Obrázky na stránke
PDF
ePub

forgeoit on d'aultres. Mais long temps aprez, et le lendemain, quand ma memoire veint à s'entr'ouvrir, et me representer l'estat où ie m'estoy trouvé, en l'instant que i'avois apperceu ce cheval fondant sur moy (car ie l'avoy veu à mes talons, et me teins pour mort; mais ce pensement avoit esté si soubdain, que la peur n'eut pas loisir de s'y engendrer), il me sembla que c'estoit un esclair qui me frappoit l'ame de secousse, et que ie revenois de l'aultre monde.

Ce conte d'un evenement si legier est assez vain, n'estoit l'instruction que i'en ay tiree pour moy: car, à la verité, pour s'apprivoiser à la mort, ie treuve qu'il n'y a que de s'en avoysiner. Or, comme dict Pline 1, chascun est à soy mesme une tres bonne discipline, pourveu qu'il ayt la suffisance de s'espier de prez. Ce n'est pas icy ma doctrine, c'est mon estude; et n'est pas la leçon d'aultruy, c'est la mienne; et ne me doibt on pourtant sçavoir mauvais gré si ie la communique; ce qui me sert peult aussi, par accident, servir à un aultre. Au demourant, ie ne gaste rien, ie n'use que du mien; et si ie fois le fol, c'est à mes despens, et sans l'interest de personne; car c'est en folie qui meurt en moy, qui n'a point de suitte. Nous n'avons nouvelles que de deux ou trois anciens qui ayent battu ce chemin; et si, ne pouvons dire si c'est du tout en pareille maniere à cette cy, n'en cognoissant que les noms. Nul depuis ne s'est iecté sur leur trace. C'est une espineuse entreprinse, et plus qu'il ne semble, de suyvre une allure si vagabonde que celle de nostre esprit, de penetrer les profondeurs opaques de ses replis internes, de choisir et arrester tant de menus airs de ses agitations; et est un amusement nouveau et extraordinaire qui nous retire des occupations communes du monde, ouy, et des plus recommendees. Il y a plusieurs annees que ie n'ay que moy pour visee à mes pensees, que ie ne contreroolle et n'estudie que moy; et si i'estudie aultre chose, c'est pour soubdain le coucher sur moy, ou en moy, pour mieulx dire : et ne me semble point faillir, si, comme il se faict des aultres sciences sans comparaison moins utiles, ie fois part de ce que i'ay apprins en cette cy, quoy que ie ne me contente gueres du progrez que i'y ay faict. Il n'est description pareille en difficulté à la description de soy mesme, ny certes en utilité : encores se fault il testonner, encores se fault il

[blocks in formation]

ordonner et renger, pour sortir en place : or ie me pare sans cesse, car ie me descris sans cesse. La coustume a faict le parler de soy vicieux', et le prohibe obstineement, en hayne de la ventance qui semble tousiours estre attachee aux propres tesmoignages: au lieu qu'on doibt moucher l'enfant, cela s'appelle l'enaser; In vitium ducit culpæ fuga ';

ie treuve plus de mal que de bien à ce remede. Mais quand il seroit vray que ce feust necessairement presumption d'entretenir le peuple de soy, ie ne dois pas, suyvant mon general desseing, refuser une action qui publie cette maladifve qualité, puisqu'elle est en moy; et ne dois cacher cette faulte, que i'ay non seulement en usage, mais en profession. Toutesfois, à dire ce que i'en croy, cette coustume a tort de condemner le vin, parce que plusieurs s'y enyvrent: on ne peult abuser que des choses qui sont bonnes; et croy de cette reigle, qu'elle ne regarde que la populaire defaillance. Ce sont brides à veaux, desquelles ny les saincts, que nous oyons si haultement parler d'eulx, ny les philosophes, ny les theologiens, ne se brident; ne fois ie moy, quoy que ie soye aussi peu l'un que l'aultre. S'ils n'en escrivent à poinct nommé, au moins, quand l'occasion les y porte, ne feignent ils pas de se iecter bien avant sur le trottoir. De quoy traicte Socrates plus largement que de soy? à quoy achemine il plus souvent les propos de ses disciples, qu'à parler d'eulx, non pas de la leçon de leur livre, mais de l'estre et bransle de leur ame? Nous nous disons religieusement à Dieu et à nostre confesseur, comme nos voysins3 à tout le peuple. « Mais nous n'en disons, me respondra on, que les accusations. >> Nous disons donc tout; car nostre vertu mesme est faultive et repentable. Mon mestier et mon art, c'est vivre4: qui me deffend d'en parler selon mon sens, experience et usage, qu'il ordonne à l'architecte de parler des bastiments non selon soy, selon son voysin, selon la science d'un aultre, non selon la sienne. Si c'est gloire 5, de soy

