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nostre fadeze: il palit à la peur, il rougit à la honte, il gemit à la cholique, sinon d'une voix desesperee et esclatante, au moins d'une voix

cassee et enrouee:

Humani a se nihil alienum putet 2.

Les poëtes, qui feignent tout à leur poste, n'osent pas descharger seulement des larmes leurs

heros :

Sic fatur lacrymans, classique immittit habenas 3. Luy suffise de brider et moderer ses inclinations; car de les emporter, il n'est pas en luy. Cettuy mesme nostre Plutarque, si parfaict et excellent iuge des actions humaines, à veoir Brutus et Torquatus tuer leurs enfants, est entré en doubte si la vertu pouvoit donner iusques là, et si ces personnages n'avoient pas esté plustost agitez par quelque aultre passion 4. Toutes actions hors les bornes ordinaires sont subiectes à sinistre interpretation; d'autant que nostre goust n'advient non plus à ce qui est au dessus de luy, qu'à ce qui est au dessoubs.

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Laissons cette aultre secte 5 faisant expresse profession de fierté mais quand en la secte mesme estimee la plus molle 6, nous oyons ces vanteries de Metrodorus: Occupavi te, Fortuna, atque cepi; omnesque aditus tuos interclusi, ut ad me adspirare non posses 7 : quand Anaxarchus, par l'ordonnance de Nicocreon, tyran de Cypre, couché dans un vaisseau de pierre, et assommé à coups de mail de fer, ne cesse de dire,« Frappez, rompez; ce n'est pas Anaxarchus, c'est son estuy que vous pilez : » quand | nous oyons nos martyrs crier au tyran, au milieu de la flamme, « C'est assez rosti de ce costé là; hache le, mange le, il est cuit; recommence de l'aultre 9: » quand nous oyons, en Iosephe eet enfant tout deschiré de tenailles mordantes, et percé des alesnes d'Antiochus, le desfier encores, criant d'une voix ferme et asseuree : « Ty

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1 Notre folie, notre sottise, notre faiblesse. E. J.

10

* Qu'il ne se croie donc à l'abri d'aucun accident humain. TÉRENCE, Heautontim. act. I, sc. I, v. 25.- Montaigne détourne ici ce vers de son vrai sens, pour l'adapter à sa pensée. C.

3 Ainsi parlait Énée, les larmes aux yeux; et sa flotte voguait à pleines voiles. VIRG. Énéid. VI, I.

• PLUTARQUE, Vie de Publicola, c. 3. C.

5 Celle des stoïciens, ou de Zénon, son fondateur. C. 6 Celle d'Epicure. C.

* 7 Je t'ai prévenue, je t'ai domptée, ô Fortune! J'ai fortifié toutes les avenues par où tu pouvais venir jusqu'à moi. Cic. Tusc. quæst. V, 9.

DIOGÈNE LAERCE, IX, 58. C.

9 C'est ce que fait dire Prudence à saint Laurent, livre des Couronnes, hymn. 2, v. 401. C.

10 De Machab. c. 8. C.

ran, tu perds temps, me voicy tousiours à mon ayse; où est cette douleur, où sont ces torments dequoy tu me menaceois? n'y sçais tu que cecy? ma constance te donne plus de peine que ie n'en sens de ta cruauté : ô lasche belitre! tu te rens, et ie me renforce: fois moy plaindre, fois moy flechir, fois moy rendre, si tu peulx; donne courage à tes satellites et à tes bourreaux; les voylà defaillis de cœur, ils n'en peuvent plus; arme les, acharne les : » certes, il fault confesser qu'en ces ames là il y a quelque alteration et quelque fureur, tant saincte soit elle. Quand nous arrivons à ces saillies stoïques, «< l'ayme mieulx estre furieux que voluptueux ; » mot d'Antisthenes, Maveínv μžkλov, à άobeíny: quand Sextius nous dict, « qu'il ayme mieulx estre enferré de la douleur que de la volupté: » quand Epicurus entreprend de se faire mignarder à la goutte; et refusant le repos et la santé, que de gayeté de cœur il desfie les maulx; et mesprisant les douleurs moins aspres, desdaignant les luicter et les combattre, qu'il en appelle et desire des fortes, poignantes, et dignes de luy 2;

