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de méthodes différentes. C'est n'avoir ni justice scientifique, ni respect moral, que de douter des nobles paroles par lesquelles M. M. va audevant de cette accusation: Beaucoup croiront, dit-il, que j'ai voulu, de parti-pris, rabaisser le mérite de la science allemande; ce n'est point par des mots que je puis écarter ce reproche. J'ai toujours eu pour cette science une admiration ardente, quoique réfléchie : j'ai toujours été en même temps le zélé défenseur du droit et de l'honneur de ma patrie; mais, dans les choses de science, je ne pense pas à la nationalité, mais à la vérité. » Il ne nous appartient pas de commenter les paroles et les sentiments de M. Madvig.

La méthode de M. M. se retrouve enfin dans la composition de son livre. Quand on renonce à toute construction a priori, il n'y a qu'un seul ordre à suivre pour parler des institutions d'un peuple : l'ordre dans lequel elles se sont produites. C'est le seul, en effet, qui préserve de l'arbitraire: c'est, dans un livre de caractère aussi théorique, d'apparence aussi abstraite que doit l'être un manuel de droit public, c'est le seul ordre qui permette d'étudier, à côté de l'essence et du principe des institutions, leur origine et leur développement véritables, qui permette surtout de rattacher leur histoire à l'histoire générale des faits et de la civilisation. Commencer une étude sur la constitution romaine par des recherches sur les magistratures, sans parler du peuple et du sénat, c'est réserver pour la fin ce qui est à la fois le commencement chronologique et le fondement légal de cette constitution. On sait que le premier volume des Antiquités romaines de MM. Mommsen et Marquardt, contre lesquels M. M. dirige ce reproche, traite de l'essence des magistratures, le second, des fonctions des différents magistrats le troisième sera consacré au peuple et au sénat. Le livre de M. M. (et c'est ce qui lui donne sur l'ouvrage allemand, une incomparable supériorité de composition et d'intérêt historique), commence par la définition du citoyen romain, par l'étude des droits et des devoirs qui s'attachent à ce titre, des conditions de ceux qui en sont privés, de la manière dont il s'obtient (ch. 1); M. M. examine ensuite les différentes classes entre lesquelles se divise le corps des citoyens romains, et, en particulier, les classes des privilégiés, patriciens, sénateurs, nobles, chevaliers, tribuni aerarii (ch. 1); puis vient l'étude de ce corps réuni en assemblées politiques et veillant aux destinées de la nation, du fonctionnement de ces diverses assemblées, comices curiates, centuriates, comices par tribus, des dispo sitions enfin qui y étaient prises (ch. 1); M. M. passe ensuite aux différents pouvoirs chargés du gouvernement de l'Etat, le sénat d'abord

1. Le livre est précédé d'une courte introduction sur l'histoire générale de Rome, sur la littérature, les mœurs, la politique romaines, sur la topographie de la ville. D'ordinaire, tous les chapitres commencent par un aperçu des sources: par exemple, le chapitre sur les magistratures, par un examen des principaux traités que les Romains ont écrits sur la question. On ne saurait trop remercier M. M. de cette innovation.

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(ch. IV), puis la royauté et les magistratures (ch. v), enfin l'empire (ch. vi). Le premier volume se termine par un tableau de l'administration du bas empire tel que le présente la Notitia dignitatum.

Il est impossible d'entrer, à propos de ce livre, dans une critique de détail. Il y échappe, non-seulement par sa nature de manuel, mais encore et surtout par la méthode de l'auteur, qui, s'arrêtant là où commencent l'incertitude et l'hypothèse, ne s'écarte jamais de la stricte vérité. Il y a évidemment un nombre considérable de questions qui ont prêté et qui prêteront encore à d'éternelles discussions, et sur lesquelles les adversaires de M. M. ne céderont probablement pas. Il est parfaitement inutile de juger entre eux et lui, d'autant plus que M. M. se borne à émettre son opinion, et se refuse absolument à discuter, ce qui aurait en effet dénaturé le caractère de son manuel. D'autres questions, dans le livre de M. M., sont fortement écourtées mais il n'y a pas, à proprement parler, des lacunes. Cependant l'excès de la concision entraîne quelquefois l'auteur à donner le change sur sa véritable pensée : il dit, par exemple, que les fonctionnaires étaient divisés, dans le bas empire, en cinq classes, illustres, spectabiles, clarissimi, perfectissimi, egregii*. L'expression trahit évidemment M. Madvig. Le titre de clarissimus ne désigne pas une certaine classe de fonctionnaires : il est héréditaire comme la classe qu'il caractérise, noblesse de sang entièrement différente de la noblesse, purement temporaire et hiérarchique, des spectabiles et des illustres.

