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de leurs hauteurs, pour porter aux barbares la parole de Dieu et les douceurs de la

vie.

On dira peut-être que, les causes qui donnèrent naissance à la vie monastique n'existant plus parmi nous, les couvents étaient devenus des retraites inutiles. Et quand done ces causes ont-elles cessé? N'y a-t-il plus d'orphelins, d'infirmes, de voyageurs, de pauvres, d'infortunés? Ah! lorsque les maux des siècles barbares se sont évanouis, la société, si habile à tourmenter les âmes et si ingénieuse en douleur, a bien su faire naitre mille autres raisons d'adversité qui nous jettent dans la solitude! Que de passions trompées, que de sentiments trahis, que de dégoûts amers nous entraînent chaque jour hors du monde!

« C'était une chose fort belle que ces maisons religieuses où l'on trouvait une retraite assurée contre les coups de la fortune et les orages de son propre cœur. Une orpheline abandonnée de la société, à cet âge où de cruelles séductions sourient à la beauté et à l'innocence, savait du moins qu'il y avait un asile où l'on ne se ferait pas un jeu de la tromper. Comme il était doux pour cette pauvre étrangère sans parents d'entendre retentir le nom de sœur à ses oreilles ! Quelle nombreuse et paisible famille la reli gion ne venait-elle pas de lui rendre! Un Père céleste lui ouvrait sa maison et la recevait dans ses bras.

« C'est une philosophie bien barbare et une politique bien cruelle que celles-là qui veulent obliger l'infortuné à vivre au milieu du monde. Des hommes ont été assez peu délicats pour mettre en commun leurs voJuplés; mais l'adversité a un plus noble égoïsme, elle se cache toujours pour jouir de ses plaisirs, qui sont ses larmes. S'il est des lieux pour la santé du corps, ah! per mettez à la religion d'en avoir aussi pour la santé de l'âme; elle qui est bien plus su jette aux maladies, et dont les infirmités sont bien plus douloureuses, bien plus longues et bien plus difficiles à guérir.

< Des gens se sont avisés de vouloir qu'on élevât des retraites nationales à ceux qui pleu rent. Certes, ces philosophes sont profonds dans la connaissance de la nature, humaine! C'est-à-dire qu'ils veulent confier le malheur à la pitié des hommes, et mettre les chagrins sous la protection de ceux qui les causent. Il faut une charité plus magnifique que la nôtre pour soulager l'indigence d'une âme infortunée: Dieu seul est assez riche pour lui faire l'aumône.

« On a prétendu rendre un grand service aux religieux et aux religieuses en les forçant de quitter leurs retraites: qu'en est-il advenu? Les femmes qui ont pu trouver un asile dans des monastères étrangers s'y sont réfugiées; d'autres se sont réunies pour former entre elles des monastères au milieu du monde; plusieurs enfin sont mortes de chagrin; et ces Trappistes si à plaindre, au lieu de profiter des charmes de la liberté et

de la vie, ont été continuer leurs macérarations dans les bruyères de l'Angleterre et les déserts de la Russie.

Il ne faut pas croire que nous soyons tous nés pour manier le hoyau, le mousquet, et qu'il n'y ait pas d'homme d'une délicatesse particulière qui soit formé pour le labeur de la pensée, comme un autre pour le travail des mains.

« N'en doutons point, nous avons au fond du cœur mille raisons de solitude: quelquesuns y sont entraînés par une pensée tournée à la contemplation; d'autres par une certaine pudeur craintive qui fait qu'ils aiment à habiter en eux-mêmes; enfin, il est des âmes trop excellentes qui cherchent en vain dans la nature les autres âmes auxquelles elles sont faites pour s'unir, et qui semblent condamnées à une sorte de virginité morale ou de veuvage éternel. C'était surtout pour ces âmes solitaires que la religion avait élevé ses retraites.

