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Quid vesam aliud sibi vult ars impia ludi, Quid mortes iuvenum, quid sanguine pasta voluptas 1? et dura cet usage iusques à Theodosius, l'empe.

reur :

Hos inter fremitus novosque lusus....
Stat sexus rudis, insciusque ferri,
Et pugnas capit improbus viriles':

ce que ie trouveroy fort estrange et incroyable, si nous n'estions accoustumez de veoir touts les iours, en nos guerres, plusieurs milliasses d'hommes estrangiers engageants, pour de l'argent, leur sang et leur vie à des querelles où ils n'ont aulcun interest.

CHAPITRE XXIV.

De la grandeur romaine.

Ie ne veulx dire qu'un mot de cet argument

Arripe dilatam tua, dux, in tempora famam, Quodque patris superest, successor laudis habeto.... Nullus in urbe cadat, cuius sit pœna voluptas.... Iam solis contenta feris, infamis arena Nulla cruentatis homicidia ludat in armis2. C'estoit, à la verité, un merveilleux exemple, et de tres grand fruict pour l'institution du peuple, de veoir touts les iours en sa presence cent, deux cents, voire mille couples d'hommes, armez les uns contre les aultres, se hacher en pieces avec une si extreme férmeté de courage, qu'on ne leur veist lascher une parole de foiblesse ou commi-infiny, pour monstrer la simplesse de ceulx qui seration, iamais tourner le dos, ny faire seulement un mouvement lasche pour gauchir au coup de leur adversaire, ains tendre le col à son espee, et se presenter au coup: il est advenu à plusieurs d'entre eulx, estants blecez à mort de force playes, d'envoyer demander au peuple s'il estoit content de leur debvoir, avant que se coucher pour rendre l'esprit sur la place. Il ne falloit pas seulement qu'ils combattissent et mourussent

constamment, mais encores alaigrement; en ma

niere qu'on les hurloit et mauldissoit, si on les veoyoit estriver3 à recevoir la mort : les filles mesmes les incitoient :

apparient à celle là les chestifves grandeurs de ce temps. Au septiesme livre des Epistres familieres de Cicero ( et que les grammairiens en ostent ce surnom de familieres, s'ils veulent; car, à la verité, il n'y est pas fort à propos; et ceulx qui, au lieu de familieres, y ont substitué ad familiares, peuvent tirer quelque argument pour eulx de ce que dict Suetone en la vie de Cesar2, qu'il y avoit un volume de lettres de luy ad familiares), il y en a une qui s'addresse à Cesar estant lors en la Gaule, en laquelle Cicero redict ces mots, qui estoient sur la fin d'une aultre lettre que Cesar luy avoit escript : « Quant à Marcus Furius, que tu m'as recommendé, ie le feray roy de Gaule; et si tu veulx que j'advance quelque aultre de tes amis, envoye le moy Il n'estoit pas nouveau à un simple citoyen romain, comme estoit lors Cesar, de disposer des royaumes; car il osta bien au roy Deiotarus le sien, pour le donner à un gentilhomme de la ville de Pergame, nommé Mithridates 4 : et ceulx qui escrivent sa vie enregistrent plusieurs royaumes par luy vendus; et Suetone dict 5 qu'il tira pour Nunc caput in mortem vendunt, et funus arenæ, [cunt 5 : Atque hostem sibi quisque parat, quum bella quies-cents mille escus, qui feut bien prez de luy venun coup, du roy Ptolemæus, trois millions six

Consurgit ad ictus;

Et quoties victor ferrum iugulo inserit, illa
Delicias ait esse suas, pectusque iacentis
Virgo modesta iubet converso pollice rumpi 4.

Les premiers Romains employoient à cet exemple
les criminels: mais depuis on y employa des serfs
innocents, et des libres mesmes qui se vendoient
pour cet effect, iusques à des senateurs et che-
valiers romains, et encores des femmes :

1 Autrement, quel serait le but de l'art insensé des gladiateurs', de ces jeux barbares, de ces fêtes de la mort, de ces plaisirs sanguinaires?

2 Saisissez, grand prince, une gloire réservée à votre règne; ajoutez à l'heritage de gloire de votre père, la seule louange qui vous reste à mériter... Que le sang humain ne coule plus pour le plaisir du peuple... Que l'arène se contente du sang des bêtes, et que des jeux homicides ne souillent plus nos yeux. PRUDENCE, contre Symmaque, II, 643.

3 Résister, témoigner de la répugnance. C.

4 La vierge modeste se lève à chaque coup; et toutes les fois que le vainqueur égorge son adversaire, elle est charmée, ravie, et, d'un signe fatal, elle ordonne que le vaincu périsse. PRUDENCE, contre Symmaque, II, 617.

