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raconte, au contraire, l'épisode de ces longues luttes diplomatiques et militaires, qui marque peut-être le plus haut degré d'influence atteint par elle et son chef. Charles-Quint avait porté un coup fort habile au protestantisme allemand en donnant le Wurtemberg, dont le prince était mis au ban de l'empire, à son frère cadet, le roi Ferdinand. Les possessions des Habsbourg au sud de l'Allemagne s'arrondissaient ainsi d'une façon notable et la conversion religieuse de ces contrées, déjà commencée depuis peu, était entravée d'une façon presque complète. Philippe comprit le danger qui menaçait ses coreligionnaires. Il ne voulut point permettre la pose de ce « verrou » qui fermerait les communications avec les protestants suisses, et, pendant une série d'années, les efforts les plus considérables furent tentés par lui pour amener la ligue à agir et pour lui gagner des alliés au dehors. Ce sont ces négociations diplomatiques, le rôle qu'y jouèrent les différents princes de l'Allemagne, la Saxe, la Bavière, etc., qui forment le gros du volume de M. Wille. On lira également avec intérêt le second chapitre du deuxième livre, qui s'occupe particulièrement des relations avec la France, avant et après la visite presque clandestine que Philippe de Hesse fit à François Ier, au château de Bar-le-Duc, en janvier 1534'. Le roi de France aurait voulu pousser la campagne plus loin qu'elle ne fut menée par les alliés. Il voulait attaquer les provinces héréditaires de Ferdinand, mais Philippe ne se souciait pas de se brouiller à mort avec les Habsbourg d'abord, puis aussi d'exciter la jalousie de ses collègues princiers et spécialement de l'électeur de Saxe, uniquement pour plaire aux Valois. Il lui manquait l'élan d'un Bernard de Weimar ou d'un Richelieu, pour tenter une agression dont les conséquences heureuses eussent été incalculables, mais qui pouvait tout aussi bien se changer en catastrophe pour lui. Le traité de Cadan, signé dans les derniers jours de juin 1534, ne réalisa point les espérances avec lesquelles on s'était mis en campagne. On arrachait le Wurtemberg à Ferdinand, on le regagnait au protestantisme, mais le succès s'arrêtait là, se localisait pour ainsi dire, et même le duc Ulric ne rentrait dans son territoire qu'après avoir prêté l'hommage féodal au rival malheureux qui l'avait occupé jusque-là. M. Wille promet de continuer ses recherches et de nous en donner le résultat dans quelque autre ouvrage. On ne peut que l'attendre avec intérêt, et le consulter avec confiance. A un langage sobre, un peu trop incolore peut-être, l'auteur de notre volume unit un jugement. calme, une appréciation généralement équitable des hommes et des partis, et les historiens du xvIe siècle consulteront son livre avec fruit, pour les dix années qu'embrasse son récit.

R.

1. Une série de pièces inédites relatives aux négociations avec la France, se trouve en appendice, pp. 255-268. Nous remarquerons, à ce propos, que, pp. 156, 198, etc., il faut lire Langres au lieu de Langer.

222.

Lettres françaises inédites de Joseph Scaliger, publiées et annotées par PHILIPPE TAMIZEY DE LARROQUE, Corresp. de l'Institut. Agen, Michel et Médan; Paris, Alph. Picard, 1881, 1 vol. in-8o de 428 p.

