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Humbert, personnage illustre, et général de l'ordre des Dominicains, rapporte qu'un religieux étant mort, apparut à un autre tout brillant de gloire, et que le tirant de sa cellule, il lui mon ra un grand nombre d'hommes vêtus de blanc et environnés de clarté, qui portant de très belles croix sur leurs épaules, s'en allaient en procession au ciel. Il lui en fit voir d'autres ensuite qui marchaient dans le même ordre, mais qui étaient beaucoup plus éclatants de lumière que les premiers, et tenaient chacun à la main une croix beaucoup plus belle et beaucoup plus riche. Après cela, il passa une troisième procession, mais incomparablement plus lumineuse et plus admirable que les deux autres; toutes les croix y étaient aussi d'une beauté bien surprenante, et au lieu que les hommes des deux autres troupes portaient chacun la

leur, ou à la main, ou sur leurs épaules, ceux-ci avaient chacun ange qui portait leur croix devant eux, afin qu'ils marchassent plus facilement et suivissent avec plus de joie. Le religieux étonné de cette vision, en demanda l'explication à celui qui la lui avait montrée; celui-ci lui répondit que les premiers qu'il avait vus porter leurs croix sur leurs épaules, étaient ceux qui étaient entrés en religion dans un âge avancé; que les seconds qui la tenaient à la main, étaient ceux qui s'y étaient mis lorsqu'ils étaient encore jeunes: et que les derniers, qui marchaient si librement, étaient ceux qui, dès leur plus tendre jeunesse, avaient embrassé la vie religieuse et renoncé à toutes les vanités du monde. NUDITE CONTEMPLATIVE. (Voy. CONTEMPLATION.)

OBEISSANCE, SON EXCELLENCE, SES DEGRĖS, etc. L'excellence de cette vertu, si in fispensable dans la vie ascétique, se fonde sur les divines Ecritures, sur l'autorité et l'exemple de tous les saints.

Est-ce que le Seigneur) veut qu'on lui offre des holocaustes et des victimes, et non pas plutôt qu'on obéisse à sa voix ? L'obéissance vaut mieux que les victimes; et il vaut mieux faire ce que Dieu veut, que de lui offrir la graisse des béliers. Saint Augustin demande en plusieurs endroits, pourquoi Dieu défendit à l'homme de manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal; et une des raisons qu'il en donne, c'est que Dieu voulait montrer aux hommes que l'obéissance est d'elle-même un grand bien, et que la désobéissance est d'elle-même un grand mal. En effet, ce ne fut pas le fruit de l'arbre qui fut cause de tous les malheurs qui suivirent le péché d'Adam; car, outre que cet arbre n'avait rien en lui de mauvais, puisque Dieu lui-même reconnut que tout ce qu'il avait fait était excellent, il n'est pas à présumer que Dieu eût voulu inettre quelque chose de mauvais dans le jardin des délices, Ce fut donc la désobéissance seule et la transgression de la défense qui furent cause de tout le mal: c'est pourquoi saint Augustin dit que rien ne pouvait mieux faire voir combien la désobéissance est mauvaise d'elle-même, que la punition du premier homme, pour avoir contre la défense de Dieu, mangé du fruit qui n'avait rien de mauvais sans cette défense, et qui n'aurait pu faire aucun mal. Que ceux qui se dispensent d'obéir quand il s'agit de choses légères, apprennent de là à connaître quelle est leur erreur et leur faute car ce n'est pas la nature de la chose qui fait le péché, c'est la désobéissance qui est toujours mauvaise d'elle-même, soit que les choses soient importantes, soit qu'elles ne le soient pas.

