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REVUE CRITIQUE

D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

N° 35

28 Août

1882

Sommaire : 172. NELSON et MAYNE, La loi indoue.- 173. Arn. SCHAEFER, Sources

de l'histoire romaine. 174, STRAUCH, Marguerite Ebner et Henri de Nordlingen.

175. JADART, Jean de Gerson, son origine, son village natal et sa famille. 176, SCHOELL, Etudes sur Goethe.

Chronique.

172. — J.-H. NELSON. A Prospectus of the scientific study of the Hindu Law. London, Kegan Paul et Co, 1881. XIV-208 p. in-8°.

John D. MAYNE. - A Treatise of Hindu Law and Usage. Madras, Higginbotham et Co. London, Stevens and Haynes. 1878. xxxix-607 p. in-8°.

Les deux ouvrages dont les titres précèdent, l'un tout récent, l'autre dont j'aurais dû rendre compte depuis longtemps déjà, sont d'un heureux augure pour l'avenir des études juridiques dans l'Inde. Ils nous montrent, chacun à sa façon, ces études résolument engagées dans des voies nouvelles, et ils témoignent de l'intérêt croissant qu'elles rencontrent dans les rangs de la magistrature anglo-indienne. M. Nelson est actuellement juge dans la présidence de Madras, et son livre, écrit au milieu du conflit des idées et sous l'impression des difficultés journalières de la pratique, a quelque chose des allures d'un pamphlet. M. Mayne, qui a longtemps siégé à la haute cour de Madras, a réuni dans l'Inde les matériaux du sien, fruit d'une expérience plus mûre et d'une ardeur qui a eu le temps de se calmer. Mais, l'un et l'autre, ils conçoivent le droit de la même façon, ni comme une science abstraite et de pure spéculation, ni comme l'interprétation strictement professionnelle de prescriptions admises toutes faites, mais comme une branche de la critique historique. C'est à ce point de vue, le seul où je puisse me croire quelque compétence, que je vais essayer d'apprécier leurs ouvrages.

Bien qu'il soit le plus récent, je commencerai par celui de M. N., parce qu'il se rattache par le lien le plus étroit à une précédente publication du même auteur, dont j'ai rendu compte, il y a de cela quatre ans, dans la Revue 1. Dans ce premier écrit, M. N. établissait que le terme de Loi hindoue » n'est pas aussi facile à définir qu'on se l'imagine d'ordinaire, et que c'est se méprendre sur la nature des livres juridiques de l'Inde que de les assimiler à nos codes; que l'autorité anglaise étend outre mesure l'empire de cette législation en l'appliquant indistinctement à des populations pour lesquelles elle n'est pas faite et

1. A View of the Hindû Law as administered by the High Court of Judicature at Madras. Madras, 1877. Cf. Revue critique du 29 juin 1878.

Nouvelle série, XIV.

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qu'elle-même n'a jamais prétendu soumettre à ses prescriptions; que lui sacrifier notamment, dans la mesure qu'on le fait, la coutume nonécrite, c'est violer un de ses principes les plus évidents; qu'enfin, sur un certain nombre de points spécifiés, la jurisprudence des tribunaux anglais, en particulier de ceux qui relèvent de Madras, est en contradiction directe avec l'esprit et avec la lettre de cette loi qu'elle prétend appliquer. Dans mon compte-rendu, tout en me déclarant d'accord pour le fond avec M. N., tout en rendant hommage à la conviction résolue avec laquelle, à des erreurs autorisées de haut, il opposait des idées qui, pour n'être pas absolument neuves parmi les indianistes, l'étaient beaucoup au contraire venant d'un jurisconsulte, je dus exprimer maintes réserves sur des points où l'auteur me paraissait dépasser le but. J'essayai de faire voir qu'après tout, il restait bien quelque chose de ce hindu law dont M. N. faisait à peu près table rase, et qu'il y avait beaucoup à redire à sa façon de faire intervenir l'ethnographie dans la question. Il y a certainement dans l'Inde des populations entières, se chiffrant par millions, qui n'ont pas une goutte de sang aryen dans les veines, et qui n'en prétendent pas moins vivre conformément au dharma proclamé par les anciens sages; et, réciproquement, parmi les tribus brâhmaniques les plus pures, il n'y en a peut-être pas une seule qui se conforme rigoureu sement à la loi écrite. Comme le nouvel ouvrage de M. N. n'est que le développement de la même thèse, je ne rentrerai pas dans le débat. Je m'en tiendrai à ce qui est la partie neuve du livre, et, puisqu'il a bien voulu faire à mon article l'honneur de lui emprunter l'épigraphe du nouveau volume, je dirai, d'une façon générale, mais aussi nettement que je pourrai, en quoi nous sommes d'accord et en quoi nous diffé

