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73. La troisième, que notre esprit se fatigue quand il se rend attentif à toutes les choses dont nous jugeons.

De plus, comme notre ame ne saurait s'arrêter à considérer long-temps une même chose avec attention sans se peiner et même sans se fatiguer, et qu'elle ne s'applique à rien avec tant de peine qu'aux choses purement intelligibles, qui ne sont présentes ni aux sens ni à l'imagination, soit que naturellement elle ait été faite ainsi à cause qu'elle est unie au corps, ou que pendant les premières années de notre vie nous nous soyons si fort accoutumés à sentir et à imagiuer, que nous ayons acquis une facilité plus grande à penser de cette sorte, de là vient que beaucoup de personnes ne sauraient croire qu'il y ait de substance si elle n'est imaginable et corporelle, et même sen sible; car on ne prend pas garde ordinairement qu'il n'y a que les choses qui consistent en étendue, en inou. vement et en figure, qui soient imaginables, et qu'il y en a quantité d'autres que celles-là qui sont intelligibles de là vient aussi que la plupart du monde se persuade qu'il n'y a rien qui puisse subsister sans corps, et même qu'il n'y a point de corps qui ne soit sensible 2. Et d'autant que ce ne sont point nos sens qui nous font découvrir la nature de quoi que ce soit, mais seulement notre raison lorsqu'elle y intervient, on ne doit pas trouver étrange que la plupart des hommes n'aperçoivent les choses que fort confusément, vu qu'il n'y en a que très peu qui s'étudient à la bien conduire.

74. La quatrième, que nous attachons nos pensées à des paroles qui ne les expriment pas exactement.

Au reste, parce que nous attachons nos conceptions à certaines paroles afin de les exprimer de bouche, et que

1 Voyez seconde Méditation, nos 8-13.

2 Voyez lettres XXV-XXVIII,

nous nous souvenons plutôt des paroles que des choses, à peine saurions-nous concevoir aucune chose si distinctement que nous séparions entièrement ce que nous concevons d'avec les paroles qui avaient été choisies pour l'exprimer. Ainsi la plupart des hommes donnent leur attention aux paroles plutôt qu'aux choses; ce qui est cause qu'ils donnent bien souvent leur consentement à des termes qu'ils n'entendent point, et qu'ils ne se soucient pas beaucoup d'entendre, soit parce qu'ils croient les avoir autrefois entendus, soit parce qu'il leur a semblé que ceux qui les leur ont enseignés en connaissaient la signification, et qu'ils l'ont apprise par même moyen. Et bien que ce ne soit pas ici le lieu de traiter de cette matière, à cause que je n'ai pas enseigné quelle est la nature du corps humain et que je n'ai pas même encore prouvé qu'il ait au monde aucun corps, y il me semble néanmoins que ce que j'en ai dit nous pourra servir à discerner celles de nos conceptions qui sont claires et distinctes d'avec celles où il y a de la confusion et qui nous sont inconnues.

75. Abrégé de tout ce qu'on doit observer pour bien philosopher.

C'est pourquoi si nous désirons vaquer sérieusement à l'étude de la philosophie et à la recherche de toutes les vérités que nous sommes capables de connaître, nous nous délivrerons en premier lieu de nos préjugés, et ferons état de rejeter toutes les opinions que nous avons autrefois reçues en notre créance, jusques à ce que nous les ayons derechef examinées; nous ferons ensuite une revue sur les notions qui sont en nous, et ne recevrons pour vraies que fcelles qui se présenteront clairement et distinctement à notre entendement. Par ce moyen nous connaîtrons premièrement que nous sommes, en tant que notre nature est de penser, et qu'il y a un Dieu duquel nous dépendons; et après avoir considéré ses attributs nous pourrons rechercher la vérité de toutes les autres choses,

parce qu'il en est la cause. Outre les notious que nous avons de Dieu et de notre pensée, nous trouverons aussi en nous la connaissance de beaucoup de propositions qui sont perpétuellement vraies, comme, par exemple, que le néant ne peut être l'auteur de quoi que ce soit, etc. Nous y trouverons aussi l'idée d'une nature corporelle ou étendue, qui peut être mue, divisée, etc., et des sentimens qui causent en nous certaines dispositions, comme la douleur, les couleurs, etc.; et, comparant ce que nous venons d'apprendre en examinant ces choses par ordre, avec ce que nous en pensions avant que de les avoir ainsi examinées, nous nous accoutumerons à former des conceptious claires et distinctes sur tout ce que nous sommes capables de connaître. C'est en ce peu de préceptes que je pense avoir compris tous les principes les plus généraux et les plus importans de la connaissance humaine."