On doit sentir que ce n'est pas de l'his toire particulière des ordres religieux qu'il s'agit ici, mais seulement de leur histoire morale. Cependant nous ne pouvons nous empêcher de faire une observation. Il y a des personnes qui méprisent, soit par ignorance, soit par préjugés, ces constitutions sous lesquelles un grand nombre de cénobites ont vécu depuis plusieurs siècles. Ce mépris n'est rien moins que philosophique, et surtout dans un temps où l'on se pique de connaître et d'étudier les hommes. Tout religieux qui, au moyen d'une haire ou d'un sac, est parvenu à rassembler sous ses lois plusieurs milliers de disciples, n'est point un homme ordinaire, et les ressorts qu'il a mis en usage, l'esprit qui domine dans ses institutions, valent bien la peine d'être examinés.

de toutes ces règles monastiques, les plus Il est digne de remarque, sans doute, que rigides ont été le mieux observées; les Chartreux ont donné au monde l'unique exemple d'une congrégation qui a existe sept cents ans, sans avoir besoin de réforme. Ce qui prouve que, plus le législateur combat fes penchants naturels, plus il assure la durée de son ouvrage. Ceux, au contraire, qui prétendent élever des sociétés, en employant les passions comme matériaux de l'édifice, ressemblent à ces architectes qui bâtissent des palais avec cette sorte de pierre qui se fond à l'impression de l'air.

« Les ordres religieux n'ont été, sons beaucoup de rapports, que des sectes philosophiques assez semblables à celle des Grecs. Les moines étaient appelés philosophes dans les premiers temps; ils en portaient la robe et en imitaient les mœurs. Quelques-uns même avaient choisi pour seule règle le Manuel d'Epictète. Saint Basile établit le premier les voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Cette loi est profonde, et si l'on y réfléchit, on verra que le génie de Lycurgue est renfermé dans ces trois préceptes. Dans la règle de SaintBenoti, tout est prescrit, jusqu'aux moindres

détails de la vie : lit, nourriture, promenade, conversation, prière. On donnait aux faibles des travaux plus délicats, aux robustes de plus pénibles; en un mot, la plupart de ces lois religieuses décèlent une connaissance incroyable dans l'art de gouverner les hommes. Platon n'a fait que rêver des républiques, sans pouvoir rien exécuter; SS. Augustin, Basile, Benoît ont été de vrais législateurs et les patriarches de plusieurs grands peuples.

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« On a bien déclamé, dans ces derniers temps, contre les vœux perpétuels, mais il n'est peut-être pas impossible de trouver en leur faveur des raisons puisées dans la nature des choses et les besoins mêmes de notre âme. - L'homme est surtout malheureux par son inconstance et l'usage de ce libre arbitre qui fait à la fois sa gloire et ses maux, et qui fera sa condamnation. Il flotte de sentiment en sentiment, de pensée en pensée; ses amours sont mobiles comme ses opinions, et ses opinions comme ses amours. Cette inquiétude le plonge dans une misère dont il ne sort que quand une force supérieure l'attache à un seul objet. On le voit alors porter avec joie sa chaîne; car l'homme infidèle hait pourtant l'infidélité. Ainsi, l'artisan est plus heureux que le riche oisif, parce qu'il est soumis à un travail impérieux qui ferme autour de lui toutes les voies du désir ou de l'inconstance. La même soumission à la puissance fait le bien-être des enfants, et la loi qui défend le divorce a moins d'inconvénients pour la paix des familles que la loi qui le permet. Les anciens législateurs avaient reconnu cette nécessité d'imposer un joug à l'homme. Les républiques de Lycurgue et de Minos n'étaient en effet que des espèces de communautés où l'on était engagé, en naissant, par des vœux perpétuels. Le citoyen y était engagé à une existence uniforme ou monotone. Il était assujetti à des règles fatigantes qui s'étendaient jusque sur ses repas et ses loisirs; il ne pouvait disposer des heures de sa journée, ni des âges de sa vie on lui de mandait un sacrifice rigoureux de ses goûts, il lui fallait aimer, penser, agir d'après la loi, on lui avait retiré sa volonté pour le rendre heureux. Le vœu perpétuel, c'està-dire la soumission à une règle inviolable, loin de nous plonger dans l'infortune, est donc au contraire une disposition favorable au bonheur, surtout quand ce vœu n'a d'autre but que de nous défendre contre les illusions du monde, comme dans les ordres monastiques. Les passions ne se soulèvent guère en nous avant notre quatrième lustre; à quarante ans, elles sont déjà éteintes ou détrompées ainsi le serment indissoluble nous prive tout au plus de quelques années de désirs, pour faire ensuite la paix de notre vie, nous arracher aux regrets ou aux remords, le reste de nos jours. Or, si vous mettez en balance les maux qui naissent des passions avec le peu de moments de joie qu'elles vous donnent, vous verrez que le You perpétuel est encore un plus grand

bien, même dans les plus beaux instants de la jeunesse. Supposons qu'une religieuse put sortir de son cloître à volonté, nous demandons si elle serait heureuse. Quelques années de retraite auraient renouvelé pour elle la face de la société. Au spectacle du monde, si nous détournons un moment la tête, les décorations changent, les plaisirs s'évanouissent; et lorsque nous reportons les yeux sur la scène, nous ne voyons plu que des déserts et des acteurs inconnus.