rons.

Les développements nouveaux peuvent se ranger sous deux rubriques des aperçus historiques sur l'origine, sur la tradition et l'interprétation de la smrîti, et les vues personnelles de M. N. sur les mesures à prendre pour remédier à la façon fâcheuse dont la justice est administrée à beaucoup d'Hindous.

Il y a quantité d'observations justes et vraies dans la partie historique de ce travail. L'auteur montre fort bien tout ce qu'il y a d'incertain dans l'origine de ces livres, d'obscur dans leur transmission, de suspect dans beaucoup de leurs prétentions et de contradictoire dans certaines de leurs doctrines. Mais ici, comme dans le précédent volume, il lui arrive rarement de toucher le but sans aussitôt le dépasser. La moitié peut-être de toute son argumentation tend à prouver qu'il n'y a pas, qu'il n'y a jamais eu de loi hindoue, de sorte que le lecteur doit se demander par fois à quoi peut servir l'étude scientifique de quelque chose qui n'existe pas. Heureusement M. N. ne s'est pas adressé la question à lui-même, sans quoi nous courions risque de n'avoir jamais son livre, et c'eût été dommage. Evidemment, il y a dans toute cette appréciation plus que de l'exagération. Si c'est se tromper que de mettre les çástras sur la même

ligne que la loi des Douze Tables ou que le Code civil, c'est non moins se tromper que de vouloir les juger d'après la même mesure. Il faut les prendre pour ce qu'ils sont, une tradition écrite et cela à des époques et sous des influences bien diverses, non par des législateurs, mais par des lettrés sans relation, la plupart, avec l'autorité publique, mais qui, à part certaines doctrines touchant plutôt à des prétentions sociales qu'au droit civil proprement dit et où cette tradition est en dehors de la réalité, n'en travaillaient pas moins de bonne foi et ne s'inspiraient pas uniquement de leur fantaisie.

M. N. attache, et avec raison, une grande importance au fait attesté par des observateurs judicieux et bien informés qu'encore à une époque récente, aussi bien qu'au temps de Mégasthène, les habitants de diverses contrées de l'Inde n'avaient recours à aucune loi écrite pour régler leurs différends. Mais, quand il conclut de là qu'avant la publication de William Jones on eût fort étonné un pandit de Madras en lui citant le code de Manu comme un livre faisant autorité en matière de droit, sa conclusion est sûrement erronée. Le pandit n'eût pas parlé sans doute du code comme le ferait un Anglais d'une loi votée par le Parlement, mais il y eût certainement reconnu une des nombreuses expressions du dharma éternel. Il y a ainsi trop souvent chez M. N. des conséquences fausses déduites d'observations vraies. En général, c'est par le détail que pèche cette partie du livre. L'auteur a beaucoup lu ', il a réuni une infinité de faits et de témoignages, mais il les compte plutôt qu'il ne les pèse, et il lui arrive de s'en servir parfois sans les avoir bien compris. C'est ainsi qu'ayant vu chez M. Max Müller que le code de Manu était basé sur un sûtra de Mânavas, ce qui, du reste, n'est pas le cas, il conteste la grande réputation du livre par la raison que cette école ne paraît pas avoir été bien répandue. Sûrement M. Max Müller n'a pas prétendu dire que l code actuel fût encore un livre propre aux Mânavas, ni que les Hindous, depuis des siècles, l'eussent considéré comme tel. Ailleurs c'est Yâjnavalkya dont le code ne saurait avoir été reçu comme loi dans le Sud, parce que Yajnavalkya appartient au Yajus blanc, tandis que la presque totalité des brâhmanes de ce pays suivent le Yajus noir. Entre le code et le Yajus blanc il n'y a pourtant pas d'autre rapport qu'un nom, le nom respecté d'un prophète du Veda, que l'auteur du çâstra a trouvé commode de mettre en tête de son livre apocryphe. Il y a plus: M. Weber ayant fait la remarque que le même Yajnavalkya apparaissait dans certaines parties du Yajus blanc et surtout dans le Mahabharata avec les allures d'un docteur bouddhiste, cela suffit pour que le Yajus blanc soit véhémentement suspect d'être un Veda boudhique et que le code et, à la suite du code, la Mitáxarâ, qui en est une sorte de commentaire et de plus la