Une autre raison que saint Augustin donne de la défense que Dieu fit à l'homme, c'est que l'homme ayant été créé pour servir Dieu, il était à propos de lui défendre quelque chose pour lui faire connaître sa dépendance, que sans cela il n'aurait pas si bien reconnue; et Dieu voulut, dit ce Père, que l'obéissance qui était un acte par lequel l'homme reconnaissait celui qui l'avait créé, fat en même temps un moyen par lequel il pût mériter d'être uni quelque jour à lui. Il s'étend ensuite sur les louanges de celle vertu, et il ajoute qu'une des raisons pour lesquelles le Fils de Dieu se fit homme, fut pour nous apprendre l'obéissance par son propre exemple. L'homme, dit-il, avait été désobéissant jusqu'à la mort, c'est-à-dire jusqu'à mériter la mort en punition de sa désobéissance, et Jésus-Christ se fit homme pour être obéissant jusqu'a la mort. La porte du ciel nous avait été fermée par la désobéissance d'Adam; elle nous fut ouverte par l'obéissance de Jésus-Christ car, comme par la désobéissance d'un seul homme, plusieurs hommes sont devenus pécheurs, ainsi, par l'obéissance d'un seul, plusieurs sont devenus justes. Dieu a même voulu, dit encore ce Père, nous faire voir le mérite et l'excellence de l'obéissance, dans la récompense et dans la gloire dont il a couronné l'humanité sacrée de Jésus-Christ, qui avait été obéissant jusqu'à la mort et même jusqu'à la mort de la croix. Car c'est pour cela, dit l'Apôtre, que Dieu l'a élevé, et lui a donné un nom au-dessus de tout autre nom, afin qu'au nom de Jésus tout ce qui est dans le ciel, sur la terre et dans enfers, fléchisse les genoux. (Perfection Chrét., de RODR.)

Les saints relèvent le mérite de l'obéissance par une infinité d'autres louanges; mais il nous suffira maintenant de nous arrêter à un des avantages qu'ils lui attri

notre procnain; de nous appliquer à l'oraison et à la mortfication; de nous occuper à entendre les confessions et à prêcher la pa role de Dieu, et de nous exercer à tous les autres ministères qui peuvent contribuer au secours et au servicedes âmes : de même, elle prescrit à tous les autres religieux ce qu'ils doivent faire pour parvenir à la fin particulière de leur institution, et, par conséquent, le vœu qu'on en fait est quelque chose de plus excellent et de plus parfait que les autres vœux.

Duent, et qui est que l'obéissance est une des principales vertus d'un religieux. Saint Thomas, qui prend ordinairement les choses dans toute la rigueur des principes de l'école, demande si le vœu de l'obéissance est le principal des vœux que font les religieux, et après avoir répondu par l'affirmative, il en rend trois raisons très-solides et trèsutiles. La première est que, par le vœu d'obéissance, on offre plus à Dieu que par tous les autres vœux; car, par le vœu de pauvreté, on ne lui offre que ses richesses, et par celui de chasteté, on ne lui offre que son corps; mais par celui d'obéissance, on lui offre sa volonté et son jugement, et on se sacrifie enfin soi-même tout entier à Dieu, ce qui, sans doute, est bien au-dessus du sacrifice qu'on lui fait par les autres vœux. Saint Jérôme dit quelque chose de semblable, en parlant du sacrifice de soi-même et de celui des richesses. L'abandonnement des richesses n'est pas, dit-il, une action qui suppose une vertu parfaite. Ceux qui ne font que commencer en sont capables. Antisthène et tant d'autres philosophes les ont bien abandonnées; mais s'offrir soi-même à Dieu, c'est le propre des Chrétiens et des apôtres. Aussi, le même saint Thomas remarque sur ce sujet que Jésus-Christ, parlant à ses apôtres de la récompense qui leur était préparée, ne leur dit pas vous qui avez tout quitté, mais, vous qui m'avez suivi, parce qu'en effet, la perfection consiste à suivre Jésus-Christ. En vérité, je vous dis que vous qui m'avez suivi, vous serez assis sur douze trônes. Or, le conseil de l'obéissance, ajoute ce saint docteur, est renfermé dans ces paroles; car obéir n'est autre chose que suivre les sentiments et la volonté d'autrui.

La seconde raison pour laquelle le vœu d'obéissance est le principal de tous, c'est qu'il comprend tous les autres, et qu'il n'est compris dans aucun antre; car, quoiqu'un religieux s'oblige, par des voeux particuliers, à garder la pauvreté et la chasteté, ces deux obligations cependant ne laissent pas d'être comprises sous le vœu d'obéissance, par lequel il s'oblige généralement à observer tout ce qu lui sera commandé; et cela est si vrai, que même dans quelques ordres, comme dans celui de Saint-Benoît et dans celui des Chartreux, on ne fait point d'autre vœu que celui d'obéissance : je promets l'obéissance selon la règle, dit le religieux qui fait profession; et sous ces paroles, les voeux de chasteté et de pauvreté sont compris, suivant les règles et la pratique de l'Ordre.

