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rences qui nous y confirment (et le philosophe | Les discours de Machiavel, pour exemple, estoient Chrysippus disoit qu'il ne vouloit apprendre de assez solides pour le subiect; si y a il eu grande Zenon et Cleanthes, ses maistres, que les dogmes aysance à les combattre ; et ceulx qui l'ont faict, simplement; car quant aux preuves et raisons, n'ont pas laissé moins de facilité à combattre les qu'il en fourniroit assez de luy mesme), de quel- leurs : il s'y trouveroit tousiours, à un tel arguque costé que ie me tourne, ie me fournis tous- ment, dequoy fournir responses, dupliques, triiours assez de cause et de vraysemblance pour pliques, quadrupliques, et cette infinie contexm'y maintenir: ainsi i'arreste chez moy le doubte ture de debats que nostre chicane a alongé tant et la liberté de choisir, iusques à ce que l'occa- qu'elle a peu en faveur des procez; sion me presse; et lors, à confesser la verité, ie iecte le plus souvent la plume au vent, comme on dict, et m'abbandonne à la mercy de la fortune; une bien legiere inclination et circonstance m'emporte;

Dum in dubio est animus, paulo momento huc atque
Illuc impellitur 2.

L'incertitude de mon iugement est si egualement balancee en la pluspart des occurrences, que ie compromettroy volontiers à la decision du sort et des dez; et remarque, avecques grande consideration de nostre foiblesse humaine, les exemples que l'histoire divine mesme nous a laissé de cet usage de remettre à la fortune et au hazard la determination des eslections ez choses doubteuses: sors cecidit super Matthiam3. La raison humaine est un glaive double et dangereux et en la main mesme de Socrates, son plus intime et plus familier amy, voyez à quants de bouts c'est un baston! Ainsi, ie ne suis propre qu'à suyvre, et me laisse ay seement emporter à la foule: ie ne me fie pas assez en mes forces, pour entreprendre de commander ny guider; ie suis bien ayse de trouver mes pas tracez par les aultres. S'il fault courre le hazard d'un chois incertain, i'ayme mieulx que ce soit soubs tel qui s'asseure plus de ses opinions, et les espouse plus, que ie ne fois les miennes, ausquelles ie treuve le fondement et le plant glissant.

Et si, ne suis pas trop facile pourtant au change; d'autant que i'apperceoy aux opinions contraires une pareille foiblesse; ipsa consuetudo assentiendi periculosa esse videtur, et lubrica 5; notamment aux affaires politiques, il y a un beau champ ouvert au bransle et à la contestation :

Iusta pari premitur veluti quum pondere libra, Prona nec hac plus parte sedet, nec surgit ab illa 6. IDIOGÈNE LAERCE, VII, 179. C.

Cædimur, et totidem plagis consumimus hostem1; les raisons n'y ayants gueres aultre fondement que l'experience, et la diversité des evenements humains nous presentant infinis exemples à toutes sortes de formes. Un sçavant personnage de nostre temps dict qu'en nos almanacs, où ils disent chauld, qui vouldra dire froid, et au lieu de sec, humide, et mettre tousiours le rebours de ce qu'ils prognosticquent, s'il debvoit entrer en gageure de l'evenement de l'un ou l'aultre, qu'il ne se soulcieroit pas quel party il prinst; sauf ez choses où il n'y peult escheoir incertitude, comme de promettre à Noël des chaleurs extremes, et à la Sainct lean des rigueurs de l'hyver. I'en pense de mesme de ces discours politiques; à quelque roolle qu'on vous mette, vous avez aussi beau ieu que vostre compaignon, pourveu que vous ne ve niez à chocquer les principes trop grossiers et apparents et pourtant, selon mon humeur, ez affaires publicques, il n'est aulcun si mauvais train, pourveu qu'il aye de l'aage et de la constance, qui ne vaille mieulx que le changement et le remuement. Nos mœurs sont extremement corrompues, et penchent d'une merveilleuse inclination vers l'empirement; de nos loix et usances, il y en a plusieurs barbares et monstrueuses: toutesfois, pour la difficulté de nous mettre en meilleur estat, et le dangier de ce croulement, si ie pouvoy planter une cheville à nostre roue et l'arrester en ce poinct, ie le feroy de bon cœur:

Nunquam adeo fœdis, adeoque pudendis
Utimur exemplis, ut non peiora supersint*.