Il est cependant une partie du livre de M. M. sur laquelle il importe

1. M. M. n'admet pas qu'il y ait eu de différence entre les droits des anciens Latins et le jus Latii tel que le définissent Asconius, Strabon, Cicéron, Oppien (pp. 64-65); cf. au contraire Marquardt, Staatsr., I (1881), p. 55. La loi de Malaca est pour lui la loi d'une cité romaine, et non latine (p. 65), contre Mommsen, (Staatsrecht, pp. 363 sqq.). En revanche, Novum Comum reçut de César une colonie latine (p. 30), cf. Mommsen, Corp. Inser. Lat., V, p. 565, Imperium n'a jamais désigné que l'autorité supérieure (p. 345), cf. Mommsen, Staatsrecht, I (1876), p. 24Il n'y eut jamais qu'un seul empereur souverain [pontife jusque vers le milieu du IIIe siècle, dit M. Mommsen, Str., II (1877), p. 1053: quand il y avait deux empereurs, il y avait aussi deux pontifices maximi, dit M. Madvig (p. 540). Ces quelques exemples sont pris au hasard entre mille. Cf. encore la question des comices curiates, p. 224, du rapport des préteurs avec les quaestiones perpetuae, pp. 388-390, etc. 2. M. M. ne se départit guère qu'une fois de sa réserve : c'est au sujet de la civitas sine suffragio. La cité sans suffrage n'est pas du tout une récompense, un privilège donné aux villes, comme l'a dit Aulu-Gelle (16, 13): c'est au contraire la forme la plus étroite de la soumission. M. M. reprend, en la développant et en lui donnant une précision plus grande, la thèse qu'il avait soutenue dans ses Opuscala philologica (I, p, 368). Il est certainement dans le vrai contre Zumpt. De propagatione civitatis romanae (Studia romana, p. 366).

3. En particulier, sur la juridiction consulaire, sous l'empire, p. 379; sur celle des préteurs, p. 392, des tribuns, p. 479, sur les curae et les triumvirs deducendis coloniis, pp. 503-506, sur les chevaliers du temps de l'empire, pp. 179-180.

4. P. 590. Voyez les inscriptions C. I. L., V, 1730, 1732, 1188, 1189, 1190; Orelli, 1154; C. Théod., 11, 1, 6.

de s'arrêter plus longtemps, à cause de la curiosité extrême qu'elle a éveillée et de la polémique qu'elle suscitera : c'est celle où il expose ses idées sur le pouvoir impérial. Si l'on ne regarde que l'expression, elles sont diametralement opposées à celles qui régnent aujourd'hui dans la science allemande et que M. Mommsen exposait si nettement, en 1875, dans les premières pages de son volume sur le principat '. « Le nouveau régime, disait-il, ne peut, dans le droit public, être désigné comme une monarchie, pas même comme une monarchie limitée. Le mot qui exprimerait de la façon la plus juste l'essence de cette merveilleuse institution est celui de dyarchie, c'est-à-dire le partage de la souveraineté, fait une fois pour toutes, entre le sénat d'une part, et le prince de l'autre, ce dernier comme homme de confiance de l'assemblée... La souveraineté d'Auguste ne s'est point présentée comme mettant fin à la constitution républicaine, comme s'opposant à elle, mais bien plutôt comme la réalisation de cet état de choses et l'opposé du gouvernement exceptionnel qui depuis vingt-deux ans en suspendait le fonctionnement régulier. » Voici quelles sont, à peu près, les paroles de M. Madvig : « L'empire est sorti d'un régime que les faits seuls avaient fondé : il est né de la nécessité d'une monarchie absolue, que tous jugeaient nécessaire et que l'habitude avait fait approuver; et cette monarchie, pendant longtemps, se transmit comme telle, étrangère à toute théorie constitutionnelle... L'empereur est à l'origine le citoyen le plus considéré de l'Etat, auquel le peuple et le sénat ont conféré des pouvoirs extraordinaires, et, en particulier, toute la puissance militaire... Le sénat, avec les anciennes magistratures, devait représenter l'Etat : mais il manquait en réalité de tout fondement indépendant de force et d'autorité. »