La troisième raison est que plus une chose nous approche de la fin pour laquelle elle a été instituée, et plus elle nous unit à cette fin, plus aussi elle est parfaite. Or, J'obéissance est ce qui unit davantage les religieux avec la fin de leur institution. Car, de même que pour nous faire parvenir, nous autres, à la fin pour laquelle nous avons été institués, elle nous prescrit de travailler à notre avancement spirituel et à celui de

Saint Thomas tire encore de là une conclusion très-importante; c'est que le vœu d'obéissance est le plus essentiel de tous à la religion, et celui proprement qui constitue un religieux dans l'état de la vie religieuse; car, quand on vivrait dans la pauvreté et dans la chasteté volontaires, ou quand même on aurait fait vœu de pauvreté et de chasteté, on ne serait pas pour cela religieux, ni dans l'état parfait de la vie religieuse, si on n'avait fait vou d'obéissance. Il faut avoir fait vœu d'obéissance pour être véritablement religieux, et c'est principalement l'obéissance qui fait les religieux et qui les constitue dans l'état où ils sont. Saint Bonaventure est du même sentiment, et dit que toute la perfection d'un religieux consiste à renoncer entièrement à sa volonté, pour suivre celle d'autrui, et que les vœux de pauvreté et de chasteté, par lesquels nous renouçons aux richesses et aux voluptés, sont proprement des moyens qu'on a établis, pour faire qu'étant dégagés

des soins de la vie et des attachements de la chair, nous fussions plus en état de satisfaire à notre principale obligation, qui est celle de l'obéissance. C'est pourquoi il ne vous servira de rien, ajoute-t-il, d'avoir renoncé à toutes les choses de la terre, si vous ne renoncez à votre volonté propre, pour vous soumettre entièrement à ce que l'obéissance demande de vous.

Entre plusieurs paroles remarquables que Surius rapporte de saint Fulgence, qui avait été abbé et qui fut ensuite évêque, il dit que ce saint avait coutume de dire, au sujet de l'obéissance, que ceux-là étaient de véritables religieux, qui, mortifiant leur,volonté, étaient toujours en état de n'en avoir aucune sur rien, et de s'attacher uniquement à suivre les conseils et les commandements de leur supérieurs. Remarquez qu'il ne fait pas consister la perfection de la vie religieuse à affliger son corps par toutes sortes d'austé rités, à travailler sans relâche et à exceller dans les sciences et dans la prédication; mais seulement à être soumis à la volonté de son supérieur, et à n'en avoir aucune de soi

même.

L'obéissance donc, suivant ce que nous venons de dire, est la vertu la plus essentielle de la religion, et celle qui fait propre ment qu'on est religieux, Elle plaît plus à Dieu que tous les sacrifices qu'on peut lui faire, et elle renferme en elle la chasteté, la pauvreté et toutes les autres vertus cnsen!

ble. Car, pourvu que vous soyez obéissant, Vous serez pauvre, vous serez chaste, vous serez humble; vous aurez l'esprit de modestie, de patience et de mortification; en un mot, vous acquerrez toutes les vertus. Ceci n'est point, au reste, une exagération, c'est une vérité très-constante. Les vertus s'acquièrent par l'exercice de leurs actes, et ce n'est que de cette sorte que Dieu veut nous les donner; or, l'obéissance nous met dans cet exercice et tout ce que nos règles nous prescrivent, tout ce que nos supérieurs nous commandent, est un exercice de quelque vertu. Laissez-vous seulement conduire par l'obéissance et embrassez de tout votre cœur toutes les occasions qu'elle vous donnera, et cela suffit. Car on ne manquera pas de vous exercer, tantôt sur la patience, tantôt sur l'humilité, tantôt sur la pauvreté, tantôt sur la mortification, tantôt sur la tempérance, tantôt sur la charité; et, de cette sorte, à mesure que vous augmenterez en obéissance, vous augmenterez aussi en toutes les autres vertus. C'est le sentiment de saint Ignace : Tant que l'obéissance, dit-il, fleurira parini Vous, toutes les autres vertus y fleuriront aussi, et produiront dans les âmes tout le fruit que je souhaite. Tous les saints en général sout de ce même sentiment, et c'est pour cette raison qu'ils appellent l'obéissance la mère et la source des vertus. L'obéissance, dit saint Augustin, est une des plus grandes vertus; et elle est, pour ainsi dire, la source et la mère des vertus. C'est la seule verta, dil saint Grégoire, qui imprime toutes les autres vertus dans l'esprit, et qui les y conserve, quand elles y sont une fois bien imprimées. Et le même saint Grégoire et saint Bernard, expliquant ee passage des proverbes: L'homme obéissant ne parlera que de victoire, disent, que l'homme obéissant n'obtiendra pas une victoire seulement; mais qu'il en obtiendra plusieurs, et qu'il acquerra toutes les vertus.