mais

[blocks in formation]

il bais

que flatteuse presumption de sa vaillance, qu'il se ramentoive les vies de Scipion, d'Epaminondas, de tant d'armees, de tant de peuples, qui le laissent si loing derriere eulx. Nulle particuliere qualité n'enorgueillira celuy qui mettra quand et quand en compte tant d'imparfaictes et foibles qualitez aultres qui sont en luy, et au bout la nihilité de l'humaine condition. Parce que Socrates avoit seul mordu à certes au precepte de son dieu, « de se cognoistre, >> et par cet estude estoit arrivé à se mespriser, il feut estimé seul digne du nom de sage. Qui se cognoistra ainsi, qu'il se donne hardiement à cognoistre par sa bouche.

mesme publier ses valeurs, que ne met Cicero yeulx au dessus, vers les siecles passez, en avant l'eloquence de Hortense, Hortense celle sera les cornes, y trouvant tant de milliers d'esde Cicero? A l'adventure entendent ils que ie tes-prits qui le foulent aux pieds: s'il entre en quelmoigne de moy par ouvrage et effects, non nuement par des paroles. Ie peins principalement mes cogitations, subiect informe qui ne peult tumber en production ouvragiere; à toute peine le puis ie coucher en ce corps aëré de la voix : des plus sages hommes et des plus devots ont vescu fuyants touts apparents effects. Les effects diroient plus de la fortune que de moy : ils tesmoignent leur roolle, non pas le mien, si ce n'est coniecturalement et incertainement; eschantillons d'une monstre particuliere. Ie m'estale entier: c'est un skeletos où, d'une veue, les veines, les muscles, les tendons, paroissent, chasque piece en son siege l'effect de la toux en produisoit une partie; l'effect de la palleur ou battement de cœur, une aultre, et doubteusement. Ce ne sont mes gestes que l'escris; c'est moy, c'est mon es

sence.

Ie tiens qu'il fault estre prudent à estimer de soy, et pareillement conscientieux à en tesmoiguer, soit bas, soit hault, indifferemment. Si ie me sembloy bon et sage tout à faict, ie l'entonnerois à pleine teste. De dire moins de soy qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie; se payer de moins qu'on ne vault, c'est lascheté et pusillanimité, selon Aristote : nulle vertu ne s'ayde de la faulseté, et la verité n'est iamais matiere d'erreur. De dire de soy plus qu'il n'y en a, ce n'est pas tousiours presumption, c'est encores souvent sottise: se complaire oultre mesure de ce qu'on est, en tumber en amour de soy indiscrette, est à mon advis la substance de ce vice. Le supreme remede à le guarir, c'est faire tout le rebours de ce que ceulx icy ordonnent, qui en deffendant le parler de soy, deffendent par consequent encores plus de penser à soy. L'orgueil gist en la pensée, la langue n'y peult avoir qu'une bien legiere part.

De s'amuser à soy, il leur semble que c'est se plaire en soy; de se hanter et practiquer, que c'est se trop cherir: mais cet excez naist seulement en ceulx qui ne se tastent que superficiel lement; qui se veoyent aprez leurs affaires; qui appellent resverie et oysifveté, de s'entretenir de soy; et s'estoffer et bastir, faire des chasteaux en Espaigne; s'estimants chose tierce et estrangiere à eulx mesmes. Si quelqu'un s'enyvre de sa science, regardant soubs soy, qu'il tourne les

[blocks in formation]

CHAPITRE VII.

Des recompenses d'honneur.