La publication des lettres françaises de Scaliger a été accueillie avec joie par tous ceux qu'intéresse l'histoire de l'érudition. Si la Revue critique n'en a pas parlé plus tôt, c'est qu'elle a perdu les deux collabora teurs à qui revenait de droit l'honneur d'en rendre compte, Charles Thurot et Charles Graux. Le premier avait déjà présenté le livre à l'Académie des inscriptions comme un monument durable élevé à la mémoire du plus grand des philologues français. Il ne tenait qu'à M. Tamizey de Larroque d'agrandir les proportions du monument, s'il avait voulu nous donner toutes les lettres et tous les billets écrits en français par Scaliger. Il n'y a pas d'homme avant Scaliger qui ait entretenu autant de correspondances. Les originaux ou les copies en sont conservés en grand nombre, particulièrement à la Bibliothèque nationale dans la Collection Dupuy. M. T. de L. a cru devoir se borner à publier presque exclusivement les lettres inédites autographes, en donnant des analyses et des extraits des simples copies ou des lettres déjà imprimées dans divers recueils 1. Malgré cette élimination, sa publication n'en comprend pas moins de 124 lettres, qui vont du 8 nov. 1571 au 28 août 1608, et sont presque toutes adressées aux trois meilleurs amis de Scaliger, Pierre Pithou, Claude Dupuy et J.-Aug. de Thou. Ces trois amis s'occupent non-seulement de le fournir de livres et de manuscrits et de le tenir au courant du mouvement de la librairie parisienne et étrangère, mais encore ils ont mission de surveiller l'impression de ses ouvrages. Aussi Scaliger leur fait-il ses confidences; à eux seuls, par exemple, il révèle son pseudonyme d'Yvo Villiomarus, emprunté en 1585 pour répondre à Robert Titius. Ecrites dans tout l'abandon de l'intimité sur les sujets les plus chers à ces hommes illustres, leurs livres et leur études, ces lettres contiennent une foule de renseignements précieux et de faits nouveaux, où les travailleurs de diverses spécialités auront à puiser désormais; elles intéressent à la fois la philologie classique, la philologie française et l'histoire littéraire.

Si l'on veut connaître avec quels secours les anciens philologues ont établi leurs textes et quelle méthode ils ont portée dans la constitution de leurs éditions, c'est à leurs correspondances qu'il convient de recourir. Mieux que dans les préfaces et dans les commentaires, nous y surpre nons les secrets de leur bibliothèque, leurs recherches et leurs incertitudes. Les opinions, les pressentiments d'un génie comme celui de Scaliger méritent notamment d'être recueillis par les philologues modernes. Ces lettres nous le montrent, au milieu des livres, occupé de préparer

1. Je ne vois point mentionnées les « Copies de lettres écrites au sieur de Castelfranc, par Joseph de l'Escale, de Leyde en Hollande, 1604, 1606, 1608 », qui sont au no 13040 du fonds français.

ses éditions et ces merveilleux travaux dont un seul suffirait à la gloire d'une vie; on l'entend donner son avis sur les manuscrits dont il se sert, sur ceux qu'il désire consulter, sur les livres qui paraissent à la foire de Francfort et que des courriers trop irréguliers lui portent dans ses diverses résidences. On le surprend dans ses déchiffrements épigraphiques, surveillant avec un intérêt jaloux les recueils d'inscriptions que publient ses confrères (pp. 260, 264, 271). Veut-on savoir quels secours il a reçus et à quelles sources il a puisé pour former son recueil des Catalectes? c'est aux lettres à Pithou qu'il faut s'adresser (pp. 10, 19, 237). Plus loin, nous constatons depuis quelle époque il songe à ses commentaires sur Manilius (pp. 21, 63, 69), ce qu'il pense de l'état fâcheux du texte de Josèphe de son temps (p. 226), avec quelle conscience de sa valeur il parle du De emendatione temporum (p. 123), par quels moyens il prépare son édition d'Eusèbe (pp. 235, 239, 376), etc. Nous trouvons trace de plusieurs projets longtemps mûris, puis abandonnés par Scaliger, tels que cette édition d'Aulu-Gelle, Macrobe et Censorinus, dont il est si souvent question (pp. 21, 25, 41, 83, 91). On le voit appliquant sur tous les objets ses aptitudes universelles, s'occupant dès 1578 des Tables Eugubines dont Dupuy avait rapporté une copie d'Italie (p. 85), reconnaissant, bien avant les travaux de l'égyptologie moderne, l'identité de la langue copte et l'égyptien, cherchant à se procurer l'Alcoran, le texte arabe d'Avicenne, un Nouveau Testament arménien et divers livres hébreux par l'intermédiaire des correspondants de Pinelli à Constantinople. 'Pour la philologie française, les Lettres de Scaliger fournissent une foule de renseignements intéressants. La langue de Scaliger, mêlée de latinismes et de gasconismes (le mot est de lui), est hardie, imagée, capricieuse. Les expressions proverbiales, les tournures archaïques qui se rencontrent sous sa plume ont été notées avec grand soin par son savant éditeur et compatriote, et rapprochées des autres textes qui les fournissent. Plus d'une fois M. T. de L. a pu compléter Littré: tantôt un exemple de Scaliger vient attester l'antiquité d'un mot ou d'une expression que Littré a rencontré seulement bien plus tard, tantôt il comble la lacune que constatait implicitement le lexicographe entre les exemples du moyen âge et ceux du xvir° siècle. Comme spécimens de ces contributions à l'histoire de la langue, je me contenterai de citer une acception métaphorique du mot tirer (p. 97), le verbe coquiner (= mendier) pris comme verbe actif (p. 118), et, p. 72, la présence du mot philologie dans une lettre datée de 1577, alors que Littré a trouvé son plus ancien exemple dans Rollin. M. T. de L. relève aussi des particularités curieuses d'orthographe, et je crois qu'il y a encore à faire après lui. Malheureusement sa lecture, au moins pour les copies, n'est pas toujours irréprochable. Ainsi, dans la copie de la lettre à M. de Buzenval (pp. 342-343), il faut lire : « il n'i a rien quant au stile soit au langage-faute d'adresse - don Carles est couronné - M. de Beze est presque réduit en infantilage'. »

