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BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

COLLECTION DES MEILLEURS AUTEURS ANCIENS ET MODE NES

BOILEAU

L'ART POÉTIQUE

ÉPITRES, ODES

POÉSIES DIVERSES, ÉPIGRAMMES

PARIS

LIBRAIRIE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

PASSAGE MONTESQUIEU (RUE MONTESQUIEU)
Près le Palais-Royal

HARVARD UNIVERSITY LIBRARY

L'ART POÉTIQUE

1669-1674

CHANT PREMIER

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire autens Pense de l'art dos vers atteindre la hauteur : S'il ne sent point du ciel l'influence secrète, Si son astre en naissant ne l'a formé poëte, Dans son génie étroit il est toujours captif; Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carrière épineuse,

N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer :
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.
La nature, fertile en esprits excellents,
Sait entre les auteurs partager les talents :
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme;
L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme :
Malherbe d'un héros peut vanter les exploits;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois :
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime
Méconnait son génie et s'ignore soi-même ;

Ainsi tel (1) autrefois qu'on vit avec Faret (2)
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,
S'en va, mal à propos, d'une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime :
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès: laissons à l'Italie

De tous ces faux brillants l'éclatante folie.

Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir;

Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie.
La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie.

(1) Saint-Amant, auteur du Moise sauvé.

(2) Faret, auteur du livre intitulé l'Honnête homme, et mi de Saint-Amant.

Un auteur quelquefois trop plein de son objet Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet. S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face; Il me promène après de terrasse en terrasse; Ici s'offre un perron; là règne un corridor; Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or. Il compte des plafonds les ronds et les ovales; « Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales (1). » Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin, Et je me sauve à peine au travers du jardin. Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile, Et ne vous chargez point d'un détail inutile. Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant; L'esprit rassasié le rejette à l'instant.

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire:
Un vers était trop faible, et vous le rendez dur;
J'évite d'être long, et je deviens obscur;

L'un n'est point trop fardé, mais sa muse est trop nue;
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours?

Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Heureux qui, dans ses vers, sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,

(1) Vers de Scudéri.

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