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ÉPITRE X [a]).

A MES VERS.

J'ai beau vous arrêter, ma remontrance est vaine [b]; Allez, partez, mes Vers, dernier fruit de ma veine.

[a] L'auteur avoit, suivant Brossette, une grande prédilection pour cette pièce, qu'il appeloit ordinairement ses inclinations. Elle fut composée au commencement de 1695. L'idée générale en est empruntée d'Horace, liv. Ier, épitre XX; mais les deux épîtres ne se ressemblent par aucun détail. Dans celle de Despréaux, les rimes sont très exactes, le style est fort élégant, et les bienséances avouent les éloges qu'il s'y donne. « Pour moi, écrivoit-il à l'abbé de Maucroix, « je ne sais si j'y ai réussi; mais quand je fais des vers, je songe tou« jours à dire ce qui ne s'est point encore dit en notre langue. C'est « ce que j'ai principalement affecté dans une nouvelle épître ( la Xo), « que j'ai faite à propos de toutes les critiques qu'on a imprimées « contre ma dernière satire (la X également). » Voyez dans le tome IV la lettre du 29 avril 1695, page 274.

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[b] Vertumnum Janumque, liber, spectare videris;
Scilicet ut prostes Sosiorum pumice mundus.
Odisti claves, et grata sigilla pudico;
Paucis ostendi gemis, et communia laudas;
Non ita nutritus. Fuge quò discedere gestis.
Non erit emisso reditus tibi. Quid miser cgi?
Quid volui? Dices, ubi quis te læserit; et scis
In breve te cogi, plenus quum languet amator.

(Horace, liv. I, ép. XX, vers 1—8. )
Pour briller, grace aux soins d'un relieur fameux,
O mon livre, je vois que tu tournes les yeux
Vers ce bruyant quartier qu'habite mon libraire.

C'est trop languir chez moi dans un obscur séjour :
La prison vous déplaît, vous cherchez le grand jour;
Et déja chez Barbin (1), ambitieux libelles,
Vous brûlez d'étaler vos feuilles criminelles.
Vains et foibles enfants dans ma vieillesse nés,
Vous croyez sur les pas de vos heureux aînés
Voir bientôt vos bons mots, passant du peuple aux princes,
Charmer également la ville et les provinces;

Et, par le prompt effet d'un sel réjouissant,
Devenir quelquefois proverbes en naissant [a].

Les modestes enfants ne quittent pas leur père;
Mais toi, sous des verrous tu crains d'être enfermé;
Tu fuis l'obscurité, tu cherches la lumière;

Ce n'étoit pas ainsi que je t'avois formé.

Eh bien done! j'y consens, va, suis ton vain délire;
Plus d'espoir de retour. Si quelqu'un te déchire,
Tu diras, mais trop tard : « Qu'ai-je fait, malheureux? »
Tu sais bien que moi-même, ennuyé de te lire,
Je t'ai plus d'une fois serré loin de mes yeux.
(M. Daru.)

(1) Libraire du Palais. ( Despréaux, édit. de 1713.)

[a] Voltaire distingue dans les vers de Despréaux « ce qui est dé

« venu proverbe d'avec ce qui mérite de devenir maxime. Les maxi

« mes, dit il, sont nobles, sages, et utiles; elles sont faites

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pour les

hommes d'esprit et de goût, pour la bonne compagnie. Les pro

« verbes ne sont que pour le vulgaire, et l'on sait que le vulgaire est

* de tous les états. »

Pour paroître honnête homme, en un mot il faut l'être.

On me verra dormir au branle de sa roue [a].

Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.

[a] La roue de la fortune.

Mais perdez cette erreur dont l'appas [a] vous amorce.

Le temps n'est plus, mes Vers, où ma muse en sa force, Du Parnasse françois formant les nourrissons,

De si riches couleurs habilloit ses leçons;

Quand mon esprit, poussé d'un courroux légitime,
Vint devant la raison plaider contre la rime;
A tout le genre humain sut faire le procès,
Et s'attaqua soi-même avec tant de succès.

L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas.

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.

« Voilà ce qu'on doit appeler des maximes dignes des honnêtes gens. pour des vers tels que ceux-ci :

« Mais

J'appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.
S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine.
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir.
Aimez-vous la muscade? on en a mis par-tout.
La raison dit Virgile, et la rime Quinault.

« ce sont là plutôt des proverbes du peuple que des vers dignes d'être « retenus par les connoisseurs.» (Écrivains françois du siècle de Louis XIV, article Nicolas Boileau Despréaux.)

