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semble alors que je m'élève au-dessus des tribunats, des prétures, des consulats, que je possède ce qu'on tient de soi-même, et non d'un autre, ce qui ne vient ni des brevets ni de la faveur. En quel art peut-on acquérir une gloire comparable à celle des orateurs? ils sont illustres dans Rome, non-seulement parmi les hommes consacrés ou attentifs aux affaires, mais encore parmi les jeunes gens qui ont un heureux naturel et quelque confiance en eux-mêmes. Qui sont ceux dont les noms sont enseignés les premiers aux enfans par leurs pères? ceux que le vulgaire inhabile et la populace en tunique nomment et montrent du doigt quand ils passent? Les étrangers même et les voyageurs, qui en ont entendu parler dans leurs cités, les recherchent en arrivant à Rome, et désirent de connaître leur visage.

VIII. Ce Marcellus Éprius dont je parlais toutà-l'heure, et Crispus Vibius (car je cite plus volontiers des modèles récens que des réputations vieillies et presque effacées): j'oserai soutenir qu'ils ne sont pas moins connus aux extrémités de la terre qu'aux lieux de leur naissance : à Capoue, à Verceil; et ce n'est pas à leurs trois millions de sesterces qu'ils doivent l'un et l'autre cet avantage, quoique leurs richesses puissent encore être considérées comme des bienfaits de l'éloquence, mais à cette éloquence même, di

OEuvres posthumes. II.

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vinité dont le pouvoir céleste a fait éclater dans tous les siècles beaucoup d'exemples de la haute fortune où les hommes s'élèvent par les forces du génie. Mais les exemples que j'ai cités sont près de nous; ils ne nous sont pas transmis par la tradition: nous les avons sous les yeux. Plus ces deux orateurs sont de basse extraction, plus ils furent pressés en naissant par les besoins et l'indigence, et plus ils démontrent par d'illustres exemples l'utilité de l'éloquence; puisque, n'étant recommandés ni par l'origine, ni par la richesse, ni par des mœurs imposantes, l'un d'eux même ayant des disgrâces corporelles, tous deux depuis bien des années sont les plus puissans de Rome, et, s'étant vus les premiers du barreau tant qu'il leur a plu, se voient aujourd'hui les premiers dans l'amitié de César, font tout, règlent tout, et inspirent au prince lui-même un attachement mêlé d'un certain respect. C'est que Vespasien, vieillard vénérable, et qui sait entendre la vérité, conçoit que ses autres amis sont appuyés sur des choses qu'ils tiennent de lui, qu'il peut accumuler lui-même ou entasser sur ses favoris; mais que Marcellus et Vibius apportent à son amitié ce qu'ils n'ont pas reçu, ce qu'ils ne pouvaient recevoir du prince. Le moindre de tant de biens est cette foule d'images, d'inscriptions, de statues, qui pourtant ne sont pas négligées, non plus que

les richesses qu'on entend blâmer plus souvent qu'on ne les voit dédaigner; or, ces richesses, ces honneurs, ces ornemens, abondent dans la maison de ceux qui se livrèrent dès l'enfance aux exercices du forum et aux études oratoires.

IX. Mais la poésie, à laquelle Maternus veut consacrer sa vie entière (et de là naît tout cet entretien), la poésie ne procure à ceux qui la cultivent, ni dignités, ni avantages; ils n'en recueillent qu'un plaisir court, une gloire infructueuse et vaine. Quoique vos oreilles, Maternus, repoussent ce que je dis et ce que je vais dire encore, lorsque vous avez fait parler avec éloquence Agamemnon ou Jason, quel bien en revient-il? quel homme défendu par vous revient votre obligé dans sa maison? Ce Saleïus Bassus, poète distingué, ou, si ce terme est plus honorable, chantre fameux, qui voit-on le reconduire, le saluer, l'accompagner? Si son ami, si son parent, si lui-même est embarrassé dans quelque affaire, il aura recours à Secundus ou à vous, Maternus, non parce que vous êtes poète, et afin que vous fassiez des vers pour lui, car il naît de beaux vers chez Bassus; tout le fruit de son travail est pourtant qu'après avoir, durant une année, passé tous les jours et presque toutes les nuits à polir, à perfectionner un seul ouvrage il est forcé de prier, de faire des démarches pour trouver des gens qui

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daignent l'entendre. Tout cela même exige des frais il faut emprunter une maison, arranger une salle, louer des sièges, publier des annonces; et, la lecture eût-elle le plus heureux succès, c'est la gloire d'un jour ou de deux. Pareille à ces herbes ou à ces fleurs coupées avant de parvenir à donner aucun fruit, elle ne laisse ni amis, ni cliens, ni souvenir du bienfait dans une âme reconnaissante, mais un bruissement vague, des applaudissemens stériles, une joie fugitive. Nous avons loué naguère comme une noble et merveilleuse libéralité de Vespasien le don de cinq cent mille sesterces qu'il a fait à Saleïus. Il est beau sans doute de mériter par son génie les bontés du prince; combien est-il plus beau cependant, si le besoin l'exige, de n'implorer que soi, de se rendre son génie propice, et d'éprouver sa propre libéralité? Ajoutez que les poètes, s'ils veulent composer et travailler à loisir une œuvre d'élite, doivent renoncer au commerce de leurs amis, aux plaisirs de la ville, abandonner toute autre occupation, et, selon leur propre langage, habiter les forêts, les bois sacrés, c'est-à-dire, se retirer dans la solitude.

X. L'opinion même, la renommée qu'ils servent sans partage, et qui, de leur aveu, est l'unique prix de leur travail, favorise moins les poètes que les orateurs. Personne ne connaît les poètes médiocres; peu connaissent les bons. Qu'elles

sont rares les lectures dont le bruit pénètre dans Rome entière! bien loin qu'il se prolonge dans les provinces. Combien en est-il qui, venant à Rome, ou d'Espagne ou d'Asie, pour ne rien dire de nos Gaulois, s'enquièrent de Saleïus Bassus? ou, si quelqu'un le cherche, à la première vue il passe content comme s'il eût vu un tableau ou une statue. Et, par mon discours, il ne faut pas entendre que ceux à qui la nature dénia le talent oratoire doivent s'interdire la poésie, si elle peut charmer leurs loisirs, et leur obtenir un nom célèbre je regarde toutes les parties de l'éloquence comme sacrées et respectables, et non-seulement votre cothurne, ou la majestueuse harmonie de l'épopée, mais les grâces lyriques, et la mollesse élégiaque, et l'amertume ïambique, et les jeux de l'épigramme; et, sous quelque forme que ce soit, l'art de bien dire me semble préférable à tous les autres arts. Mais je suis en querelle avec vous, Maternus, car, porté par votre nature au centre même de l'éloquence, vous aimez mieux vous égarer, et, des hauteurs où vous êtes parvenu, descendre à des frivolités subalternes. Si vous étiez né en Grèce, où l'on peut cultiver honnêtement jusqu'aux arts du Gymnase, et si vous aviez la vigueur et les forces de Nicostrate', je

1. Capitaine argien. Il était d'une force de corps ́extraordinaire, et portait comme Hercule une peau de lion sur ses

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