Spumantemque dari, pecora inter inertia, votis Optat aprum, aut fulvum descendere monte leonem 3: qui ne iuge que ce sont boutees d'un courage eslancé hors de son giste? Nostre ame ne sçauroit de son siege attaindre si hault; il fault qu'elle le quitte et s'esleve, et que prenant le frein aux dents, elle emporte et ravisse son homme si loing, qu'aprez il s'estonne luy mesme de son faict : comme aux exploicts de la guerre, la chaleur du combat poulse les soldats genereux souvent à franchir des pas si hazardeux, qu'estants revenus à eulx, ils en transissent d'estonnement les premiers comme aussi les poëtes sont esprins souvent d'admiration de leurs propres ouvrages, et ne recognoissent plus la trace par où ils ont passé une si belle carriere; c'est ce qu'on appelle aussi en eulx ardeur et manie. Et comme Platon dict 4, que pour neant heurte à la porte de la poësie un homme rassis: aussi dict Aristote 5, qu'aulcune ame excellente n'est exempte

1 AULU-GELLE, IX, 5; DIOGÈNE LAERCE, VI, 3.- Montaigne a traduit ces mots avant de les citer. C.

2 SÉNÈQUE, Epist. 66 et 92; de Otio sapientis, c. 32, etc. J. V. L.

3 Dédaignant ces animaux timides, il voudrait qu'un sanglier écumant vint s'offrir à lui, ou qu'un lion descendit de la montagne. VIRG. Eneid. IV, 158. Cette application est aussi empruntée de SÉNÈQUE, Epist. 64. J. V. L.

4 SÉNÈQUE, de Tranquillitate animi, c. 15, d'après l'Ion.

J. V. L.

5 ARISTOTE, Problem. sect. 30; CICERON, Tuscul. I, 33; SÉNEQUE, ibid. J. V. L.

tout eslancement, tant louable soit il, qui surpasse nostre propre iugement et discours; d'autant que la sagesse est un maniement reiglé de nostre ame, et qu'elle conduict avecques mesure et proportion, et s'en respond. Platon ' argumente ainsi, « que la faculté de prophetizer est au dessus de nous; qu'il fault estre hors de nous quand nous la traictons; il fault que nostre prudence soit offusquee ou par le sommeil, ou par quelque maladie, ou enlevee de sa place par un ravissement celeste. »

de meslange de folie; et a raison d'appeller folie | tant qu'il doibt, non pas tant qu'il peult; et que le present que nature nous ayt faict le plus favorable, et qui nous oste tout moyen de nous plaindre de nostre condition, c'est de nous avoir laissé la clef des champs : elle n'a ordonné qu'une entree à la vie, et cent mille yssues. Nous pouvons avoir faulte de terre pour y vivre; mais de terre pour y mourir, nous n'en pouvons avoir faulte, comme respondit Boiocalus aux Romains'. Pourquoy te plains tu de ce monde? il ne te tient pas: si tu vis en peine, ta lascheté en est cause. A mourir, il ne reste que le vouloir : Ubique mors est; optime hoc cavit Deus. Eripere vitam nemo non homini potest;

CHAPITRE III.

Coustume de l'isle de Cea.

Si philosopher c'est doubter, comme ils disent, à plus forte raison niaiser et fantastiquer, comme ie fois, doibt estre doubter; car c'est aux apprentifs à enquerir et à debattre, et au cathedrant de resoudre. Mon cathedrant, c'est l'auctorité de la volonté divine, qui nous reigle sans contredict, et qui a son reng au dessus de

ces humaines et vaines contestations.

