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Toutefois, qu'on n'aille pas inférer de ceci que la vérité rationnelle dépend de l'autorité, et que par conséquent la philosophie est, absolument parlant, une science seconde, et ses travaux les données d'un autre ordre de connaissances. Car les éléments intégrants de l'Idée étant clairs et lumineux par eux-mêmes, la philosophie se fonde sur l'évidence de son propre objet. Elle reçoit sa matière de la parole; mais une fois qu'elle l'a reçue, elle se l'approprie immédiatement par sa lumière intrinsèque. L'enseignement d'autorité est l'occasion et l'instrument nécessaire, mais non la cause productive de la connaissance rationnelle.

La philosophie devant recourir à la parole révélée, pour avoir les éléments intégrants de l'Idée, sur lesquels elle opère, et dans l'explication desquels consiste sa fonction, il faut distinguer dans l'histoire deux grandes époques philosophiques, correspondantes aux deux grandes révélations qui les ont précédées: l'une au commencement et au renouvellement du genre humain, avant et après le déluge; l'autre aux temps évangéliques. La révélation est une en elle-même, puisque la doctrine annoncée en divers temps est substantiellement une, et que le Christ ne fit que renouveler et compléter l'enseignement primitif. Mais les conditions extérieures furent en partie différentes. La première révélation illumina originairement toute l'espèce; la révélation chrétienne fut particulière au genre élu, c'est-à-dire à l'Eglise, qui ne contient potentiellement que notre famille, et qui est attentive à en renouveler successivement l'harmonie primitive, en la ramenant dans son propre sein et lui communiquant sa vertu. Plus tard, la révélation originelle s'éteignit dans les deux grandes races de Japhet et de Cham, et se restreignit à une tribu sémitique, c'est-à-dire au genre élu qui commença avec Abraham; la révélation renouvelée, au contraire, alla toujours en augmen

tant le nombre de ses prosélytes, et en se répandant parmi de nouvelles populations. Dans cette seconde période, le mouvement des deux révélations fut entièrement contraire; car l'une vit diminuer et l'autre s'accroître le nombre de leurs sectateurs. Les conséquences de cette différence sont d'une haute importance pour notre sujet actuel, parce que d'elle dérive en grande partie la destinée opposée des recherches philosophiques; la philosophie païenne répondant à la première, et la philosophie chrétienne à la seconde de ces deux révélations. Toutes les écoles qu'on nomme vulgairement anciennes, remontent de degré en degré jusqu'à la révélation primitive; tandis que les modernes, et celles du moyenâge, se rapportent au christianisme. Or, comme la substance des deux révélations est identique, il ne peut exister entre les deux époques philosophiques d'autre différence que la manière diverse dont elles ont participé, ou participent à la lumière révélée.

La philosophie est la réflexion de l'esprit sur l'objet immédiat de la première intuition, par le moyen de la parole. Les éléments intégrants de l'Idée parlée sont donc le sujet immédiat, ou, veux-je dire, la matière sur laquelle opère le génie philosophique pour l'élaborer et la convertir en science. En recevant cet élément, l'esprit de l'homme est passif plutôt qu'actif; son activité ne peut s'exercer sur eux qu'après qu'il les a acceptés, et elle consiste dans le travail scientifique. Mais de qui les reçoit-il? Il est nécessaire de distinguer l'élément idéal de la parole qui le revêt. Quant à l'élément idéal, objet éternel et immanent de l'esprit, la réflexion le tire de l'intuition immédiate, qui n'est pas un produit de l'art, mais un don de la nature, précisément parce qu'elle est l'intuition; parce que l'Idée créant l'intuition se manifeste à elle; ce qui fait qu'exister et connaître sont deux choses insépara

bles dans le principe intuitif. Pour ce qui est ensuite de la parole, l'homme la reçoit de la cité et de la famille. Mais comme la connaissance intuitive ne peut devenir réfléchie sans le secours du langage, il s'ensuit que la parole reporte à la pensée les éléments idéaux, en tant que son action est nécessaire pour qu'ils soient repensés. Or, la parole peut exprimer plus ou moins clairement, distinctement et proportionnellement l'objet de l'intuition, et par conséquent influer sur la connaissance réflective. C'est là un fait si certain et si universellement admis, qu'il n'a pas besoin de preuve. On en déduit la conclusion que, si d'un côté l'esprit tire l'idée de l'intuition, et la contemple en elle-même, d'un autre côté il la reçoit de la société, et la possède plus ou moins parfaitement selon qu'elle est exprimée d'une manière plus ou moins convenable la parole. La communication de l'idée faite à l'individu par la société dans laquelle il vit, au moyen de la parole, s'appelle tradition; elle est comme un anneau interposé entre la révélation et la philosophie, et le véhicule par lequel se transmettent de l'une à l'autre les premiers éléments intellectifs, au développement desquels travaille le génie philosophique.

