Obrázky na stránke
PDF
ePub

voient quelque estrangier arriver; cet estrangier, | vent plus belles la teste raze, mais assez ailleurs,

que leur ame veoid, c'est un homme spirituel et imperceptible, sans dimension, sans couleur, et sans estre :

Consueta domi catulorum blanda propago
Degere, sæpe levem ex oculis volucremque soporem
Discutere, et corpus de terra corripere instant,
Proinde quasi ignotas facies atque ora tuantur 1.

Quant à la beaulté du corps, avant passer oultre, il me fauldroit sçavoir si nous sommes d'accord de sa description. Il est vraysemblable que nous ne sçavons gueres que c'est que beaulté en nature et en general, puis que à l'humaine et nostre beaulté nous donnons tant de formes diverses; de laquelle s'il y avoit quelque prescription naturelle, nous la recognoistrions en commun, comme la chaleur du feu. Nous en fantasions les formes à nostre appetit :

Turpis romano belgicus ore color2 :

les Indes la peignent noire et basanée, aux levres grosses et enflees, au nez plat et large; et chargent de gros anneaux d'or le cartilage d'entre les nazeaux, pour le faire pendre iusques à la bouche; comme aussi la balievre 3, de gros cercles enrichis de pierreries, si qu'elle leur tumbe sur le menton, et est leur grace de monstrer leurs dents iusques au dessoubs des racines. Au Peru, les plus grandes aureilles sont les plus belles, et les estendent autant qu'ils peuvent par artifice et un homme d'auiourd'huy diet avoir veu, en une nation orientale, ce soing de les aggrandir, en tel credit, et de les charger de poisants ioyaux, qu'à touts coups il passoit son bras vestu au travers d'un trou d'aureille. Il est ailleurs des nations qui noircissent les dents avecques grand soing, et ont à mespris de les veoir blanches ailleurs ils les teignent de couleur rouge. Non seulement en Basque, les femmes se treu

1 Souvent le gardien fidèle et caressant qui vit sous nos toits, dissipe tout à coup le sommeil léger qui couvrait ses paupières, se dresse avec précipitation sur ses pieds, croyant voir un visage étranger et des traits inconnus. LUCRÈCE, IV, 999. 2 Le teint belgique dépare un visage romain. PROP. II, 17, 26. 3 Jestime, dit Borel dans son Thresor des recherches gauloises, que le mot de baleures (car c'est ainsi qu'il l'a écrit ) dénote les joues ou mâchoires. FROISSARD: Perceoient bras, testes et baleures. Il signifie la même chose, selon Cotgrave, qui écrit balieures, comme a fait Montaigne. Mais, selon Nicot, levres et balieures sont termes synonymes. Et pour moi, je crois que, par balieure, Montaigne entend ici la lèvre d'en bas, qui, percée de gros cercles enrichis de pierreries, tombe sur le menton, et découvre les dents jusqu'au-dessous des racines. C. - Il n'est pas inutile de faire observer que, dans les mots dont il s'agit, l'u se prononçait comme v ( balevres, balievres ); c'est la raison de l'orthographe que nous avons adoptée dans le texte. Ajoutons que, pour l'exactitude, il fallait, en citant Nicot, écrire leures et balieures, et non levres et balieures, qui implique faussement une différence de prononciation. DD.