Le pis que ie treuve en nostre estat, c'est l'instabilité; et que nos loix, non plus que nos vestements, ne peuvent prendre aulcune forme arrestee. Il est bien aysé d'accuser d'imperfection une police, car toutes choses mortelles en sont

2 Lorsque l'esprit est dans le doute, le moindre poids le pleines; il est bien aysé d'engendrer à un peuple

fait pencher de l'un ou de l'autre côté. TÉRENCE, Andr. acte I, sc. 6, v. 32.

3 Le sort tomba sur Matthias. Act. Apost. I, 4 Voyez combien de bouts a ce bâton! C.

26.

5 L'habitude mème de donner son assentiment paraît entrainer bien des erreurs et des dangers. CIC. Acad. II, 21.

6 Ainsi, lorsque les bassins de la balance sont chargés d'un

poids égal, elle ne penche ni ne s'élève d'aucun côté. TIBULL IV, 4I.

L'ennemi nous bat, et nous le battons à notre tour. HOR. Epist. II, 2, 97.

2 Citez l'action la plus honteuse, la plus infame; il en est de pires encore. Juv. VIII, 183.

le mespris de ses anciennes observances; iamais | cognoissent aultre prix que de la doctrine, et homme n'entreprint cela qui n'en veinst à bout: mais d'y restablir un meilleur estat en la place de celuy qu'on a ruyné, à cecy plusieurs se sont morfondus de ceulx qui l'avoient entreprins. Ie fois peu de part à ma prudence de ma conduicte; ie me laisse volontiers mener à l'ordre publicque du monde. Heureux peuple qui faict ce qu'on commande, mieulx que ceulx qui commandent, sans se tormenter des causes; qui se laisse mollement rouler aprez le roulement celeste! l'obeïssance n'est iamais pure ny tranquille en celuy qui raisonne et qui plaide.

Somme, pour revenir à moy, ce seul par où ie m'estime quelque chose, c'est ce en quoy iamais homme ne s'estima defaillant : ma recommendation est vulgaire, commune et populaire; car qui a iamais cuidé avoir faulte de sens? ce seroit une proposition qui impliqueroit en soy de la contradiction: c'est une maladie qui n'est iamais où elle se veoid; elle est bien tenace et forte, mais laquelle pourtant le premier rayon de la veue du patient perce et dissipe, comme le regard du soleil un brouillas opaque s'accuser, ce seroit s'excuser en ce subiect là; et se condemner, ce seroit s'absouldre. Il ne feut iamais crocheteur ny femmelette qui ne pensast avoir assez de sens pour sa provision. Nous recognoissons ayseement aux aultres l'advantage du courage, de la force corporelle, de l'experience, de la disposition, de la beaulté: mais l'advantage du iugement, nous ne le cedons à personne; et les raisons qui partent du simple discours naturel en aultruy, il nous semble qu'il n'a tenu qu'à regarder de ce costé là, que nous ne les ayons trouvees. La science, le style, et telles parties que nous veoyons ez ouvrages estrangiers, nous touchons bien ayseement si elles surpassent les nostres : mais les simples productions de l'entendement, chascun pense qu'il estoit en luy de les rencontrer toutes pareilles; et en apperceoit mal ayseement le poids et la difficulté, si ce n'est, et à peine, en une extreme et incomparable distance; et qui verroit bien à clair la haulteur d'un iugement estrangier, il y arriveroit, et y porteroit le sien. Ainsi, c'est une sorte d'exercitation, de laquelle on doibt fort esperer de recommendation et de peu louange, et une maniere de composition de peu de nom. Et puis, pour qui escrivez vous? Les sçavants, à qui appartient la iurisdiction livresque, ne

I

Nous sentons, comme il y a dans l'édition in-4o de 1588, fol. 282. J. V. L.

n'advouent aultre proceder en nos esprits que celuy de l'erudition et de l'art; si vous avez prins l'un des Scipions pour l'aultre, que vous reste il à dire qui vaille? qui ignore Aristote, selon eulx, s'ignore quand et quand soy mesme : les ames communes et populaires ne veoyent pas la grace et le poids d'un discours haultain et deslié. Or ces deux especes occupent le monde. La tierce, à qui vous tumbez en partage, des ames reiglees et fortes d'elles mesmes, est si rare, que iustement elle n'a ny nom ny reng entre nous : c'est, à demy, temps perdu d'aspirer et de s'efforcer à luy plaire.

