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sentiments que vous méritez si bien d'inspirer. Je ne vous réponds pas que ces sentiments ne soient que de l'amitié; mais c'est votre faute et non pas la mienne; quand on a commencé à vous aimer, on ne s'arrête pas. Si vous voulez ètre aimée autrement, arrangez-vous pour être différente de ce que vous êtes; n'ayez ni cet esprit, ni cette ame, ni cette manière de peindre et d'exprimer le sentiment; ne soyez pas vousmême. Mais, de grace, que je connaisse celle à qui j'ai le bonheur de parler. J'apprends que vous êtes jeune ; mais comment, si jeune encore, avez-vous pu vous former cet esprit et cet heureux talent d'écrire? J'attends votre réponse avec le plus vif intérêt, et j'espère que vous me la ferez attendre le moins possible. Peu s'en est fallu que votre lettre ne m'ait point été rendue. Depuis cinq ans j'ai changé d'état et de demeure. J'ai resté à Versailles auprès d'un ministre; heureusement je suis revenu libre à Paris, avec une charge de secrétaire-interprète du roi auprès des cantons Suisses; et je demeure rue du PetitLion, faubourg Saint-Germain. Vos lettres à cette adresse me seront remises sûrement. Que je serais heureux si elle vous intéressait assez pour que vous voulussiez vous en souvenir! Mais, quand vous pourriez l'oublier, je n'oublierai jamais la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire,

et je sens que je serai pour toute la vie, avec le plus tendre et le plus invincible attachement, même sans avoir le bonheur de vous connaître, Madame ou mademoiselle, votre très-humble, etc.

A LA MÈME.

31 mai 1766.

MADEMOISELLE, ADEMOISELLE, je ne vous parlerai pas de l'empressement avec lequel j'ai lu votre seconde lettre; vous vous en doutez bien: en apprenant à vous connaître, on apprend à vous estimer encore plus. Vous avez donc fait votre éducation vous-même! Ah! sans doute, c'est le cœur qui donne les premières leçons; et le vôtre a dù vous instruire de bonne heure: cette sensibilité précieuse que vous avez reçue de la nature, est le premier de tous les biens. C'est elle qui fait l'ame, l'imagination, l'esprit même. C'est elle seule qui nous transporte au milieu de tout ce qui n'est pas nous-mêmes. Chaque sentiment donne une idée, et chaque idée reproduit le sentiment. Avouez-le, mademoiselle, voilà ce qui vous est arrivé. C'est ce qui vous a donné, dans un âge si tendre, cette philosophie aimable que j'ai trouvée à chaque ligne. J'aime la peinture touchante que vous me faites de votre bonheur, au milieu d'un père, et d'une mère, dont

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vous devez sans doute être adorée; mademoiselle, ce sont là les vrais plaisirs de la nature. Je les goûte aussi au sein de ma famille j'ai une mère que j'aime tendrement; je vis avec des sœurs dont j'ai le bonheur d'être aimé. Mais, plus heureuse que moi, vous jouissez de la santé ! et moi, dans ma jeunesse, je suis déja privé d'un des plus grands charmes de la vie à trente ans je ne mène qu'une vie faible et languissante. Il y en a plus de dix que je vis à moitié de lait. J'aime la campagne, et j'y vais souvent pour ma santé. La solitude nourrit en moi une mélancolie douce qui me plaît, et dont les ames sensibles comme la vôtre connaissent sûrement tout le charme. C'est là que je compose la plus grande partie de mes ouvrages; c'est là, depuis que j'ai reçu vos deux lettres, que je m'occupe souvent de vous. Je ne m'étonne pas que vous aimiez les poètes; ils ont fait l'enchantement de ma vie. J'ai cultivé cet art avec passion, et, maintenant, ma grande et seule occupation est de travailler à un poème épique sur le czar Pierre premier, qui a civilisé sa nation. Il doit avoir douze chants et je n'en ai guère que le tiers de fait. Je ne sais si j'aurai le temps de l'achever; ma santé, qui quelquefois paraît vouloir se fortifier, m'en donne alors l'espérance : d'autres fois je n'espère plus, et je ne pense qu'à passer le

peu de temps qui me reste avec Dieu, la nature et moi-même. Mais vous, mademoiselle, vous qui êtes heureuse et qui méritez tant de l'être, jouissez de vos goûts, de vos plaisirs, et de votre bonheur. Dans l'âge où à peine l'on pense, vous avez déja su vous faire des principes; vous cultivez votre esprit par la lecture, votre ame vit par le sentiment. Que peut-il vous manquer? Il n'est que trop vrai qu'il faut resserrer le bonheur pour le rendre durable; mais seulement il ne faut point le mettre à la merci des indifférents. Il est si doux de l'étendre par la nature et l'amitié! Il n'y a que Dieu dont le bonheur puisse être tout-à-fait solitaire; et encore je ne le conçois pas trop. L'histoire de vos vers à Voltaire, m'a fait le plus grand plaisir. Vous ne savez pourquoi, dans la Rochelle, on arrêta ses soupçons sur vous; ah! je vous le dirais bien, moi; et j'ai, là-dessus, le secret de vos concitoyens. Croyez-moi, l'ame et l'esprit se trahissent, et il n'y a point de voile pour eux. Ne serait-ce pas abuser de votre confiance, mademoiselle, que de vous demander une copie de cette pièce, qui vous causa, pendant six mois, tous ces petits orages? Vous n'aurez ni à rougir ni à pâlir avec moi. Quand on est ami, doit-on se cacher quelque chose? Pardon : vous voyez que je m'empare de votre amitié; je vous l'ai

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