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saire ne sont à ses yeux que des injures, des calomnies, des bévues et des aboiemens 2.

Descartes avait cherché la solitude, le repos et l'oubli en Hollande; nous avons vu que, jusqu'à présent, il n'a pas trop bien réussi. Il s'est engagé dans des luttes violentes, s'est vu sur le point d'être condamné à faire publiquement amende honorable, et personne ne s'est montré plus irritable à la critique et plus sensible à la louange, en un mot plus amoureux de la gloire que le philosophe qui avait pris pour devise Bene qui latuit, bene vixit. Il habitait cependant, au commencement de 1642, une délicieuse retraite, où l'obscurité eût été bien douce, s'il l'eût véritablement aimée. Voici la description que nous fait Sorbière de l'habitation de Descartes à cette époque : « Je courus, dit-il, à Endelgeest (Eyndegeest), à une demi-lieue de Leyde, du côté de Warmont, dès que je fus en Hollande au commencement de l'an 1642. J'y visitai M. Descartes dans sa solitude avec beaucoup de plaisir, et je tâchai de profiter de sa conversation pour l'intelligence de sa doctrine..... Je remarquai avec beaucoup de joie la civilité de ce gentilhomme, sa retraite, et son économie. Il était dans un petit château en très belle situation, aux portes d'une grande et belle université, à trois lieues de la cour et à deux petites heures de la mer. Il avait un nombre suffisant de domestiques, toutes personnes choisies et bien faites; un assez beau jardin au bout duquel était un verger, et tout alentour des prairies d'où l'on voyait sortir quantité de clochers plus ou moins élevés, jusqu'à ce qu'au bord de l'horizon il n'en paraissait plus que quelques pointes. Il allait à une journée de là, par le canal, à Utrecht, à Delft, à Rotterdam, à Dordrecht, à Harlem, et quelquefois à Amsterdam: il pouvait aller passer la moitié du jour à La Haye, revenir au logis le même jour, et faire cette promenade par le plus beau chemin du monde, par des prairies et des maisons de plaisance, puis dans grand un bois qui touche ce village comparable aux plus belles villes de l'Europe, et superbe en ce temps-là par la demeure et l'établissement de trois cours. Celle du

1 Réponses aux septièmes Objections, no 55.

Ibid., dernier alinéa,

prince d'Orange, qui était toute militaire, y attirait deux mille gentilshommes en équipage guerrier; le collet de buffle, l'écharpe orangée, la grosse botte et le cimeterre en étaient les principaux ornemens. Celle des États-Généraux était composée des députés des Provinces-Unies, et des bourgmestres, qui soutenaient la dignité de l'aristocratie en habits de velours noir, avec la large fraise et la barbe carrée. La cour de la reine de Bohême, veuve du roi Frédéric V, élec teur palatin, semblait être celle des Graces, ayant quatre filles près desquelles se rendait tout les jours le beau monde de La Haye, pour rendre hommage à l'esprit, à la vertu, à la beauté de ces princesses, dont l'aînée prenait plaisir à entendre discourir M. Descartes.

« Je louai merveilleusement le choix que M. Descartes avait fait d'une demeure si commode, et l'ordre qu'il avait mis à son divertissement aussi bien qu'à sa tranquillité, et de là je passai à l'observation de ses études et de ses autres occupations. Je considérai plus particulièrement l'adresse de ce philosophe en ce qui regardait sa méthode et le dessein qu'il avait d'établir ses raisonnemens dans les académies... Je voulus entrer avec lui dans quelques détails de ses opinions; mais il me renvoya à ses écrits, qu'il disait avoir composés le plus clairement qu'il lui avait été possible. Et j'ai admiré, depuis ce temps-là, qu'il n'ait pas voulu expliquer ses pensées de divers biais, et de la même manière que quelques-uns de ses disciples les donnent à entendre. Il demandait à ses disciples, aussi bien qu'Aristote, la docilité et la patience nécessaire pour rebattre une doctrine dans l'esprit, jusqu'à ce qu'on l'eût fortement imprimée dans sa méinoire. Aussi je ne m'étonne pas que ceux qui lui ont obéi aient tellement formé leur esprit à sa philosophie, qu'il semble qu'ils l'ont plus à cœur qu'il ne l'avait lui-même. »

Cest ici le lieu, à ce qu'il nous semble, de donner toutes les particularités qui concernent la personne de Descartes et sa manière de vivre. Il était d'une taille au-dessous de la moyenne, et fut appelé par un de ses adversaires : homuncio. Sa tête était fort grosse, son front large et avancé, ses cheveux noirs et rabattus jusqu'aux sourcils; à quarante

trois ans il les remplaça par une perruque, modelée sur la forme de ses cheveux, et, regardant cette substitution comme favorable à la santé, il pressa son ami Picot de suivre cet exemple. Ses yeux étaient très écartés; son nez saillant et large, mais allongé; sa bouche grande, sa lèvre inférieure dépassait un peu celle de dessus ; la coupe du visage était assez ovale; son teint avait été pâle dans l'enfance, un peu cramoisi dans la jeunesse, et devint olivàtre dans l'âge mur; il avait à la joue une petite bulbe qui s'écorchait de temps en temps et renaissait toujours. Sa figure exprimait la méditation et la sévérité; sa voix était faible à cause d'une légère altération de poumon qu'il avait apportée en naissant: nous avons dit qu'il fut, pendant son enfance, tourmenté d'une toux sèche qu'il avait héritée de sa mère. Depuis l'âge de dix-neuf ans il prit le gouvernement de sa santé et se passa du secours des médecins : son hygiène était de mener un train de vie uniforme, d'éviter tout changement brusque; sa médecine: la diète, un exercice modéré et la confiance dans les forces de la nature.

