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Que pouvait répondre le jeune homme? Il était pris comme un rat dans une ratière, et il fut forcé d'avouer que c'était lui qui avait volé le baril. Ses deux frères prirent chacun un des deux barils restants et comblèrent de présents l'intelligent caïmacam.

Raconté par ARGYRI BOÏADJIS,
servante, âgée de 50 ans.

Le capitaine Treize.

Il y avait une fois trois frères pauvres qui ne pouvaient trouver d'ouvrage dans leur pays. Ils résolurent d'aller en chercher à l'étranger; ils prirent donc leurs outils et partirent. Au bout de plusieurs journées de marche, ils aperçurent un champ en friche, situé sur le bord de la route, et ils se mirent à le bêcher. Or ce champ appartenait à un Dragon très méchant. Ce Dragon, ayant aperçu de loin les trois frères en train de travailler, vint vers eux et leur dit : Bonjour, mes enfants.

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Si vous ne m'eussiez pas appelé père, je vous aurais mangés. Et nous aussi, nous t'aurions mangé, si tu ne nous eusses pas appelés tes enfants.

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Que faites-vous ici? Ce champ m'appartient.

N'ayant pas d'ouvrage dans notre pays, nous sommes venus en chercher dans celui-ci, et, comme ce champ nous a paru avoir besoin d'être bêché, nous nous sommes mis au travail.

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Très bien, mes garçons. Si vous n'avez pas d'endroit où passer la nuit, vous pourrez venir coucher chez moi.

Ce n'est pas de refus. Nous vous remercions.

Le soir, les trois frères se rendirent chez le Dragon. Il leur fit préparer un excellent repas; ils mangèrent et burent tout leur content, puis se mirent au lit. Le plus jeune, qui était pétri d'intelligence et que, pour cette raison, le Dragon surnomma le capitaine Treize, se dit en lui-même : Ce Dragon pourrait bien avoir l'intention de nous tuer. Cette pensée le tint éveillé, et bien lui en prit, car, sur le minuit, le Dragon entra dans leur chambre, à pas de loup, armé d'un grand coutelas. Il allait égorger les trois frères, lorsque le cadet, sans perdre son sang-froid, se leva soudainement et lui dit :

Qu'est-ce qu'il y a donc ici que nous n'avons pas encore pu fermer l'œil? Sont-ce des puces ou des punaises?

Patience, répondit le Dragon, ce sont des punaises; mais, demain, je leur ferai donner la chasse.

La nuit suivante, le Dragon entra de nouveau dans la chambre des trois frères; mais, les voyant éveillés, il cacha son coutelas derrière son dos, et leur dit brutalement: Qu'est-ce qu'il y a encore que vous ne dormez pas ?

-Ah! ne m'en parle pas, répondit le plus jeune. Il y a dans la cour des volailles qui ne cessent de piailler, sont-ce des dindes ou des poules? je n'en sais rien, toujours est-il qu'elles nous empêchent de dormir.

-Ce sont des poules, dit le Dragon, mais, demain, sans plus tarder, je les ferai tuer toutes.

La troisième nuit il revint de nouveau dans la chambre des trois frères.

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Nous n'avons pas pu dormir, dit le plus jeune.

-Et pourquoi ? grommela le Dragon.

Je ne sais pas. Dans notre pays, nous étions accoutumés à coucher avec nos trois sœurs, ici nous couchons tout seuls, c'est peutêtre pour cela que le sommeil ne vient pas.

Patience, reprit le Dragon. J'ai trois filles, je les mettrai à coucher avec vous demain, afin que vous puissiez dormir.

Le lendemain, en travaillant, le capitaine Treize dit à ses frères : Le Dragon vient chaque nuit dans notre chambre, avec l'intention de nous égorger pour nous manger ensuite. Mais, comme il nous a trouvés éveillés, il n'a pas osé nous tuer. La première fois, je lui ai dit que les puces nous empêchaient de dormir; la deuxième, j'ai mis cela sur le compte des poules; la troisième, enfin, je lui ai fait accroire que nous avions l'habitude de coucher avec nos sœurs, et, cette nuit, il mettra ses filles à coucher avec nous. Quand donc les trois donzelles seront bien endormies, prenons leurs bonnets bleus et coiffons-les de nos bonnets rouges, de cette façon le Dragon égorgera ses propres filles en notre lieu et place.