Ceulx qui escrivent la vie d'Auguste Cesar * remarquent cecy en sa discipline militaire, que des dons il estoit merveilleusement liberal envers ceulx qui le meritoient; mais que des pures recompenses d'honneur, il en estoit bien autant espargnant si est ce qu'il avoit esté luy mesme militaires, avant qu'il eust iamais esté à la gratifié par son oncle de toutes les recompenses guerre. Ç'a esté une belle invention, et receue en la pluspart des polices du monde, d'establir certaines marques vaines et sans prix pour en honnorer et recompenser la vertu, comme sont les couronnes de laurier, de chesne, de meurte3, la forme de certain vestement, le privilege d'al ler en coche par ville, ou de nuict avecques semblees publicques, la prerogative d'aulcuns flambeau, quelque assiette particuliere aux assurnoms et tiltres, certaines marques aux armoi

[ocr errors]

ries, et choses semblables, dequoy l'usage a esté diversement receu selon l'opinion des nations, et dure encores.

Nous avons pour nostre part, et plusieurs de nos voysins, les ordres de chevalerie, qui ne sont establis qu'à cette fin. C'est, à la verité, une bien bonne et proufitable coustume de trouver moyen de recognoistre la valeur des hommes rares et excellents, et de les contenter et satisfaire par des payements qui ne chargent aulcunement le publicque, et qui ne coustent rien au

1 Sincèrement, sérieusement. Expression commune dans Amyot. C.

2 SUÉTONE, Vie d'Auguste, c. 23. C.

3 Meurte, myrtus, signifie myrte dans NICOT. C.

prince. Et ce qui a esté tousiours cogneu par experience ancienne, et que nous avons aultrefois aussi peu veoir entre nous, que les gents de qualité avoient plus de ialousie de telles recompenses, que de celles où il y avoit du gaing et du proufit, cela n'est pas sans raison et grande apparence. Si au prix, qui dcibt estre simplement d'honneur, on y mesle d'aultres commoditez et de la richesse, ce meslange, au lieu d'augmenter l'estimation, la ravalle et en retrenche. L'ordre Sainct Michel, qui a esté si long temps en credit parmy nous, n'avoit point de plus grande commodité que celle là, de n'avoir communication d'aulcune aultre commodité : cela faisoit qu'aultrefois il n'y avoit ny charge ny estat, quel qu'il feust, auquel la noblesse pretendist avecques tant de desir et d'affection qu'elle faisoit à l'ordre, ny qualité qui apportast plus de respect et de grandeur; la vertu embrassant et aspirant plus volontiers à une recompense purement sienne, plustost glorieuse qu'utile. Car, à la verité, les aultres dons n'ont pas leur usage si digne, d'autant qu'on les employe à toutes sortes d'occasions. Par des richesses, on satisfaict le service d'un valet, la diligence d'un courrier, le dancer, le voltiger, le parler, et les plus vils offices qu'on receoive; voire et le vice s'en paye, la flatterie, le maquerelage, la trahison ce n'est pas merveille si la vertu receoit et desire moins volontiers cette sorte de monnoye commune, que celle qui luy est propre et particuliere, toute noble et genereuse. Auguste avoit raison d'estre beaucoup plus mesnagier et espargnant de cette cy que de l'aultre; d'autant que l'honneur est un privilege qui tire sa principale essence de la rareté; et la vertu

mesme.

Cui malus est nemo, quis bonus esse potest? On ne remarque pas, pour la recommendation d'un homme, qu'il ayt soing de la nourriture de ses enfants, d'autant que c'est une action commune, quelque iuste qu'elle soit; non plus qu'un grand arbre, où la forest est toute de mesme. Ie ne pense pas qu'aulcun citoyen de Sparte se glorifiast de sa vaillance, car c'estoit une vertu populaire en leur nation; et aussi peu de la fidelité, et mespris des richesses. Il n'escheoit pas de recompense à une vertu, pour grande qu'elle soit, qui est passee en coustume;

[blocks in formation]

et ne sçay avecques, si nous l'appellerions iamais grande, estant commune.