Ce dernier jugement est, ce me semble, bien rigoureux. Despréaux a sans doute des vers d'un ton fort différent. Comme poëte, il a su plaire aux diverses classes de lecteurs, sans toutefois être trivial; ce qui n'est pas un mérite commun. Des vers qui deviennent proverbes en naissant ne reçoivent-ils pas un bel éloge? S'ils n'étoient pas excellents, seroient-ils marqués du sceau de l'approbation générale? Ceux de Despréaux qui ont obtenu cette distinction la doivent à leur tournure naturelle et piquante; et le suffrage de la bonne compagnie se joint à celui de tous les hommes éclairés pour en consacrer la durée.

[a] Ce mot est écrit de cette manière dans toutes les éditions avouées par Despréaux, et dans la plupart des éditions postérieures. Voyez l'épitre VI, page 67, note 1.

Alors il n'étoit point de lecteur si sauvage
Qui ne se déridât en lisant mon ouvrage,
Et qui, pour s'égayer, souvent dans ses discours,
D'un mot pris en mes vers n'empruntât le secours [a].
Mais aujourd'hui qu'enfin la vieillesse venue,
Sous mes faux cheveux blonds déja toute chenue(1),
A jeté sur ma tête, avec ses doigts pesants,
Onze lustres complets, surchargés de trois ans [b],
Cessez de présumer dans vos folles pensées,
Mes Vers, de voir en foule à vos rimes glacées
Courir, l'argent en main, les lecteurs empressés.
Nos beaux jours sont finis, nos honneurs sont passés;
Dans peu vous allez voir vos froides rêveries
Du public [c] exciter les justes moqueries;
Et leur auteur, jadis à Regnier préféré,

[a] L'auteur caractérise ses anciens succès par des vers dignes de son meilleur temps. Il met dans cet aveu la franchise d'un homme supérieur à la fausse modestie, et qui ne sait pas plus dissimuler l'opinion qu'il a de lui-même, que celle qu'il a des autres. On voit qu'il passe en revue l'Art Poétique, la II, la VIII et la IX satires. (1) L'auteur avoit pris la perruque. (Despréaux, édit. de 1713.) [b] Despréaux nous apprend que cette périphrase est l'endroit de sa pièce sur lequel ses amis le félicitoient le plus; et lui-même il s'applaudissoit d'avoir, dans un style aussi poétique, exprimé qu'il avoit cinquante-huit ans. Voyez sa lettre à Maucroix, du 29 avril 1695, tome IV, page 275. Saint-Marc, loin de partager son opinion, critique sur-tout l'hémistiche: « avec ses doigts pesants.» (Essais philologiques, tome V, page 486.)

[] Ce vers se lit ainsi dans toutes les éditions, même dans celle de 1713. Brossette y fait un changement que l'auteur, dit-il, avoit approuvé. Le voici :

Exciter du public les justes moqueries.

A Pinchêne, à Linière, à Perrin comparé(1).
Vous aurez beau crier: « O vieillesse ennemie (2)!
« N'a-t-il donc tant vécu que pour cette infamie »?
Vous n'entendrez par-tout qu'injurieux brocards
Et sur vous et sur lui fondre de toutes parts.

Que veut-il? dira-t-on; quelle fougue indiscrète
Ramene sur les rangs encor ce vain athlete?
Quels pitoyables vers! quel style languissant!

(1) Dans la première composition il y avoit :

A Sanlecque, à Regnard, à Bellocq comparé.

Ces trois poëtes ont composé des satires, et ils avoient écrit contre la satire X de notre auteur; mais il ne voulut pas faire imprimer leurs noms, et il mit ces trois autres poëtes qui n'étoient plus vivants. Regnard s'étoit réconcilié avec lui, et Bellocq lui avoit fait faire des excuses. (Brossette.) Voyez sur Sanlecque le tome Io, page 40, note a.

Pierre Bellocq, né à Paris en 1645, mort en 1704, auteur d'un poëme sur l'Hôtel des Invalides, d'une satire intitulée les PetitsMaîtres, d'une Lettre de madame de N...... à madame la marquise de....., sur la satire de M. D*** contre les femmes.

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« Ce fut moi, dit Monchesnay, qui raccommodai Regnard, poëte comique, avec M. Despréaux. Ils étoient près d'écrire l'un contre « l'autre, et Regnard étoit l'agresseur. Je lui fis entendre qu'il ne lui «< convenoit pas de se jouer à son maître; et depuis sa réconciliation, il lui dédia ses Ménechmes. M. Despréaux disoit de Regnard qu'il n'étoit pas médiocrement plaisant. » ( Bolæana, n. LXIV.) Jean-François Regnard avoit fait la Satire contre les maris, pour l'opposer à la Satire contre les femmes, et n'avoit pas ménagé Despréaux. Celui-ci s'en étant plaint amèrement, il fit une autre satire intitulée Le tombeau de M. Boileau Despréaux, plus violente que la première. Il mourut vers 1709, à l'âge de cinquante-trois ans. Voy. la satire X, tome I, page 268, note 3.

(2) Vers du Cid. ( Despr., édit. de 1701.)* Acte Io, scène VII.

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