La nuit venue, les filles du Dragon allèrent se coucher. Quand nos trois gaillards les entendirent ronfler, ils en prirent chacun une dans leur lit, et ils opérèrent prestement l'échange des bonnets, sans qu'elles s'en aperçussent. A minuit, le Dragon entra, brandissant un coutelas, et, là où il vit des bonnets rouges, il frappa comme un

forcené. Après avoir ainsi égorgé ses filles, sans s'en douter, il retourna se coucher, laissant-là les trois cadavres, qu'il se réservait de manger le lendemain à son dîner. Il n'eut pas plus tôt quitté la chambre, que le capitaine Treize, qui avait tout observé du coin de l'œil, réveilla ses frères. Ils s'habillèrent à la hâte, sortirent sans bruit et s'enfuirent à toutes jambes.

Le matin, le Dragon se rendit dans la chambre, mais qu'y vit-il ? Les cadavres de ses trois filles.

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Ah! canaille de capitaine Treize, quel abominable tour tu m'as joué! hurla-t-il.

Et, s'étant mis à la fenêtre, il aperçut dans le lointain les trois frères qui cheminaient et leur cria d'une voix menaçante: Ah! brigands, vous êtes cause de la mort de mes trois filles ! Que me réservez-vous encore?

Patience, répondit le capitaine Treize, patience! Nous n'avons pas fini de régler les journées de travail que tu nous dois.

Les trois frères se rendirent dans une ville et allèrent demander de l'ouvrage au palais. Le roi fit l'aîné palfrenier, le puîné cuisinier, et le cadet intendant, car il était le plus intelligent.

Cependant, ses frères, le voyant occuper la meilleure place, ne tardèrent pas à lui porter envie et résolurent de le perdre. Voici ce qu'ils machinèrent pour arriver à leurs fins. Ils allèrent trouver le roi et lui dirent : « Sire, notre jeune frère est doué d'une si grande intelligence qu'il pourrait aller dans le château du Dragon enlever un miroir merveilleux où l'on voit le monde entier et qui serait le plus bel ornement de votre palais. >>

Le roi appela sur-le-champ le capitaine Treize et lui dit : « Tu es, à ce qu'il paraît, un homme d'une rare intelligence, va donc me chercher certain miroir que possède le Dragon et, à ton retour, je te comblerai de présents. »>

Le pauvre capitaine Treize ne répondit rien et se retira dans sa chambre. Il pleura et se lamenta longtemps. « Ah! disait-il, infortuné que je suis, le Dragon me tuera pour sûr !» Et ses sanglots redoublaient. Tout à coup le mur s'entr'ouvrit et il en sortit un petit vieux qui lui dit : « Qu'as-tu à pleurer, mon enfant? >>

Ne m'en parle pas, mon oncle. Le roi m'a donné ordre d'aller lui chercher le miroir du Dragon. Je ne sais comment m'y prendre, car, si je vais chez le Dragon, ma mort est certaine.

Écoute-moi, mon enfant, je suis ta féc. Va dans le château du

Dragon à minuit passé. Il dormirà. Tu profiteras de son sommeil pour prendre le miroir et fuir. Garde-toi bien surtout de faire du bruit, car, s'il t'entend, tu es perdu.

Le capitaine Treize observa ponctuellement les prescriptions du vieillard. Il s'empara du miroir et prit la fuite. Il sortait à peine des domaines du Dragon que celui-ci se réveilla en sursaut. Il jeta un coup d'œil dans la chambre, et, ne voyant plus son miroir, comprit aussitôt que le capitaine Treize l'avait volé. Il court à la fenêtre, aperçoit le larron et lui crie: « Ah! canaille de capitaine Treize, tu as égorgé mes filles et tu m'as enlevé mon miroir, que me feras-tu encore? »

Patience, répondit-il, nous n'avons pas fini de régler nos

comptes.

