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vient d'une illusion. Telle chose doit-elle arriver naturellement après telle autre? les hommes se persuadent que, si la seconde existe, la première existe aussi : c'est une illusion. D'abord, la chose donnée pour véritable est souvent fausse; et d'ailleurs son existence ne rend nécessaire l'existence d'aucune autre; mais, entre deux choses, si l'existence de la dernière nous est connue, nous en concluons faussement la vérité de la première. Les poètes doivent préférer l'impossible vraisemiblable au possible sans vraisemblance; composer l'argument des fables de parties conformes à la raison; éviter soigneusement ce qui lui est contraire, ou tout au moins le placer hors de la fable, comme l'ignorance d'OEdipe sur la mort de Laïus; et non dans le drame lui-même, ainsi qu'on voit dans Électre ces personnages qui racontent les jeux pythiques; ou, dans les Mysiens, cet envoyé qui vient, sans dire un mot de Tégée en Mysie. Mais la fable n'existerait point sans cela! excuse ridicule. Il faut d'abord composer des fables conformes à la raison, à moins qu'elle-même ne semble y admettre quelque chose qui excède un peu ses limites. Si, par exemple, un mauvais poète eût raconté. les évènemens bizarres qui se trouvent dans l'exposition de l'Odyssée, ces évènemens ne sembleraient pas tolérables; mais Homère les déguise par toutes les ressources de son génie; et l'absurdité dispa

raît sous les charmes qu'il sait lui donner. Il faut orner beaucoup la diction dans la partie la moins active du poëme, quand les mœurs et les pensées ont peu d'éclat par elles-mêmes; une diction fastueuse les couvrirait au lieu de les ennoblir.

CHAPITRE XXVI.

Des Objections et des Réponses; de leur nombre, et de leurs différentes espèces.

Ce qui regarde les objections et les réponses, leur nombre, leurs différentes espèces, s'éclaircira par l'examen. Le poète, imitant comme le peintre et le statuaire, a trois manières de rendre les objets tels qu'ils furent, tels qu'ils sont en réalité; ou bien tels que les représentent les traditions, les croyances vulgaires; ou bien enfin tels qu'ils doivent être. Il emploie, pour y parvenir, soit le langage propre, soit la diction figurée, dont les formes sont infinies. Ce droit de la poésie n'est point contesté. D'ailleurs, elle marche à son but autrement que la science, et même que tous les autres arts. Mais elle peut avoir deux défauts : l'un essentiel, l'autre accidentel. Si elle imite ce qui lui est impossible, le défaut tient à son essence; mais, si le sujet choisi peut lui appartenir; si le poète a péché seulement en faisant lever à

la fois les deux jambes droites d'un cheval, ou én représentant d'autres choses impossibles, soit en médecine, soit dans une science quelconqué, lé défaut ne tient pas à la nature de la poésie. On trouvera dans les considérations suivantes les réponses que l'on peut faire aux objections. D'abord le poète a-t-il imité des choses impossibles à son art? il a fait une faute. Mais elle est heureuse s'il atteint son but. Or, il atteint son but, si, par elle, il produit plus de merveilleux dans cet endroit où dans une autre partie de son poëme. De ce genre est la poursuite d'Hector. Mais, s'il a pu atteindre le même but, ou du moins en approcher sans faire cette faute, elle n'est plus heureuse; car, autant qu'il est possible, il faut éviter partout les défauts. En second lieu, la faute contre l'essence de l'art est plus que la faute accidentelle. Le poète est moins répréhensible s'il ignore qu'une biche n'á point de cornes que s'il imite mal une biche. Ce n'est pas tout l'objet n'est-il pas représenté tel qu'il est ? soit : il est représenté tel qu'il doit être. Ainsi Sophocle se glorifiait de peindre les hommes tels qu'il faut les peindre; Euripide de les peindre comme ils sont en effet. On peut employer une pareille réponse, ou, si l'imitation n'est conforme à aucune de ces deux manières, on peut recourir aux vulgaires croyances. Dans ce qui concerne les dieux, par exemple, peut-être n'a-t-on pas dit ce

qui est vrai, ni ce qu'il y a de mieux à dire? ch bien, on peut répondre avec Xénophane que la théologie n'est pas très-claire. La chose n'est-elle pas mieux comme la raconte le poète? elle est conforme à la vérité: c'est ainsi que l'on défend cet endroit :

Sur la pointe dressées
Leurs piques sont debout.

C'était une ancienne coutume, c'est encore aujourd'hui celle des Illyriens. Pour décider qu'une chose dite ou faite est bien ou mal, il ne faut pas considérer seulement si la chose est honnête ou vicieuse; mais par qui, pour qui, contre qui, quand, comment, elle est dite ou faite. Il faut examiner encore s'il y a plus d'avantage à s'en servir ou plus d'inconvénient à s'en passer. Il faut encore réfuter certaines critiques concernant la diction. Ainsi, par ce mot étranger ouças μèv πρtov, peut-être on ne veut point dire les mulets, mais les gardiens. Quant à Dolon

A la forme hideuse,

il ne faut pas entendre qu'il était contrefait, mais d'un aspect sinistre : en effet, les Crétois appellent ɛɛdès les hommes d'une heureuse figure. En cet endroit : ζωρότερον δὲ κέραιρε,

Que le vin coule à flots,

il ne s'agit pas de faire boire largement les am

bassadeurs, mais seulement avec promptitude. Ailleurs, le poète emploie la métaphore: ici, par exemple :

La nuit au camp des Grecs; les mortels et les dieux:
Tout dormait; Jupiter veillait seul dans les cieux;

ou quand on dit :

Sur le camp des Troyens promenant ses regards;

ou bien quand il ajoute :

Des flûtes, des clairons, la voix se fait entendre;

ou bien encore :

Tous les dieux à la fois ont suivi Jupiter;

Tous est là pour un grand nombre, par une locution métaphorique. Et dans ce vers sur la grande Ourse :

Des flots de l'Océan la seule étoile exempte;

La seule est encore métaphorique. Ce qui est le plus connu est le seul. On peut justifier le poète par l'accent, comme Hippias de Thasos défendait ces mots : Sidopev de où, nous lui donnons, et cet autre passage:

Le bois incorruptible affronte les orages;

ou par la distinction, comme ces vers d'Empédocle :

Ce qu'on crut immortel naquit pour cesser d'être;

Qui fut long-tems pur s'altéra.

OEuvres posthumes. II.

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