Ses vêtemens annonçaient des soins mais non du faste; il ne courait pas après les modes mais il ne les bravait pas non plus: le noir était la couleur qu'il préférait; en voyage il portait une casaque de gris brun. Les revenus dont il eut la jouissance après la mort de son père et celle de son oncle maternel, paraissent s'être élevés à six ou sept mille livres. Dans les dix dernières années de sa vie, il faut y ajouter la pension de 3,000 livres qui lui fut payée par la France. Il n'était ni avare ni cupide, mais cependant il savait défendre ses intérêts; et à propos des affaires de la succession de son oncle, il écrivait: «... Je n'ai donné aucune charge à mon frère d'agir pour moi dans mes affaires; et que s'il s'ingère de faire quelque chose en mon nom, ou comme se faisant fort de moi, il en sera désavoué. Lorsqu'il se plaint que cela se fait à son préjudice, il témoigne avoir encore envie de se faire mon procureur malgré moi, comme il a fait aux partages de la succession de mon père, pour me ravir mou bien sous ce prétexte, et sur l'assurance qu'il a que j'aime mieux perdre que de plaider. Ainsi sa plainte est semblable à celle d'un loup

DESCARTES. T. I.

d

qui se plaindrait que la brebis lui fait tort de s'enfuir lorsqu'elle a peur qu'il ne la mange... »

Il était sobre, et, par un singulier effet de son tempérament, la tristesse et la crainte augmentaient son appétit : il en avait fait une loi générale dans le manuscrit de son Traité des passions; mais il corrigea cette erreur sur la réclamation de la princesse Élisabeth. Vers la fin de sa vie, il diminua la quantité des alimens qu'il prenait le soir et dont il était gêné pendant la nuit. Il buvait très peu de vin, s'en abstenait souvent des mois entiers, évitait les viandes trop nourrissantes, et préférait les fruits et les racines, qu'il croyait plus favorables à la vie de l'homme que la chair des animaux. Picot prétendait que, par ce régime, Descartes espérait faire vivre les hommes quatre ou cinq siècles, et que le philosophe aurait fourni cette longue carrière sans la cause violente qui vint troubler son tempérament et borner sa vie à un demisiècle; mais Descartes était fort éloigné de ces prétentions, car, dans une lettre à Chanut du 15 juin 1646, il écrivit qu'au lieu de chercher les moyens de prolonger la vie il avait trouvé une recette bien plus facile et bien plus sûre : c'était craindre la mort.

de ne pas

Il dormait dix ou douze heures. Nous avons dit ailleurs qu'il travaillait au lit le matin. Il dînait à midi, et donnait quelques heures à la conversation, à la culture de son jar din, et à des promenades qu'il faisait le plus souvent à cheval. Il reprenait son travail à quatre heures et le poussait jusque fort avant dans la soirée. Dans les deux ou trois dernières années de sa vie, il se dégoûta de la plume.

Il était doux et affable pour ses domestiques, et paya jusqu'à sa mort une pension à sa nourrice. Quant aux secrétaires ou copistes qu'il employa successivement pour l'aider dans ses recherches et ses expériences, il les traitait comme ses égaux et s'occupait de leur avancement; la plupart devinrent gens de mérite, et ont fini par acquérir une honorable position. Nous avons parlé de Villebressieux : ce jeune médecin de Grenoble travailla plusieurs années avec Descartes, et s'est rendu depuis très célèbre par ses inventions en méca

nique. Un autre, nommé Gérard Gutschoven, fut nommé à une chaire de mathématiques dans l'universite de Louvain. Gillot, le troisième, enseigna la mécanique, les fortifications et la navigation aux officiers de l'armée du prince d'Orange; et lorsque Descartes partit pour la Suède, l'abbé Picot lui céda un Allemand, nommé Schluter, qui avait été pendant quelque temps au collége, savait, indépendamment de sa langue maternelle, le latin et le français, et devint plus

tard auditeur en Suède.

Henri Leroy allait le voir souvent dans la retraite d'Eyndegeest, et y menait avec lui sa femme et sa fille ; il y arrivait la commodité des canaux, par ou par celle du carrosse de Descartes, que celui-ci mettait volontiers au service de ses amis. L'abbé Picot y vint faire aussi un long séjour, et contracta avec Henri Leroy une amitié qu'avait préparée leur conformité de doctrine.

C'est à cette époque, comme on l'a vu dans la lettre de Sorbière, qu'il fut présenté à la princesse Élisabeth, fille aînée de Frédéric V, électeur palatin, roi de Bohême. Cette princesse, âgée alors de vingt-cinq ans, avait entendu parler de notre philosophe par M. de Zuitlichem, secrétaire du prince d'Orange, et avait désiré le voir. Elle s'était occupée de philosophie et de mathématiques, et elle savait six langues qu'elle avait apprises, comme ses sœurs, de la reine sa mère. Descartes dit qu'elle fut la seule personne qui comprît également bien la partie géométrique et la partie métaphysique de sa Philosophie. Elle refusa la main d'Uladislas IV, roi de Pologne, veuf d'une princesse d'Autriche. Son motif, suivant Baillet, était le desir de se consacrer exclusivement à la philosophie, mais on ne voit pas trop comment la femme d'un roi aurait eu moins de facilité pour cette étude que la fille d'une reine; et quand on apprend qu'elle fut soupçonnée d'avoir fait assassiner, par jalousie, d'Épinay, gentilhomme français, et que sa mère l'exila de Hollande, avec son frère Philippe accusé d'avoir aussi pris part à ce crime, il est permis de supposer que la philosophie ne fut pas la cause unique du refus qu'elle opposa à la demande du roi de Pologne. La princesse bannie se retira à Grossen, auprès de

d.

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