Si vous voulez donc un moyen court et facile pour faire de grands progrès en peu de temps, et pour acquérir la perfection, soyez extrêmement obéissant : c'est là le chemin; vous n'avez qu'à le suivre sans vous détourner à droite ní à gauche, et vous arriverez bientôt où vous souhaitez d'aller. Que c'est une grâce heureuse et abondante, dit saint Jérôme, que celle de l'obéissance! toutes les vertus y sont comprises en abrégé, et elle conduit droit à Jésus-Christ; il n'y a qu'à marcher par la route qu'elle vous montre, et en peu de temps on se trouvera parfait.

Saint Jean Climaque dit, qu'arrivant un jour dans un monastère il y vit des religieux tout blancs de vieillesse et d'un aspect vénérable, toujours prêts à faire les moindres choses qu'on pouvait leur commander; et il y en avait quelques uns d'entr'eux, dit-il, qui s'étaient enrôlés sous l'étendard de l'obéissance, il y avait déjà plus de cinquante ans. Il leur demanda quel fruit et quel avantage ils avaient retirés d'une si grande soumission:

et les uns lui répondirent que par ce moyen ils avaient acquis une profonde humilité, qui les avait mis à couvert des plus dange reuses attaques du démon; les autres, qu'ils étaient parvenus à n'avoir aucun sentiment des injures ou des mépris. Ainsi nous voyons que l'obéissance est un moyen pour acquérir toutes sortes de vertus; et c'est ce qui faisait que les anciens Pères du désert tenaient que l'obéissance et la soumission d'un solitaire à la volonté de son Père spirituel, était comme un gage assuré du progrès qu'il ferait un jour dans la perfection.

Saint Dorothée, rapporte que son disciple Dosithée, qui était un jeune homme de bonne maison et d'une constitution fort délicate, lorsqu'il était encore dans le siècle, fut touché d'une vive appréhension du jugerendre; Dieu accomplissant en lui cette dement et du compte qu'il aurait un jour à mande du Prophète royal: Seigneur pénétrez ma chair de votre crainte, car j'appréhende vos jugements. Pour se mettre done en état compte, il se fit religieux; et voyant que la de pouvoir rendre quelque jour un bon délicatesse de sa complexion ne lui permet tait pas d'aller la nuit à matines, de manger des mêmes viandes que les autres, ni de suivre l'usage ordinaire de la communauté, il résolut de se dévouer entièrement à l'obéissance, en s'exerçant continuellement dans l'infirmerie du monastère aux services les plus vils, et à tout ce qu'on pourrait lui commander de plus humiliant. Au bout de cinq ans il mourut pulmonique, et Dieu révéla à l'abbé du monastère, qu'il avait obtenu la récompense de Paul et d'Antoine ; ce que les autres religieux ayant entendu, ils commencèrent à murmarer entr'eux et à s'en

plaindre: « Eh quoi ! disaient-ils, où est la justice de Dieu? Un homme qui n'a jamais jeûné et qui a toujours été nourri délicatement, est égal à nous autres qui portons toute la charge de la vigilia, et tout le poids du jour et de la chaleur; que gagnons-nous donc par les austérités et par les travaux auxquels nous nous exerçons sans resse? » Comine ils faisaient ces plaintes, Dieu leur fit entendre qu'ils ne connaissaient pas le prix et l'excellence de l'obéissance, et qu'elle était d'un si grand mérite devant lui que Dosithée avait plus mérité par là en peu de temps, que beaucoup d'autres par de longues et rigoureuses austérités.