Le capitaine Treize se rend au palais, remet le miroir entre les mains du roi, qui lui donne en échange de riches présents. Cependant, ses deux frères, voyant que la chose avait tourné à son avantage, en crevaient de dépit. Ils résolurent d'aller de nouveau trouver le roi. Introduits en présence du souverain, ils lui dirent : « Sire, celui qui est allé te chercher le miroir merveilleux pourrait tout aussi facilement te procurer un cheval que possède le Dragon. C'est un coursier qui a le corps tout garni d'ailes et qui fend les airs plus rapidement qu'un aigle. ›

Le roi fit aussitôt appeler le capitaine Treize et lui dit : « Puisque tu es bien allé me chercher le miroir du Dragon, ne te serait-il pas possible d'aller aussi me chercher son cheval? Si tu me le ramènes, je te donnerai autant d'or que tu pourras en désirer. »

Le capitaine Treize ne répondit rien. Il sortit du palais tout éploré et rencontra, dans la rue, le vieillard, qui lui dit : « Qu'as-tu encore à pleurer mon enfant ? »

Ne m'en parle pas, mon père. Le roi m'a fait venir de rechef et m'a ordonné d'aller lui chercher le cheval ailé du Dragon. Comment est-il possible que j'accomplisse un tel prodige?

Écoute que je te dise, mon enfant. Rends-toi de jour dans le château du Dragon. Il est en voyage avec son cheval et il ne reviendra que dans une semaine. Profite de son absence pour creuser dans l'écurie une fosse qui puisse te contenir, et, quand tu entendras venir le Dragon, cache-toi vite au fond de cette fosse. Le Dragon entrera dans l'écurie pour attacher son cheval, puis il montera dans sa chambre. Tu t'approcheras alors du cheval; s'il ne hennit

pas, tu monteras dessus et tu fuiras; s'il hennit, cache-toi précipitamment dans la fosse, car le Dragon descendra voir ce qu'il y a.

Le jeune homme remercia le vieillard, se rendit chez le Dragon, creusa la fosse dans l'écurie et s'y blottit. Le soir, le Dragon rentra, il attacha son cheval devant la mangeoire, lui jeta une botte de paille et monta dans sa chambre. Immédiatement, le capitaine Treize sortit de sa cachette, et déjà il se disposait à enfourcher le cheval, quand cet animal se mit à hennir. Saisi de frayeur, le jeune homme le lâcha et descendit dans la fosse. Quand le Dragon entendit son cheval hennir, il crut qu'il avait soif. Il descendit, lui donna à boire, le rattacha à sa mangeoire et remonta chez lui. Le capitaine Treize sortit de nouveau de sa cachette, mais le cheval ne l'eut pas sitôt aperçu qu'il se mit à hennir bruyamment. Le Dragon l'entendit et se dit en lui-même : Qu'est-ce qu'il a donc ? Voudrait-il de l'orge? 11 descendit une seconde fois, lui donna un picotin et remonta. Le capitaine Treize essaya derechef d'emmener le cheval, mais celui-ci se mit à pousser des hennissements si furieux que le Dragon descendit l'escalier quatre à quatre, empoigna une trique, en donna une volée à sa monture et lui dit : « Tu ne vas donc pas me laisser souper tranquille, vieille rosse? ›

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Cette fois, le cheval eut peur et ne hennit pas quand le capitaine Treize approcha de lui. Il se laissa enfourcher sans faire le récalcitrant et partit comme l'éclair avec son cavalier. Au bout d'un quart d'heure, le Dragon, n'entendant plus l'orge craquer sous les dents de son cheval, descendit pour voir ce qu'il avait à ne pas manger; mais, grande fut sa surprise, quand il trouva l'écurie vide. Il comprit aussitôt que c'était un nouveau tour du capitaine Treize. Il se mit à sa fenêtre, l'aperçut fuyant au loin et lui cria: Ah! canaille de capitaine Treize, tu as égorgé mes trois filles, tu as volé mon miroir et mon cheval, que me feras-tu encore ?>

-Patience, vieux coquin, nous n'avons pas fini de régler nos comptes.

Le capitaine Treize conduisit le cheval au roi et reçut en récompense trois grands sacs remplis d'or, d'argent, de pierreries et de perles fines. Comme vous pouvez bien le penser, ce nouveau succès du jeune homme ne fit qu'accroître l'envie que ses frères lui por-taient. Ils dirent au roi : « Sire, le Dragon a sur son lit une couverture qui n'a pas sa pareille au monde. Vous qui êtes le plus grand des rois, vous devriez la posséder. Notre frère est le seul homme

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