881, 1 vol. in-16, 95 p.

Il y a un mystère dans Hamlet : quel en est le secret? Selon Goethe, Shakespeare a cherché à montrer « l'effet d'une grande tâche imposée à une âme trop faible pour elle ». M. Vinning le cherche ailleurs: Hamlet est une femme déguisée en homme.

Hamlet a occupé Shakespeare dès le début de sa carrière. Il a donné à son fils, né en 1585, (il avait alors vingt et un ans), le nom de Hamnet, variante de Hamlet', ce qui prouve que la vieille légende de Saxo Grammaticus l'intéressait déjà; en 1589, Nash fait allusion à une tragédie de Hamlet; cette tragédie doit être l'oeuvre de Shakespeare, car, d'une part, Nash semble l'attribuer à un faiseur de Noverint, or la profonde connaissance des choses de la loi qui paraît dans ses œuvres, prouve qu'il a passé par la chicane: d'autre part, en 1589, il est actionnaire dans le Blackfriars Theatre 3; arrivé à Londres sans ressources trois ans avant, il n'a pu faire fortune si vite que par un succès éclatant : c'est son Hamlet. Ce Hamlet, remanié par l'auteur, est devenu le quarto de 1603; puis, après un nouveau remaniement, celui de 1604. Or, peu à peu Shakespeare fut amené à développer dans son héros des traits de caractère féminin et l'idée put lui venir de se demander si cet hommefemme ne serait point réellement une femme, luttant désespérément pour remplir une place pour laquelle elle n'était point faite; un moment vint où le poète se dit : « voici comment agirait et sentirait une femme qui aurait été élevée dès l'enfance à jouer le rôle d'un prince », et tous les changements qu'il fit dans le caractère et la pièce sont tous dirigés dans ce sens (p. 59).

Pour apprécier cette thèse, au moins nouvelle, il nous serait nécessaire d'avoir le premier Hamlet, j'entends celui que Shakespeare aurait composé en 1589 et que Meres (en 1598) a oublié de citer parmi ses œuvres M. Vinning, il est vrai, croit que ce Hamlet est représenté par une pièce allemande que l'on possède encore et qui le reproduirait : la meilleure des raisons données, c'est qu'il y a un prologue où le sujet est exposé par la Nuit, qui appelle ses enfants, les trois Furies, Alecto, Tisiphone et Mégère « et qui semble bien shakespearien » car la pièce allemande diffère autant que possible des deux éditions de la pièce anglaise, ce qui peut s'expliquer, si l'on veut, par les profondes modifications que Shakespeare a fait subir à son œuvre première. Quant aux traits qui révèlent dans la dernière forme le sexe véritable de Hamlet, en voici quelques-uns la ruse est l'arme favorite de la femme; c'est

1. Hypothèse ingénieuse et à retenir, mais qui prouverait seulement que la légende était déjà populaire, probablement par le théâtre.

2. On sait que Shakespeare connaît tout et, par suite, a fait tous les métiers. Il y a quelques années, un imprimeur impatienté démontra qu'il avait été ouvrier compositeur.

3. Documents inédits?

l'arme favorite de Hamlet (folie feinte; façon détournée dont il se débarrasse de Rosencrantz et Guildenstern); crainte de la mort; il hésite à tuer Claudius parce qu'à ce jeu il risque sa vie, ce qui jette un jour tout nouveau sur le fameux monologue To be, or not be (!).- Il admire avant tout les vertus viriles: lisez le portrait de l'homme: what a piece of work is man!... (On pourrait se demander peut-être si l'homme est mortel signifie que la femme ne l'est pas); voyez avec quel accent il dit de son père He was a man (il serait beaucoup plus étrange qu'il eût dit a woman). Les paroles méprisantes qu'il a pour Ophélia, et pour les femmes et la vertu féminine en général, ne peuvent venir d'un jeune homme bien élevé et marquent le dépit personnel de la femme faible et indignée de sa faiblesse (l'auteur oublie que Hamlet juge des femmes et de leur vertu d'après sa mère). Hamlet aime : elle aime Horatio (voir l'éloge enthousiaste qu'elle fait de lui); ses duretés pour Ophélia sont de la jalousie; car dans le folio qui représente la pensée dernière de Shakespeare, c'est Horatio qui rapporte à la reine la folie d'Ophélia et il s'étend tout au long sur tout ce qui la touche d'une façon qui prouve qu'il a dû être souvent avec elle et qu'il a pu éveiller la jalousie de Hamlet. Dans la scène du cimetière Hamlet s'écrie I loved Ophelia, mais cela signifie I loved my father'. Autres traits, presque physiques : l'accès de faiblesse dont il est saisi à la révélation du spectre; sa prompte lassitude dans la lutte sur la tombe; il est vrai qu'il est fort à l'escrime, mais c'est un talent qui demande plus d'habileté que de force (recommandé pour le programme des collèges de filles en formation). Il est à remarquer que le spectre, s'adressant à Hamlet, ne l'appelle jamais son fils. Gertrude, il est vrai, lui donne ce nom, et Hamlet se reconnaît fils de Gertrude, fils de Hamlet; mais c'est par la force de l'habitude contractée. Une difficulté plus sérieuse, c'est que Hamlet dit quelque part : « Suis-je un lâche? Qui veut m'arracher la barbe et me la jeter à la figure? » Vers impertinent s'il en fut: mais il faut voir là sans doute une expression proverbiale plutôt qu'une indication que le héros (ou l'héroïne) avait de la barbe.

Il est bien difficile, quand on a terminé la lecture de cet amusant petit livre, de ne pas se demander si l'auteur n'aurait pas voulu se railler agréablement des abstracteurs de quintessence shakespearienne. Arrêtons-nous à cette conclusion plus charitable, et félicitons l'auteur de son esprit. James DARMESTETER.

IO.- La marquise d'Huxelles et ses amis, Mme de Sévigné, Mme de Bernières, Mme de Louvois, le marquis de Coulanges, M. de Callières, M. de Gaignères, Fouquet par Edouard DE BARTHÉLEMY. Paris, Firmin-Didot. 1881, grand in-8° de v-370 p.

M. de Barthélemy, qui s'est déjà tant occupé du xvIIe siècle, annonce,

1. He says, « I loved Ophelia »; he means « I loved my father and, prate as you will, I would do as much for him as you for Ophelia » (p. 69).

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