On dict communement que le plus iuste partage que nature nous ayt faict de ses graces, c'est celuy du sens; car il n'est aulcun qui ne se contente de ce qu'elle luy en a distribué : n'est ce pas raison? qui verroit au delà, il verroit au delà de sa veue. Ie pense avoir les opinions bonnes et saines; mais qui n'en croit autant des siennes ? L'une des meilleures preuves que i'en aye, c'est le peu d'estime que ie fois de moy; car si elles n'eussent esté bien asseurees, elles se fussent ayseement laissé piper à l'affection que ie me porte, singuliere, comme celuy qui la rameine quasi toute à moy, et qui ne l'espans gueres hors de là tout ce que les aultres en distribuent à une infinie multitude d'amis et de· cognoissants, à leur gloire, à leur grandeur, ie le rapporte tout au repos de mon esprit et à moy ; ce qui m'en eschappe ailleurs, ce n'est pas proprement de l'ordonnance de mon discours :

Mihi nempe valere et vivere doctus'.

Or mes opinions, ie les treuve infiniement hardies et constantes à condemner mon insuffisance. De vray, c'est aussi un subiect auquel l'exerce mon iugement autant qu'à nul aultre. Le monde regarde tousiours vis à vis: moy, ie replie ma veue au dedans; ie la plante, ie l'amuse là. Chascun regarde devant soy: moy, ie regarde dedans moy; ie n'ay affaire qu'à moy, ie me considere sans cesse, ie me contreroolle, ie me gouste. Les aultres vont tousiours ailleurs, s'ils y pensent bien; ils vont tousiours avant;

Nemo in sese tentat descendere 2:

moy, ie me roule en moy mesme. Cette capacité de trier le vray, quelle qu'elle soit en moy,

I Vivre, me bien porter, voilà ma science. LUCRÈCE, V, 959. 2 Personne ne cherche à descendre en soi-même. PERSE, IV, 23.

par ce que i'y treuve de louable, et d'un pied de valeur i'en fois volontiers un pied et demy; mais de leur prester les qualitez qui n'y sont pas, ie ne puis, ny les deffendre ouvertement des imperfections qu'ils ont voire à mes ennemis, ie rens nettement ce que ie dois des tesmoignages d'honneur; mon affection se change, mon iugement non, et ne confonds point ma querelle avecques aultres circonstances qui n'en sont pas; et suis tant ialoux de la liberté de mon iugement, que mal ayseement la puis ie quitter pour passion que ce soit; ie me fois plus d'iniure en mentant, que ie n'en fois à celuy de qui ie mens. On remarque cette louable et genereuse coustume de la nation persienne, qu'ils parloient de leurs mortels ennemis, et à qui ils faisoient guerre à oultrance, honnorablement et equitablement, autant que portoit le merite de leur vertu.

et cette humeur libre de n'assubiectir ayseement | iect fauls ie tesmoigne volontiers de mes amis ma creance, ie la dois principalement à moy; car les plus fermes imaginations que i'aye, et generales, sont celles qui, par maniere de dire, nasquirent avecques moy: elles sont naturelles et toutes miennes. Ie les produisis crues et simples, d'une production hardie et forte, mais un peu trouble et imparfaicte: depuis, ie les ay establies et fortifiees par l'auctorité d'aultruy, et par les sains exemples des anciens ausquels ie me suis rencontré conforme en iugement; ceulx là m'en ont asseuré la prinse, et m'en ont donné la iouïssance et possession plus claire. La recommendation que chascun cherche De vivacité et promptitude d'esprit, ie la pretens du reiglement : D'une action esclatante et signalee, ou de quelque particuliere suffisance; ie la pretens de l'ordre, correspondance, et tranquillité d'opinions et de mœurs. Omnino si quidquam est decorum, nihil est profecto magis, quam æquabilitas universæ vitæ, tum singularum actionum; quam conservare non possis, si, aliorum naturam imitans, omittas tuam *.

Voylà doncques iusques où ie me sens coulpable de cette premiere partie que ie disois estre au vice de la presumption. Pour la seconde, qui consiste à N'estimer point assez aultruy, ie ne sçay si ie m'en puis si bien excuser; car, quoy qu'il me couste, ie delibere de dire ce qui en est. A l'adventure que le commerce continuel que i'ay avecques les humeurs anciennes, et l'idee de ces riches ames du temps passé, me desgouste et d'aultruy et de moy mesme; ou bien qu'à la verité nous vivons en un siecle qui ne produict les choses que bien mediocres: tant y a que ie ne cognoy rien digne de grande admiration. Aussi ne cognoy ie gueres d'hommes avecques telle privauté qu'il fault pour en pouvoir iuger; et ceulx ausquels ma condition me mesle plus ordinairement, sont, pour la pluspart, gents qui ont peu de soing de la culture de l'ame, et ausquels on ne propose, pour toute beatitude, que l'honneur, et pour toute perfection, que la vaillance.

