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pour les défauts d'autrui; Horace paroît cloué à son sujet, il abuse de la facilité d'écrire qu'il reprochoit à Lucile,

In horá sæpè ducentos

Ut magnum, dictabat versus stans pede in uno.

au lieu que Juvénal distribue en passant l'ironie, le mépris, le courroux, traite plusieurs points de morale, laisse couler une sentence, puise ses preuves dans l'histoire, étale une richessse qui va jusqu'à la prodigalité. Veut-on comparer leurs satires sur la bonne chère? Horace retombe dans le défaut de celle sur la frugalité, il nomme tous les mets, les sauces qui leur conviennent, et me rassasie avant la fin du premier service. Ce n'est pas tout, car il m'étonne par son inconséquence, quand je me rappelle que dans l'Epître à Torquatus, il ne l'invite à dîner qu'en lui vantant les charmes de l'ivresse ; ce qui me fait soupçonner l'état des convives à la fin du repas: mais Juvénal fait sentir la ruine inévitable qui suit le goût de la bonne chère; il invite un ami, lui sert un repas plus délicat que de coutume, et cependant frugal, l'amuse pendant le dîner par la lecture de quelques passages d'Homère ou de Virgile, et n'écrit pas un vers qui ne soit instructif. Rapprochons les deux satires sur la noblesse : que trouve-t-on dans Horace? longueurs, égoïsme, fades louanges; et dans Juvenal? sages conseils, morale sublime, exemples frappans, élévation, véritable noblesse.

J'en aurois dit bien davantage, si nous n'avions pas

été

interrompus; j'aurois ajouté notamment qu'Horace, tout châtié qu'il est, ne me paroît pas fait pour être entre les mains de la jeunesse, parce que sa philosophie admirable n'est pas l'aliment de cet âge qui a besoin de préceptes plus que de conseils, et que d'ailleurs ce poëte peut être fort dangereux, puisque la bonne chère, les femmes et le vin, ont seuls le pouvoir de l'arracher à son insouciance ; c'est un vrai pourceau d'Epicure, comme il le dit lui-même, Ep. IV, Liv. I:

Me pinguem ac nitidum benè curatâ cute vises,
Quum ridere voles Epicuri de grege procum.

Quel fruit en peut donc retirer la jeunesse? quels fruits au contraire ne doit-on pas espérer de Juvénal? Cependant examinons ce dernier sous l'aspect délicat de l'obscénité. A cet égard je distingue la jeunesse d'avec l'âge mûr. Juvénal a dit lui-même, que l'on ne peut pas avoir trop de circonspection et de prudence avec les enfans: Maxima debetur puero reverentia. Je suis donc bien éloigné de penser qu'il faille le mettre tel qu'il est entre les mains de la jeunesse; et j'applaudis à Scaliger, lorsqu'il a dit: Quid enim cogitaret adolescens qui certarum ignarus obscœnitatum, audiat verba aut vocabula tam nefanda? Il y auroit le plus grand danger de frapper l'imagination vive, inquiète et bouillante d'un jeune homme, par des idées de cette nature; je voudrois même, s'il étoit possible, que le pinceau, le burin, le ciseau, n'offrissent à ses regards, ni Jupiter