Saint Ignace, parlant de l'obéissance, dit, dans la troisième partie des Constitutions, qu'il est très à propos et très-nécessaire pour notre avancement spirituel que nous nous proposions tous d'avoir une obéissance entière. Venant ensuite à expliquer ce que c'est que cette sorte d'obéissance, il dit que non-seulement il faut obéir extérieurement, en exécutant ce qu'on nous commande, ce qui est le premier degré de l'obéissance: mais qu'il faut aussi obéir intérieurement. en conformant notre volonté à celle de notre supérieur, et en réglant la nôtre sur la sienne, ce qui est le second degré. Mais ce

n'est pas encore assez, ajoute-t-il, il faut aller plus loin, et conformer aussi notre jugement à celui de notre supérieur, en sorte que nous soyons toujours du même sentiment que lui, et que nous croyions que tout ce qu'il commande est bien; et c'est en quoi consiste le troisième degré de l'obéissance. Quand nos actions, notre volonté et notre jugement seront tout à fait conformes à ce qu'on nous aura prescrit, alors notre obéissance sera parfaite et entière; mais s'il y manque quelqu'une de ces conditions, elle ne saurait l'être.

Pour commencer maintenant par le premier degré, je dis qu'il faut une grande diligence et une grande ponctualité dans l'exécution des choses que l'obéissance prescrit. Saint Basile demande de quelle sorte il faut s'y porter, et il répond qu'il faut s'y porter de la même manière qu'un homme extrêmement affamé se porte à rassasier sa faim, ou qu'un homme qui aime extrêmement sa vie se porte aux choses qui peuvent la conserver. Encore devrait-on, ajoute-t-il, s'y porter avec un empressement et avec une ardeur tout autres, puisque la vie éternelle qu'on mérite par l'obéissance est infiniment plus noble et plus excellente que la temporelle, qu'on peut se conserver par ses soins. « Celui qui est véritablement obéissant, dit saint Bernard, ne sait pas ce que c'est que de différer et de remettre au lendemain; il est ennemi de la lenteur, il va au devant des commandements qu'on veut lui faire, et il a plus tôt obéi qu'on ne lui a commandé; il est toujours prêt à entendre, à voir, à dire et à faire. tout ce qu'on veut, et à aller partout où l'on vent; enfin il se tient toujours en état de recevoir et d'exécuter tous les commandements qu'on veut lui faire. »

Le second degré de l'obéissance est de conformer entièrement sa volonté à celle de ses supérieurs, en sorte qu'on n'en ait point d'autre que la leur. L'obéissance, dit saint Jean Climaque, est le tombeau où notre propre volonté est ensevelie, et d'où l'humilité ressuscite. En effet, du moment que nous voulons pratiquer la perfection, nous devons faire état que nous mettons notre volonté dans le tombeau, et que dès lors nous ne devons point en suivre d'autre que celle de nos supérieurs. Saint Ignace ajoute qu'il faut que nous soyons toujours disposés à l'exécuter, quelque difficiles que puissent être les choses qu'ils nous commandent, et quelque répugnance naturelle que nous puissions y avoir. « C'est même particulièrement en celles-là, dit-il, qu'il faut témoigner davantage notre promptitude à obéir, parce que c'est en celles-là principalement, comme remarquent les saints, que la véritable obéissance se fait mieux voir. Lorsqu'on nous commande des choses qui nous plaisent et qui sont conformes à notre inclination, on ne peut pas bien connaître avec quel esprit nous obéissons, parce que nous sommes peut-être plus portés par le mouvement de notre propre inclination que par une vérita

ble soumission à la volonté de Dieu. Mais lorsqu'on nous commande des choses difficiles et auxquelles nous avons de la répugnance, et que cependant nous ne laissons. pas de les embrasser avec chaleur, il n'y a plus à douter du motif qui nous fait agir, parce qu'alors nous sommes bien assurés que ce n'est point nous-mêmes que nous cherchons et notre propre satisfaction, mais que c'est Dieu seul et l'accomplissement de sa volonté sur nous. >>