"

2

Philippus estant entré à main armee au Peloponnese, quelqu'un disoit à Damindas que les Lacedemoniens auroient beaucoup à souffrir, s'ils ne se remettoient en sa grace: « Eh! poltron! respondit il, que peuvent souffrir ceulx qui ne craignent point la mort? » On demandoit aussi à Agis comment un homme pourroit vivre libre : « Mesprisant, dit il, le mourir. » Ces propositions, et mille pareilles qui se rencontrent à ce propos, sonnent evidemment quelque chose au delà d'attendre patiemment la mort, quand elle nous vient: car il y a en la vie plusieurs accidents pires à souffrir que la mort mesme; tesmoing cet enfant lacedemonien prins par Antigonus, et vendu pour serf, lequel pressé par son maistre de s'employer à quelque service abiect : « Tu verras, dit il, qui tu as acheté : ce me seroit honte de servir ayant la liberté si à main; » et ce disant, se precipita du hault de la maison. Antipater menaceant asprement les Lacedemoniens, pour les renger à certaine sienne demande : « Si tu nous menaces de pis que la mort, respondirent ils, nous mourrons plus volontiers: » et à Philippus leur ayant escript qu'il empescheroit toutes leurs entreprinses : « Quoy! nous empescheras tu aussi de mourir? » C'est ce qu'on dict3, que le sage vit

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At nemo mortem : mille ad hanc aditus patent. Et ce n'est pas la recepte à une seule maladie 3: : la mort est la recepte à touts maulx; c'est un port tres asseuré, qui n'est iamais à craindre, et souvent à rechercher. Tout revient à un, que l'homme se donne sa fin, ou qu'il la souffre; qu'il coure au devant de son iour, ou qu'il l'attende; d'où qu'il vienne, c'est tousiours le sien en quelque lieu que le filet se rompe, il y est tout; c'est le bout de la fusee. La plus volontaire mort, c'est la plus belle. La vie depend de la volonté d'aultruy; la mort, de la

nostre. En aulcune chose nous ne debvons tant nous accommoder à nos humeurs, qu'en celle là. La reputation ne touche pas une telle entreprinse; c'est folie d'y avoir respect. Le vivre, dire. Le commun train de la guarison se conc'est servir, si la liberté de mourir en est à duict aux despens de la vie : on nous incise, on nous cauterize, on nous destrenche les membres, on nous soustraict l'aliment et le sang ; un pas plus oultre, nous voylà guaris tout à faict. Pourquoy n'est la veine du gosier autant à nostre commandement que la mediane 4? Aux plus fortes maladies, les plus forts remedes. Servius le grammairien ayant la goutte, n'y trouva meilleur conseil que de s'appliquer du poison à à leur poste, pourveu qu'elles feussent insentuer ses iambes 5: qu'elles feussent podagriques sibles. Dieu nous donne assez de congé, quand

1 TACITE, Annal. XIII, 56: Deesse nobis terra, in qua vivamus, in qua moriamur non potest.

2 Par un effet de la sagesse divine, la mort est partout. Chacun peut ôter la vie à l'homme, personne ne peut lui ôter la mort: mille chemins ouverts y conduisent. SÉNÈQUE, Thebais, act. I, sc. 1, v. 151.

3 La plupart de ces idées sont de SÉNÈQUE, Epist. 69 et

70. C.
4 Veine du pli du coude. E. J.

5

PLINE, Nat. Hist. XXV, 3; SUÉTONE, de Illustr. Gramm. c. 2 et 3. C.