« On verrait incessamment la folie de notre siècle entrer par caprice dans les cou vents et en sortir de même. Les cœurs agi tés ne seraient plus assez longtemps auprès des cœurs paisibles pour prendre un peu de leur repos, et les âmes sereines auraient bientôt perdu le calme dans le commerce des âmes troublées. Au lieu de promener en silence leurs chagrins passés dans les abris du cloître, les malheureux iraient se racontant leurs naufrages et s'excitant peut-être encore à braver les écueils. Femme du monde, femme de la solitude, l'infidèle épouse de Jésus-Christ ne serait propre ni à la solitude, ni au monde; ce flux et reflux des passions, ces vœux tour à tour formés et rompus, banniraient des monastères la paix, la subordination, la décence; ces retraites sacrées, loin d'offrir un port assuré à nos inquiétudes, ne seraient plus que des lieux où nous viendrions pleurer un moment l'inconstance des autres, et méditer nous-mêmes des inconstances nouvelles.

«Mais ce qui rend le vœu perpétuel de la religion bien supérieur à l'espèce de vœu politique du Spartiate et du Crétois, c'est qu'il vient de nous-mêmes, ne nous est imposé par personne, et présente au cœur une compensation pour ces amours terrestres que l'on sacrifie. Il n'y a rien que de grand dans cette alliance d'une âme immortelle avec le principe éternel; ce sont deux natures qui se conviennent et qui s'unissent. Il est sublime de voir l'homme, né libre, chercher en vain son bonheur dans sa volonté; puis, fatigué de ne rien trouver ici-bas qui soit digne de lui, se jurer d'aimer à jamais l'Etre suprême, et se créer comme Dieu, dans son propre serment, une nécessité. »

Mais ce n'est point ainsi que nos rationalistes contemporains comprennent la vie mo nastique. Peu contents d'en flétrir les pratiques et les maximes les plus saintes, ils veulent saper l'édifice par la base, l'attaquer dans son origine en montrant la vie monastique, non plus comme une inspiration du Verbe divin, mais comme une importation étrangère, et une production naturelle du mysticisme oriental. C'est à repousser cette erreur que M. l'abbé Chassay, dans ses essais sur le mysticisme, a particulièrement consacré son talent. Voici comme il s'exprime :

« Un grand nombre de savants avouent volontiers que l'Eglise primitive fit de courageux efforts pour repousser l'invasion du quiétisme oriental qui s'efforçait sans cesse de pervertir l'enseignement du Sauveur,

mais ils avancent ensuite que cette résistauce ne fut que momentanée, que les circonstances devinrent au siècle tellement favorables qu'il fut impossible d'empêcher le mysticisme le plus extravagant d'entrainer dans de tristes aberrations les défenseurs les plus éminents du christianisme (221). En effet, quand la doctrine de Jésus-Christ eut jeté en Egypte de profondes racines, le quiétisme oriental fit, dès les premiers temps, de perpétuelles tentatives pour la transformer. Sans doute les Chrétiens résistèrent jusqu'à un certain point à ces audacieuses innovations; mais ils cédèrent peu à peu à l'esprit du siècle et s'approprièrent insensiblement les principes ascétiques de leurs adversaires. On recommanda le célibat comme un état de plus haute perfection, on admira les pénitences et les mortifications volontaires, on parla de science intuitive surnaturelle obtenue par ceux qui auraient purifié l'âme en domptant les sens et en extenuant le corps.

« L'admiration générale que les saints anachorètes et cenobites excitèrent parmi « le peuple fit répandre leur genre de vie « dans le monde chrétien, et c'est ainsi que a des principes tout à fait étrangers au christianisme de l'Evangile, comme ils le « furent plus tard à l'islamisme du Koran, pénétrèrent dans ces deux religions et y « répandirent la vie ascétique et monasti«que. (BOCHINGER, La vie contemplative, ascétique et monastique chez les Indous. Conclusion.)