et qui plus est, en certaines contrees glaciales, comme dict Pline '. Les Mexicanes comptent entre les beaultez la petitesse du front; et où elles se font le poil par tout le reste du corps, elles le nourrissent au front et peuplent par art; et ont en si grande recommendation la grandeur des tettins, qu'elles affectent de pouvoir donner la mammelle à leurs enfants par dessus l'espaule: nous formerions ainsi la laideur. Les Italiens la façonnent grosse et massifve; les Espaignols, vuidee et estrillee et entre nous, l'un la faict blanche, l'aultre brune; l'un molle et delicate, l'aultre forte et de la doulceur; qui, de la fierté et maiesté. et vigoreuse; qui y demande de la mignardise Tout ainsi que la preference en beaulté que Platon attribue à la figure spherique, les epicuriens la donnent à la pyramidale plustost, ou quarree, et ne peuvent avaller un dieu en forme de boule 2. Mais quoy qu'il en soit, nature ne nous a non plus privilegiez en cela qu'au demourant, sur ses loix communes et si nous nous iugeons bien, nous trouverons que s'il est quelques animaulx moins favorisez en cela que nous, il y en a d'aultres, et en grand nombre, qui le sont plus, a multis animalibus decore vincimur3, voire des terrestres nos compatriotes; car quant aux marins, laissant la figure, qui ne peult tumber en proportion, tant elle est aultre, en couleur, netteté, polisseure, disposition, nous leur cedons assez ; et non moins, en toutes qualitez, aux aërez. Et cette prerogative que les poëtes font valoir de nostre stature droicte, regardant vers le ciel son origine,

Pronaque quum spectent animalia cetera terram,
Os homini sublime dedit, cœlumque tueri
Iussit, et erectos ad sidera tollere vultus 4,

elle est vrayement poëtique; car il y a plusieurs bestioles qui ont la veue renversee tout à faict vers le ciel ; et l'encoleure des chameaux et des austruches, ie la treuve encores plus relevee et droicte que la nostre. Quels animaulx n'ont la face au hault, et ne l'ont devant, et ne regardent vis à vis, comme nous, et ne descouvrent, en leur iuste posture, autant du ciel et de la terre, que l'homme? et quelles qualitez de nostre corporelle

[blocks in formation]

constitution', en Platon et en Cicero, ne peuvent servir à mille sortes de bestes? Celles qui nous retirent le plus, ce sont les plus laides et les plus abiectes de toute la bande; car pour l'apparence exterieure et forme du visage, ce sont les magots:

Simia quam similis, turpissima bestia, nobis 2! pour le dedans et parties vitales, c'est le porceau. Certes, quand i'imagine l'homme tout nud (ouy en ce sexe qui semble avoir plus de part à la beaulté), ses tares, sa subiection naturelle et ses imperfections, ie treuve que nous avons eu plus de raison que nul aultre animal de nous couvrir. Nous avons esté excusables d'emprunter ceulx que nature avoit favorisez en cela plus que nous, pour nous parer de leur beaulté, et nous cacher soubs leur despouille, de laine, plume, poil, soye. Remarquons au demourant que nous sommes le seul animal duquel le default offense nos propres compaignons, et seuls qui avons à nous desrobber, en nos actions naturelles, de nostre espece. Vrayement c'est aussi un effect digne de consideration, que les maistres du mestier ordonnent pour remede aux passions amoureuses, l'entiere veue et libre du corps qu'on recherche; et que pour refroidir l'amitié, il ne faille que veoir librement ce qu'on ayme:

Ille quod obscoenas in aperto corpore partes Viderat, in cursu qui fuit, hæsit amor 3 : or, encores que cette recepte puisse à l'adventure partir d'une humeur un peu delicate et refroidie, si est ce un merveilleux signe de nostre defaillance, que l'usage et la cognoissance nous desgouste les uns des aultres. Ce n'est pas tant pudeur, qu'art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes à nous refuser l'entree de leurs cabinets, avant qu'elles soyent peinctes et parees pour la monstre publicque:

Nec Veneres nostras hoc fallit : quo magis ipsæ Omnia summopere hos vitæ postscenia celant, Quos retinere volunt, adstrictoque esse in amore 4 : là où, en plusieurs animaulx, il n'est rien d'eulx que nous n'aymions, et qui ne plaise à nos sens; de façon que de leurs excrements mesmes et de leur descharge nous tirons non seulement de la

Décrites par Platon et par Cicéron : par le premier, dans son Timée; et par le dernier, dans son traité de la Nature des dieux, II, 54, etc. C.

