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noùs égare souvent, puisque souvent il se contredit, <'gaiement invincible de quelque côté qu'il incline. Qu'est-il d'ailleurs en lui-même? Quelles sont les causes <|ui le déterminent? Sont-elles en nous ou hors de nous? changeantes ou immuables? aveugles ou intelligentes? toutes questions que le sentiment ne résout pas, et de la solution desquelles dépend néanmoins la certitude des premiers principes. Nous nous y reposons par foiblesse plutôt que par un jugement éclairé; et nous ne savons pas même si, nous paroissant invariables, ils ne varient cependant point sans cesse, ainsi que nous : comme la disposition des objets doit varier pour produire le même phénomène d'optique, selon la position de l'observateur et les diverses modifications de ses organes ; considération qui nous conduit à concevoir la possibilité que nos sentiments les plus intimes et nos principes les plus évidents ne soient que de pures illusions.

Je consens toutefois à y reconnoître, par rapport à nous, quelque réalité; je veux que nous sentions véritablement ce. que nous nous imaginions sentir; qu'en conclure, et en sommes-nous plus près du but où nous tendons ? Ce que nous sentons, nous'le sentons en nous; nos sentiments n'ont de relation nécessaire qu'à nous; lien ne démontre qu'ils ne soient pas de simples modes de notre être; rien ne démontre que la conscience du bien et du mal, du vrai et du faux, soit déterminée par une cause externe, immuable, et ne dépende pas uniquement de notre nature particulière; rien ne démontre, en un mol, qu'il y ait des vérités essentielles, qu'il y ait quelque chose hors de nous/.

Entre l'idée d'une chose contingente ët soii existence réelle, il n'y a aucune liaison nécessaire. Dieu lui-même ne couuoit pas l'existence des êtres créés par l'idée qui lui représente essentiellement ces êtres:

Qui ne s'effraieroit de se voir égaré dans cette vaste ignorance, incertain de tout et de soi-même? Car encore n'ai-je admis, à quelques égards, la réalité de nos sentiments, que par une supposition toute gratuite. Au fond, nous n'en avons aucune preuve. Le sentiment n'en est pas une, puisque e'est lui qu'il faut prouver. Ainsi nous ne sommes pas plus assurés de nos sentiments que de nos sensations, et notre être tout entier nous échappe, sans que nous puissions le retenir. Nous avons beau dire: je sens, nous avons beau dire : je suis, nous n'en demeurons pas moins dans l'impuissance éternelle de nous démontrer, à nous-mêmes, que nous sentons et que nous sommes : tant le néant nous est naturel! tant il nous presse de toutes parts!

En vain appelons-nous le raisonnement à notre secours : fragile barrière contre le doute! ou plutôt impétueux torrent qui brise toutes les digues, emporte et submerge toutes les certitudes, quand il vient à se déborder sur nos connoissances! Rien ne l'arrête, rien ne lui résiste; il ébranle la nature même. Quelle est la vérité que le raisonnement ait laissée intacte ? Que ne nie-t-on pas à son aide, et que n'affirme-t-on point? Il sert et trahit indifféremment toutes les causes; il ôte tour à tour et donne l'empire à toutes les opinions. Chaque siècle, chaque pays, chaque homme a les siennes, aussi inconstantes que les rêves du sommeil, et souvent opposées entre elles. On les voit, comme de légers météores, briller un instant, et se replonger dans une nuit éternelle. Nous nous rions des idées de nos pères, comme ils s'étoient ri des pensées des leurs, et comme nos enfants se riront de nos opinions. Qu'est-ce donc que le vrai, et qu'est-ce que le

eur cette idée est éternelle. Il sait qu'ils existent, parce qu'il conuoil ses volontés, seule cause el'liciente de leur existence.

faux? Cela est convaincant, dit l'un; rien de plus absurde, répond l'autre : qui sera juge entre eux? S'il en est un, qu'il paroisse, et qu'il montre ses titres.

On peut tout soutenir, tout contester, môme sans recourir à des principes divers; car il n'en est point d'où l'on ne déduise des conséquences contraires. Deux esprits, partant' du même point, et marchant au même but, ne sauroienl faire quatre pas sans se séparer. Que dis-je? Notre propre esprit, différant de lui-même, adopte et rejette, d'un moment à l'autre, le même jugement, d'une persuasion également pleine, et qu'aucun changement, si soudain qu'il soit, nê déconcerte. Étrange instabilité! Tout passe à travers l'entendement, rien n'y séjourne; et lui-même, chancelant sur sa base inconnue, ressemble à une maison en ruine, que ses habitants se hâtent d'abandonner. Voilà notre état, plein d'obscurité, d'ignorance et d'incertitude. Je ne sais quelle puissance fatale se joue dédaigneusement de notre raison, sitôt qu'elle se sépare de la raison commune, la pousse et repousse en tous sens dans des ténèbres impénétrables.