M. Mommsen, préoccupé avant tout de retrouver une théorie constitutionnelle, M. Madvig, s'inspirant des faits et de la pensée des écrivains, ont abouti à deux définitions de l'empire, qui semblent opposées, dyarchie et monarchie. Toutefois la pensée de M. M. n'est pas aussi éloignée de celle de M. Mommsen qu'il paraît au premier abord. Sur la question de savoir si l'empire a été absolu, en fait, dès l'origine, il est évident que M. Mommsen n'a jamais eu d'autre opinion que celle de M. Madvig. Le mot de dyarchie ne porte que sur le principe légal de la constitution impériale. Or, il ne serait pas difficile de prouver que l'un et l'autre sont d'accord là-dessus : l'empereur, selon M. Madvig tient ses droits du sénat, qui lui a conféré successivement tous les pouvoirs dont se compose sa souveraineté (p. 530); pendant le règne de chaque prince, le sénat continue à représenter officiellement l'Etat, la république (p. 532), depuis que toute la puissance du peuple a passé entre ses mains; le sénat a ses provinces, son trésor, ses magistrats; à côté du gouvernement du prince, il y a un gouvernement du sénat (p. 561). Or,

1. Staatsrecht, II (1875), p. 709 = (1877), p. 725. 2. I, pp. 531-532.

M. Mommsen ne dit pas autre chose, et il a raison avec M. Madvig. Il est certain, toutefois, que l'expression de dyarchie peut prêter à des malentendus. Le mot de monarchie a sur lui au moins l'avantage de répondre aux idées et aux sentiments des écrivains de l'empire, même des contemporains d'Auguste. Si l'on entend, en effet, par dyarchie un gouvernement formé de deux pouvoirs égaux, d'origine différente, ayant chacun sa sphère d'action, et indépendants l'un de l'autre, tel n'était certainement pas le régime impérial. Le mot est juste quand il y a deux empereurs égaux en autorité par tout l'empire, en s'en partageant les provinces. Mais ici les deux pouvoirs entrent, pour ainsi dire, l'un dans l'autre. C'est du sénat que l'empereur reçoit ses pouvoirs, et l'empereur est le président du sénat, surveille le recrutement de l'assemblée; il est le maître, quand il le veut, des provinces dites sénatoriales, et quand le sénat les gouverne, c'est de l'empereur qu'il les tient. Il y a deux pou voirs, sans doute, mais, le sénat, pouvoir souverain, abdique sa souveraineté entre les mains de l'empereur. En droit, par conséquent, comme en fait, il n'y a qu'une monarchie : il n'y a pas plus de dyarchie qu'il n'y en avait lorsque, sous la royauté ou la république, tous les pouvoirs étaient délégués au roi ou aux consuls : « L'autorité impériale eut, dit M. Fustel de Coulanges ', la même source et le même principe que l'autorité des anciens consuls. Comme eux, les empereurs eurent dans les mains cette puissance absolue que l'esprit romain avait toujours accordée à la République. La seule différence fut qu'au lieu d'être partagée entre plusieurs magistrats, cette puissance appartint tout entière à un seul homme. Un chef unique remplaça plusieurs chefs, un seul maître plusieurs maîtres; à cela près le Droit public resta le même ». Dans cette théorie, les théories de M. Madvig et de M. Mommsen se confondent et s'accordent 2.