I

Duris ut ilex tonsa bipennibus
Nigræ feraci frondis in Algido,
Per damna, per cædes, ab ipso
Ducit opes, animumque ferro':

et comme dict l'aultre,

Non est, ut putas, virtus, pater,
Timere vitam; sed malis ingentibus
Obstare, nec se vertere, ac retro dare2.
Rebus in adversis facile est contemnere mortem :
Fortius ille facit, qui miser esse potest 3.

il nous met en tel estat, que le vivre est pire | la vifve vertu; elle cherche les maulx et la douque le mourir. C'est foiblesse de ceder aux leur comme son aliment, les menaces des tyrans, maulx, mais c'est folie de les nourrir. Les stoï- les gehennes et les bourreaux, l'animent et la ciens disent que c'est vivre convenablement à vivifient; nature, pour le sage, de se despartir de la vie, encores qu'il soit en plein heur, s'il le faict opportunement; et au fol, de maintenir sa vie, encores qu'il soit miserable, pourveu qu'il soit en la plus grande part des choses qu'ils disent estre selon nature. Comme ie n'offense les loix qui sont faictes contre les larrons, quand i'emporte le mien, et que ie couppe ma bourse; ny des boutefeux, quand ie brusle mon bois : aussi ne suis ie tenu aux loix faictes contre les meurtriers, pour m'estre osté ma vie. Hegesias disoit que, comme la condition de la vie, aussi la condition de la mort debvoit dependre de nostre eslection. Et Diogenes rencontrant le philosophe Speusippus affligé de longue hydropisie, se faisant porter en lictiere, qui luy escria : « Le bon salut, Diogenes; - A toy, point de salut, respondit il, qui souffres le vivre, estant en tel estat. >> De vray, quelque temps aprez, Speusippus se feit mourir, ennuyé d'une si penible condition de vie 3.

Mais cecy ne s'en va pas sans contraste : car plusieurs tiennent, Que nous ne pouvons abbandonner cette garnison du monde, sans le commandement exprez de celuy qui nous y a mis; et que c'est à Dieu, qui nous a icy envoyez, non pour nous seulement, ouy bien pour sa gloire et service d'aultruy, de nous donner congé quand il luy plaira, non à nous de le prendre : Que nous ne sommes pas nayz pour nous, ains aussi pour nostre païs : les loix nous redemandent compte de nous pour leur interest, et ont action d'homicide contre nous; aultrement, comme déserteurs de nostre charge, nous sommes punis en l'aultre monde :

Proxima deinde tenent mæsti loca, qui sibi lethum
Insontes peperere manu, lucemque perosi
Proiecere animas 4.

Il y a bien plus de constance à user la chaisne
qui nous tient, qu'à la rompre, et plus d'es-
preuve de fermeté en Regulus qu'en Caton;
c'est l'indiscretion et l'impatience qui nous haste
le pas. Nuls accidents ne font tourner le dos à

1 CIC. de Finibus, III, 18. C.

2 DIOGÈNE LAERCE, II, 94. C. 3 ID. IV, 3. C.

4 Plus loin, on voit accablés de tristesse les malheureux qui ont tranché, par une mort volontaire, des jours jusqu'alors innocents, et qui détestant la lumière, ont rejeté le fardeau de la vie. VIRG. Énéid. VI, 434.

C'est le roolle de la couardise, non de la vertu, de s'aller tapir dans un creux, soubs une tumbe massifve, pour eviter les coups de la fortune; la vertu ne rompt son chemin ny son train, pour orage qu'il fasse :

Si fractus illabatur orbis,

Impavidum ferient ruinæ 4. Le plus communement, la fuitte d'aultres inconvenients nous poulse à cettuy cy; voire quelquesfois la fuitte de la mort faict que nous y

courons:

Hic, rogo, non furor est, ne moriare, mori 5? comme ceulx qui, de peur du precipice, s'y lancent eulx mesmes:

Multos in summa pericula misit
Venturi timor ipse mali : fortissimus ille est,
Qui promptus metuenda pati, si cominus instent,
Et differre potest 6.

Usque adeo, mortis formidine, vitæ
Percipit humanos odium, lucisque videndæ,
Ut sibi consciscant morenti pectore lethum,
Obliti fontem curarum hunc esse timorem 7.