2 Tout difforme qu'il est, le singe nous ressemble.
ENNIUS, apud Cic. Nat. deor. 1, 35.

3 Tel, pour avoir vu à découvert les plus secrètes parties du corps de l'objet aimé, a senti, au milieu des plus vifs transports, s'éteindre sa passion. OVIDE, de Remed. amor. v. 429.

4 C'est ce que les femmes savent bien : elles ont grand soin de cacher ces arrière-scènes de la vie aux amants qu'elles veulent retenir dans leurs chaines. LUCRÈCE, IX, 1182.

|

friandise au manger, mais nos plus riches ornements et parfums. Ce discours ne touche que nostre commun ordre, et n'est pas si sacrilege d'y vouloir comprendre ces divines, supernaturelles et extraordinaires beaultez qu'en veoid par fois reluire entre nous, comme des astres soubs un voile corporel et terrestre.

Au demourant, la part mesme que nous faisons aux animaulx des faveurs de nature, par nostre confession, elle leur est bien advantageuse : nous nous attribuons des biens imaginaires et fantastiques, des biens futurs et absents, desquels l'humaine capacité ne se peult d'elle mesme respondre, ou des biens que nous nous attribuons faulsement par la licence de nostre opinion, comme la raison, la science et l'honneur ; et à eulx nous laissons en partage des biens essentiels, maniables et palpables, la paix, le repos, la securité, l'innocence et la santé : la santé, dis ie, le plus beau et le plus riche present que nature nous scache faire. De façon que la philosophie, voire la stoïque, ose bien dire que Heraclitus et Pherecydes, s'ils eussent peu eschanger leur sagesse avecques la santé, et se delivrer, par ce marché, l'un de l'hydropisie, l'aultre de la maladie pediculaire qui le pressoit, ils eussent bien faict. Par où ils donnent encores plus grand prix à la sagesse, la comparant et contrepoisant à la santé, qu'ils ne font en cette aultre proposition, qui est aussi des leurs : ils disent que si Circé eust presenté à Ulysses deux bruvages, l'un pour faire devenir un homme de fol sage, l'aultre de sage fol, qu'Ulysses eust deu plustost accepter celuy de la folie, que de consentir que Circé eust changé sa figure humaine en celle d'une beste; et disent que la sagesse mesme eust parlé à luy en cette maniere : « Quitte moy, laisse moy là, plustost que de me loger soubs la figure et corps d'un asne. » Comment! cette grande et divine sapience, les philosophes la quittent done pour ce voile corporel et terrestre? ce n'est doncques plus par la raison, par le discours et par l'ame, que nous excellons sur les bestes; c'est par nostre beaulté, nostre beau teinct, et nostre belle disposition de membres, pour laquelle il nous fault mettre nostre intelligence, nostre prudence, et tout le reste à l'abbandon. Or i'accepte cette naïfve et franche confession: certes, ils ont cogneu que ces parties là, dequoy nous faisons tant de feste, ce n'est que vaine fantasie. Quand les bestes auroient doncques toute la vertu, la science,

I PLUTARQUE, Des communes conceptions contre les stoiques, c. 8. C.

la sagesse et suffisance stoïque, ce seroient tous- | iours des bestes; ny ne seroient pourtant comparables à un homme miserable, meschant et insensé. Car enfin tout ce qui n'est comme nous sommes, n'est rien qui vaille; et Dieu mesme, pour se faire valoir, il fault qu'il y retire, comme nous dirons tantost: par où il appert que ce n'est pas par vray discours, mais par une fierté folle et opiniastreté, que nous nous preferons aux aultres animaulx, et nous sequestrons de leur condition et societé.