Mais il s'en faut bien que le gnosticisme, qui altéra si profondément l'essence du christianisme, fût un accident isolé dans l'histoire de l'esprit humain; depuis longtemps les doctrines hindoues s'étaient répandues en Egypte, quand l'Evangile s'y établit. Elles avaient envahi non-seulement les écoles païennes; mais un grand nombre de Juifs, surtout les Esséniens, les avaient réalisées en adoptant la vie contemplative, avant la prédication du christianisme. Il ne faut donc pas s'étonner si, dès l'origine, les docteurs chrétiens de l'école d'Alexandrie subirent si profondément l'influence du quiétisme oriental. Clément et Origène, le dernier surtout, mêlèrent à l'enseignement évangélique une multitude d'éléments étrangers. Il se fit d'ailleurs, au sein des masses, un mouvement spontané qui contribua puis

-

(221) C'est là l'opinion présentée sous des formes très-variées par une multitude de rationalistes cou. temporains. - Cf. COUSIN, Histoire de la philosophie au XVIIIe siècle, surtout 1x leçon, et Fragments philosophiques, 11, 366.-PAUTHIER, Tao-le-King, chap. 11. -MICHELET, Histoire de France, t. 1, 112, 113. Pierre LEROUX et Jean REYNAUD, Encyclopédie nouvelle, articles Bonheur, Ciel, Saint Augustin. Les protestants anciens et modernes partagent cette manière de voir. Cf. MOSHEIM, Histoire ecclésiastique, 11 siècle. BRUCKER, Histoire de la philosophie, III. JOUFFROY, Cours de droit naturel, iv* et v leçons, n'a fait que les exagérer. - M. Bochinger, écrivain protestant, a suivi Mosheim et Brucker dans son livre, très-savant d'ailleurs, sur la vie contemplative et mystique chez les Indous.

samment à jeter la religion nouvelle dans des voies inconnues qu'elle avait essayé d'éviter jusqu'alors avec une prudence soupçonneuse.

« La société romaine, fortement ébranlée, croulait dans sa base; le christianisme, qui avait tenté de ressusciter ce monde condamné en y introduisant le mouvement et la charité, commençait à désespérer de son œuvre. Ce fut alors que du sein des tombeaux et des ruines qui couvrent la terre d'Egypte, du milieu des déserts de sable, s'éleva une nouvelle génération de Chrétiens, ardente et visionnaire, qui, à force d'enthousiasme et d'énergie, parvint à discréditer la doctrine des bonnes œuvres et à endormir pour des siècles la société au sein des élans d'un mysticisme frénétique. Les Antoine, les Hilarion, les Pacôme, les Théodore, les Macaire, furent les organisateurs du nouvel Evangile qui renversait dans ses bases sacrées la doctrine profondément sociale, véritablement civilisatrice, que le Christ et les apôtres avaient annoncée à la terre. C'est alors que commencèrent, au sein du christianisme, des jeunes extravagants, des mortifications effrenées, un enthousiasme sans règle pour la solitude, le célibat, la vie contemplative, en un mot pour toutes les pratiques inventées, dans les monastères de l'Inde, par le quiétisme des brahmanes. On trouve toutes ces assertions même dans les livres élémentaires destinés à la jeunesse catholique de nos écoles.

« C'est dans l'Orient et avant le christia«nisme, dit M. Desmichel, qu'il faut cher«cher les causes de la vie érémitique. La << même exaltation qui avait enfanté les << rêves des gnostiques donna naissance au « monachisme. Les Juifs avaient eu leurs «<esséniens et leurs thérapeutes, qui vivaient « à l'écart des autres hommes et aspiraient, << par les pratiques les plus rigoureuses, à « une perfection surhumaine.... Le mysti«cisme des premiers siècles, né de l'alliance << du pythagorisme avec la philosophie orien<< tale, et mis en honneur par Örigène, fit << revivre la discipline des thérapeutes; les << persécutions de Dèce et de Dioclétien lui << donnèrent de nombreux adeptes. Dès lors, << la vie contemplative, décorée du nom de << philosophie divine, fut embrassée avec « ardeur par une foule de Chrétiens exaltés << ou pusillanimes (222). »