Tel le chéne, dans les noires forêts de l'Algide, se fortifie sous les coups redoublés de la hache; ses pertes, ses blessures, le fer même qui le frappe, lui donnent une nouvelle vigueur. HOR. Od. IV, 4, 57.

2 La vertu, mon père, ne consiste pas, comme vous le pensez, à craindre la vie, mais à ne pas fuir honteusement, à faire face à l'adversité. SÉNÈQUE, Thebais, acte I, v. 190.

3 Dans l'adversité il est facile de mépriser la mort : il a bien plus de courage, celui qui sait être malheureux. MARTIAL, XI, 56, 15.

4 Que l'univers brisé s'écroule, les ruines le frapperont sans l'effrayer. HOR. Od. III, 3, 7.

5 Dites-moi, je vous prie, mourir de peur de mourir, n'est-ce pas folie? MARTIAL, II, 80, 2.

6 La crainte même du péril fait souvent qu'on se hâte de s'y précipiter. L'homme courageux est celui qui brave le danger s'il le faut, et qui l'évite s'il est possible. LUCAIN, VII,

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Platon, en ses loix', ordonne sepulture ignomi- | se pendoient les unes aprez les aultres, iusques à nieuse à celuy qui a privé son plus proche et plus amy, sçavoir est soy mesme, de la vie et du cours des destinees, non contrainct par iugement publicque, ny par quelque triste et inevitable accident de la fortune, ni par une honte insupportable, mais par lascheté et foiblesse d'une ame craintifve. Et l'opinion qui desdaigne nostre vie, elle est ridicule; car enfin c'est nostre estre, c'est nostre tout. Les choses qui ont un estre plus noble et plus riche, peuvent accuser le nostre mais c'est contre nature que nous nous mesprisons et mettons nous mesmes à nonchaloir; c'est une maladie particuliere, et qui ne se veoid en aulcune aultre creature, de se haïr et desdaigner. C'est de pareille vanité que nous desirons estre aultre chose que ce que nous sommes : le fruict d'un tel desir ne nous touche pas, d'autant qu'il se contredict et s'empesche en soy. Celuy qui desire d'estre faict, d'un homme, ange, il ne faict rien pour luy : il n'en vauldroit de rien mieulx car n'estant plus, qui se resiouïra et ressentira de cet amendement pour luy?

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La securité, l'indolence, l'impassibilité, la privation des maulx de cette vie, que nous achep- | tons au prix de la mort, ne nous apporte aulcune commodité pour neant evite la guerre, celuy qui ne peult iouyr de la paix; et pour neant fuit la peine, qui n'a dequoy savourer le repos.

Entre ceulx du premier advis, il y a eu grand doubte sur cecy, Quelles occasions sont asse iustes pour faire entrer un homme en ce party de se tuer? ils appellent cela sayov Exywy 3. Car quoy qu'ils dient qu'il fault souvent mourir pour causes legieres, puis que celles qui nous tiennent en vie ne sont gueres fortes, si y faut il quelque mesure. Il y a des humeurs fantastiques et sans discours qui ont poulsé, non des hommes particuliers seulement, mais des peuples, à se desfaire : i'en ay allegué par cy devant des exemples; et nous lisons en oultre des vierges milesiennes, que par une conspiration furieuse, elles 1 Liv. IX, et dans les Pensées de Platon, troisième partie, p. 374, seconde édition. J. V. L.

2 On n'a rien à craindre du malheur, si l'on n'existe plus dans le temps où il pourrait arriver. LUCRÈCE, III, 874.

3 Eűkoyov ¿szywyǹv, sortie raisonnable. C'était l'expression des stoïciens. Voyez DIOGÈNE LAERCE, VIII, 130; et les observations de MÉNAGE, p. 311 et 312. C.