Mais pour revenir à mon propos, nous avons pour nostre part l'inconstance, l'irresolution, l'incertitude, le dueil, la superstition, la solicitude des choses à venir, voire aprez nostre vie, l'ambition, l'avarice, la ialousie, l'envie, les appetits desreiglez, forcenez et indomptables, la guerre, le mensonge, la desloyauté, la detraction et la curiosité. Certes, nous avons estrangement surpayé ce beau discours1 dequoy nous nous glorifions, et cette capacité de iuger et cognoistre, si nous l'avons acheptee au prix de ce nombre infiny de passions ausquelles nous sommes incessamment en prinse : s'il ne nous plaist de faire encores valoir, comme faict bien Socrates, cette notable prerogative sur les aultres animaulx, que où nature leur a prescript certaines raisons et limites à la volupté venerienne, elle nous en a lasché la bride à toutes heures et occasions. Ut vinum ægrotis, quia prodest raro, nocet sæpissime, melius est non adhibere omnino, quam, spe dubiæ salutis, in apertam perniciem incurrere : sic haud scio, an melius fuerit, humano generi motum istum celerem cogitationis, acumen, solertiam, quam rationem vocamus, quoniam pestifera sint mullis, admodum paucis salutaria, non dari omnino, quam tam munifice et tam large dari 3. De quel fruict pouvons nous estimer avoir esté à Varro et Aristote cette intelligence de tant de choses? Les a elle exemptez des incommoditez humaines? ont ils esté deschargez des accidents qui pressent un crocheteur? ont ils tiré de la logique 1 Exalté cette belle raison. — Surpayer une chose, c'est la payer au delà de son juste prix. C.

2 XENOPHON, Mémoires sur Socrate, I, 4', 12. C.

3 Il vaut mieux ne point donner de vin aux malades, parce qu'en leur donnant ce remède quelquefois utile, mais le plus souvent nuisible, on les exposerait, pour une espérance incertaine, à un véritable danger: de même il vaudrait peutêtre mieux, à mon avis, que la nature nous eût refusé cette activité de pensée, cette pénétration, cette industrie, que nous appelons raison, et qu'elle nous a si libéralement accordée; puisque cette noble faculté n'est salutaire qu'à un petit nombre d'hommes, tandis qu'elle est funeste à tous les autres. CIC. de Nat. deor. III, 27.

quelque consolation à la goutte? pour avoir sceu comme cette humeur se loge aux ioinctures, l'en ont ils moins sentie? sont ils entrez en composition de la mort, pour sçavoir qu'aulcunes nations s'en resiouïssent; et du cocuage, pour sçavoir les femmes estre communes en quelque region? Au rebours, ayants tenu le premier reng en sçavoir, l'un entre les Romains, l'aultre entre les Grecs, et en la saison où la science fleurissoit le plus, nous n'avons pas pourtant apprins qu'ils ayent eu aulcune particuliere excellence en leur vie; voire le Grec a assez à faire à se descharger d'aulcunes taches notables en la sienne. A lon trouvé que la volupté et la santé soyent plus savoureuses à celuy qui sçait l'astrologie et la grammaire?

Illitterati num minus nervi rigent1? et la honte et pauvreté moins importunes? Scilicet et morbis et debilitate carebis, Et luctum et curam effugies, et tempora vitæ Longa tibi post hæc fato meliore dabuntur". l'ay veu en mon temps cent artisans, cent laboureurs, plus sages et plus heureux que des recteurs de l'université; et lesquels i'aimeroy mieulx ressembler. La doctrine, ce m'est advis, tient reng entre les choses necessaires à la vie, comme la gloire, la noblesse, la dignité, ou pour le plus, comme la beaulté, la richesse, et telles aultres qualitez qui y servent voirement, mais de loing, et plus par fantasie que par nature. Il ne nous fault gueres plus d'offices, de reigles et de loix de vivre en nostre communauté, qu'il en fault aux grues et fourmis en la leur ; et ce neantmoins nous veoyons qu'elles s'y conduisent tres ordonneement, sans erudition. Si l'homme estoit sage, prendroit le vray prix de chasque chose, selon qu'elle seroit la plus utile et propre à sa vie. Qui nous comptera par nos actions et deportements, il s'en trouvera plus grand nombre d'excellents entre les ignorants qu'entre les sçavants : ie dis en toute sorte de vertu. La vieille Rome me semble en avoir bien porté de plus grande valeur, et pour la paix et pour la guerre, que cette Rome sçavante, qui se ruyna soy mesme: quand le demourant seroit tout pareil, au moins la preud'hommie et l'innocence demeureroient du costé de l'ancienne; car elle loge singulierement bien. avecques la simplicité. Mais ie laisse ce discours,

il

Un ignorant soutient-il avec moins de vigueur les com-. bats de l'amour? HOR. Epod. 8, v. 17..