(222) DESMICHELS, histoire générale du moyen âge, 403, 404. Cependant M. Desmichels nous permettra de ne pas partager son indignat on singulière. En effet, si nous avions quelque envie de partager son antipathie pour les institutions monastiques, nous serions arrêtés par cet aveu dont nous félicitons sa loyauté Comme c'est du sein des monastères que sortirent les plus ardents promoteurs de la foi, les progrès de l'ordre monastique suivirent ceux du Christianisme. (Desmichels, 409.) Nous recominandons ee fait à ceux qui veulent nous débarrasser des moines pour rendre service à la cause de l'Eglise! La pensée de M. Desmichels à été développée par le R. P. Lacordaire avec son eloquence ordinaire Les ordres religieux devinrent les

ministres ordinaires de l'apostolat et de la science

« Nous pensons avoir présenté dans toute sa force la suite des objections de nos adversaires. Nous croyons même leur avoir donné plus de vigueur, parce que nous avons réuni toutes les difficultés qu'on a mises en avant sur cette matière, depuis Mosheim jusqu'à Jouffroy. Mais ce brillant échafaudage, construit par l'imagination de nos adversaires, peut-il tenir devant le sérieux examen d'une science impartiale et complète?....

« Nous concéderons volontiers à nos adversaires que la vie monastique est plus ancienne que le Christianisme; mais la conclusion qu'ils en tirent, qu'elle a pris son origine dans le brahmanisme ou dans le bouddhisme, nous paraît complétement insoutenable. Si l'on avait porté dans ces graves questions toute l'attention qu'elles méritent, on aurait dû s'apercevoir que, bien des siècles avant la prédication chrétienne, la vie monastique s'était constituée au sein même du mosaïsme, non pas par l'influence de la philosophie hindoue, mais sous l'inspiration des hommes les plus recommandables par leur zèle pour l'unité de Dieu, et dont la mémoire est restée à jamais célèbre, à cause des luttes courageuses qu'ils ont soutenues contre le paganisme et l'immoralité. C'est ainsi que furent fondées les écoles des prophètes ce fut cette grande institution qui, en se développant et en s'harmonisant avec les principes du Christianisme, fut le véritable point de départ de la vie monastique.....

« Quelles sont les bases essentielles de la vie monastique? Sans doute, depuis l'origine du Christianisme, ce genre d'existence s'est révélé sous des formes singulièrement va

divine sous la juridiction de l'épiscopat. Aux frères prêcheurs se joignirent bientôi les frères mineurs de Saint-François, que suivirent plus tard d'autres congrégations, selon les temps et les besoins. L'histoire a raconté leurs travaux. Des hérésies formidables s'élevèrent, des mondes nouveaux se découvrirent; mais dans les régions de la pensée comme sur les flots de la mer, nul navigateur ne put aller aussi loin que le dévouement ou la doctrine des ordres religieux. Tous les rivages ont gardé la trace de leur sang, et tous les échos le son de leur voix. L'indien, poursuivi comme une bête fauve, a trouvé un asile sous leur froc; le nègre a encore sur son cou la marque de leurs embrassements; le Japonais et le Chinois, séparés du reste de la terre par la coutume et l'orgueil encore plus que par le chemin, se sont assis pour entendre ces merveilleux étrangers; le Gange les a vus communiquer aux parias la sagesse divine; les ruines de Babylone leur ont prêté une pierre pour se reposer, et songer un moment, en s'essuyant le front, aux jours anciens. quels sables et quelles forêts les ont ignorés? Quelle langue est-ce qu'ils n'ont pas parlée? Quelle 1 plaie de l'âme et du corps n'a senti leur main? Et pendant qu'ils faisaient et refaisaient le tour du monde sous tous les pavillons, leurs frères portaient la parole dans les conseils et sur les places publiques de l'Europe; ils écrivaient de Dieu en mêlant le génie des Pères de l'Eglise à celui d'Aristote et de Platon, le pinceau à la plume, le ciseau du sculpteur au compas de l'architecte, élevant sous toutes formes ces fameuses