par

Quand intervient une révélation divine, elle est accompagnée de la parole, par les motifs précédemment indiqués. L'Idée alors s'exprime et se parle elle-même. Ceux qui l'écoutent la possèdent dans sa plénitude, parce que la signification est divine, comme la chose signifiée. Mais en passant des premiers auditeurs aux autres hommes, par le moyen de la tradition, elle peut ou conserver sa pureté originelle, ou se corrompre, selon que le langage traditionnel demeure intact ou s'altère; et plus elle se propage et s'éloigne, en raison des lieux et des temps, de ceux qui la reçurent les premiers et qui, relativement aux autres hommes, ont la qualité de révélateurs,

plus augmentent en nombre et en force les raisons possibles et probables de son altération.

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L'altération de la parole est la cause immédiate de l'erreur dans le commerce des hommes ou des peuples, et dans le cours de la tradition. Elle est toujours spontanée et volontaire, au moins indirectement, et par conséquent plus ou moins libre et coupable dans ses principes; mais elle peut être voulue expressément ou passer inaperçue, elle peut procéder de la malice ou de la négligence. L'homme s'y emploie d'une manière expresse lorsque mû par les passions; ou ce qui est la même chose, par la prédomination du sensible sur l'intelligible, il falsifie à dessein l'Idée pour l'accommoder à son penchant vicieux, et en corrompt la signification exté→ rieure. Elle passe au contraire inaperçue quand la légèreté de l'esprit, le défaut de mémoire, la nonchalance et les passions elles-mêmes, non pas celles qui suggèrent un acte délibéré, mais celles qui maîtrisent secrètement le cœur humain presque à l'insu de sa pensée, concourent à obscurcir l'Idée et à altérer les signes qui servent à l'exprimer ; et ces causes opèrent avec d'autant plus d'efficacité qu'elles sont ordinairement aidées par les affaires, les travaux, les distractions, les guerres, les migrations, les conquêtes, les fléaux naturels, et beaucoup d'autres conditions et vicissitudes de la vie externe. Dans le premier cas, la corruption commence toujours par les concepts et passe de là à la parole; dans le second, elle prend ordinairement son origine dans la parole, d'où elle passe dans l'Idée, quoique la falsification de cellelà présuppose toujours un certain obscurcissement, sinon une altération et l'absence de celle-ci. Mais quelle que soit la cause de la corruption, l'altération de l'Idée a originellement la même source et en quelque sorte la même date que celle de la parole, tandis que par la suite, et dans le commerce

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traditionnel, le désordre passe des signes aux pensées : l'impropriété est la cause, l'erreur est l'effet. Seulement de nouveaux défauts et de nouvelles corruptions des deux espèces se joignent à la première, suivant la manière déjà indiquée, à mesure que la tradition s'étend et se prolonge. Cela ne veut point dire que, dans le plus grand nombre des individus, les erreurs idéales soient pour l'ordinaire les unes remarquées, les autres inaperçues; car dans l'ordre de la nature humaine, la malice et la faiblesse ne sont presque jamais pures et se séparent rarement l'une de l'autre

Si le vice de la tradition naît toujours du défaut de la parole il s'ensuit que la première origine de l'erreur est en même temps une confusion dans les langues. L'altération de l'Idée, chez ceux qui la possèdent, peut concourir à troubler le langage; mais le langage altéré est la cause de la corruption de la tradition. Il faut distinguer les auteurs de l'erreur de ses partisans, c'est-à-dire ceux qui introduiduisent la fausse tradition de ceux qui la reçoivent. Les premiers, c'est-à-dire les hérésiarques, vicient plus ou moins, et volontairement, l'Idée qu'ils ont reçue d'un enseignement sincère et authentique; et par là ils corrompent le langage en défigurant et gâtant les formules déterminatives des concepts idéaux. Les seconds, c'est-à-dire les hérétiques, étendant cette dénomination même aux partisans dégénérés de la raison, tirent d'une expression déjà impropre des concepts faux ou inexacts, et pressés par la force de la logique, selon la coutume de ceux qui se jettent dans l'erreur, ils s'écartent beaucoup plus encore de la vérité dans leurs paroles et leurs sentiments. De toute manière, la fausse tradition dérive de l'altération de la parole, qui est le moyen communicatif par lequel les croyances se transmettent de génération en géné

ration.

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en

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