Puis donc que ces loyers d'honneur n'ont aultre prix et estimation que cette là, que peu de gents en iouïssent, il n'est, pour les aneantir, que d'en faire largesse. Quand il se trouveroit plus d'hommes qu'au temps passé qui meritassent nostre ordre, il n'en falloit pas pourtant. corrompre l'estimation: et peult ayseement advenir que plus le meritent; car il n'est aulcune des vertus qui s'espande si ayseement que la vaillance militaire. Il y en a une aultre vraye, parfaicte et philosophique, dequoy ie ne parle point, et me sers de ce mot selon nostre usage, bien plus grande que cette cy et plus pleine, qui est une force et asseurance de l'ame, mesprisant egualement toute sorte de contraires accidents, equable, uniforme et constante, de laquelle la nostre n'est qu'un bien petit rayon. L'usage, l'institution, l'exemple et la coustume, peuvent tout ce qu'elles veulent en l'establissement de celle dequoy ie parle, et la rendent ayseement vulgaire, comme il est tres aysé à veoir par l'experience que nous en donnent nos guerres civiles et qui nous pourroit ioindre à cette heure, et acharner à une entreprinse commune tout nostre peuple, nous ferions refleurir nostre ancien nom militaire. Il est bien certain que la recompense de l'ordre ne touchoit pas, au temps passé, seulement la vaillance; elle regardoit plus loing: ce n'a iamais esté le payement d'un valeureux soldat, mais d'un capitaine fameux; la science d'obeïr ne meritoit pas un loyer si honnorable. On y requeroit anciennement une expertise bellique plus universelle, et qui embrassast la pluspart et les plus grandes parties d'un homme militaire: neque enim eædem, militares et imperatoriæ, artes sunt; qui feust encores, cela, de condition accommodable à une telle dignité. Mais ie dis, quand plus de gents en seroient dignes qu'il ne s'en trouvoit aultrefois, qu'il ne falloit pas pourtant s'en rendre plus liberal; et eust mieulx vallu faillir à n'en estrener pas touts ceulx à qui il estoit deu, que de perdre pour iamais, comme nous venons de faire, l'usage d'une invention si utile. Aulcun homme de cœur ne daigne s'advantager de ce qu'il a de commun avec plusieurs; et ceulx d'auiourd'huy qui ont moins merité cette recompense, font plus de

L'ordre de Saint-Michel, institué par une ordonnance de Louis XI, à Amboise, le 1er août 1469. J. V. L.

2 Car les talents du soldat et ceux du général ne sont pas les mêmes. TITE-LIVE, XXV, 19.

contenance de la desdaigner, pour se loger par là au reng de ceulx à qui on faict tort d'espandre indignement et avilir cette marque qui leur estoit particulierement deue.

Or, de s'attendre, en effaceant et abolissant cette cy, de pouvoir soubdain remettre en credit et renouveller une semblable coustume, ce n'est pas entreprinse propre à une saison si licentieuse et malade qu'est celle où nous nous trouvons à present et en adviendra que la derniere encourra, dez sa naissance, les incommoditez qui viennent de ruyner l'aultre. Les reigles de la dispensation de ce nouvel ordre auroient besoing d'estre extremement tendues et contrainctes, pour luy donner auctorité; et cette saison tumultuaire n'est pas capable d'une bride courte et reiglee : oultre ce qu'avant qu'on luy puisse donner credit, il est besoing qu'on ayt perdu la memoire du premier, et du mespris auquel il est cheu.

Ce lieu pourroit recevoir quelque discours sur la consideration de la vaillance, et difference de cette vertu aux aultres; mais Plutarque estant souvent retumbé sur ce propos, ie me mesleroy pour neant de rapporter icy ce qu'il en dict. Cecy est digne d'estre consideré, que nostre nation donne à la vaillance le premier degré des vertus, comme son nom monstre, qui vient de Valeur : et qu'à nostre usage, quand nous disons un homme qui vault beaucoup, ou un homme de bien, au style de nostre court et de nostre noblesse, ce n'est à dire aultre chose qu'un vaillant homme, d'une facon pareille à la romaine; car la generale appellation de vertu prend chez eulx etymologie de la force. La forme propre, et seule, et essentielle, de noblesse en France, c'est la vacation militaire. Il est vraysemblable que la premiere vertu qui se soit faict paroistre entre les hommes, et qui a donné advantage aux uns sur les aultres, ç'a esté cette cy, par laquelle les plus forts et courageux se sont rendus maistres des plus foibles, et ont acquis reng et reputation particuliere, d'où luy est demeuré cet honneur et dignité de langage; ou bien, que ces nations estants tres belliqueuses, ont donné le prix à celle des vertus qui leur estoit plus familiere, et le plus digne tiltre tout ainsi que nostre passion, et cette fiebvreuse solicitude que nous