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1. il est regrettable que l'impression du grec ait été fort négligée; l'imprimeur

C'est surtout au point de vue de l'histoire littéraire et des biographies du xvi siècle que la publication de M. T. de L. est importante. Elle emprunte une grande partie de sa valeur à une annotation abondante, tout instructive et précise, évitant de répéter ce qu'on trouve ailleurs et donnant une foule de détails inédits sur les hommes et les faits dont il est question. Personne n'a, au même degré que le savant éditeur, cette sûreté et cette universalité d'information, qui rend la lecture de son commentaire perpétuel aussi attachante que celle du texte. Une première série de renseignements est fournie à l'histoire littéraire par les appréciations de Scaliger sur les livres et la science de ses contemporains. On s'attend avec raison à des jugements ordinairement durs et méprisants, relevés par une jolie verve gasconne. Tels sont les jugements sur Achille Statius et son commentaire des Elégiaques (pp. 43, 45, 48), sur Palmerius (p. 108), sur Carrion (p. 112), et même sur S. du Bois (p. 109). Ils sont plus piquants encore que les propos du Scaligerana, car c'est une pensée directement exprimée que nous recueillons, sans l'intermédiaire des secrétaires et des copistes. Il faut voir comment Scaliger traite ses adversaires François de l'Isle et Jean de Frégeville, plus tard Clavius et Viète, et ce pauvre Italien Titius, qui « n'est qu'un asne », excepté pour ceux de sa nation, laquelle « admire plus tost une mouche de dela les Mons, qu'un beuf de deça » (p. 207). Je ne parle pas du trop fameux Scioppius, à qui, malgré le conseil de De Thou, dont nous trouvons ici le témoignage, Scaliger rendit publiquement injure pour injure.

La biographie du grand philologue s'enrichit de faits qui éclairent certaines années de sa vie. Les lettres de 1585, par exemple, nous révè lent un Scaliger peu connu, Scaliger propriétaire, et nous montrent avec quel courage et quelle noble fierté il supporta la spoliation légale dont il fut victime à la suite de l'édit de juillet. Ses affaires de famille tiennent peu de place dans cette correspondance; cependant on y trouve trace de ses démêlés avec son frère. A propos de la réponse faite par Scaliger aux adversaires du De emendatione, sous le pseudonyme d'Antoni La Coste, il est parlé d'une seconde réponse, qui ne parut pas, et qui doit avoir passé en manuscrit dans les papiers du président de Thou. Ce n'est pas seulement la biographie de Scaliger qui se complète, mais encore celle de ses amis, de J.-A. de Thou, de Cujas. Pour Cujas particulièrement, on ne pourra s'occuper de lui sans feuilleter, au moyen de l'excellent index qui termine le volume, les lettres où il est mentionné. Le caractère de Cujas n'est pas aussi inattaquable que son génie; il eut des torts en