4 PLUTARQUE, Des faicts vertueux des femmes, à l'article des Milésiennes. C.

ce que le magistrat y pourveust, ordonnant que celles qui se trouveroient ainsi pendues, feussent traisnees du mesme licol toutes nues par la ville. Quand Threicion' presche Cleomenes de se tuer pour le mauvais estat de ses affaires, et ayant fuy la mort plus honnorable en la battaille qu'il venoit de perdre, d'accepter cette aultre qui luy est seconde en honneur, et ne donner point de loisir aux victorieux de luy faire souffrir ou une mort ou une vie honteuse; Cleomenes, d'un courage lacedemonien et stoïque, refuse ce conseil, comme lasche et effeminé : « C'est une recepte, dict il, qui ne me peult iamais manquer, et de laquelle il ne se fault pas servir tant qu'il y a un doigt d'esperance de reste; que le vivre est quelquesfois constance et vaillance; qu'il veult que sa mort mesme serve à son païs, et en veult faire un acte d'honneur et de vertu. » Threicion se creut dez lors, et se tua. Cleomenes en feit aussi autant depuis, mais ce feut aprez avoir essayé le dernier poinct de la fortune. Touts les inconvenients ne valent pas qu'on vueille mourir pour les eviter : et puis y ayant tant de soubdains changements aux choses humaines, il est mal aysé à iuger à quel poinct nous sommes iustement au bout de nostre esperance:

Sperat et in sæva victus gladiator arena,

Sit licet infesto pollice turba minax 2.

Toutes choses, disoit un mot ancien 3, sont esperables à un homme, pendant qu'il vit. « Ouy, mais, respond Seneca, pourquoy auroy ie plustost en la teste cela, Que la fortune peult toutes choses pour celuy qui est vivant; que cecy, Que fortune veoid Iosephe 4 engagé en un si apparent dangier ne peult rien sur celuy qui sçait mourir? » On et si prochain, tout un peuple s'estant eslevé aulcune ressource; toutesfois estant, comme il contre luy, que par discours il n'y pouvoit avoir dict, conseillé sur ce poinct, par un de ses amis, de se desfaire, bien luy servit de s'opiniastrer encores en l'esperance; car la fortune contourna, oultre toute raison humaine, cet accident, si bien qu'il s'en veid delivré sans aulcun inconvenient. Et Cassius et Brutus, au contraire, acheverent

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de perdre les reliques de la romaine liberté, de laquelle ils estoient protecteurs, par la precipitation et temerité dequoy ils se tuerent avant le temps et l'occasion. A la iournee de Serisolles, monsieur d'Anguien essaya deux fois de se donner de l'espee dans la gorge, desesperé de la fortune du combat qui se porta mal en l'endroict où il estoit; et cuida par precipitation se priver de la iouïssance d'une si belle victoire'. l'ay veu cent lievres se sauver soubs les dents des levriers. Aliquis carnifici suo superstes fuit.

Multa dies, variusque labor mutabilis ævi - Rettulit in melius; multos alterna revisens Lusit, et in solido rursus fortuna locavit 3. Pline 4 dict qu'il n'y a que trois sortes de maladies pour lesquelles eviter on aye droict de se tuer; la plus aspre de toutes, c'est la pierre à la vessie, quand l'urine en est retenue: Seneque, celles seulement qui esbranlent pour long temps les offices de l'ame. Pour eviter une pire mort, il y en a qui sont d'advis de la prendre à leur poste. Democritus, chef des Aetoliens, mené prisonnier à Rome, trouva moyen, de nuict, d'eschapper; mais suyvi par ses gardes, avant que se laisser reprendre, il se donna de l'espee au travers du corps 5. Antinous et Theodotus, leur ville d'Epire reduicte à l'extremité par les Romains, feurent d'advis au peuple de se tuer touts: mais le conseil de se rendre plustost ayant gaigné, ils allerent chercher la mort, se ruants sur les ennemis en intention de frapper, non de se couvrir. L'isle de Goze forcee par les Turcs il y a quelques annees, un Sicilien qui avoit deux belles filles prestes à marier, les tua de sa main, et leur mere aprez, qui accourut à leur mort: cela faict, sortant en rue avecques une arbaleste et une arquebuse, de deux coups il en tua les deux premiers Turcs qui s'approcherent de sa porte, et puis mettant l'espee au poing, s'alla mesler furieusement, où il feut soubdain enveloppé et mis en pieces, se sauvant ainsi du servage aprez en avoir delivré les siens. Les femmes iuifves, aprez avoir faict circoncire leurs enfants, s'alloient precipiter