L'ordre du Saint-Esprit, institué par Henri IH, en 1578. 2 Virtus, vis. J. J. Rousseau, dans l'Émile, liv. V : « Le mot de vertu vient de force; la force est la base de toute vertu ; la vertu n'appartient qu'à un être faible par sa nature, et fort par sa volonté. » J. V. L.

avons de la chasteté des femmes, faict aussi que Une bonne femme, Une femme de bien, et Femme d'honneur et de vertu, ce ne soit en effect à dire aultre chose pour nous que Une femme chaste; comme si, pour les obliger à ce debvoir, nous mettions à nonchaloir touts les aultres, et leur laschions la bride à toute aultre faulte, pour entrer en composition de leur faire quitter cette cy.

CHAPITRE VIII.

De l'affection des peres aux enfants.

A MADAME D'ESTISSAC 1.

Madame, si l'estrangeté ne me sauve et la nouvelleté, qui ont accoustumé de donner prix aux choses, ie ne sors iamais à mon honneur de cette sotte entreprinse; mais elle est si fantastique, et a un visage si esloingné de l'usage commun, que cela luy pourra donner passage. C'est une humeur melancholique, et une humeur par consequent tres ennemie de ma complexion naturelle, produicte par le chagrin de la solitude en laquelle il y a quelques annees que ie m'estoy iecté, qui m'a mis premierement en teste cette resverie de me mesler d'escrire. Et puis me trouvant entierement despourveu et vuide de toute aultre matiere, ie me suis presenté moy mesme à moy pour argument et pour subiect. C'est le seul livre au monde de son espece, d'un desseing farouche et extravagant 2. Il n'y a rien aussi en cette besongne digne d'estre remarqué que cette bizarrerie; car à un subiect si vain et si vil, le meilleur ouvrier de l'univers n'eust sceu donner façon qui merite qu'on en face compte. Or, madame, ayant à m'y pourtraire au vif, i'en eusse oublié un traict d'importance, si ie n'y eusse representé l'honneur que l'ay tousiours rendu à vos merites : et l'ay voulu dire signamment à la teste de ce chapitre; d'autant que parmy vos aultres bonnes qualitez, celle de l'a

Il paraît que le fils de cette dame accompagna Montaigne en 1580, dans son voyage à Rome. « Le pape, d'un visage courtois, admonesta M. d'Estissac à l'estude et à la vertu. >> Voyages, t. I, p. 287. J. V. L.

2 Pascal avait dit : « Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre!» Voltaire lui répond : « Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre nalvement, comme il a fait! car il peint la nature humaine. Si Nicole et Malebranche avaient toujours parlé d'eux-mêmes, ils n'auraient pas réussi. Mais un gentilhomme campagnard du temps de Henri III, qui est savant dans un siècle d'ignorance, philosophe parmi les fanatiques, et qui peint sous son nom nos faiblesses et nos folies, est un homme qui sera toujours aimé. » VOLTAIRE, Rem. 41 sur les Pensées de Pascal.

n'en seroit aymé, si l'ouvrage avoit du sentiment : d'autant que nous avons cher Estre; et Estre consiste en mouvement et action; parquoy chascun est aulcunement en son ouvrage. Qui bien faict, exerce une action belle et honneste; qui receoit, l'exerce utile seulement. Or l'utile est de beaucoup moins aymable que l'honneste : l'honneste est stable et permanent, fournissant à celuy qui l'a faict une gratification constante; l'utile se perd et eschappe facilement, et n'en est la memoire ny si fresche ny si doulce. Les choses nous sont plus cheres, qui nous ont plus cousté; et le donner est de plus de coust que le prendre.