agenais, indigne de pratiquer l'art d'Henri Estienne, voyait du grec pour la première fois. V., par ex., pp. 66, 227, 253, 256, 269, 278, 282, 301, 320, où l'accentuation est jetée au hasard. P. 199, je lirais èμμeλeïç, p. 350, tepi xttoμáτwv. Signalons, en passant, quelques fautes d'impression inévitables dans un texte aussi difficile que celui des lettres et des notes: p. 31, note 2, il faut lire 1574 pour 1579; p. 170, n. 3, Bernays pour Bernard; p. 264 (texte), Smettius; p. 406, Guillandin; p. 220, ligne 1, il faut une virgule avant tant s'en fault, pour rendre la phrase intelligible.

vers Scaliger (pp. 258, 268), et donna occasion à celui-ci d'écrire une lettre qui fait plus d'honneur à l'élève qu'au maître. A ce propos, qu'il me soit permis d'exprimer le vœu qu'un de nos jurisconsultes contemporains, respectueux de son grand ancêtre, s'occupe enfin de la publication des lettres de Cujas conservées à la Bibliothèque et dont Berriat SaintPrix s'est servi avec beaucoup trop de discrétion pour son Histoire de Cujas.

J'ai peu d'observations à faire sur l'annotation de M. T. de L., dont l'exactitude égale l'abondance. Cependant, p. 289, il s'étonne à tort de l'inquiétude témoignée par Scaliger dans une lettre du 25 sept. 1591, écrite du château de Preuilly pendant les excès des ligueurs. Il y avait grandement lieu de s'inquiéter, et Scaliger avait été averti des dangers courus par son imprimeur et ami Patisson, dans une lettre de P. d'Elbène : << M. d'Emery... m'a asseuré que M. Pithou l'a retenu et sauvé, lorsque le povre Patisson fut prins prisonnier « (Epistres françoises... à Mons2 Joseph Juste de la Scala... mises en lumière par Iaques de Reves. Harderwyck, 1624; p. 384).-P. 189, à côté des trois lettres du «< bonhomme » Vinet, le vaillant principal du collège de Bordeaux, publiées dans les Archives hist. de la Gironde, il convient de rappeler les deux lettres à Buchanan, écrites en 1581 et imprimées dans Buchanani opera omnia (Leyde, 1725; t. II); j'en connais deux autres inédites parmi la curieuse correspondance d'Henri de Mesmes (B. Nat., fonds lat. 10327, ff. 127 et sqq.).

P. 65, aux renseignements copieux fournis sur François de SaintVertunien, sieur de Lavau, il eut été utile d'ajouter l'indication des lettres de cet important personnage, que renferme le n° 712 de la coll. Dupuy. M. de la Vau avait vécu dans l'intimité de Scaliger chez MM. Chasteigner de la Rocheposay, et c'est à lui qu'on doit le premier Scaligerana. Ses lettres à P. Dupuy s'étendent longuement sur son illustre ami, alors à Leyde, et sont à ce titre précieuses pour nous. Dans sa lettre datée de Poitiers, 2 juillet 1602 (712, f. 38), M. de la Vau raconte avec quelle facilité admirable Scaliger faisait des vers : « Ce grand personnage là ne se soucie aucunement de ses vers, et jamais il ne les garde... Nous estions tous deux retirez à Touffou, maison de feu M. de la Rochepozay à 4 lieues de ceste ville, pour la re guerre de la Ligue, 1577, durant les premiers Estats de Blois, où couchant en sa chambre pour m'exercer à la langue grecque, il me dist qu'il n'y avoit rien de meilleur que de faire des versions de l'une langue en l'autre... Tous les soirs, s'allant coucher, me tournoit verbo ad verbum un ou deux des épigrammes du 7 de l'Anthologie, pour luy rendre le lendemain en vers latins. » Pour Scaliger, ajoute le narrateur, il faisait les vers lui-même le lendemain en s'éveillant et sans le moindre tâtonnement. Il faut rapprocher cette lettre, dans laquelle il y a encore beaucoup à prendre, des lettres XVI et suivantes du recueil de M. T. de L., écrites de Touffou, pendant le séjour que rappelle ici M. de la Vau. Je signale en

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