On ne sauroit se défendre d'une pitié profonde à la vue d'une faiblesse si extrême et si incurable. Et cependant cette raison hautaine osera vanter sa grandeur, et s'enorgueillir insolemment, au milieu de ses domaines fantastiques et de ses richesses imaginaires. Faisons-lui donc sentir une fois sa prodigieuse indigence; dépouillons-la, comme un roi de théâtre, de ses vêtements empruntés, el que, se voyant telle qu'elle est, nue, infirme, défaillante, elle apprenne à s'humilier, et à rougir de son extravagante présomption.

11 ne faut pas avoir beaucoup réfléchi sur soi-même, . pour savoir combien l'homme est aisément séduit par les plus légères apparences du vrai; et ce qu'il appelle se détromper, n'est souvent que céder à d'autres apparences

non moins vaines. La vie n'est qu'une longue expérience de l'inanité de nos jugements, que les intérêts, les passions altèrent, et que le temps seul, sans aucune autre cause, change et dénature entièrement. Soumis à l'inttuence de -tout ce qui nous environne, et dépendants de notre organisation même, nos goûts, nos penchants, nos affections, nos haines, la maladie, la santé, le soleil qui se cache ou qui luit, la nue qui passe, les modifient de mille manières, et les déterminent à notre insu. De là cette perpétuelle fluctuation d'idées et de sentiments contraires, que chacun de nous, en s'observant, remarque en soi. La vérité et l'erreur, sans fondement dans notre esprit, ressemblent à des ondes mobiles qui, cédant au moindre souffle, se croisent, se mêlent, se confondent, et viennent incessamment se briser sur le même rivage.

« Tout notre raisonnement, dit Pascal, se réduit à céder "au sentiment. Mais la fantaisie est semblable et contraire « au sentiment; semblable, parce qu'elle ne raisonne point; '< contraire, parce qu'elle est fausse : de sorte qu'il est « bien difficile de distinguer entre ces contraires. L'un dit « que mon sentiment est fantaisie, et que sa fantaisie est « sentiment; et j'en dis de même de mon côté. On auroit « besoin d'une règle. La raison s'offre, mais elle est pliable >< à tous sens ; et ainsi il n'y en a pointl. »

On ne raisonne que sur ce que l'on connoît; or, nous ne connoissons rien qu'imparfaitement etincertainement; nos raisonnements participent donc de l'incertitude et de l'imperfection de nos connoissances. 11 y a plus: la raison, versatile et bornée, ajoutant ses propres ténèbres à celles qui couvrent déjà les notions sur lesquelles elle opère, en augmente l'incertitude, et multiplie indéfiniment les chances d'erreur.

1 Pensées de Pascal, t. H, p. 195, <Mit. de 1805.

Ce n'est pas tout, et la certitude qui se tire du raisonnement est sujette à des difficultés bien plus terribles. Car, lorsque notre esprit compare, infère, conclut, que fait-il que mettre en œuvre les matériaux que lui fournit la mémoire? Entièrement à la merci de cette faculté mystérieuse, il dispose et combine les idées qu'il reçoit d'elle aveuglément. Or, dépourvus de tout moyen de vérifier ses rapports, nous ne saurions nous assurer que nos réminiscences ne sont pas de pures illusions. La mémoire seille atteste la fidélité de la mémoire. Nous en croyons son témoignage, sans l'ombre même d'une preuve, et le jugement par lequel, liant notre existence présente à notre existence passée, nous prononçons que nous sommes le même être identique qui a été affecté successivement de telles sensations et de telles pensées, est un acte de foi si profond, si rigoureux, si dénué de motifs rationnels dé- . terminants, qu'à peine comprend-on que cet acte soit possible à l'homme.

Ainsi, nous n'avons aucune certitude que la mémoire ne nous trompe point : nous savons seulement que, si elle nous trompe, notre raison n'est qu'une chimère, une ridicule parodie de je ne sais quelle intelligence supérieure, dont il semble que nous sentions le besoin et concevions -la nécessité, en même temps qu'une force invincible arrête notre propre intelligence dans une inquiétante obscurité, qui la force à douter d'elle-même.

Ajoutez à cela l'impuissance absolue de raisonner, si l'on ne part d'un premier principe qu'on suppose sans le démontrer, d'un axiome que l'on convient d'appeler évident, et qui peut n'être, comme je l'ai fait voir, qu'une erreur plus ou moins insurmontable pour nous. Ainsi, notre logique manque de base ; elle s'appuie uniquement sur des hypothèses gratuites, aussi douteuse elle-même que ces hypothèses ; car d'où tirerons-nous l'assurance qu'il existe

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