2 C'est par là, sans doute, que vous serez exempt d'infirmités et de maladies; vous ne connaitrez ni le chagrin ub l'inquiétude; vous jouirez d'une vie plus longue et plus hous reuse. JUVÉN. XIV, 156.

[ocr errors]

qui me tireroit plus loing que ie ne vouldroy | proprement sien que l'usage de ses opinions1: » suyvre. l'en diray seulement encores cela, que nous n'avons que du vent et de la fumee en parc'est la seule humilité et soubmission qui peult tage. Les dieux ont la santé en essence, dict la phieffectuer un homme de bien. Il ne fault pas laisser losophie, et la maladie en intelligence : l'homme, au iugement de chascun la cognoissance de son au contraire, possede ses biens par fantasie, les debvoir; il le luy fault prescrire, non pas le laisser maulx en essence. Nous avons eu raison de faire choisir à son discours : aultrement, selon l'imbe- valoir les forces de nostre imagination; car touts cillité et varieté infinie de nos raisons et opinions, nos biens ne sont qu'en songe. Oyez braver ce nous nous forgerions enfin des debvoirs qui nous pauvre et calamiteux animal. « Il n'est rien, diet mettroient à nous manger les uns les aultres, Cicero, si doulx que l'occupation des lettres, de comme dict Epicurus'. ces lettres, dis ie, par le moyen desquelles l'infinité des choses, l'immense grandeur de nature, les cieux en ce monde mesme, et les terres et les mers nous sont descouvertes : ce sont elles qui nous ont apprins la religion, la moderation, la grandeur de courage, et qui ont arraché nostre ame des tenebres, pour luy faire veoir toutes choses haultes, basses, premieres, dernieres et moyennes; ce sont elles qui nous fournissent dequoy bien et heureusement vivre, et nous gui

offense : » cettuy cy ne semble il pas parler de la condition de Dieu tout vivant et tout puissant? Et quant à l'effect, mille femmelettes ont vescu au village une vie plus equable, plus doulce et plus constante que ne feut la sienne.

La premiere loy que Dieu donna iamais à l'homme, ce feut une loy de pure obeïssance; ce feut un commandement nud et simple, où l'homme n'eust rien à cognoistre et à causer, d'autant que l'obeïr est le propre office d'une ame raisonnable, recognoissant un celeste superieur et bienfacteur. De l'obeïr et ceder naist toute aultre vertu; comme du cuider, tout peché. Et au rebours, la premiere tentation qui veint à l'humaine nature de la part du diable, sa premiere poison, s'in-dent à passer nostre aage sans desplaisir et sans sinua en nous par ies promesses qu'il nous feit de science et de cognoissance: Eritis sicut dii, scientes bonum et malum: et les sireines, pour piper Ulysse en Homere, et l'attirer en leurs dangereux et ruyneux laqs, luy offrent en don la science3. La peste de l'homme, c'est l'opinion de sçavoir: voylà pourquoy l'ignorance nous est tant recommendee par nostre religion, comme piece propre à la creance et à l'obeïssance. Cavete ne quis vos decipiat per philosophiam et inanes seductiones, secundum elementa mundi1. En cecy, y a il une generale convenance entre touts les philosophes de toutes sectes, que le souverain bien consiste en la tranquillité de l'ame et du corps mais où la trouvons nous ?

Ad summum, sapiens uno minor est love, dives, Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum; Præcipue sanus, nisi quum pituita molesta est 5. Il semble, à la verité, que nature, pour la consolation de nostre estat miserable et chestif, ne nous ayt donné en partage que la presumption; c'est ce que dict Epictete, « que l'homme n'a rien

Ou plutôt l'épicurien Colotès, comme on peut voir dans le traité que Plutarque a écrit contre lui, c. 27 de la traduction d'Amyot. C.