Camille JULLIAN.

158. Frédéric GODEFROY. Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IX® au XVe siècle, composé d'après le dépouillement de tous les plus importants documents... publié sous les auspices du ministère de l'Instruction publique. Paris, Vieweg, 1880, gr. in-4°; Tome I (v799 p.; A. Castaigneux) et 4 fascicules du tome II parus (jusqu'au mot Cortoisie).

L'immense répertoire dont M. Godefroy poursuit la publication avec

1. Institutions politiques, 2, 1. M. Fustel croit que cette délégation de l'autorité se fit, dès le temps d'Auguste, par un acte formel, une loi régulière, ce que ne croient ni M. Madvig (pp. 530-531), ni M. Mommsen.

2. Nons nous permettons de relever quelques fautes d'impression : p. 60, l. 22: eiver pour einer; p. 102, 1. 4. : Gerchlechtsnamen pour Geschlechtsnamen; p. 240, 1. 2: eigentliche pour eigentlicher; p. 421, 11, 1. 1: Aedililtæt pour Aedilität; p. 503, 1. 18 coustituendae pour constituendae; p. 584, 1. 27: Diomitian pour Diocletian.

une louable activité doit avoir environ dix volumes; il n'est donc pas trop tard, semble-t-il, pour en parler, puisque nous sommes à peine arrivés au milieu du tome II. Toutefois, une œuvre de ce genre peut se juger dès les premiers fascicules, et déjà des jugements aussi compétents que longuement motivés ont été portés par les savants les plus autorisés. Je fais allusion notamment aux importants articles publiés par MM. Adolf Tobler et Arsène Darmesteter 2. Après le dernier surtout, dont je partage la plupart des idées, il reste bien peu de chose à dire. Je n'ai donc qu'à me confiner dans le rôle modeste de rapporteur pour une partie de ma tâche,

Le plus grand reproche que l'on puisse faire à la publication de M. G., c'est de ne pas répondre complètement au titre qu'il lui a donné de Dictionnaire de l'ancienne langue française du 1xe au xve siècle. L'auteur a soin de nous en prévenir en ces termes : « Dans le Dictionnaire dont nous publions aujourd'hui le premier fascicule, nous ne présentons pas tous les mots français qui ont été usités durant les siècles que nous embrassons... Nous nous sommes résigné à commencer par un fragment... Ce fragment contient les mots de la langue du moyen-âge que la langue moderne n'a pas gardés. Lorsque nous enregistrerons des mots conservés, ce ne sera que pour certaines significations disparues. Il suit de là qu'il ne faut pas toujours s'attendre à trouver une classification satisfaisante du sens des mots que nous citons, puisque tel sens ancien peut dériver d'une signification encore aujourd'hui vivante que nous supprimons systématiquement. »

M. G. avait conçu d'abord, et en partie exécuté, un dictionnaire historique unique donnant à leur ordre alphabétique tous les mots de la langue française à toutes les époques, et permettant ainsi de suivre de siècle en siècle le développement de chacun d'entre eux et pour le sens et pour la forme. Des nécessités matérielles l'ont forcé à subdiviser en trois parties cette œuvre immense, et à publier successivement trois dictionnaires au lieu d'un : 1o dictionnaire des mots et des sens disparus (c'est celui qui s'imprime actuellement); 2° dictionnaire de la langue moderne, conçu au point de vue historique; 3° dictionnaire de la langue savante. Malheureusement ces trois dictionnaires partiels, en en supposant la publication achevée, ne vaudront jamais le dictionnaire unique que l'auteur nous avait fait espérer. En se résignant (avec quels regrets, on le devine) à modifier sa conception primitive, M. Godefroy n'avait qu'un parti à prendre, ainsi que M. Darmesteter l'a lumineusement démontré : donner dans un premier dictionnaire tous les mots connus de la langue depuis les origines jusqu'à la fin du XVIe siècle, dans l'autre tous les mots employés depuis cette époque jusqu'à nos jours. Quant à la langue savante, aucune bonne raison ne justifie pour elle la constitution d'un ré

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