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Tu façonnes le bois, et tu pétris l'argile;
Par tes savantes mains, la toison des brebis,
Le lin, la soie et l'or sont tissus en habits.
La fange des métaux, sous tes doigts épurée,
Brille, aux besoins publics noblement consacrée ;
Et le marbre poli s'élève jusqu'aux cieux,
Pour les palais des rois, ou les temples des dieux.

Tu ne te bornes pas au bien de ta patrie.
Le monde entier jouit de ta noble industrie.
Par les nœuds du commerce, embrassant l'univers,
Tes mains forment un pont sur l'abyme des mers.

Si les princes armés se disputent la terre,
Tu fais, par ta valeur, les destins de la guerre.
Tes corps sont les remparts des États désolés;
C'est toi qui raffermis les trônes ébranlés.

Que je méprise un grand qui, fier de sa noblesse,
Dort inutile au monde, au sein de la mollesse ;
Un stupide Crassus, énervé de langueur,
Qui fatigue mes yeux d'un luxe sans pudeur!

Nous admirons l'éclat, vains juges que nous sommes !
Le véritable honneur est d'être utile aux hommes.
En vain les préjugés ont osé t'avilir,

Peuple, pour ton pays, tu sais vivre et mourir.

Il est, il est encore un plus rare avantage :
La tranquille innocence est ton heureux partage.
Les rois ont des États, les grands ont des honneurs,

Le riche a des trésors, et le peuple a des mœurs.
Ce siècle malheureux foule aux pieds la nature;
Les noms de fils, d'époux, seraient-ils une injure?
La dignité barbare, au coeur dur, à l'oeil fier,
En prononçant ces noms, croirait s'humilier!
C'est vous qui, de vos coeurs, leur prêtez la bassesse ,
Ingrats, et la nature a toujours sa noblesse.
Peuple, ces noms, pour toi, n'ont rien que de sacré ;
Et tu n'as point l'orgueil d'être dénaturé.

Fatigués de plaisirs, idolâtres d'eux-mêmes,
Les courtisans altiers, dans leurs grandeurs suprêmes,
D'un œil indifférent verront des malheureux.
Le pauvre est né sensible, il s'attendrit sur eux,
Il soulage leurs maux, il ressent leurs alarmes,
Il goûte le plaisir de répandre des larmes.

Il n'a point cette grace et ces dehors flatteurs,
Des marquis de nos jours avantages trompeurs ;
Et jamais son esprit, façonné par l'usage,
N'a d'un brillant vernis coloré son langage.
D'un masque séduisant il n'est pas revêtu:
Ce masque est la décence, et non pas la vertu.
L'élégance des mœurs annonce leur ruine.
Ces courtisans polis, que l'intérêt domine,
En plongeant un poignard, vantent l'humanité :
S'ils ont l'éclat du marbre, ils ont sa dureté.

Oh! que j'aime bien mieux la rustique droiture
Du laboureur conduit par la simple nature!

Sous des dehors grossiers, son cœur est généreux : C'est l'or enseveli sous un terrain fangeux.

Que des coupables mains, s'élevant jusqu'aux trônes,
Sur les têtes des rois ébranlent les couronnes;
Peuple, tu ne sais point, par de grands attentats,
Épouvanter la terre, et changer les États:

Ou, des complots fameux instrument et victime,
Si ta main quelquefois a secondé le crime,
C'est le souffle des grands qui pousse tes vaisseaux
Dans la nuit de l'orage, égarés par les eaux.
Les tigres, les lions, ardents à se détruire,
Pour régner dans les bois, désolent leur empire:
Dans ces bois teints de sang, contente de son grain,
La fourmi creuse en paix son séjour souterrain.

Je te rends grace, ô ciel! dont la bonté propice
M'écarta de ces rangs qui sont un précipice!
Je n'ai point, en naissant, reçu de mes aïeux
De l'or, des dignités, l'éclat d'un nom fameux.
Mais si j'ai des vertus, si mon mâle courage
A toujours dédaigné l'intrigue et l'esclavage,
Si mon cœur est sensible aux traits de la pitié,
S'il éprouve les feux de la tendre amitié,
Et si l'horreur du vice et m'anime, et m'enflamme,
Mon sort est trop heureux : j'ai la grandeur de l'ame.

Croit-on que le bonheur habite les palais,
Soit traîné dans un char, ou porté sous le dais?
Ces biens, ces dignités et ces superbes tables

Ne font que trop souvent d'illustres misérables.
Le germe des douleurs infecte leurs repas,
Et dans des coupes d'or ils boivent le trépas.
Un poison plus flatteur et plus cruel encore

Vient flétrir leurs beaux jours, obscurcis dès l'aurore.
Vois ces spectres dorés s'avancer à pas lents,
Traîner d'un corps usé les restes chancelants;
Et sur un front jauni, qu'a ridé la mollesse,
Étaler, à trente ans, leur précoce vieillesse :
C'est la main du plaisir qui creuse leur tombeau,
Et bienfaiteur du monde, il devient leur bourreau.
Le chagrin les poursuit; le démon de l'intrigue,
De ses soins éternels, les trouble et les fatigue.
Pour eux, l'ambition a des feux dévorants,
La haine a des poignards, l'envie a des serpents;
Sous l'or et sous la pourpre, ils sont chargés d'entraves.
On les adore en dieux, ils souffrent en esclaves.

Peuple, les passions ne brûlent pas ton cœur.
Le travail entretient ta robuste vigueur.
Hélas! sans la santé, que m'importe un royaume!
On veille dans les cours, et tu dors sous le chaume.
Tu conserves des sens : chez toi le doux plaisir

S'aiguise par la peine, et vit par le désir;
Le souris d'une épouse, un fils qui te caresse,
Des fêtes du hameau la rustique allégresse,
Les rayons d'un beau jour, la fraîcheur du matin,
Te font bénir le ciel, et charment ton destin.
Tes plaisirs sont puisés dans une source pure;
Ce n'est plus que pour toi, qu'existe la nature.

Qui vécut sans remords, doit mourir sans tourment.
Tu ne regrettes rien dans cet affreux moment.
Plus on fut élevé, plus la mort est terrible;
Et du trône au cercueil le passage est horrible.
Sur l'univers entier la mort étend ses droits;
Tout périt, les héros, les ministres, les rois.
Rien ne surnagera sur l'abyme des âges.

Ce globe est une mer couverte de naufrages.
Qu'importe, lorsqu'on dort dans la nuit du tombeau,
D'avoir porté le sceptre, ou traîné le râteau?
On n'y distingue point l'orgueil du diadême;
De l'esclave et du roi la poussière est la même.
Peuple, d'un œil serein envisage ton sort,
N'accuse point la vie, et méprise la mort.

La vie est un éclair, la mort est un asyle;

Ton sort est d'être heureux, ta gloire est d'être utile. Le vice seul est bas, la vertu fait le rang;

Et l'homme le plus juste est aussi le plus grand.

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