1. On ne saurait trop reconnaître le zèle que M. N. a mis à ne négliger aucune source d'information. Il a été jusqu'à s'enquérir de ce que pensait sur ces matières notre propre magistrature coloniale. Comme on devait s'y attendre, il n'a rien trouvé.

bête noire de M. N., soient écartés comme livres sectaires et hérétiques. L'auteur en arrive ainsi à émettre de véritables énormités, à exclure, par exemple, du nombre des Hindous à la fois les Civaïtes et les Vishnouites.

Faut-il s'étonner qu'avec cette humeur-là M. N. soit sévère pour la plupart de ses devanciers? A l'entendre, tout ce qui a été fait depuis cent ans sur le droit hindou l'aurait été à rebours, et toute la littérature juridique anglo-indienne, à l'exception de quelques travaux des dernières années, ne serait autre chose qu'un malentendu. Je ne connais que très imparfaitement cette littérature en majeure partie spéciale et toute pratique. Mais je puis dire en toute assurance à M. N. qu'ici encore il ne lui suffit pas d'avoir raison: il faut, de plus, qu'il se mette dans son tort. Il y a là des travaux estimables, qu'on souffre de lui voir traiter avec autant de dédain. Ces travaux sont imparfaits et, dans l'état actuel des connaissances, insuffisants. Mais quelle est donc la branche du savoir qui ait débuté par la critique? Docet diem dies est une vieille vérité faite pour donner une équitable confiance. Or M. N., non-seulement n'est pas toujours équitable, mais il lui arrive d'être souverainement injuste. Où a-t-il vu que William Jones et Colebrooke croyaient tout ce que leur disaient leurs pandits? Colebrooke surtout, la prudence en personne, que la critique, depuis plus d'un demi-siècle, a peut-être pris en défaut sur cinq ou six points de détail, tandis qu'elle n'est pas encore parvenue soudre la moitié de ses doutes, et dont toutes les publications réunies ne contiennent pas autant d'erreurs matérielles que M. N. en a parfois mis dans une douzaine de pages. Je ne puis vraiment pardonner à l'auteur la légèreté avec laquelle il s'est attaqué à cette grande mémoire. Il lui reproche d'avoir le premier parlé de différentes écoles du droit hindou. Mais est-ce la faute de Colebrooke, si, après lui, on a fait mauvais usage de son assertion? et quel autre mot aurait-il bien pu employer pour dési gner un fait vrai, à savoir que le dharma qui, pour les bráhmanes, n'est pas seulement une pratique, mais qui est aussi un de leurs çâstras, de leurs disciplines, ne s'enseignait pas tout-à-fait de même dans les diverses régions de l'Inde? Il lui reproche jusqu'à sa défiance à l'égard de la méthode mîmâmsâ appliquée à la solution des questions de droit, et il ne se dit pas que Colebrooke ne faisait ainsi que professer par avance un de ses propres principes à lui, M. N., de ne pas essayer de réconcilier des textes contraires au nom d'un hindu law idéal, qui n'a probablement jamais existé. Mais il y a plus fort que cela. Colebrooke s'est exprimé avec son exactitude et sa circonspection habituelles sur l'auteur et sur l'age probable de la Mitaxârâ. Il la place quelque temps après Dhâreçvara, qui est cité dans l'ouvrage, et, ce Dhâreçvara, il l'identifie, avec hésitation toutefois (aujourd'hui on n'hésite plus; c'est à peu près tout ce que nous avons gagné depuis), avec Bhoja, roi de Dhârâ au xre siècle, prince nullement mythique, dont on a des œuvres authentiques et des ins criptions. M. N. renverse tout cela et le remplace par la supposition

