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preuve qu'il entend pleinement sa propre doctrine. Un des points les plus importants est, sans contredit, le doute préparatoire dont Descartes parle au long dans la méthode, dans les principes, dans les méditations, et dans quelques autres de ses écrits, sans même avoir un pressentiment de la contradiction intrinsèque de cette manière de procéder. Il était si persuadé qu'avec le doute on pourrait obtenir quelque résultat positif, qu'il dit dans un passage très curieux : « Bien que les Pyrrho> niens n'aient rien conclu de certain en suite de leurs doutes, » ce n'est pas à dire qu'on ne le puisse (*). » Mais les objections de ses adversaires, et notamment celles du P. Bourdin, jésuite à l'esprit sagace et malin, dont la polémique pourrait en certains passages rappeler celle de Pascal, si les traits. spirituels n'y étaient émoussés par la prolixité et les répétitions, - lui firent voir clairement que l'entreprise de bâtir en l'air n'était pas aussi facile qu'il l'avait cru (**). Aussi, dans les écrits postérieurs, il se trouve souvent à ce sujet dans un grand embarras, et la manière dont il cherche à s'en tirer, et les choses étranges qu'il avance pour échapper à ses adversaires, prouvent qu'il avait plus le désir que la force d'en sortir. Prenons-en une idée en lisant un fragment de lettre sur la question s'il est permis de douter de l'existence de Dieu :

« J'estime qu'il faut distinguer ce qui, dans un doute, » appartient à l'entendement d'avec ce qui appartient à la » volonté; car pour ce qui est de l'entendement, on ne doit pas » demander si quelque chose lui est permise ou non, pour ce que ce n'est pas une faculté élective, mais seulement s'il le > peut; et il est certain qu'il y en a plusieurs de qui l'enten» dement peut douter de Dieu, et de ce nombre sont tous ceux qui ne peuvent démontrer évidemment son existence, » quoique néanmoins ils aient une vraie foi; car la foi appar

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(*) Descartes, œuv., tom. VII, p. 395.

(**) Voir les 7 object. œuv, tom. II, et spécialement, p. 398 et suiv, et suiy.

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» tient à la volonté, laquelle étant mise à part, le fidèle peut » examiner par raison naturelle s'il y a un Dieu et ainsi douter » de Dieu. Pour ce qui est de la volonté, il faut aussi distinguer » entre le doute qui regarde la fin, et celui qui regarde les » moyens; car si quelqu'un se propose pour but de douter de » Dieu, afin de persister dans ce doute, il pèche grièvement......... mais si quelqu'un se propose ce doute, comme un moyen » pour parvenir à une connaissance plus claire de la vérité, il fait une chose tout-à-fait pieuse et honnête, pour ce que » personne ne peut vouloir la fin qu'il ne veuille aussi les » moyens. Et, dans la sainte Ecriture même, les hommes sont » souvent invités de tâcher à s'acquérir la connaissance de » Dieu par raison naturelle; et celui-là aussi ne fait pas mal, qui, pour la même fin, ôte pour un temps de son esprit toute » la connaissance qu'il peut avoir de la Divinité; car nous ne » sommes pas toujours obligés de songer que Dieu existe (*). »,

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Il y a dans ce passage presque autant d'erreurs que de mots. 1o Il est faux que l'on puisse croire avec la volonté, quand on doute avec l'entendement; 2o il est faux que biensouvent l'entendement ne soit pas libre de douter ou de croire; 3o il est faux qu'il soit avantageux, pour acquérir une parfaite connaissance de Dieu, de commencer par mettre en doute son existence. La foi en Dieu est la vie de l'entendement, comme la charité est la vie du cœur ; par conséquent, se rendre athée même momentanément, afin de croire ensuite, c'est comme si l'on se tuait de sa propre main, pour avoir le plaisir de ressusciter; 4o il est faux et absurde, pour ne pas dire impie, que rationnellement et chrétiennement cela soit permis, bien loin que ce soit une chose tout-à-fait pieuse et honnête; 5o il est faux et impie de vouloir trouver dans l'Ecriture l'approbation et le conseil de ce doute; 6o il est faux qu'il soit nécessaire de douter d'une vérité pour l'examiner, quand cet examen a seulement pour objet d'accroître la connaissance de la vérité

(*) Descartes, œuv., tom. II, p. 398 et suiv., 489 et suiv.

possédée; 7° il est faux que l'examen dubitatif soit licite, bien qu'on ne nie pas que, le doute une fois admis, l'examen ne soit permis et même prescrit, non pas pour prolonger ce même doute, mais pour en sortir plus tôt, et pour recouvrer la vérité perdue; 8o enfin il est faux que, dans l'ordre intellectuel et moral, douter de Dieu soit la même chose que ne pas y penser actuellement. Qu'on voie s'il est possible d'accumuler plus d'erreurs et des erreurs plus graves, dans le court espace d'une page.

