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Mais l'homme moral et intelligent doit vivre aussi de sa vie propre ; il doit connoitre, aimer, sans quoi il n'existeroit pas; et la Religion n'est autre chose que la loi naturelle de l'intelligence, l'ensemble des rapports ou des vérités qui dérivent de notre nature et de la nature de l'Être souverainement intelligent. Nous vivons donc plus ou moins de la vie spirituelle, selon que la vérité nous est plus ou moins connue ; et le plus haut degré de vie et de bonheur consiste à connoitre parfaitement la vérité infinie, et à en jouir pleinement par l'amour. L'ignorance absolue est l'état qui précède la naissance, un profond sommeil de nos facultés; l'ignorance partielle eu est le développement imparfait. Elle diffère de l'erreur en ce que celle-ci n'est pas simplement une privation, mais un désordre, une maladie quelquefois mortelle.

Or combien n'est-il pas absurde de supposer qu'ayant une fin qu'il ne peut atteindre qu'en obéissant à des lois naturelles ou nécessaires, l'homme intelligent nliit aucun moyen de connoitre ces lois ; que, plus abandonné, plus malheureux que les animaux qui ont reçu l'instinct et à qui l'instinct suffit pour se conserver, il ait été en naissant condamné par son père à la souffrance, à la mort; et que, par des volontés contradictoires, ou par une haine insensée pour l'être qu'il venoit de former à son image, Dieu lui eût montré la vie comme un leurre, et ne lui en eût donné le désir que pour être son tourment éternel?

Ne blasphémons point la Divinité ; elle veut le bonheur de ses créatures ; car la gloire d'un être bon est de manifester sa bonté; il se doit à lui-même cette haute justice. Qu'est-ce que le bonheur? le repos de l'ordre; et de quel désordre l'Etre parfait peut-il être auteur? Comment le mal seroit-il l'objet direct de ses volontés? Non, Dieu n'existe pas, ou il veut le salut de tous les hommes. 11 ne les punit point d'être sortis de ses mains, et ce n'est pas la haine qui a fécondé le néant. Qui oseroit dire, qui oserait penser qu'en nous imposant des lois dont l'infraction a des effets si terribles, il les ait couvertes d'un voile impénétrable à nos yeux? qu'il ait jeté dédaigneusement tant de millions d'intelligences entre la vérité et l'erreur, entre le bien et le mal, sans moyen de les discerner? qu'il se dérobe à celui qui le cherche, qu'il étende à ses pieds un océan de ténèbres, et repousse loin du rivage l'infortuné qui s'efforce d'aborder?

Mais pour comprendre toute l'absurdité de l'hypothèse que je combats, il faut s'élever encore à de plus hautes considérations : il faut se représenter l'homme, non comme un être isolé, mais comme un chaînon de la vaste hiérarchie des êtres, comme un membre de l'éternelle société des intelligences. Or tout ce qui est n'existant que pour cette société, et devant concourir à sa perfection, l'homme en particulier doit acquérir toute la perfection que comporte sa nature. 11 doit vivre pour que l'ordre universel soit complet, il doit vivre d'une vie parfaite pour que l'ordre lui-même soit,parfait. Si l'impossibilité de connoitre les lois de l'intelligence le forçoit de les violer, ce seroit Dieu même qui attenteroit volontairement à sa sagesse et à sa gloire; ce seroit, dans l'Être infini, comme un effroyable essai de suicide.

L'idée de devoirs ou d'obligation morale est d'ailleurs renfermée nécessairement dans l'idée de religion ; et voilà pourquoi la souffrance qui suit tôt ou tard l'infraction de ses lois, quand la faute n'est pas effacée par le repentir, u toujours été conçue sous la notion de peine ou de châtiment. Or comment existeroit-il de véritables devoirs pour celui qui les ignoreroit invinciblement? Comment seroit-il coupable de n'avoir pas obéi, s'il ne pouvoit pas savoir ce qui est commandé? Le punir de son ignorance, d'une ignorance insurmontable, ne seroit-ce pas le comble de l'iniquité? Qu'on se représente un législateur, un roi, prescrivant en lui-même, ou défendant certaines choses sous peine de mort, sans manifester ses volontés, sans publier ses ordonnances, et envoyant ensuite ses sujets àl echafaud, pour ne s'être pas conformés à cette loi secrète, qu'il s'étoit plu à leur cacher. Pourroit-on concevoir une injustice plus énorme, un plus abominable tyran? L'Êtiv souveraiiiementjuste et bon, Dieu seroit ce tyran, s'il avoit refusé aux hommes le moyen de discerner la véritable Religion.