Ce que ie veoy de beau en aultruy, ie le loue et l'estime tres volontiers: voire i'encheris souvent sur ce que i'en pense, et me permets de mentir iusques là; car ie ne sçay point inventer un sub

S'il y a quelque chose de bienséant et d'honorable, c'est, sans contredit, une conduite uniforme et conséquente dans toutes les actions de la vie; ce qui ne peut se trouver dans un homme qui se dépouillant de son caractère, s'attache à imiter les autres. CIC. de Offic. I, 31.

Soit peut-être que le commerce, etc. E. J.

Ie cognoy des hommes assez qui ont diverses parties belles, qui l'esprit, qui le cœur, qui l'adresse, qui la conscience, qui le langage, qui une science, qui une aultre; mais de grand homme en general, et ayant tant de belles pieces ensemble, ou une en tel degré d'excellence, qu'on le doibve admirer, ou le comparer à ceulx que nous honnorons du temps passé, ma fortune ne m'en a faict veoir nul: et le plus grand que i'aye cogneu au vif, ie dis des parties naturelles de l'ame, et le mieulx nay, c'estoit Estienne de la Boëtie; c'estoit vrayement une ame pleine, et qui monstroit un beau visage à tout sens; une ame à la vieille marque, et qui eust produict de grands effects si sa fortune l'eust voulu; ayant beaucoup adiousté à ce riche naturel par science et estude.

Mais ie ne sçay comment il advient, et si advient sans doubte, qu'il se treuve autant de vanité et de foiblesse d'entendement en ceulx qui font profession d'avoir plus de suffisance, qui se meslent de vacations lettrees et de charges qui dependent des livres, qu'en nulle aultre sorte de gents; ou bien parce que l'on requiert et attend plus d'eulx, et qu'on ne peult excuser en eulx les faultes communes; ou bien que l'opinion du scavoir leur donne plus de hardiesse de se produire et de se descouvrir trop avant, par où ils se perdent et se trahissent. Comme un artisan tesmoigne bien mieulx sa bestise en une riche matiere qu'il ayt entre mains, s'il l'accommode et mesle sottement et contre les reigles de son ouvrage, qu'en une matiere vile; et s'offense lon plus du default en une statue d'or qu'en celle qui est de plastre : ceulx cy en font autant lorsqu'ils mettent en avant

des choses qui d'elles mesmes, et en leur lieu, seroient bonnes; car ils s'en servent sans discretion, faisants honneur à leur memoire aux despens de leur entendement, et faisants honneur à Cicero, à Galien, à Ulpian, et à sainct Hierosme, pour se rendre eulx mesmes ridicules.

le retumbe volontiers sur ce discours de l'ineptie de nostre institution': elle a eu pour sa fin, de nous faire, non bons et sages, mais sçavants; elle y est arrivee : elle ne nous a pas apprins de suyvre et embrasser la vertu et la prudence, mais elle nous en a imprimé la derivation et l'etymologie; nous sçavons decliner Vertu, si nous ne sçavons l'aymer; si nous ne sçavons que c'est que prudence par effect et par experience, nous le sçavons par iargon et par cœur de nos voysins, nous ne nous contentons pas d'en sçavoir la race, les parenteles et les alliances, nous les voulons avoir pour amis, et dresser avecques eulx quelque conversation et intelligence; toutesfois elle nous a apprins les definitions, les divisions et partitions de la vertu, comme des surnoms et branches d'une genealogie, sans avoir aultre soing de dresser entre nous et elle quelque practique de familiarité et privee accointance; elle nous a choisis pour nostre apprentissage, non les livres qui ont les opinions plus saines et plus vrayes, mais ceulx qui parlent le meilleur grec et latin, et parmy ses beaux mots nous a faict couler en la fantasie les plus vaines humeurs de l'antiquité.

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La moins desdaignable condition de gents me semble estre celle qui par simplesse tient le dernier reng, et nous offrir un commerce plus reiglé les mœurs et les propos des païsants, ie les treuve communement plus ordonnez selon la prescription de la vraye philosophie, que ne sont ceulx de nos philosophes plus sapit vulgus, quia tantum, quantum opus est, sapit1.

