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PRÉFACE DE M. SÉLIS.

Cette préface est divisée en deux parties. La première contient des détails sur la vie de Perse: nous tâchons, dans la seconde, de caractériser la manière de ce poëte, ce qui nous conduit naturellement à discuter les reproches que la critique lui a faits.

PREMIÈRE PARTIE.

Aulus Persius Flaccus (1) naquit à Volterre (2), ville de Toscane, l'an 34 de Jésus-Christ (3), sous l'empire de Tibère. Il était chevalier romain, et allié à des personnes du premier rang. Il perdit de bonne heure son père: sa mère se remaria, puis redevint veuve quelques années après. A l'âge de douze ans, il quitta Volterre, où il avait appris les premiers éléments des lettres, pour aller continuer ses études à Rome, sous des maîtres habiles. Il avait pris la robe virile, c'est-à-dire qu'il avait atteint sa seizième année, lorsqu'il s'attacha à Cornutus, célèbre stoïcien de ce temps-là, qui enseignait les principes de sa secte à la jeune noblesse. Le maître et le disciple conçurent la plus tendre affection l'un pour l'autre. Rien de plus touchant que le tableau de leur bonheur mutuel, tel

que Perse l'a tracé (4): ils vivaient sous le même toit; ils méditaient aux mêmes heures; ils lisaient ensemble; le soir ils se retrouvaient encore à une table frugale, d'où la gaieté n'était point bannie. Plus d'une fois la nuit avancée les surprit au milieu d'une conversation savante, qu'il fallait interrompre pour prendre quelques heures de repos. Instruit par un ami, Perse fit des progrès rapides. Il a immortalisé son précepteur pour prix de ses soins : et, non content de ce tribut d'éloges, que sa reconnaissance et sa modestie concouraient à lui faire regarder comme insuffisant, il légua à Cornutus, qui lui survécut, cent mille sesterces, soixante-quinze mille francs de notre monnaie, avec sa bibliothèque. Le philosophe accepta les livres.

Perse et Lucain furent condisciples. Ils s'aimèrent dès le commencement, et ne cessèrent point de s'aimer par la suite, quoique poëtes l'un et l'autre. On dit même que lorsque notre satirique récitait de ses vers, l'auteur de la Pharsale, transporté d'admiration, avait peine à retenir ses applaudissements. Perse se lia aussi avec Sénèque, mais plus tard, et jamais il ne goûta son esprit. La conformité de leurs opinions philosophiques ne s'étendait pas jusqu'aux règles du goût. On verra combien Perse fut plus fidèle que Sénèque au style mâle et sévère du Portique. Les vrais stoïciens se montraient aussi ennemis de l'affectation dans leur diction que dans leurs manières, C'étaient les quakers de l'antiquité.

Perse eut encore pour amis Cæsius Bassus, poëte lyrique, à qui il adressa une de ses satires; et Pætus Thraseas, le même qui joua un si grand rôle dans le sénat, sous Néron, et que Tacite appelle le modèle de l'honneur. Notre poëte fut toujours exact à remplir les devoirs de l'amitié ceux de la nature lui furent sacrés.

:

Aux graces de la figure, Perse joignait la plus douce aménité de mœurs; et, ce qui pouvait passer pour un

prodige dans son siècle, il était chaste. La modestie était peinte dans tous ses traits. Son visage, nous dit-on, se couvrait souvent d'une aimable rougeur. Il paraît qu'on aurait pu lui donner, à plus juste titre qu'à Virgile, le surnom de vierge.

. Il mourut d'une maladie d'estomac à l'âge de vingthuit ans, la huitième année du règne de Néron.

Ce fut la lecture de Lucilius qui lui inspira, dès le temps qu'il était chez Cornutus, le plus vif desir de se signaler dans le genre satirique. Il a imité, au commencement de sa première satire, le poëte qu'il admirait. A peine ses six satires furent-elles achevées, qu'il se hâta de les montrer à Cornutus. Celui-ci y trouva sans doute de grandes beautés; mais il y trouva aussi des hardiesses qui le firent trembler pour son jeune élève. Il lui conseilla donc de corriger, entre autres, le vers Auriculas asini Mida rex habet, de crainte que Néron ne se l'appliquât. Le poëte substitua quis non à Mida rex.

Les Satires de Perse ne parurent qu'après sa mort. Cæsius Bassus consentit à en être l'éditeur, sur le refus constant de Cornutus. Elles enlevèrent tous les suffrages dès qu'elles virent le jour, et se répandirent promptement. Le sage, Quintilien et le caustique Martial ont loué Perse (5).

