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CHAPITRE TROISIÈME.

DE LA DÉCADENCE DES ÉTUDES SPÉCULATIVES
PAR RAPPORT A L'OBJET.

L'objet primaire et principal de la philosophie est l'Idée, terme immédiat de l'intuition mentale. Par ce mot légué par Platon à la langue philosophique de tous les peuples civilisės de l'Europe, et que je prends dans un sens analogue à celui que lui donne ce grand philosophe, je veux désigner, non pas un concept à nous appartenant, ni toute autre chose ou propriété créée, mais la vérité absolue et éternelle, en tant qu'elle se présente à l'intuition de l'homme. Beaucoup de philosophes, et spécialement les sensistes et les pantheistes modernes, ont fait un étrange abus du mot Idée. Hégel, par exemple, entend, sous le nom d'Idée, l'Absolu; mais l'Absolu des panthéistes n'est, comme je le démontrerai

T. II.

I

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ailleurs, que dans les mots; et une idée absolue, qui s'explique substantiellement, implique contradiction. Aussi l'usage que je fais du mot Idée, n'a rien de commun avec celui qu'en a fait le philosophe allemand. Les psychologues sensistes entendent par Idée la sensation; ce qui a fait que plusieurs ont employé ce mot pour leur roman, je n'ose dire leur système, - - auquel on a donné le nom d'Idéologie. Il me semble qu'il est temps de restituer à ce noble mot sa lėgitime valeur, et de le soustraire, au moins en partie, si l'usage ne permet pas de faire davantage, à sa signification vulgaire. å Quant à la notion à laquelle je le fais servir d'expression, il ne m'est pas possible d'en donner pour le moment une définition exacte et en même temps intelligible; mais elle s'éclaircira peu à peu, à mesure que j'avancerai dans mon sujet. Qu'il me suffise d'avertir que, sous le nom d'Idée, j'entends l'objet de la connaissance rationnelle en lui-même, y comprise toutefois une relation avec notre intelligence.

L'étude de l'Idée est la substance de toute la philosophie. Car, comme nous le verrons plus tard, l'Idée embrasse la métaphysique avec les autres parties les plus importantes et les plus élevées des sciences spéculatives, et elle leur fournit les principes sur lesquels elles se fondent et d'où elles procèdent. La psychologie elle-même, - quant à sa base, appartient à la connaissance ideale.

L'Idée étant le sujet dont s'occupe principalement le discours philosophique, on peut demander quelle en est l'origine. Aujourd'hui on tient pour certain que vouloir dériver, avec Locke, le concept rationnel de la sensation et de la réflexion, ou avec Condillac et ses disciples, de la sensation seule, c'est une entreprise dont le succès est impossible; et que, de même que le nécessaire ne peut naître du contingent, ni l'objet du sujet, de même les impressions intérieures ou

extérieures ne peuvent produire l'intelligible. Je ne m'étends pas sur ce point, soit parce que je n'écris point des éléments de psychologie, soit parce que le sujet même de la question renferme une contradiction. En effet, l'Idée étant l'objet immédiat et éternel de la connaissance, et non sa forme ou son image, il devient ridicule de demander quelle en est l'origine, si on n'a pas seulement en vue son affinité avec notre intuition, affinité qui ne concerne point la nature de l'Idée elle-même, et n'est seulement qu'une relation externe. La question se réduit donc à savoir si, dérivant la connais sance de l'Idée d'une faculté spéciale, qu'on appelle esprit, intellect, ou raison, elle est acquise ou innée; c'est-à-dire, si l'homme peut subsister, même un seul instant, comme esprit. pensant, et exercer sa faculté cogitative, sans avoir présente l'Idée, mais en allant à sa recherche et à sa poursuite; ou bien, si elle lui apparaît simultanément avec le premier exercice qu'il fait de son esprit, de telle sorte que le moindre acte de la pensée et l'Idée soient inséparables. C'est là tout ce qu'on veut entendre, quand on demande si l'Idée est innée; car n'étant pas une image ou une forme imprimée dans l'esprit, mais l'objet même qui se présente à son intuition mentale, autant vaut dire qu'elle est innée, que d'affirmer qu'elle n'est pas un travail de la faculté de penser, et que, par rapport à nous, elle naît tout à la fois avec la pensée qui la saisit. De cette manière, l'Idée peut être regardée comme acquise, relativement à la substance de l'ame, comme est acquis le premier acte mental; mais innée relativement à la pensée. Cela posé, la solution de la question est facile et très courte. On ne peut faire un acte de cogitation sans penser à quelque chose d'intelligible; parce qu'autrement, la pensée étant l'appréhension de l'intelligible, on penserait sans pensée. Or, l'intelligible est l'Idée elle-même, en tant qu'elle est

l'objet immédiat de la pensée et de la connaissance. On ne peut donc assigner à l'Idée d'autre origine, par rapport à nous, que l'origine même de l'exercice de l'intellect. Quant à rechercher ensuite quelle est l'origine et la source de cet exercice, cela n'appartient pas à mon sujet actuel, et je dois le réserver pour un travail distinct de cette introduction, ce point étant un des plus neufs et des plus difficiles de la philosophie.

L'Idée ne se peut démontrer, mais il faut l'admettre comme une vérité première. Car toute preuve présuppose un concept antérieur. Or, comme tout concept est l'Idée, ou se fonde sur l'Idée, et que toute démonstration est composée de concepts et de jugements, il est clair que toute preuve démonstrative de la vérité idéale se résout en un pur paralogisme. Il ne s'ensuit pas pour cela que l'Idée ne soit pas légitime, ou qu'elle soit inférieure aux vérités qui se démontrent. Parce que la vertu de toute démonstration dérive de l'Idée, qui en fournit les principes; d'où il suit que si celle-ci avait moins de valeur que les vérités démontrées, la conséquence serait plus solide que les prémisses. L'Idée n'est pas de nature à être démontrée, parce qu'elle est la source de toute preuve et de toute démonstration. Elle est tout à la fois une proposition et un enthymême, dans lesquels le sujet et le prédicat, l'antécédent et le conséquent s'identifient, comme nous le verrons dans la suite de notre discours.

La notion idéale qui, équivalant à la démonstration, en tient la place, c'est l'évidence. L'évidence est l'intelligibilité des choses; et comme l'Idée est l'Intelligible, elle devient évidente par elle-même. Les autres choses sont évidentes en vertu de l'Idée, et participent à l'intelligibilité, qui en dérive, et dont elle est la source unique, suprême et universelle. L'évidence idéale est une qualité intrinsèque et non extrinsèque, une lumière propre et non réfléchie, une source et non une

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