Les plus notables hommes que l'aye iugé par les apparences externes (car pour les iuger à ma mode, il les fauldroit esclairer de plus prez), ce ont esté, pour le faict de la guerre et suffisance militaire, le duc de Guyse, qui mourut à Orleans, et le feu mareschal Strozzi; pour gents suffisants et de vertu non commune, Olivier, et l'Hospital, chanceliers de France. Il me semble aussi de la poësie, qu'elle eu sa vogue en nostre siecle; nous avons abondance de bons artisans de ce mestier là, Aurat 2, Beze, Buchanan, l'Hospital, Montdoré3, Turnebus : quant aux François, ie pense qu'ils l'ont montee au plus haut degré où elle sera iamais; et aux parties en quoy Ronsard et du Bellay excellent, ie ne les treuve gueres esloingnez de la perfection ancienne. Adrianus Turnebus sçavoit plus, et sçavoit mieulx ce qu'il sçavoit, qu'homme qui feust de son siecle, ny loing au delà. Les vies du duc d'Albe, dernier mort, et de nostre connestable de Montmorency, ont esté des vies nobles, et qui ont eu plusieurs rares ressemblances de fortune: mais la beaulté et la gloire de la mort de cettuy cy, à la veue de Paris et de son roy, pour leur service, contre ses plus proches, à la teste d'une armee victorieuse par sa conduicte, et d'un coup de main, en si extreme vieillesse, me semble meriter qu'on la loge entre les remarquables rougit de lui-même, et jeta à la dérobée ses couronnes et ses

fleurs. HOR. Sat. II, 3, 253.

1 Le vulgaire est plus sage, parce qu'il n'est sage qu'autant qu'il le faut. LACTANCE, Div. Instit. III, 5.

2 Mort en 1588. On dit plutôt Daurat, ou Dorat, en latin Auratus. Ces formes latines ont mis de la confusion dans les noms propres. Dorat, le poëte léger, descendait de ce poëte érudit, qui avait fait, suivant Joseph Scaliger, plus de cinquante mille vers français, grecs, ou latins. J. V. L.

3 Pierre Mondoré, le moins connu de ceux qui sont nommés ici, fut maître des requêtes et bibliothécaire du roi. L'Hospital en fait mention dans ses poésies latines (p. 91 et 521, édition de 1825), et Sainte-Marthe dans ses Éloges. Les rigoristes qui faisaient un crime à Montaigne d'avoir cité le calviniste Théodore de Bèze, auraient pu lui reprocher aussi ce qu'il dit de Mondoré; car ce savant homme, versé dans la philosophie d'Aristote, et habile mathématicien, fut persécuté vers l'an 1567, et chassé d'Orléans, sa patrie, comme attaché aux nouvelles opinions. Il se retira à Sancerre, dans le Berry, où il mourut en 1571, ce qui fait dire à l'Hospital:

Musæ, vester honos, et gentis gloria nostræ,
Concessit fatis, patria Montaureus exsul.

J. V. L.

evenements de mon temps; comme aussi la constante bonté, doulceur de mœurs, et facilité conscientieuse de monsieur de la Noue, en une telle iniustice de parts armees (vraye eschole de trahison, d'inhumanité et de brigandage), où tousiours il s'est nourry, grand homme de guerre et tres experimenté 1.

I'ay prins plaisir à publier, en plusieurs lieux, l'esperance que i'ay de Marie de Gournay le Iars, ma fille d'alliance 2, et certes aymee de moy beaucoup plus que paternellement, et enveloppee en ma retraicte et solitude comme l'une des meilleures parties de mon propre estre : ie ne regarde plus qu'elle au monde. Si l'adolescence peult donner presage, cette ame sera quelque iour capable des plus belles choses, et entre aultres, de la perfection de cette tres saincte amitié, où nous ne lisons point que son sexe ayt peu monter encores: la sincerité et la solidité de ses mœurs y sont desia bastantes 3; son affection vers moy, plus que surabondante, et telle, en somme, qu'il n'y a rien à souhaitter, sinon que l'apprehension qu'elle a de ma fin, par les cinquante et cinq ans ausquels elle m'a rencontré, la travaillast moins cruellement. Le iugement qu'elle feit des premiers Essais, et femme, et en ce siecle, et si ieune, et seule en son quartier; et la vehemence fameuse dont elle m'ayma et me desira long temps, sur la seule estime qu'elle en print de moy, avant m'avoir veu, sont des accidents de tres digne consideration.