2 Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Genèse, III, 5.

3 HOMÈRE, Odyss. XII, 188; CIC. de Finib. V, 18. J. V. L. 4 Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie, et par de vaines et trompeuses subtilités, selon les doctrines du monde. S. PAUL, ad Coloss. II, 8.

5 Le sage ne voit au-dessus de lui que Jupiter; il est riche, beau, comblé d'honneurs, libre; il est le roi des rois, et surtout il jouit d'une santé merveilleuse, si ce n'est quand la pituite le tourmente. HOR. Epist. I, 1, 106.

Deus ille fuit, deus, inclute Memmi,
Qui princeps vitæ rationem invenit eam, quæ
Nunc appellatur Sapientia; quique per artem
Fluctibus e tantis vitam, tantisque tenebris,
In tam tranquilla et tam clara luce locavit3:

voylà des paroles tres magnifiques et belles; mais
un bien legier accident meit l'entendement de
berger, nonobstant ce dieu precepteur, et cette
cettuy cy en pire estat que celuy du moindre
divine sapience. De mesme impudence est cette
promesse du livre de Democritus, «< le m'en vois
parler de toutes choses; » et ce sot tiltre qu'A-
ristote nous preste de « dieux mortels ; » et ce
iugement de Chrysippus, « que Dion estoit aussi
vertueux que Dieu 7 : » et mon Seneca recognoist,
dict il, « que Dieu luy a donné le vivre, mais
1 Manuel, c. 11. C.

2 CIC. Tusc. quæst. I, 26. C.

3 Il fut un dieu, illustre Memmius, oui, il fut un dien, celui qui le premier trouva cet art de vivre auquel on donne aujour d'hui le nom de Sagesse, celui qui, par cet art vraiment divin, a fait succéder le calme et la lumière à l'orage et aux ténèbres. LUCRÈCE, V, 8.

4 De Lucrèce, qui, dans les vers précédents, parle si magnifiquement d'Epicure et de sa doctrine; car un breuvage, que lui donna sa femme ou sa maitresse, lui troubla si fort la raison, que la violence du mal ne lui laissa que quelques intervalles lucides, qu'il employa à composer son poème, et le porta enfin à se tuer lui-même. Chron. d'EUSÈBE. C.

5 CIC. Acad. II, 23.

6 ID. de Fin. II, 13.

7 PLUTARQUE, Des communes conceptions, etc. c. 30.

qu'il a de soy le bien vivre; » conformement à cet aultre: In virtute vere gloriamur; quod non contingeret, si id donum a deo, non a nobis haberemus. Cecy est aussi de Seneca: « Que le sage a la fortitude pareille à Dieu, mais en l'humaine foiblesse; par où il le surmonte. » Il n'est rien si ordinaire que de rencontrer des traicts de pareille temerité; il n'y a aulcun de nous qui s'offense tant de se veoir apparier à Dieu, comme il faict de se veoir deprimer au reng des aultres animaulx : tant nous sommes plus ialoux de nostre interest, que de celuy de nostre createur!