Dans les recherches de la vérité au moyen des lumières naturelles, Descartes expose de nouveau par la bouche d'Eudoxe sa doctrine du doute: « C'est de ce doute universel

que, comme d'un point fixe et immuable, j'ai résolu de » dériver la connaissance de Dieu, de vous-même et de tout ce › que renferme le monde (*). » Remarquez cette gentillesse de présenter le doute universel comme un point fixe et immuable. Archimède demandait un point d'appui pour soulever le monde; Descartes veut appuyer son levier sur le vide, il veut créer toutes les choses en se servant du néant comme d'une matière propre à atteindre son but. Mais le pauvre Eudoxe avait dit un instant auparavant: «Pouvez-vous douter de votre doute, » et rester incertain si vous doutez ou non (**)? » Donc le doute présuppose la certitude, il présuppose un acte affirmatif qui le précède, et qui est le véritable point fixe et immuable sur lequel il s'appuie, et il ne peut être universel. Eudoxe explique plus loin ces incommodes exigences de son doute:

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Il faut savoir ce que c'est que le doute, ce que c'est que la » pensée, avant d'être pleinement convaincu de la vérité de ce >> raisonnement: je doute, donc je suis, ou ce qui revient au » même : je pense, donc je suis. Mais n'allez pas vous imaginer qu'il faille, pour le savoir, faire violence à notre esprit et le » mettre à la torture pour connaître le genre le plus proche et la

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(*) OEuv., tom. XI, p. 353.

(**) Ibid., tom. V, p. 268,

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différence essentielle, et composer une définition en règle. Il » faut laisser tout cela à celui qui veut faire le professeur ou disputer dans les écoles. Mais quiconque veut examiner les I choses par lui-même et en juger selon qu'il les conçoit, ne » peut être assez privé d'esprit pour ne pas voir clairement, » toutes les fois qu'il voudra y faire attention, ce que c'est que ⚫ le doute, la pensée, l'existence, et pour avoir besoin d'en apprendre les distinctions..... Au nombre des choses qui » sont en elles-mêmes aussi claires et peuvent être connues >> par elles-mêmes, il faut mettre le doute, la pensée, l'exis>>tence. Je ne pense pas qu'il ait jamais existé quelqu'un » d'assez stupide pour avoir eu besoin d'apprendre ce que c'est » que l'existence, avant de pouvoir conclure et affirmer qu'il » est; il en est de même de la pensée et du doute. J'ajoute » même qu'il ne peut se faire qu'on apprenne ces choses » autrement que par sa propre expérience, et par cette cons»cience et ce témoignage intérieur que chacun trouve en lui• même, quand il examine les choses (*). »

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Descartes confond ici la connaissance et la certitude avecl'enseignement; mais il est forcé d'avouer que pour douter il est nécessaire de connaître clairement ce que c'est que le doute, la pensée et l'existence. Ce qui, comme on le voit aisément, est une bagatelle qui n'ôte pas au doute le privilége d'être universel.

Je terminerai cette note en citant les paroles de Regius, sur le doute cartésien :

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« Cartésius..... sub specie majoris acquirendæ certitudinis, › omnia habuit dubia, necnon pro falsis esse habenda statuit. Neque hæc dubitatio se dumtaxat ad res creatas et contin⚫ gentes extendit, sed ipsam quoque Numinis (sententia sane. horrenda, abominanda, et nulli Christiano ferenda) existentiam complectitur. Eja! An res nulla ante enormem istam » dubitationem de existentia sui fuit certus et majorem per

(*) OEuv., tom. XI, p. 369, 370.

dubitationem acquisivit certitudinem? An non ante vixit sine Deo in mundo? An antea nulla fuit allata ratio, quæ » certo Dei existentiam demonstret : fuitne ab ipsa mundi » creatione e creaturis perspecta et intellecta ejus æterna » potentia et divinitas? An voluit Apostolo major videri, gen» tesque excusare, quod iis non sufficiens fuerit occasio Dei » existentiam cognoscendi, et quod Deum tanquam Deum » cognoscentes, non coluerint, et ei gratias non egerint (*). ► Voyez encore la censure du savant Huet.

NOTE 15.

Les ouvrages de Descartes n'ont pas le mérite de l'ordre et de la précision : le style est médiocre, sauf une certaine vivacité, très commune en France. L'influence de l'opinion sur le jugement est telle, même chez les savants, qu'il n'est pas étonnant que plusieurs admirent le style philosophique de Descartes, quand la vérité est que, dans les matières spéculatives, il manque souvent d'ordre, et presque toujours de clarté et de précision. C'est ce qu'avait remarqué Ancillon, qui en parle en ces termes : « Pace tanti viri dicere ausim, nihil esse » ea scriptorum ejus parte quam nunc evolvo, perturbatius, » et ob plane intolerabilem tautologiam tædii plenius (**).

NOTE 16.

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La présomption et l'arrogance incroyables de Descartes. percent presque de tous les côtés dans ses ouvrages, et s'y montrent avec leurs deux effets habituels, c'est-à-dire avec une estime excessive de ce qui lui appartient, et un extrême mépris de ce qui est aux autres, sans aucune exception. « Je

(*) Regius, Cartes, 1 er. Spinoz. architect., chap. 2, num. 3, p. 11 ct 12. (**) Lud. Frid. Ancillon, judic. de jud. circa argum, cartes, pro exist. Dei. Berol., 1792, p. 15.

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