Dans l'édition de 1588, Montaigne ne parlait ici ni de la Noue, le célèbre héros calviniste, dont les Discours politiques et militaires furent publiés en 1587, ni de mademoiselle de Gournay, dont l'éloge suit, et qu'il ne vit pour la première fois que pendant le séjour qu'il fit à Paris, en 1588, pour surveiller cette nouvelle édition. Dans celle que donna mademoiselle de Gournay en 1635, sa modestie lui a fait tronquer toute la fin de ce chapitre, et elle en convient dans les dernières pages de sa préface. Il faut donc s'en tenir ici, comme partout, à l'édition de 1595, où elle n'avait osé rien changer ni retrancher. Elle se contentait de dire en faisant allusion à ce passage: Lecteur, n'accuse pas de temerité le favorable iugement qu'il a faict de moy, quand tu considereras, en cet escript icy, combien ie suis loing de le meriter. Lors qu'il me louoit, ie le possedoy: moy avec luy, et moy sans luy, sommes absolument deux. Cette excuse lui suffit alors, et elle ne changea rien. C'était comprendre beaucoup mieux ses devoirs d'éditeur. J. V. L.

2 Sur ce qu'emportent ces mots, ma fille d'alliance, voyez l'article Gournay dans le Dictionnaire de Bayle, où il est dit, d'après le témoignage de cette demoiselle même, que le jugement qu'elle fit des premiers Essais de Montaigne donna lieu à cette sorte d'alliance, longtemps avant qu'elle eût vu l'auteur. Née en 1566, elle mourut en 1645. C.

3 Dans un assez haut degré. De l'italien bastare, suffire, on a fait baster, bastant, et baste. De ces trois mots, il n'y a proprement que le dernier, baste, qui soit maintenant en usage dans le style familier. C. Bastant est encore usité dans le langage populaire; on dit: Tu n'es pas bastant pour faire cela, E. J.

Les aultres vertus ont eu peu ou point de mise en cet aage : mais la vaillance, elle est devenue populaire par nos guerres civiles; et en cette partie, il se treuve parmy nous des ames fermes iusques à la perfection, et en grand nombre, si que le triage en est impossible à faire.

Voylà tout ce que i'ay cogneu, iusques à cette heure, d'extraordinaire grandeur et non commune.

I

CHAPITRE XVIII.

Du desmentir.

Voire mais, on me dira que ce desseing de se servir de soy, pour subiect à escrire, seroit excusable à des hommes rares et fameux, qui par leur reputation auroient donné quelque desir de leur cognoissance. Il est certain, ie l'advoue et sçay bien, que pour veoir un homme de la commune façon, à peine qu'un artisan leve les yeulx de sa besongne; là où pour veoir un personnage grand et signalé arriver en une ville, les ouvroirs et les boutiques s'abbandonnent. Il messied à tout aultre de se faire cognoistre, qu'à celuy qui a dequoy se faire imiter, et duquel la vie et les opinions peuvent servir de patron: Cesar et Xenophon ont eu dequoy fonder et fermir leur narration, en la grandeur de leurs faicts, comme en une base iuste et solide: ainsi sont à souhaitter les papiers iournaulx du grand Alexandre, les commentaires qu'Auguste, Caton, Sylla, Brutus, et aultres, avoient laissé de leurs gestes : de telles gents on ayme et estudie les figures, en cuyvre mesme et en pierre.

Cette remonstrance est tres vraye; mais elle ne me touche que bien peu :

Non recito cuiquam, nisi amicis, idque rogatus; Non ubivis, coramve quibuslibet; in medio qui Scripta foro recitent, sunt multi, quique lavantes'. Ie ne dresse pas icy une statue à planter au quarrefour d'une ville, ou dans une eglise, ou place publicque :

Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis
Pagina turgescat;

Secreti loquimur 3:

Les ouvroirs étaient les ateliers où les gens de métier travaillaient, faisaient leur ouvrage. C.

2 Je ne lis pas ceci en tout lieu, ni devant toute sorte de personnes je le lis à mes seuls amis, et lorsque j'en suis prie; tandis qu'il est des auteurs qui déclament leurs ouvrages dans les bains et dans les places publiques. HOR. Sat. I, 4, 73. -Au lieu de coactus, qui est dans le premier vers d'Horace, Montaigne a mis rogatus, qui exprime plus exactement sa pen

sée. C.

3 Mon dessein n'est pas de grossir ce livre de pompeuses

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