riées, appropriées au besoin des temps et au génie des peuples (223.) Mais, au milieu de ces modifications pleines d'intelligence et d'avenir, le fond même de l'institution n'a pas changé elle a toujours reposé sur l'obéissance, la mortification et le célibat. Or, il est surprenant que les écrivains protestants, en condamnant ces trois règles fondamentales de la vie parfaite (224), n'aient pas vu qu'il faut faire retomber cette condamnation sur le Fils de Dieu, sur celui-là même qui est la voie, la vérité et la vie ! Quant aux rationalistes décidés, l'antipathie qu'ils ont toujours professée pour l'obéissance, la pénitence et la chasteté, devait mener tôt ou tard à la réhabilitation de la chair, à la religion du plaisir, à toutes les folles rêveries dont les sectes communistes donnent anjourd'hui à l'Europe justement effrayée le triste et dégoûtant spectacle (225). Le rationalisme a cru en vain pouvoir de ses mains téméraires partager en deux la doctrine évangélique, sans s'apercevoir qu'enlever une pierre de cet édifice divin, c'est le faire crouler à l'instant et écraser sous ses ruines la morale et la société. (Cf. l'admirable travail de M. l'abbé GERBET, Rapports du rationalisme avec le communisme, dans l'Université catholique, XXIX.) La société, en effet, ne vit que par le dévouement et la pauvreté, l'obéissance, le célibat, la pénitence volontaire, n'est-ce pas le dévouement dans son expression la plus élevée et la plus sublime? n'est-ce pas l'immolation constante de soi-même, sous toutes les formes et à tous les instants? n'est-ce pas le sacrifice de ce que la personnalité à de plus profond et de plus intime? Je ne suis donc pas surpris si les sociétés qui ont méconnu ces orin

sommes théologiques, diverses par leurs maté riaux, uniques par la pensée, que notre siècle se reprend à lire et à aimer. De quelque côté qu'on regarde, les ordres religieux ont rempli de leurs actions les six premiers siècles de l'Eglise, et (sauvé sa puissance en butte à des événements que l'épiscopat tout seul n'aurait pas conjurés. › (Le P. LACORDAIRE., Mémoire pour le rétablissement des Frères Prêcheurs.)

(223) De là vient, dit très-bien M. Martin Doizy, la puissance de son action et de sa gran‹ deur.» (Martin Dorsy, Origines et fondements de la liberté, de l'égalité et de la fraternité parmi les hommes, titre III, § 5, formes diverses de la mopasticité.)

(224) De tels excès ne surprendront pas quand on voudra bien se rappeler les origines du protestan tismes. Quel a été en effet son premier apôtre? Lais sons répondre un démagogue célèbre qui réfute en quelques mots les Mémoires de Luther de M. Miche let: Luther, personnification de la liberté! un pourceau d'Epicure, un grossier Silene, un satyre immonde: flagorneur rampant de tous les princes, ennemi acharné des franches conséquences de son propre principe, thaumaturge absurde!! (L. Auguste BLANQUI, Lettre citée dans l'Ami de la religion, du 6 décembre 1849.)

(225) Ces assertions auraient besoin, à cause de leur gravité, d'être appuyées sur les preuves les plus fortes; mais nous ne croyons pas devoir y revenir ici, parce que nous l'avons déjà fait longue ment dans la Pureté du Cœur, a

Il arrive qu'il meurt à la guerre; mais cette mort lui est glorieuse. »> (Martin DoISY, Origines et fondements de la liberté, de l'égalité et de la fraternité parmi les hommes; tit. 11, § 3.)

cipes admirables se sont affaissées rapidement au sein de l'égoïsme et de la corruption. En proscrivant le sacrifice, elles ont proscrit l'Evangile lui-même. Elles ont arrêté dans les veines du corps social la séve généreuse qui faisait sa forme et sa vie. Sans << Proposez-vous, continue saint Basile, doute, il est facile, dans d'éloquentes décla- comme le soldat de l'empercur, une vie mations, de protester au nom de la raison sans maison, sans ville, sans possession, et de la nature contre le mysticisme évangé- sans richesses, soyez libres. Dégagez-vous lique; mais ce qui est beaucoup moins fa- de toutes les préoccupations de ce monde. eile, c'est de faire vivre les sociétés sans que « N'embarrassez point vos pas dans l'amour personne consente à s'immoler pour la justice d'une femme, ni dans les soins de l'éduet pour la vérité. Les moines, qui n'étaient cation des enfants; car ces assujettissepas profonds philosophes, mais qui étaient ments sont inconciliables avec la milice inspirés par un généreux instinct, ont bien « divine dans laquelle vous êtes entrés. mérité de l'humanité et de l'avenir en fou-Elle demande de vous qu'au lieu de laislant sous leurs pieds victorieux les résis-ser des enfants sur la terre, vous en fastances de l'égoïsme, afin de combattre para siez monter au ciel. Elle vous engage par d'héroïques exemples les séductions du ser sualisme et les illusions de l'orgueil. Ils se sont considérés comme des soldats réservés à des combats sublimes, et qui devaient terrasser tout à la fois les passions de l'esprit et de la chair. Qu'on ne se figure pas que co soit là un idéal créé par notre imagination. Dès les premiers développements de la vie monastique, un illustre docteur qui a exercé sur les solitaires d'Orient une immense influence (226), leur adressait des paroles qui ressemblent très-peu aux doctrines des quié tistes de l'Inde :

