1 CINQUIE'ME SATYRE DE JUVENAL. Sur le Feftin d'un Riche, où un Philofophe eft maltraité. E ne sçaurois croire que tu n'ayes point honte de ta conduite,que tu fois encore dans la penfée que c'eft un grand bonheur de manger à la table d'autruy, que tu n'as point de peine à fupporter ce queSarmentus & Galba n'auroient pas voulu fouffrir de Cæfar mefme. Non, je ne puis le croire, quand tu en fairois les plus grands ferments. Il n'y a rien de plus frugal que la nature, N'y a-t-il plus de place fur le bords du Tybre, fur les Ponts, ou dans quelque cabane. La perte d'un repas eft-elle fi confiderable? Faut-il tant de chofes pour fatisfaire ton befoin? Fairois-tu pas mieux de demander, quand tu devrois fouffrir un peu de froid, & ne manger que du pain noir ? Fais ton compte en premier lieu, que lorfqu'un de ces Grands à qui tu rends tant de devoirs,te ditd'un ton fuperbe de t'affeoir une fois SATYRA QUINTA JUVENALI S. In convivium divitis, in quo peffimè agitur cum Philofopho. Ut bona fumma putes, aliená vivere quadra: e Nulla crepido vacat ? nufquam pons, & tegetis pars Dimidia brevior? tantíne iniuria cœna? Tam ieiuna fames? cum poffet honeftius illic Et tremere, & fordes farris mordere canini ? Debeat, & ligulas dimittere, follicitus ne Qualis cœna tamen vinum quod fuccida nolit Lana pati: de conviva Corybanta videbis. Jurgia proludunt: fed mox & pocula torques Saucius, & rubra deterges vulnera mappa, Inter vos quoties, libertorumque cohortem Pugna Saguntina fervet commiffa lagena. à fa table, il croit te donner une grande recompenfe ; il pretend qu'un repas foit le prix de tes longues affiduitez: bien qu'il ne te faffe cet honneur que rarement, il le met au nombre de fes bienfaits. Si donc aprés deux mois pendant lefquels à peine a-t'il daigné te regarder, voyant une place de refte à sa table, il te dit : vous difnerez icy, voila l'accomplissement de tes defirs; & en effet que peus-tu fouhaiter davantage? Voilà ce qui fait lever Trebius de fi bonne heure. A peine a-t'il le loifir de s'habiller, craignant d'eftre prévenu par ceux qui fe preffent tour à tour au lever de ce riche dés la pointe du jour, mesme dans la saison où le pareffeux Bootez conduit lentement autour du pole fon chariot froid & glacé. ! Mais quel repas où l'on ne te donne à boire que du vin, dont l'on ne voudroit pas fe fervir à nettoyer de la laine nouvellement tondue. Il faut te mettre en colere comme un Corybante au milieu du feftin, & te plaindre des Efclaves. Situ leur jettes les pots à la tefte, tu feras obligé d'effuyer à ton tour avec ta ferviete, les bleffures que tu recevras. Car enfin combien a-t'on veu de fois cette forte de combat à coups de vafes & de bouteilles entre les Affranchis & les Parafites? Pour luy il ne boit que d'un vin vieil, qui eft du temps que nos Confuls portoient encore les cheveux longs, ou d un autre qui eft de l'année de la guerre des Confederez dont il refuseroit un verre au meilleur de fes amis quand il auroit mal au cœur. Une autre fois il boira de celuy d'Albe ou de Serte, dont on ne peut plus lire l'année & le terroir, les caracteres en eftans effacez. C'eft de ce vin dont Trafes, Petus & Helvide beuvoient autrefois, lors que couronnez de fleurs, ils celebroient la naiffance des deux Brutus & de Caffie. Il y a pour Virron de beaux vafes d'ambre, ou d'or, enrichis d'efmeraudes; mais on n'a garde de te les donner. Si on le fait quelque. fois, un Efclave a les yeux attachez fur toy, pour conter tous les diamans, & pour pren. dre garde que tu n'en prennes. Tu ne dois pas le trouver mauvais: Car aujourd'huy Virxon, & les autres Senateurs oftent de leurs doits leurs diamans pour en embellir des vafes, au lieu que celuy qui fut preferé au jaloux Hiarbas, n'en garniffoit que le pommeau de fon épée. Enfin tu ne boiras que dans je ne fçay quel Vatinien, qui eft un de ces vafes de Benevent à quatre coins; fi ce n'eft qu'il fera encore peut eftre, déja caffé, & qu'il ne fera plus bon qu'à eftre changé pour des allu mettes. Si l'eftomach de Virron eft échauffé du vin, ou de la viande, on luy donne de l'eau plus fraiche que les glaces de la Scythie, je me plaignois tantoft que l'on ne te donnoit pas Ipfe |