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de vos talens. Je vois, encore avec plus de regret, que des traits semés avec imprudence dans l'ouvrage dont vous avez été un des éditeurs, donnent lieu à des accusations dont les suites sont toujours fâcheuses. Mais je mets une grande différence entre ce qui me déplaît, ou mème ce que je désapprouve comme particulier, et ce que je dois empêcher comme homme public.

Mes principes sont qu'en général la critique littéraire est permise, et que toute critique qui n'a pour objet que le livre critiqué, et dans laquelle l'auteur n'est jugé que d'après son ouvrage, est critique littéraire.

Ce n'est pas que, si un auteur abusait de cette permission jusqu'à diffamer ses adversaires en matière grave, ceux qui se croiraient lésés ne pussent se pourvoir devant les tribunaux réglés, comme il est arrivé plusieurs fois; mais la fonction de l'administrateur de la librairie, et celle du censeur, ne consistent point à prévenir de pareils abus; sans quoi il serait à craindre que, sous prétexte d'empêcher la diffamation personnelle, on n'empêchât les critiques qu'on trouverait trop dures, et qu'on ne vînt par degrés à interdire toute espèce de critique, ou à y mettre de telles gènes qu'on les réduirait presqu'à rien.

L'accusation d'irréligion sort, me direz-vous, des bornes de la critique littéraire; mais on vous répondra qu'il est impossible de défendre la cause de la religion sans démasquer ceux qui l'attaquent;

que cette accusation ne peut jamais être réputée personnelle, quand ce n'est ni sur les discours, ni sur les actions de l'auteur qu'on le taxe d'irréligion; mais seulement sur les ouvrages qu'il a donnés volontairement au public, et c'est surtout en cette matière qu'il serait à craindre que les ménagemens qu'un censeur voudrait avoir pour un auteur, n'empêchassent la vérité de se faire jour.

Ces principes vous paraîtront sûrement fort durs, et je connais trop la sensibilité des auteurs sur ce qui intéresse leur amour-propre, pour me flatter que ni vous, ni aucun homme de lettres maltraité dans les brochures, les adopte; mais après y avoir long-temps réfléchi, j'ai trouvé que ce sont les seuls que je puisse suivre avec justice, et sans m'exposer moi-même à tomber dans la partialité.

L'étendue de vos lumières et la justesse de votre esprit ne me permettent pas de douter que vous ne jugiez aussi sainement des objets de législation et d'administration, que de tous les autres, si vous vouliez vous en occuper.

Ainsi, vous aurez peut-être des objections puissantes à faire aux principes que je viens d'établir. Communiquez-les-moi, et je les recevrai avec reconnaissance, parce que je cherche la vérité de très-bonne foi.

S'il arrivait au contraire, ce dont je ne me flatte pas, que le fruit de vos réflexions fût de vous les faire approuver, malgré l'intérêt que vous avez à

les rejeter, je vous croirais aussi supérieur à la plupart des hommes par le courage et la justice, que vous l'êtes par les talens et le génie.

J'ai l'honneur d'être, etc.

LAMOIGNON DE MALESHERbes.

Je suis obligé d'avouer que je n'eus pas beaucoup de succès dans ma négociation, d'Alembert prétendant toujours que, dans l'Encyclopédie, on ne passait pas les limites raisonnables d'une discussion philosophique, tandis que les accusations d'impiété, de sédition, intentées aux éditeurs par les journalistes, étaient d'odieuses personnalités que devait interdire un gouvernement, ami de la vérité, et qui voulait favoriser le progrès des connaissances.

Cette discussion ne pouvait donc pas être facile à terminer. Je la suivais avec tout l'intérêt dont l'amitié et la reconnaissance me faisaient un devoir; mais j'en fus bientôt détourné par un voyage en Italie.

CHAPITRE III.

Voyage en Italie. Manuel des Inquisiteurs. Lettres inédites de Voltaire, de d'Alembert, etc. L'improvisatrice Corilla. Helvétius. Boulanger. Tartini.

LA mort de Benoît xiv allant donner ouverture à un conclave, je pressai les parens de mon élève de nous y envoyer. Un oncle de mon pupille, abbé comme lui, qui avait fait ce voyage dans sa jeunesse, favorisa notre projet auprès du chancelier de Lorraine, qui n'y était pas trop porté. Enfin, nous eûmes la permission de partir, mais un peu tard; et nous voulûmes, par une extrême diligence, réparer le temps perdu : car nous allâmes de Paris à Rome en onze jours, après nous être reposés un seul jour à Lyon. Nous n'arrivâmes cependant qu'après l'ouverture du conclave.

Je me rappelle encore l'impression que j'éprou vai au passage du mont Cenis. J'étais porté sur une espèce de brancard ou civière, par des hommes qui se relevaient. Nous faisions route en silence: c'était la fin de mai, et le temps était admirable. L'aspect des montagnes, nouveau pour moi, les neiges couvrant encore les sommets des plus éloignées, les chutes d'eau et les torrens dans toute leur abondance et dans toute leur beauté, l'air vif et

pur que je respirais pour la première fois à cette hauteur, le spectacle ravissant qui se présente sitôt que l'on commence à descendre vers la belle Italie, tout cela me jeta dans une sorte de rêverie si douce, si voluptueuse, que j'en étais hors de moi, et que le souvenir m'en affecte encore profondément, après plus de quarante ans écoulés.

Arrivés au-delà de Parme, nous suivîmes la côte de l'Adriatique, Pezaro, Fano, Sinigaglia. Là, nous prîmes les Apennins par Fossombrone, allant jour

et nuit.

Je ne puis oublier de conter ici le risque que nous courûmes en traversant ces montagnes. Nous avions passé la nuit dans notre chaise, gravissant par des chemins bordés de précipices, au fond desquels nous entendions rouler des torrens. Les chevaux faisaient feu des quatre pieds sur ces rochers; et, s'ils se fussent rebutés, rien n'était plus aisé que de reculer dans un abîme. Nous étions, l'abbé de la Galaizière et moi, enveloppés dans nos redingotes, ne soufflant pas le mot, et nous résignant à la destinée dont on nous avait fait peur en nous voyant partir ainsi de nuit, contre l'usage des voyageurs qui prennent cette route. Cependant le jour paraît, et nos inquiétudes diminuent. Il était neuf heures du matin, lorsqu'en entamant une longue montagne, je propose à mon compagnon de descendre pour nous dégourdir les jambes et soulager les chevaux. Nous montons en suivant la voiture, Tout-à-coup nous voyons les chevaux se rebuter,

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