Il avait laissé d'autres fruits de ses veilles, mais en petit nombre, parcequ'il écrivait peu et lentement. Cornutus, chargé de revoir ces productions, les jugea toutes indignes de son ami; surtout une pièce sur (d'autres disent contre) Arrie, cette femme célèbre qui se poignarda pour donner à son mari, condamné à mort par Néron, l'exemple d'une mort courageuse. Cornutus sut persuader à la mère de Perse de supprimer tous ces ouvrages.

SECONDE PARTIE.

Il n'est pas aisé d'assigner au juste le degré d'estime que Perse mérite. Ses partisans l'ont mis au-dessus d'Horace et de Juvénal. Ses détracteurs ont prononcé qu'il n'était pas digne d'être lu : on a outré à son égard l'admiration et le mépris. Il s'en faut bien qu'il puisse soutenir la comparaison avec Horace, avec ce poëte également enjoué et profond, qui joint la naïveté à la finesse, la force au sentiment, la philosophie à la grace; avec. ce satirique philanthrope, qui peint tous les travers, déplore nos fai-. blesses, accuse les siennes, et a toujours je ne sais quoi de consolant. Juvénal est supérieur à Perse. L'indignation a fait tous ses vers qu on juge de leur énergie. Malheur aux scélérats qui échappent à la loi! il les dénonce; il en fait justice lui-même. Voyez-le montrant au doigt Crispinus, ce monstre plus hideux, dit-il, que le vice même. Observez son rire sardonique, lorsqu'il fait la liste des turpitudes cachées de Névole. Suivez-le, si vous osez, dans la maison infame où Messaline va prendre, à la faveur des ténèbres, la place d'une courtisane grecque. Écoutez-le ridiculisant à son tour le tyran moqueur qui délibère avec le sénat sur l'apprêt d'un turbot. Voilà sans doute quelques uns des endroits qui ont fait dire à Boileau, dont le zèle s'est borné à critiquer des abus littéraires, que Juvénal a poussé l'hyperbole jusqu'à l'excès. Il pouvait lui reprocher avec plus de justice des tableaux trop uniformes, et une teinte de misanthropie qui rend son intention suspecte. On voudrait, quand il a châtié le crime, qu'il déposàt un moment son fouet terrible, et sourît à la vertu ; qu'il eût quelquefois un vers pour célébrer les charmes de l'innocence. Peut-être encore paraît-il

trop instruit des raffinements du libertinage. Mais quoi, l'histoire elle-même a peine à conserver sa sagesse, lorsqu'elle parle des règnes de Tibère et de Domitien!

Ce qui distingue Perse, c'est une morale saine, une logique pressante, un style tantôt grave, tantôt animé. Le goût a dicté cette première satire, où il peint la décadence de la poésie et de l'éloquence romaine. Ce mouvement si vif, et dont la fin est si touchante, Anne magis Siculi, etc., réunit tous les caractères du sublime, et s'imprime d'abord dans la mémoire. On ne peut s'empêcher de s'unir à la prière qui suit contre les tyrans, et de leur souhaiter au moins avec Perse le tourment des remords. Que le stoïcisme est respectable dans le morceau de la troisième satire, sur les devoirs de l'homme ! Boileau n'a pu, malgré tout son art, embellir l'endroit de la cinquième satire, où l'avarice exhorte un négociant à s'embarquer: Il n'y a point de satire de Perse qui n'offre ou des peintures pleines de force, ou des maximes pleines de vérité. Enfin, on sent qu'il aime la vertu de bonne foi, et l'on ne peut le quitter sans l'aimer luimême.

Nous avons insisté sur quelques beautés de Perse; nous avouerons tous ses défauts. Il a trop prodigué les images extraordinaires, les figures énergiques. Il ressemble aux jeunes peintres, qui prononcent tous les objets, et cherchent à étonner, au moins par l'éclat des couleurs. Il ne badine pas non plus avec grace, quoiqu'il se donne pour plaisant. Naturellement sérieux, il n'avait pu que devenir triste à l'école de Zénon; aussi sa bonne humeur paraît-elle pénible, et conserve-t-elle un air de chagrin. Quant à ses imitations d'Horace, elles sont en assez grand nombre; mais il n'a emprunté à ce poëte que des mots indifférents; il ne s'est pas paré de ses plumes brillantes.

Son obscurité est ce qui a le plus choqué, dans tous

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