76. Que nous devons préférer l'autorité divine à nos raisonnemens, et ne rien, croire de ce qui n'est pas révélé que nous ne le connaissions fort claire

ment.

que

Surtout, nous tiendrons pour règle infaillible que ce Dieu a révélé est incomparablement plus certain que tout le reste; afin que, si quelque étincelle de raison semblait nous suggérer quelque chose au contraire, nous, soyons toujours prêts à soumettre notre jugement à ce qui vient de sa part; mais, pour ce qui est des vérités dont la théologie ne se mêle point, il n'y aurait pas d'apparence qu'un homme qui veut être philosophe reçût pour vrai ce qu'il n'a point connu être tel, et qu'il aimât mieux se fier à ses sens, c'est-à-dire aux jugemens inconsidérés de son enfance, qu'à sa raison, lorsqu'il est en état de la bien conduire.

DESCARTES. T. I.

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1.

SECONDE PARTIE.

DES PRINCIPES DES CHOSES MATÉRIELLES.

1. Quelles raisons nous font savoir certainement qu'il y a des corps.

Bien que nous soyons suffisamment persuadés qu'il y a des corps qui sont véritablement dans le monde, néanmoins, comme nous en avons douté ci-devant, et que nous avons mis cela au nombre des jugemens que nous avons faits dès le commencement de notre vie, il est besoin que nous recherchions ici des raisons qui nous en fassent avoir une science certaine. Premièrement, nous expérimentons en nous-mêmes que tout ce que nous sentons vient de quelque autre chose que de notre pensée; car il n'est pas en notre pouvoir de faire que nous ayons un sentiment plutôt qu'un autre, mais cela dépend entièrement de cette chose, selon qu'elle touche nos sens. Il est vrai que nous pourrions nous enquérir si Dieu, ou quelque autre que lui ne serait point cette chose: mais, à cause que nous sentons, ou plutôt que nos sens nous excitent souvent à apercevoir clairement et distinctement une matière étendue en longueur, largeur et profondeur dont les parties ont des figures et des mouvemens divers, d'où procèdent les sentimens que nous avons des couleurs, des odeurs, de la douleur, etc., si Dieu présentait à notre ame immédiatement par lui-même l'idée de cette matière étendue ou seulement s'il permettait qu'elle fût causée en nous par quelque chose qui n'eût point d'extension, de figure, ni de mouvement, nous ne pourrions trouver aucune raison qui nous empêchât de croire qu'il prend plaisir à nous tromper; car nous concevons cette matière comme une chose différente de Dieu et de notre pensée, et il nous

semble que l'idée que nous en avons se forme en nous à l'occasion des corps de dehors, auxquels elle est entièrement semblable. Or, puisque Dieu ne nous trompe point, parce que cela répugne à sa nature, comme il a été déjà remarqué, nous devons conclure qu'il y a une certaine substance étendue en longueur, largeur et profondeur, qui existe à présent dans le monde, avec toutes les propriétés que nous connaissons manifestement lui appartenir. Et cette substance étendue est ce qu'on nomme proprement le où la substance des choses matérielles.

corps,

2. Comment nous savons aussi que notre ame est jointe à un corps.

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Nous devons conclure aussi qu'un certain corps est plus étroitement uni à notre ame que tous les autres qui sont au monde, parce que nous apercevons clairement que la douleur et plusieurs autres sentimens nous arrivent sans que nous les ayons prévus, et que notre ame, par une connaissance qui lui est naturelle, juge que ces sentimens ne procèdent point d'elle seule, en tant qu'elle est une chose qui pense, mais en tant qu'elle est unie à une chose étendue qui se meut par la disposition de ses organes, qu'on nomme proprement le corps d'un homme. Mais ce n'est pas ici l'endroit où je prétends traiter particulièrement de ces choses'.

3. Que nos sens ne nous enseignent pas la nature des choses, mais seulement cé en quoi elles nous sont utiles où nuisibles.

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Il suffira que nous remarquions seulement que tout ce que nous apercevons par l'entremise de nos sens se rapporte à l'étroite union qu'a l'ame avec le corps, et que nous connaissons ordinairement par leur moyen ce en quoi les corps de dehors nous peuvent profiter ou nuire, mais non pas quelle est leur nature, și ce n'est peut-être rarement et par hasard. Car, après cette réflexion, nous ↑ Voyez sixième Méditation, no 8, 9.

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