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changé en cygne, ni les Graces dansantes, ni la Vénus de Médicis, parce que les moindres objets peuvent porter le désordre dans ses veines brûlantes. Mais à l'égard de l'homme fait, non-seulement le danger n'existe pas, mais il est bon qu'il sache à quel point certains désordres ont de tout temps excité l'horreur ; et je ne puis me défendre de blâmer Scaliger, pour avoir desiré que tout homme honnête s'abstînt de la lecture de Juvénal: Quid enim tetrius quibusdam ver sibus Juvenalis, propter quorum insolentiam vel jusserim vel optarim toto opere abstinere virum bonum? N'est-ce pas là une délicatesse outrée, ne s'étoit-il pas révolté trop légèrement? Je vois que près de deux cents ans après lui, Casaubon, Rigault, Hénin, dans leurs commentaires et leurs prolégomènes, observent le plus profond silence sur le vers 34 de la sixième Satire; ce qui m'autorise à penser qu'ils ne croyoient pas pouvoir le défendre: or Scaliger n'avoit-il pas eu la même opinion? Si mes doutes sont fondés, s'il a vu dans notre poëte une infamie qui n'y est pas, il faut convenir que son autorité est déja fort ébranlée; mais voici une objection qui ne porte sur aucun doute. Puisque Scaliger avoit si fort à cœur la décence et l'honnêteté, comment l'excuser d'avoir été indulgent sur le compté d'Horace, au point de ne pas reprocher la moindre obscénité à cet Epicurien dissolu qui en a souillé tous ses écrits, qui adressoit ses soupirs et ses hymnes cyniques à Ligurinus comme à Phylis, qui dessinoit des canevas que Martial a brodés depuis à l'endroit, à l'envers, et sur tous

les bords ? Cela est d'autant plus extraordinaire, que Scaliger a relevé avec assez de sincérité les autres défauts d'Horace je le soupçonnerois donc d'avoir été un peu décla

mateur.

Vous recriminez, me dira-t-on : eh bien! essayons de justifier Juvénal, sans recourir aux distinctions de Bayle dans sa Dissertation sur les Obscénités. Quand un poëte n'a loué que les vertus, et singulièrement la chasteté, la modestie; quand il a déployé la plus mâle éloquence contre les vices de toute espèce; que ses emportemens les plus vifs tombent sur la crapule, l'avortement, l'adultère, et qu'il n'épargne pas même l'indécence des habillemens, je demande quelle a pu être son intention? N'est-il pas sensible qu'il vouloit faire honte aux femmes de son temps, qui attachoient tant de prix aux termes lascifs de la languẹ grecque? (comme il le fait assez entendre Satire VI, depuis le vers 183 jusqu'au 198.) N'apperçoit-on pas qu'il vouloit faire rougir la crapule elle-même portée jusqu'à l'excès ? Le spectacle le plus capable de retenir un jeune libertin, n'est-ce pas celui d'un réduit où les tristes victimes de la débauche, pâles, défigurées, expient si douloureusement leur honteuse foiblesse, en invoquant la légéreté du bistouri?

Sed podice lævi

Caduntur tumida medico ridente marisca.

Voilà précisément ce qu'a fait Juvénal: je conviens que

son expression a de la crudité, mais il faut avoir égard au caractère de sa langue; Boileau, qui étoit chaste, nous l'a dit:

Le latin dans les mots brave l'honnêteté.

J'aimerois donc bien mieux que l'horreur du vice ne lui eût pas arraché ces expressions qui me déchirent l'oreille, comme je n'entends qu'avec peine proférer un jurement, même dans le fort de la colère; mais revenons à l'intention et à l'effet. Tout ce qu'il a écrit de libre, loin de former une seule peinture séduisante, compose le plus affreux tableau. Il met le vice à découvert, tangit vitia; mais il gronde, il tonne, objurgat, inclamat; il presse, poursuit, terrasse sans ménagement, ardet, instat, apertè jugulat. Si je me permettois de blâmer ce respectable Mentor, qui oppose toujours l'autorité des exemples, la morale la plus pure, ou la censure laplus poignante, à la description hideuse du vice; ce seroit peut-être sur le cinquième vers de la neuvième Satire, où je crois que le courroux auroit mieux convenu que le mépris, tout amer qu'il soit. Mais dire qu'un homme honnête ne doit pas s'en permettre la lecture! Que l'on me cite donc dans toute l'antiquité un écrivain plus capable que celui-là de former un vertueux

Romain.

Il faut que cette vérité soit bien frappante, puisque les associés du commentaire Variorum ont prodigué les éloges à Juvénal, tout en le déshonorant par des interprétations crapuleuses. Je n'en citerai que deux exemples pris dans

d

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