5 Maintenant ils vendent leur sang, et, pour un prix convenu, ils vont mourir sur l'arène : au milieu de la paix, chacun d'eux se fait un ennemi. MANIL. Astron. IV, 225.

MONTAIGNE.

dre le sien.

3

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'Parmi ces frémissements et ces nouveaux plaisirs, un sexe inbabile aux armes descend dans l'arène, et s'exerce avec audace aux jeux des guerriers. STACE, Sylv. I, 6, 51. 2 SUÉTONE, César, c. 56. C.

3 CIC. Epist. fam. VII, 5. On lit ordinairement dans le texte de cette lettre, M. Orflum; mais il y a de nombreuses variantes. Quelques interprètes ont regardé l'offre de César comme un badinage: Montaigne la prend au sérieux, et il a peut-être raison. Ne sait-on pas quels étaient ces petits chefs de peuplades, véritables lieutenants de la république, nommés ou protégés par les Romains, et qu'ils appelaient reguli ? J. V. L.

4 CIC. de Divin. II, 37: assecla suo, Pergameno nescio cui. C. 5 Vie de César, c. 54. C.

23

Tot Galatæ, tot Pontus eat, tot Lydia nummis 1.

2

Marcus Antonius disoit que la grandeur du peuple romain ne se monstroit pas tant par ce qu'il prenoit, que par ce qu'il donnoit : si en avoit il, quelque siecle avant Antonius, osté un, entre aultres, d'auctorité si merveilleuse, que, en toute son histoire, ie ne sçache marque qui porte plus hault le nom de son credit. Antiochus possedoit toute l'Aegypte, et estoit aprez à conquerir Cypre et aultres demourants de cet empire. Sur le progrez de ses victoires, C. Popilius arriva à luy de la part du senat; et d'abordee, refusa de luy toucher à la main, qu'il n'eust premierement leu les lettres qu'il luy apportoit. Le roy les ayant leues, et dict qu'il en delibereroit, Popilius circonscrit la place où il estoit, à tout sa baguette, en luy disant : « Rens moy response que ie puisse rapporter au senat, avant que tu partes de ce cercle. »> Antiochus, estonné de la rudesse d'un si pressant commandement, aprez y avoir un peu songé: « le feray (dit il) ce que le senat me commande. » Lors le salua Popilius, comme amy du peuple romain 3. Avoir renoncé à une si grande monarchie et cours d'une si fortunee prosperité, par l'impression de trois traicts d'escripture! il eut vrayement raison, comme il feit, d'envoyer depuis dire au senat, par ses ambassadeurs, qu'il avoit receu leur ordonnance, de mesme respect que si elle feust venue des dieux immortels 4.

Touts les royaumes qu'Auguste gaigna par droict de guerre, il les rendit à ceulx qui les avoient perdus, ou en feit present à des estrangiers. Et sur ce propos, Tacitus parlant du roy d'Angleterre Cogidunus, nous faict sentir, par un merveilleux traict, cette infinie puissance. Les Romains, dict il, avoient accoustumé, de toute ancienneté, de laisser les roys qu'ils avoient surmontez, en la possession de leurs royaumes, soubs leur auctorité, « à ce qu'ils eussent des roys mesmes, utils de la servitude ut haberent instrumenta servitutis et reges 5. Il est vraysemblable que Solyman, à qui nous avons veu faire liberalité du royaume de Hongrie et aultres estats, regardoit plus à cette consideration, qu'à celle qu'il avoit accoustumé d'alleguer, « Qu'il estoit saoul et chargé de tant de monarchies et de

A tel prix la Galatie, à tel prix le Pont, à tel prix la Lydie. CLAUDIEN, in Eutrop. I, 203.

2 PLUTARQUE, Antoine, c. 8. C.

3 TITE-LIVE, XLV, 12. C.

4 ID. ibid. c. 13.

5 TACITE, Agricola, c. 14.-Montaigne a traduit ce passage

avant que de le citer. C.

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CHAPITRE XXV.

De ne contrefaire le malade.

Il y a un epigramme en Martial, qui est des bons, car il y en a chez luy de toutes sortes, où il recite plaisamment l'histoire de Celius, qui pour fuyr à faire la court à quelques grands à Rome, se trouver à leur lever, les assister et les suyvre, feit la mine d'avoir la goutte; et pour rendre son excuse plus vraysemblable, se faisoit oindre les iambes, les avoit enveloppees, et contrefaisoit entierement le port et la contenance d'un homme goutteux. Enfin la fortune luy feit ce plaisir, de le rendre goutteux tout à faict.

Tantum cura potest, et ars doloris!

