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lorsque les causes de tant de cités vous appellent au Forum qu'à peine y suffiriez-vous quand vous n'auriez pas cherché d'autres travaux : un Domitien, un Caton, c'est-à-dire notre propre histoire et des noms romains, que vous associez aux fables des Grecs!

IV. Je serais troublé de ce ton sévère, répondit Maternus, si la dispute fréquente et continuelle n'était pas devenue presque une habitude entre nous; car vous ne cessez de harceler et de poursuivre les poètes; et moi, que vous accusez d'être un plaideur négligent, tous les jours je plaide contre vous en faveur de la poésie. Je me réjouis donc de voir s'offrir à nous un juge qui m'interdira de versifier à l'avenir, ou qui appuiera de son autorité le vœu que j'ai formé dès long-tems d'abandonner le barreau et ses études épineuses, qui m'ont déja coûté trop de sueurs, pour cultiver cette autre éloquence et plus sainte et plus auguste.

V. Et moi, dit Secundus, avant d'être récusé par Aper, je suivrai l'exemple des juges intègres et modestes qui se récusent eux-mêmes dans les affaires où leur prédilection pour l'une des parties lui assurerait une prépondérance évidente. Qui ne sait que personne ne m'est plus intimement uni, soit par une longue amitié, soit par l'usage

constant d'habiter ensemble, que Saléius Bassus 1, homme excellent autant qu'il est poète exquis? Or, si la poésie est accusée, nul n'est plus largement coupable. Qu'il se rassure, reprit Aper, et Saléius Bassus, et tout autre qui chérit l'art de la poésie et la gloire des vers, ne pouvant s'illustrer au barreau. En effet, puisque j'ai trouvé un arbitre de nos différens, je ne souffrirai pas que l'on défende Maternus en l'associant à plusieurs; lui, lui seul que j'accuserai devant vous, de ce que, né pour cette éloquence de l'homme et de l'orateur, par laquelle il peut acquérir et conserver des amis, s'attacher des nations, embrasser des provinces, il néglige une étude qui, parmi nous, réunit plus que toute autre l'utilité, la dignité, la renommée dans Rome, dans tout l'empire, et la célébrité chez tous les peuples. Si nos entreprises, nos actions doivent être constamment dirigées vers un but qui nous soit utile, quoi de plus sûr que d'exercer un art dont, pour ainsi dire, armé sans cesse, on porte secours à ses amis, aide aux étrangers, sûreté aux hommes en péril, terreur aux envieux et aux ennemis, tandis que soi-même on reste paisible et comme

I. Il ne nous reste rien de ce poète célèbre, très-aimé de Vespasien, et qui reçut plus d'une fois de ce prince des présens considérables. (Note de l'éditeur.)

investi d'une autorité perpétuelle? Êtes-vous heureux? c'est en protégeant les autres que vous sentez la force et l'utilité de cet art. Le danger gronde-t-il sur vous? certes la cuirasse et l'épée ne sont pas au guerrier de plus sûrs appuis que l'éloquence à l'accusé en péril: avec cette arme, à la fois défensive et offensive, vous pouvez également repousser l'attaque et attaquer, soit devant les juges, soit dans le sénat, soit auprès du prince. Quelle autre égide opposa naguère Éprius

I

Marcellus aux inimitiés du sénat? Armé de son éloquence, et menaçant lui-même, il déconcerta la sagesse d'Hélvidius, diserte il est vrai, mais sans exercice, et inhabile aux combats de ce genre. C'est tout ce que j'ai à dire de l'utilité, partie sur laquelle je pense n'être pas contredit par notre ami Maternus.

VI. Je passe au plaisir que l'orateur doit à son éloquence: plaisir qui n'est pas d'un seul moment, mais qui revient presque chaque jour et presque

1. Homme sans probité, sans mœurs, très-puissant par ses richesses et son crédit, et doué d'une éloquence énergique, mais trop souvent dangereuse. Il s'agit ici de l'accusation dirigée contre lui par les Lyciens, lors qu'il déposa la préture: procès scandaleux et infamant pour lui, mais dont il sortit vainqueur, grace à sa funeste éloquence, et à une odieuse cabale qu'il suscita contre ses accusateurs, Helvidius Friscus et Thraseo. (Note de l'éditeur.)

à toute heure. Quoi de plus doux pour un esprit libre, généreux, né sensible aux plaisirs honnêtes, que de voir sa maison toujours remplie du nombreux concours des hommes les plus éminens, et de savoir que ce n'est point à sa richesse, au manque d'héritiers naturels, à l'administration de quelque emploi public, mais à soi-même que cet honneur est accordé; que bien plus, les vieillards privés d'héritiers, les riches, les puissans, viennent presque toujours chez un homme, jeune encore et sans fortune, pour lui recommander leurs intérêts ou ceux de leurs amis. D'immenses richesses, une grande puissance, peuvent- elles procurer un plaisir tel que celui de voir des hommes d'une antique origine, eux-mêmes parvenus à la vieillesse, soutenus par la faveur de Rome entière, dans une haute abondance de toutes choses, avouer pourtant qu'ils n'ont pas ce qu'il est le plus avantageux d'avoir? L'orateur sort-il de chez lui, que de cliens l'accompagnent! quelle représentation en public! dans les tribunaux, quel respect! quel triomphe quand il s'élève et parle au milieu de tant d'auditeurs en silence, et dont les yeux sont fixés sur lui seul! La multitude se presse, forme un cercle immense, et reçoit tous les sentimens qu'il veut lui communiquer. Je retrace les jouissances extérieures, apparentes aux yeux des moins habiles; il en est

de secrètes, connues seulement de l'orateur luimême; et ce sont là les plus grandes. Apportet-il un discours médité, perfectionné? comme dans son style il y a dans sa joie quelque chose de grave et de ferme! a-t-il apporté, non sans quelque crainte, un ouvrage tout neuf, à peine terminé? cette inquiétude même lui rend le succès plus flatteur et plus doux. Mais une audace heureuse, lorsqu'il improvise, est pour lui le plaisir suprême; car il en est des productions de l'esprit comme de celles de la terre si plusieurs ont besoin de semence et d'une longue culture, celles qui naissent d'elles-mêmes sont néanmoins les plus agréables.

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VII. Pour moi, je l'avouerai, les jours où l'on m'orna du lati-clave, où moi, homme nouveau, né dans un pays défavorable, j'obtins la questure, le tribunat, la préture, ne m'ont pas donné plus de joie que ceux où, exerçant mes faibles talens oratoires, j'ai pu sauver un accusé, ou parler avec succès devant les centumvirs, ou défendre ou protéger auprès du prince les affranchis et les procurateurs du prince lui-même. Il me

1. Le lati-clave était la tunique que portaient les sénateurs; elle était bordée d'une large bande de couleur de pourpre, et tirait son nom d'un ornement, en forme de tête de clou, qu'on attachait sur la poitrine. (Note de l'éditeur.)

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