1 Blaise de Montluc, qui eut beaucoup de part au gain de la bataille, l'assure positivement dans ses Commentaires, fol. 95, verso. Cette bataille se donna en 1544. C.

2 Tel a survécu à son bourreau. SÉNÈQUE, Epist. 13. 3 Les temps, les événements divers, ont souvent amené des changements heureux; capricieuse dans ses jeux, la fortune abaisse souvent les hommes pour les relever avec plus d'éclat. VIRG. En. XI, 425.

4 PLINE, XXV, 3. — SÉNÈQUE, Epist. 58. C.

5 TITE-LIVE, XXXVII, 46. L'exemple suivant est pris du même historien, XLV, 26. C.

6 Petite ile à l'occident de celle de Malte, dont elle n'est pas fort éloignée. C.

MONTAIGNE.

quand et eulx, fuyants la cruauté d'Antiochus'. On m'a conté qu'un prisonnier de qualité estant en nos conciergeries, ses parents, advertis qu'il seroit certainement condemné, pour eviter la honte de telle mort, apposterent un presbtre pour luy dire que le souverain remede de sa delivrance estoit qu'il se recommendast à tel sainct avec tel et tel vou, et qu'il feust huict iours sans prendre aulcun aliment, quelque defaillance et foiblesse qu'il sentist en soy. Il l'en creut, et par ce moyen se desfeit, sans y penser, de sa vie et du dangier. Scribonia conseillant Libo, son nepveu, de se tuer plustost que d'attendre la main de la iustice, luy disoit que c'estoit proprement faire l'affaire d'aultruy, que de conserver sa vie pour la remettre entre les mains de ceulx qui la viendroient chercher trois ou quatre iours aprez; et que c'estoit servir ses ennemis, de garder son sang pour leur en faire curee.

Il se lit dans la Bible3, que Nicanor, persecuteur de la loy de Dieu, ayant envoyé ses satellites pour saisir le bon vieillard Razias, surnommé, pour l'honneur de sa vertu, le pere aux Iuifs; comme ce bon homme n'y veid plus d'ordre, sa porte bruslee, ses ennemis prests à le saisir, choisissant de mourir genereusement plustost que de venir entre les mains des meschants, et de se laisser mastiner contre l'honneur de son reng, il se frappa de son espee: mais le coup, pour la haste, n'ayant pas esté bien assené, il courut se precipiter du hault d'un mur au travers de la trouppe, laquelle s'escartant et luy faisant place, il cheut droictement sur la teste; cc neantmoins, se sentant encores quelque reste de vie, il ralluma son courage, et s'eslevant en pieds, tout ensanglanté et chargé de coups, et faulsant la presse, donna iusques à certain rochier couppé et precipiteux, où n'en pouvant plus, il print par l'une de ses plaies à deux mains ses entrailles, les deschirant et froissant, et les iecta à travers les poursuyvants, appellant sur eulx et attestant la vengeance divine.

Des violences qui se font à la conscience, la plus à eviter, à mon advis, c'est celle qui se faict à la chasteté des femmes, d'autant qu'il y a quelque plaisir corporel naturellement meslé parmy; et à cette cause, le dissentiment n'y peut estre assez entier, et semble que la force soit meslee à quelque volonté. L'histoire ecclesiastique a en reverence plusieurs tels exemples de personnes

1 JOSÈPHE, Antiquités judaïques, XII, 5, 4. J. V. L.

2 SÉNÈQUE, Epist. 70. C.

3 Machabées, II, 14, v. 37-46. C.

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