Mais il fault mettre aux pieds cette sotte vanité, et secouer vifvement et hardiement les fondements ridicules sur quoy ces faulses opinions se bastissent. Tant qu'il pensera avoir quelque moyen et quelque force de soy, iamais l'homme ne recognoistra ce qu'il doibt à son maistre; il fera tousiours de ses œufs poules, comme on dict: il le fault mettre en chemise. Veoyons quelque notable exemple de l'effect de sa philosophie. Posidonius estant pressé d'une si douloureuse maladie qu'elle luy faisoit tordre les bras et grincer les dents, pensoit bien faire la figue à la douleur, pour s'escrier contre elle : « Tu as beau faire, si ne diray ie pas que tu sois mal3. » Il sent mesmes passions que mon laquay; mais il se brave, sur ce qu'il contient au moins sa langue soubs les loix de sa secte: re succumbere non oportebat, verbis gloriantem1. Arcesilaus estant malade de la goutte, Carneades, qui le veint visiter, s'en retournoit tout fasché; il le rappella, et luy monstrant ses pieds et sa poictrine: « Il n'est rien venu de là icy, » luy diet il 5. Cettuy cy a un peu meilleure grace; car il sent avoir du mal, et en vouldroit estre despestré ; mais de ce mal pourtant son cœur n'en est pas abbattu ny affoibly : l'aultre se tient en sa roideur, plus, ce crains ie, verbale qu'essentielle. Et Dionysius Heracleotes, affligé d'une cuison vehemente des yeulx, feut rengé à quitter ces resolutions stoïques. Mais quand la science feroit par effect ce qu'ils disent, d'esmousser et rabbattre l'aigreur des infortunes qui nous suyvent, que faict elle que ce que faict beaucoup plus purement l'ignorance, et plus evidemment? Le philosophe Pyrrho courant en mer le hazard

C'est avec raison que nous nous glorifions de notre vertu; ce qui ne serait point, si nous la tenions d'un dieu, et non pas de nous-mêmes. CIC. de Nat. deor. III, 36.

2 SENÈQUE, Epist. 53, à la fin. C.

3 CIC. Tusc. quæst. II, 25.

4 Faisant le brave en paroles, il ne fallait pas succomber en

effet. CIC. Tusc. quæst. II, 13.

5 CIC. de Fin. V, 51.

6 ID. ibid. 31; Tusc. II, 25. C

d'une grande tormente, ne presentoit à ceulx qui estoient avecques luy à imiter, que la securité d'un porceau qui voyageoit avecques eulx, regardant cette tempeste sans effroy'. La philosophie, au bout de ses preceptes, nous renvoie aux exemples d'un athlete et d'un muletier, ausquels on veoid ordinairement beaucoup moins de ressentiment de mort, de douleur et d'aultres inconvenients, et plus de fermeté, que la science n'en fournit oncques à aulcun qui n'y feust nay et preparé de soy mesme par habitude naturelle '. Qui faict qu'on incise et taille les tendres membres d'un enfant, et ceulx d'un cheval, plus ayseement que les nostres, si ce n'est l'ignorance? Combien en a rendu de malades la seule force de l'imagination? Nous en veoyons ordinairement se faire saigner, purger et medeciner, pour guarir des maulx qu'ils ne sentent qu'en leur discours. Lorsque les vrays maulx nous faillent, la science nous preste les siens : « Cette couleur et ce teinct vous presagent quelque defluxion catarrheuse; cette saison chaulde vous menace d'une esmotion fiebvreuse; cette couppeure de la ligne vitale de vostre main gauche vous advertit de quelque notable et voysine indisposition; » et enfin elle s'en addresse tout destrousseement 3 à la santé mesme: « Cette alaigresse et vigueur de ieunesse ne peult arrester en une assiette; il luy fault desrobber du sang et de la force, de peur qu'elle ne se tourne contre vous mesme. » Comparez la vie d'un homme asservy à telles imaginations, à celle d'un laboureur se laissant aller aprez son appetit naturel, mesurant les choses au seul sentiment present, sans science et sans prognosticque, qui n'a du mal que lorsqu'il l'a; où l'aultre a souvent la pierre en l'ame avant qu'il l'ayt aux reins comme s'il n'estoit point assez à temps de souffrir le mal lorsqu'il y sera, il l'anticipe par fantasie, et luy court au devant. Ce que ie dis de la medecine se peult tirer par exemple generalement à toute science: de là est venue cette ancienne opinion des philosophes, qui logeoient le souverain bien à la recognoissance de la foiblesse de nostre iugement. Mon ignorance me preste autant d'occasion d'esperance que de crainte; et n'ayant aultre reigle de ma santé que celle des exemples d'aultruy et des evenements que ie veoy ailleurs en pareille occasion, i'en treuve de toutes sortes,

[blocks in formation]
« PredošláPokračovať »