original indeed et de plus trois ou quatre fois impossible, que ce Dhāreçvara pourrait bien être Dâra Shakoh, le frère d'Aurangzeb, et que la Mitâxará serait ainsi du xvie ou du xvIIe siècle. Il pense montrer par là « how, if an attempt is to be made hereafter to study Hindû law methodically and scientifically, the unauthorized and scientifically valueless dicta of great men should be ruthlessly set aside and rendered harmless ». Tout indianiste qui a lu Colebrooke, lui répondra que si cet admirable chercheur n'avait rien trouvé de mieux à dire sur la Mitaxarâ, il n'eût pas écrit une ligne sur ce sujet.

L'histoire de la littérature juridique de l'Inde tant indigène qu'européenne, tout imparfaite, incertaine, pleine de lacunes qu'elle est, comme tout ce qui concerne le passé de ce singulier pays, n'est donc pas le chaos informe ni le tissu de contre-sens qu'elle paraît à l'imagination un peu échauffée de M. Nelson. Ce qui est vrai, c'est que l'Angleterre en s'engageant à respecter, dans la mesure du possible, cette tradition multiple et, en même temps, à l'appliquer à l'aide d'institutions et de méthodes sans lesquelles la justice ne se conçoit pas dans notre Occident, a assumé une tâche difficile dès le début, et dont les complications sont devenues d'autant plus sensibles, qu'on a mieux appris à connaître les conditions présentes et passées du pays. Ceci m'amène à considérer l'autre partie neuve du travail de M. N., les moyens qu'il propose pour sortir d'embarras.

Ce n'est qu'en hésitant, toutefois, que je le suis sur ce terrain, car je ne me permets certainement pas d'avoir des idées arrêtées sur l'administration de la justice à Madras. Je ne puis m'empêcher pourtant de craindre qu'il ne se mêle quelque illusion à ces projets de réforme. M. N. n'est pas d'avis de remplacer la loi du pays par une législation nouvelle, faite de toute pièce par l'autorité britannique, et il raille avec beaucoup d'esprit ceux qui n'estiment rien de plus facile que de confectionner «< un bon petit code >> qui contenterait tout le monde. Le remède, pour lui, est dans l'étude méthodique, scientifique du droit écrit d'un côté, du droit coutumier de l'autre, dans la délimitation précise de leur autorité respective, et dans la pleine reconnaissance de cette autorité non-seulement en principe, mais aussi dans la pratique. Ce sont là des conseils qui se recommandent eux-mêmes. Il est certain qu'en étudiant mieux, on saura davantage: il est non moins certain qu'en vertu de ses propres maximes et du consentement explicite du droit écrit, l'autorité anglaise est tenue de respecter la coutume, et c'est un des grands mérites de M. N, de s'être fait le défenseur infatigable de cette dernière. Seulement, la question est de savoir ce qui peut résulter de là dans la pratique. Voici cent ans bientôt qu'on étudie le droit écrit et, d'après M. N. lui-même, on n'y a rien fait qui

1. M. N. ne paraît pas être philologue. Cela semble ressortir du moins de ses transcriptions de Cera et Cola p. 6, grihya 20 et 60, vinaçana 31, çramana 34, çîlâditya 35, et de ses étymologies: çûdra dérivé de svid, suer, 4; Maurya= Tartare de Merv, 32 et 91.

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