Athlètes ouvriers de Jésus-Christ, leur disait-il, vous vous êtes engagés à lui pour combattre tout le jour, pour en supporter toute la chaleur. Ne cherchez pas de repos avant la fin du jour. Attendez le soir, c'est-à-dire la fin de la vie, l'heure à laquelle le père de famille viendra comp ter avec vous, et vous paiera votre salaire.» (Saint BASILE, cité et traduit dans Martin Doisy, Origines et Histoire de la Charité.)

« M. Martin Doisy commente ainsi ce beau passage : « Un soldat ne bâtit pas de maisons et ne s'embarrasse pas d'acheter ⚫ des terres; il ne s'ingère pas de commerce et de trafic. Il ne s'embarrasse pas dans « les emplois de la vie civile, afin de no s'occuper qu'à satisfaire celui qui l'a enrôlé. Un soldat est nourri du pain du roi; il n'a pas à s'occuper de sa nourriture. Les ordres du roi lui font ouvrir toutes les portes des maisons de ses sujets, dans toute l'étendue de ses Etats. I n'a donc pas à s'occuper de son logement. Il plante sa tente au milieu des places publiques. Il règle sa nourriture sur la seule nécessité. Il ne boit que de l'eau et ne dort qu'autant que la nature l'exige. Il fait de fréquents voyages et veille des nuits entières. Il s'endurcit au chaud et au froid. Il combat les ennemis de l'Etat, et passe sa vie dans les périls.

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(226) Sur saint Basile et sur la règle qu'il a donnée aux moines d'Orient, Cf. saint Crégoire de NAZIANZE, discours 20. — Saint JEROME, Des Ecrirains ecclésiastiques, chap. 116. - RUFIN, Histoire ecclésiastique, livre n, chap. 9.-SozoMENE, Histoire

une union toute pure et toute sainte à être les conducteurs des âmes, et à mettre • au monde des enfants spirituels. La terre « ne vous aura pas au nombre de ses ci«toyens; mais le ciel vous mettra au rang « de ses habitants, et les anges vous porte

ront jusqu'au ciel entre les bras de Jésus« Christ même, qui vous appellera son ami, « son bon et fidèle serviteur. Et ce que je « dis ne s'adresse pas seulement aux hom

mes, car les femmes sont aussi comprises dans la milice de Jésus-Christ.» (Saint BASILE, traduction de Martin DOISY, Origines et fondements de la liberté.)

«Que devait faire cette milice de JésusChrist, sinon prendre pour la règle de sa vie les inspirations héroïques de l'Evangile?

« Or, qu'on ne s'y trompe pas, les conseils de Jésus-Christ tendent tous à la réhabilitation de la pauvreté. Avant le Christ, toutes les religions qui dominaient dans l'empire romain avaient inspiré l'horreur de la souffrance et de la misère. L'indigence était regardée comme un signe incontestable de la vengeance des dieux; elle entraînait après elle autant d'ignominie que de douleurs. Les pauvres joignaient donc aux épreuves inséparables de leur condition toutes les tristesses d'un désespoir inévitable.Ils étaient les ennemis nécessaires et naturels d'une société qui n'avait pour eux que de l'antipathie et du mépris. Mais quelle révolution. se fit dans l'univers moral, quand le Verbe divin, quittant les splendeurs éternelles, vint évangéliser les pauvres, revêtu de la forme de l'esclave! Non-seulement il proclama la pauvreté bienheureuse, et lui promit le royaume du Père céleste, mais il en supporta lui-même, pendant sa vie mortelle, toutes les privations et tous les mépris. Pour que son enseignement portat ses fruits dans la société nouvelle, créée par sa parole, il fallait qu'il se trouvât des hommes assez grands et assez forts pour continuer

ecclésiastique, livre m, chap. 13. — NICEPHORE CALLISTE, Histoire ecclésiastique, livre 1x, chap. 12, e livre xin, chap. 29. — POTHIER, Bibliothèque, livre

CXCI.

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