mitié que vous avez monstree à vos enfants, | qui il est deu, ayme mieulx que celuy qui doibt; tient l'un des premiers rengs. Qui sçaura l'aage | et tout ouvrier ayme mieulx son ouvrage qu'il auquel monsieur d'Estissac, vostre mary, vous laissa veufve, les grands et honnorables partis qui vous ont esté offerts autant qu'à dame de France de vostre condition, la constance et fermeté dequoy vous avez soustenu, tant d'annees, et au travers de tant d'espineuses difficultez, la charge et conduicte de leurs affaires, qui vous ont agitee par touts les coings de France, et vous tiennent encores assiegee, l'heureux acheminement que vous y avez donné par vostre seule prudence ou bonne fortune; il dira ayseement, avecques moy, que nous n'avons poinct d'exemple d'affection maternelle en nostre temps plus exprez que le vostre. Ie loue Dieu, madame, qu'elle aye esté si bien employee; car les bonnes esperances que donne de soy monsieur d'Estissac, vostre fils, asseurent assez que quand il sera en aage, vous en tirerez l'obeïssance et recognoissance d'un tres bon enfant. Mais d'autant qu'à cause de sa puerilité, il n'a peu remarquer les extremes offices qu'il a receus de vous en si grand nombre, ie veulx, si ces escripts viennent un iour à luy tumber en main, lorsque ie n'auray plus ni bouche ni parole qui le puisse dire, qu'il reccoive de moy ce tesmoignage en toute verité, qui luy sera encores plus vifvement tesmoigné par les bons effects dequoy, si Dieu plaist, il se ressentira, qu'il n'est gentilhomme en France qui doibve plus à sa mere qu'il faict; et qu'il ne peult don-ny mouvement en l'ame, ny forme recognoissaner à l'advenir plus certaine preuve de sa bonté et de sa vertu, qu'en vous recognoissant pour telle.

S'il y a quelque loy vrayement naturelle, c'est à dire quelque instinct qui se veoye universellement et perpetuellement empreint aux bestes et en nous (ce qui n'est pas sans controverse), ie puis dire, à mon advis, qu'aprez le soing que chasque animal a de sa conservation et de fuyr ce qui nuit, l'affection que l'engendrant porte à son engeance tient le second lieu en ce reng. Et parce que nature semble nous l'avoir recommendee, regardant à estendre et faire aller avant les pieces successifves de cette sienne machine, ce n'est pas merveille, si, à reculons, des enfants aux peres, elle n'est pas si grande ioinct cette aultre consideration aristotelique, que celuy qui bien faict à quelqu'un, l'ayme mieulx qu'il n'en est aymé; et celuy à

ARISTOTE, Morale à Nicomaque, IX, 7. C.

Puis qu'il a pleu à Dieu nous douer de quelque capacité de discours, à fin que, comme les bestes, nous ne feussions pas servilement assubiectis aux loix communes, ains que nous nous y appliquassions par iugement et liberté volontaire, nous debvons bien prester un peu à la simple auctorité de nature, mais non pas nous laisser tyranniquement emporter à elle : la seule raison doibt avoir la conduicte de nos inclinations. l'ay, de ma part, le goust estrangement mousse à ces propensions qui sont produictes en nous sans l'ordonnance et entremise de nostre iugement; comme, sur ce subiect duquel ie parle, ie ne puis recevoir cette passion dequoy on embrasse les enfants à peine encore nayz, n'ayants

ble au corps, par où ils se puissent rendre aymables, et ne les ay pas souffert volontiers nourrir prez de moy. Une vraye affection et bien reiglee debvroit naistre et s'augmenter avecques la cognoissance qu'ils nous donnent d'eulx; et lors, s'ils le valent, la propension naturelle marchant quand et quand la raison, les cherir d'une amitié vrayement paternelle et en iuger de mesme, s'ils sont aultres; nous rendants tousiours à la raison, nonobstant la force naturelle. Il en va fort souvent au rebours; et le plus communement nous nous sentons plus esmeus des trepignements, ieux et niaiseries pueriles de nos enfants, que nous ne faisons aprez de leurs actions toutes formees; comme si nous les avions aymez pour nostre passetemps, ainsi que des guenons, non ainsi que des hommes : et tel fournit bien liberalement de iouets à leur enfance, qui se treuve resserré à la moindre despense qu'il leur fault estants en aage. Voire il semble que la ialousie que nous avons de les veoir paroistre et iouyr

« PredošláPokračovať »