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ÉPITRE I [a].

AU ROI.

Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire
Pour toi seul désormais j'avois fait vœu d'écrire.
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire: Arrête, insensé; que fais-tu [b]?
Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages [c]?
Cette mer où tu cours est célébre en naufrages.

Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char Je ne pusse attacher Alexandre et César;

[a] Après le traité d'Aix-la-Chapelle, conclu en 1668, la France jouissoit d'une paix que Colbert vouloit maintenir. Pour seconder les vues sages du ministre, Despréaux, en 1669, composa sa première épître, qui fut présentée au roi par madame de Thiange, sœur du maréchal de Vivonne et de madame de Montespan.

[b] Cùm canerem reges et prælia, Cynthius aurem

Vellit, et admonuit.

(Virgile, égl. VI, vers 3—4. )

[c] Il y avoit dans la première composition :

Où vas-tu t'embarquer? Regagne le rivage.

Cette mer où tu cours est célèbre en naufrage.

D'après le conseil de ses amis, Despréaux mit au pluriel les deux substantifs qui terminent ces vers, et c'est ainsi qu'ils se trouvent dans les éditions antérieures à celle de 1701. Cette correction ne satisfit pas Desmarets. « Il suffit, dit-il, à un vaisseau qui est en danger de gagner un port ou un rivage, sans en gagner plusieurs.

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Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide [a],

T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide,

Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil,
Proposer au sultan de te céder le Nil;

Il s'amuse ensuite aux dépens d'Apollon, qui veut faire regagner le rivage à quelqu'un qui n'est pas encore embarqué. Le poëte, qui étoit assez sage pour profiter des critiques de ses ennemis, refit le premier vers tel qu'on le lit dans les éditions de 1701 et de 1713:

Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?

[a] Ce n'est pas que ma main, comme une autre, à ton char,
Grand roi, ne pût lier Alexandre et César;

Ne pût, sans se peiner, dans quelque ode insipide, etc.
( Édit. ant. à celle de 1701.)

Le changement étoit nécessaire: il n'y avoit pas de justesse à dire de la main qu'elle peut exalter quelqu'un dans une ode.

Pierre Corneille fait dire à Melpomène, dans le prologue d'Andromède, en parlant de Louis XIV, qui avoit à peu près dix ans, lorsque cette pièce fut jouée en 1750:

Je lui montre Pompée, Alexandre, César,
Mais comme des héros attachés à son char;
Et tout ce haut éclat où je les fais paroître,

Lui peint plus qu'ils n'étoient, et moins qu'il ne doit être.

Treize ans après, le même Corneille remercie le roi de l'avoir compris dans le nombre des hommes de lettres à qui il avoit accordé des gratifications; il lui rappelle son ancienne prédiction dans les vers suivants :

Mon génie au théâtre a voulu m'attacher,

Il en a fait mon sort, je dois m'y retrancher.

Par-tout ailleurs je rampe, et ne suis plus moi-même ;
Mais là j'ai quelque nom, là quelquefois on m'aime;

Là ce même génie ose de temps en temps
Tracer de ton portrait quelques traits éclatants.

Par eux de l'Andromède il sut ouvrir la scène ;

On y vit le soleil instruire Melpomene,

Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différents,

Phébus même auroit peur s'il entroit sur les rangs,
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,
Il faut de mes dégoûts justifier l'audace ;

Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.
Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformoit tous?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous?
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban [a]?
De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées?

Et lui dire qu'un jour Alexandre et César
Sembleroient des vaincus attachés à ton char:
Ton front le promettoit, et tes premiers miracles
Ont rempli hautement la foi de mes oracles [a].

On croit, et c'est l'opinion de Voltaire, que le satirique a voulu faire allusion à la louange usée que Corneille adresse à Louis XIV. Brossette n'en dit rien, et Monchesnai s'exprime ainsi: «M. Des*préaux disoit assez volontiers dans la conversation: C'est un tel ou« vrage ou un tel auteur que j'ai eu en vue en faisant mes vers. Ge« pendant il ne nous a jamais dit qu'il eût eu dessein d'attaquer Cor« neille dans sa première épître.» (Bolæana, n. XCVI.)

[a] Dans son ode à la reine Marie de Médicis, sur sa bienvenue en

[a] Remerciement au roi, 1817, tome X, page 206.

Que répondrois-je alors? Honteux et rebuté,
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique :
Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,
Et d'aller, du récit de ta gloire immortelle,
Habiller chez Francœur (1) le sucre et la canelle.
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,

France, présentée à Aix, l'année 1600, Malherbe avoit dit:
O! combien lors aura de veuves

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Despréaux signale les imitateurs de Malherbe, qui répétoient les expressions de ce poëte jusqu'à la satiété.

(1) Fameux épicier. (Despréaux, édit. de 1674.) * Claude Julienne demeuroit dans la rue Saint-Honoré, et fournissoit la maison du roi. Le surnom de Franc-cœur fut donné à l'un de ses aïeux par Henri III. Cette particularité, ignorée de Despréaux, est l'une de celles qui lui faisoient dire à Brossette: « A l'air dont vous y allez, « vous saurez mieux votre Boileau que moi-même. »

Horace termine par une semblable plaisanterie une épître à Auguste. Marmontel n'en condamne pas moins l'heureux imitateur du favori de Mécène. « Si dans un ouvrage adressé à une personne illustre, dit-il, on doit ennoblir les petites choses, à plus forte raison n'y doit-on pas avilir les grandes; et c'est ce que fait à tout

"

J'imite de Conrart le silence prudent(1):

Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,

moment, dans les épîtres de Boileau, le mélange de Cotin avec « Louis-le-Grand, du sucre et de la canelle avec la gloire de ce monarque. Un mot plaisant est à sa place dans une épître familière; « dans une épître sérieuse et noble, il est du plus mauvais goût [a]. » Cette critique n'est pas juste. Les pièces de Despréaux comportent en général plusieurs tons; les plaisanteries qu'il s'y permet, loin de déplaire, y jettent de l'agrément, et ne sauroient être mieux exprimées. On pourroit seulement les trouver un peu répétées, quoique le tour n'en soit jamais uniforme.

Ronsard, dans une épître adressée à Jacques Grévin, avoit dit, en parlant des mauvais poëtes:

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Ils ne servent de rien qu'à donner des habits,

A la canelle, au sucre, au gingembre et au riz.

(1) Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. (Despréaux, édition de 1701.) * Chez lui commencèrent les assemblées qui ont donné naissance à l'académie françoise, dont il fut le premier secrétaire. Quoiqu'il ne sût pas le latin, les gens de lettres le consultoient comme un critique d'un goût sûr, et plusieurs lui dédièrent leurs ouvrages. On lit quelques vers de lui dans différents recueils; on a ses lettres à Félibien, et M. de Monmerqué se propose de publier ses mémoires. Né à Paris en 1603, il mourut en 1675. Dans les éditions antérieures à celle de 1683, le vers de Despréaux se trouve ainsi :

J'observe sur ton nom un silence prudent.

Ce dernier mot,

dit Brossette, est une louange équivoque, et fait

allusion à cette épigramme de Linière :

Conrart, comment as-tu pu faire
Pour acquérir tant de renom?
Toi qui n'as, pauvre secrétaire,

Jamais imprimé que ton nom.

[a] Éléments de littérature, au mot Épitre.

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