Au reste, il suffit d'en appeler au témoignage du genre humain. Tous les peuples ont eu une Religion qu'ils croyoient vraie ; donc tous les peuples ont cru qu'on pouvoit connoître la vraie Religion. Aucune Religion, même fausse, ne se seroit établie sans cette croyance. Or les croyances universelles sont des décisions de la raison générale; les rejeter ou les contester, c'est détruire la raison même. Donc, quelle que soit la vraie Religion, il est possible de la reconnoitre. Si l'on prétend que tous les peuples ont pu se tromper sur ce point, ils ont pu se Iromper également sur l'existence du premier Etre, ils ont pu se tromper sur tout; et dès lors plus de certitude, plus de vérité, plus d'erreur, mais un doute si profond, i qu'il n'auroit d'autre expression que le silence.

Et qu'on n'objecte pas la multitude des cultes divers, car c'est comme si l'on objectoit la multitude des opinions diverses, pour conclure qu'il est impossible d'arriver à des vérités certaines. La diversité des cultes prouve seulement que les hommes peuvent négliger le moyen que Dieu leur a donné pour reconnoitre la vraie Religion, ou eu abuser, comme ils abusent de la Religion même. Cette diversité prouve qu'en toutes choses, sans excepter les plus importantes, l'erreur peut se mêler à la vérité; elle prouve l'ignorance et les passions de l'homme, lu foiblcsse do son esprit, lorsqu'il substitue ses propres pensées aux traditions antiques; elle prouve enfin la nécessité d'un examen sérieux, et rien de plus.

Pour diriger cet examen, il nous reste à chercher quel est le moyen général offert aux hommes pour discerner avec certitude, entre les différentes Religions, la véritable.

Ce moyen est en nous, ou hors de nous. Les seuls moyens de connoître que nous ayons en nous-mêmes, sont le sentiment et le raisonnement: hors de nous il n'existe que l'autorité. Donc les hommes doivent parvenir à la connoissance de la vraie Religion, soit par le sentiment ou une révélation immédiate, soit par le raisonnement, soit enfm par la voie de l'autorité.

Avant d'examiner à fond chacun de ces trois moyens, nous ferons observer qu'il résulte de nos recherches précédentes , que la certitude n'a point de base en nousmêmes. N'existant que par la volonté d'un autre être, nos facultés s'appuient nécessairement sur quelque chose d'extérieur; et le degré de confiance qu'on leur doit accorder dépend, en premier lieu, de la nature de l'être par qui elles sont, et, en second lieu, de la connoissance de ce qu'il a voulu qu'elles fussent; ce que lui seul a pu nous révéler. Cette simple considération démontre la nécessité d'un premier témoignage, et celle d'un acte de foi, avant de pouvoir raisonnablement faire usage de nos facultés. Aussi verrons-nous tout à l'heure, par l'expé* rience de tous les temps, que l'esprit qui s'isole ne saurait se rien prouver; qu'à mesure qu'il s'enfonce en luimême, ses idées s'obscurcissent, ses croyances se dissipent , sa vie s'affoiblit: inquiet et languissant, il se traîne, dans des régions stériles, à la lueur incertaine du doutcj dernier reflet de la vérité, qui s'éteint au bord du néant.

Cette cause générale d'erreur est surtout remarquable en notre siècle. On n'interroge que soi sur son origine, sur ses devoirs, sur ses destinées. L'homme ne demande rien aux hommes, et moins encore à Dieu; son intelligence se nourrit d'elle-même: pâture bientôt épuisée! Nul ne veut croire ou obéir: dès lors, avec le respect pour le témoignage*,-se perd la notion de la loi, la notion de l'autorité, et le principe de la certitude. Tout devient individuel. On ne peut plus même nommer la Religion, parce qu'elle est nécessairement loi, et le lien de toute société. On dit la pensée religieuse, le sentiment religieux, expressions qui constatent l'indépendance de l'esprit, ou le droit de chacun d'avoir sa religion, comme chacun à son sentiment, sa pensée particulière.

Mais qu'est-ce enfm que ce sentiment religieux? Nous l'apprendra-t-on? Profonde misère de l'homme ! Ce sera tout ce qu'on veut, jusqu'aux foiblesses et aux infirmités de notre nature, les craintes sans objet, les vagues rêveries du cœur, la mélancolie, l'ennui même et le dégoût d'être**. Il en faut bien venir à ces extravagances, quand on n'admet d'autre règle de vérité que ce qu'on sent. Et remarquez que personne n'est maître de communiquer le sentiment qu'il éprouve ; que c'est quelque chose de si indéfini dans sa nature et dans ses nuances, qu'on ne sauroit

* Notre jurisprudence criminelle attache beaucoup moins de force que l'ancienne au témoignage. L'esprit de la législation est d'accorder le plus de pouvoir possible à la pensée particulière et au sentiment particulier de chaque juré. C'est une conséquence naturelle de la souveraineté de la raison individuelle. On se défie de tout ce qui est général ou social, ou plutôt on ne le comprend plus. Chaque homme est toute la société.

'* On ne dit rien ici qui n'ait été sérieusement avancé par des genf d'esprit. Selon leurs idées, pour faire entendre qu'un homme a de la religion, on diroit qu'il est mélancolique, et très-enclin à la rêverie. Ne croit-on pas rêver soi-même 7

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