Le troisième degré d'obéissance consiste à conformer notre entendement à celui de notre supérieur, en sorte que nous n'ayons qu'un même sentiment que lui, non plus qu'une même volonté; que nous estimions que tout ce qu'il commande est raisonnable, et que, soumettant tout à fait notre jugement an sien, nous fassions du sien la règle du nôtre. Pour comprendre la nécessité de ce troisième degré, il suffit de ce que nous avons dit d'abora, que sans cela l'obéissance ne saurait être parfaite et entière; et celle doctrine est conforme à celle des saints, qui disent que l'obéissance est un holocauste très-parfait, dans lequel l'homme, par le moyen des ministres de Dieu, s'offre tout entier à Dieu dans le feu de la charité. Il y

avait dans l'ancienne Loi cette différence entre l'holocauste et les autres sacrifices, que dans les sacrifices on brûlait une partie de la victime en l'honneur de Dieu, et l'on en gardait une autre partie pour les prêtres et pour les ministres du temple; mais dans l'holocauste, on brûlait la victime tout entière, sans en réserver aucune chose. Or, si en obéissant vous ne soumettez votre jugement aussi bien que votre volonté, votre obéissance n'est point un holocauste; et elle n'est point parfaite, puisque vous manquez à offrir à Dieu la principale partie de vousmême et la plus noble, qui est votre propre entendement. C'est pourquoi saint Iguace disait que ceux qui, soumettant leur volonté aux ordres de leur supérieur, n'y soumettent point leur jugement, n'ont encore qu'un pied dans la religion.

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Saint Bernard, dans le premier sermon de la Conversion de saint Paul, explique au long qu'elle doit être l'obéissance d'entendement; et, pour cet effet, venant à parcourir les dillérentes circonstances de son sujet, il les applique aix différentes qualités qu'elle doit avoir. Lorsque saint Paul, frappé de la lu mière du ciel, et saisi de crainte, se fut écrié Seigneur, que voulez-vous que je fasse? le Seigneur fui répondit: Allez dans la ville, et là on vous dira ce qu'il faut que vous fassiez. « Voilà, dit à ce sujet saint Bernard, pourquoi vous êtes entré en religion, afin d'y apprendre ce qu'il faut que vous fassiez c'est pour cela que Dieu, jar un ordre admirable de sa Providence, vous a frappé de la crainte de ses jugements, et que, vous donnant un désir ardent de le servir, il vous a donné le dessein d'entrer dans cette ville sainte et dans cette école de vertu et de piété. C'est là que vous apprendrez ce

qu'il veut de vous, et ce qu'il faut que vous fassiez pour lui plaire. L'Ecriture ajoute, continue ce Père, que lorsque saint Paul entra dans la ville, il ne voyait rien, quoiqu'il eût les yeux ouverts, et que ceux qui étaient avec lui le menaient par la main. Et c'est là, mes frères, ajoute-t-il, la figure d'une parfaite conversion; c'est là le modèle de parfaite obéissance qu'un religieux doit avoir; c'est là précisément en quoi elle consiste de ne voir rien quoiqu'on ait les yeux ouverts, et de ne juger de rien par soimême, mais de se laisser' conduire par ses supérieurs, et de se remettre absolument entre leurs mains. Prenez garde que, malheureusement pour vous, vous ne veniez à voir clair comme Adam et Eve, de qui l'Ecriture dit qu'après leur péché leurs yeux furent ouverts, en sorte qu'ils connurent qu'ils étaient nus, et qu'i's eurent honte d'eux-mêmes. Mais comment! dira-t-on, estce qu'avant leur péché, ils n'étaient pas nus et qu'ils ne voyaient pas clair? Oui, sans doute, mais ils ne prenaient pas garde alors à leur nudité, parce qu'ils vivaient dans la pureté et la simplicité de la justice originelle. Or, cette pureté et cette simplicité qu'ils perdirent par leur désobéissance, nous devons essayer, nous autres, de l'imiter et de la conserver par notre soumission, en sorte que nous n'ayons jamais les yeux ouverts pour voir les fautes d'autrui, non pas même les plus apparentes, et que nous les fermions surtout lorsqu'il s'agit de choses qui regardent l'obéissance. »

Saint Jean Climaque, parlant de l'extrême retenue qu'il faut avoir là-dessus, dit que dans les pensées et dans les sentiments qui nous viennent contre l'obéissance, il faut nous comporter comme dans les pensées qui nous viennent contre la pureté ou contre la foi; c'est-à-dire, ne nous y arrêter en aucune sorte, mais prendre de là occasion de nous abaisser et de nous humilier davantage. Saint Jérôme, écrivant à un religieux, et lui donnant des règies pour sa conduite dans la religion, lui recommande particulièrement Cette soumission d'esprit. Ne vous mêlez point, lui dit-il, de juger les ordres de vos supérieurs, et d'examiner s'ils ont raison ou non dans les commandements qu'ils vous font; c'est à vous d'obéir et d'exécuter ce qu'ils vous commandent, suivant ces paroles de Moïse Ecoutez, Israël, et faites silence. Saint Basile propose aux religieux pour modèle de leur obéissance, celle d'un apprenti qui se met sous un maître pour apprendre quelque métier. Il a, dit-il, les yeux continuellement attachés sur son maître, il lui obéit en tout sans le contredire en rien, sans interposer son jugement en quoique ce soit, et sans lui demander raison de ce qu'il lui commande; et, de cette sorte, il se rend habile avec le temps. La soumission des disciples de Pythagore était si grande à cet égard que sa seule autorité leur tenait lieu de raison; et ils y déféraient de telle sorte que dès qu'on leur disait : Lui-même l'a dit, il ne leur en fallait pas davantage pour se ren

dre. Quelle déférence ne faudrait-il donc point que des religieux eussent pour leur supérieur, qui est sans doute bien au-dessus de Pythagore, puisqu'il tient la place de Jésus-Christ même? Ne faudrait-il pas que, dès qu'il est question d'obéissance, cela leur suffit pour les obliger à soumettre aussitôt leur jugement, et à croire que ce qu'on leur commande est toujours ce qui est le plus convenable.

Saint Ignace dit que, comme il y a dans l'Eglise deux sortes de voies pour le salut, l'une qui regarde tous les chrétiens en général, qui est celle de l'observation des commandements; et l'autre qui regarde particulièrement les religieux, qui est celle de la pratique des conseils ajoutés aux commandements, aussi il y a dans la religion même deux sortes d'obéissances: l'une générale, commune et imparfaite; l'autre très-parfaite qui fait voir la force et la vertu de l'obéissance, et qui montre jusqu'où peut aller la perfection du véritable religieux. L'obéissance imparfaite, dit-il, a deux yeux, mais pour son malheur; l'obéissance parfaite est aveugle, mais c'est dans son aveuglement que sa sagesse et sa perfection consistent. L'une raisonne sur tout, et l'autre obéit sans raisonner; l'une a toujours plus d'inclination pour une chose que pour une autre, et n'est jamais indifférepte sur rien; l'autre se tient comme la languette de la balance sans pencher de côté ni d'autre, et est toujours également disposée à toutes les différentes choses que l'on peut lui commander, La première obéit véritablement au dehors, en exécutant ce qu'on lui commande: mais elle désobéit intérieurement par la résistance de son esprit; ainsi elle ne mérite pas le nom d'obéissance. La seconde ne se contente pas de faire ce qu'on lui prescrit, elle soumet encore sonjugement et sa volonté à la volonté et au jugement du supérieur, supposant toujours qu'il a raison de commander ce qu'il commande ; et elle ne cherche point de raison pour obéir, ni ne se laisse point conduire à celles qui lui viennentà l'esprit; mais elle obéit par la seule considération du commandemeni qu'on lui fait, et parce que c'est obéir aveuglément que d'obéir de la sorte. Voilà quelle est l'obéissance aveugle que les saints et les maîtres de la vie spirituelle nous recommandent si instamment et dont ils nous ont donné eux-mêmes de si grands exemples. Au reste, lorsqu'on l'appelle aveugle, ce n'est pas qu'on prétende qu'elle doive ètre soumise indistinctement à toutes les choses qu'on peut lui commander, quand même elles seraient criminelles; car ce serait une dangereuse erreur, et saint Ignace nous le marque expressément; mais c'est parce que dans toutes celles où nous ne voyons point de péché, nous devons obéir simplement sans raisonner, supposant toujours que ce que l'on nous commande est conforme à la volonté de Dieu, et ne cherchant point d'autre raison d'obéir que celle de l'obéissance même et du commandement qu'on nous fait. Aussi Cassien appelle-t-il cette sorte d'obéissance, une obéissance sans

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