Desit fingere Cælius podagram'. l'ay veu en quelque lieu d'Appian', ce me semble, une pareille histoire d'un, qui voulant eschapper aux proscriptions des triumvirs de Rome, pour se desrobber de la cognoissance de ceulx qui le poursuyvoient, se tenant caché et travesty, y adiousta encores cette invention, de contrefaire le borgne : quand il veint à recouvrer un peu plus de liberté, et qu'il voulut desfaire l'emplastre qu'il avoit long temps porté sur son œil, il trouva que sa veue estoit effectuellement perdue sous ce masque. Il est possible que l'action de la veue s'estoit hebetee3 pour avoir esté si long temps sans exercice, et que la force visive s'estoit toute reiectee en l'aultre œil; car nous sentons evidemment que l'œil que nous tenons couvert, renvoye à son compaignon quelque partie de son effect, en maniere que celuy qui reste s'en grossit et s'en enfle comme aussi l'oysifveté, avecques la chaleur des liaisons et des medicaments, avoit bien peu attirer quelque humeur podagrique au goutteux de Martial.

Lisant chez Froissard 4 le vœu d'une trouppe de ieunes gentilshommes anglois, de porter l'œil gauche bandé, iusques à ce qu'ils eussent passé en France et exploicté quelque faict d'armes sur nous; ie me suis souvent chatouillé de ce pensement, qu'il leur eust prins comme à ces aultres,

1 Voyez ce que c'est que de si bien faire le malade! Célius n'a plus besoin de feindre qu'il a la goutte. MARTIAL, VII, 39, S. 2 Guerres civiles, liv. IV, p. 613 de l'édit. d'Henri Estienne; p. 985 de celle de Tollius, Amst. 1670. J. V. L. 3 S'était affaiblie.

C'est une phrase latine. Sénèque le tragique (Hercul. fur. v. 1043) : Visusque mæror hebetat.

4 T. I, c. 29. C.

et qu'ils se feussent trouvez touts esborgnez au | gles demandent un guide; nous nous fourvoyons reveoir des maistresses pour lesquelles ils avoient de nous mesmes. Ie ne suis pas ambitieux, difaict l'entreprinse. sons nous; mais à Rome on ne peult vivre aultrement: ie ne suis pas sumptueux; mais la ville requiert une grande despense: ce n'est pas ma faulte si ie suis cholere, si ie n'ay encores estably aulcun train asseuré de vie ; c'est la faulte de la ieunesse. Ne cherchons pas hors de nous nostre mal; il est chez nous, il est planté en nos entrailles : et cela mesme, que nous ne sentons pas estre malades, nous rend la guarison plus mal aysee. Si nous ne commenceons de bonne heure à nous panser, quand aurons nous pourveu à tant de playes et à tant de maulx? Si avons nous une tres doulce medecine, que la philosophie: car des aultres, on n'en sent le plaisir qu'aprez la guarison; cette cy plaist et guarit ensemble. » Voylà ce que dit Seneque, qui m'a emporté hors de mon propos; mais il y a du proufit au change.

Les meres ont raison de tanser leurs enfants quand ils contrefont les borgnes, les boiteux, et les bicles', et tels aultres defaults de la personne: car oultre ce que le corps, ainsi tendre, en peult recevoir un mauvais ply, ie ne sçay comment il semble que la fortune se ioue à nous prendre au mot; et i'ay ouy reciter plusieurs exemples de gents devenus malades, ayants desseigné de feindre l'estre. De tout temps i'ay apprins de charger ma main, et à cheval et à pied, d'une baguette ou d'un baston, iusques à y chercher de l'elegance, et de m'en seiourner, d'une contenance affettee: plusieurs m'ont menacé que fortune tourneroit un iour cette mignardise en necessité. Ie me fonde sur ce que ie seroy tout le premier goutteux de ma

race.

Mais alongeons ce chapitre, et le bigarrons d'une aultre piece, à propos de la cecité. Pline dict' d'un, qui songeant estre aveugle en dormant, se le trouva l'endemain, sans aulcune ma

ladie precedente. La force de l'imagination peult bien ayder à cela, comme i'ay diet ailleurs3; et semble que Pline soit de cet advis: mais il est plus vraysemblable que les mouvements que le corps sentoit au dedans (desquels les medecins trouveront, s'ils veulent, la cause), qui luy ostoient la veue, feurent occasion du songe.

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CHAPITRE XXVI.

Des poulces.

bares, pour faire une obligation asseuree, leur Tacitus recite que parmy certains roys barbares, pour faire une obligation asseuree, leur droictes l'une à l'aultre, et s'entrelasser les poulces; et quand, à force de les presser, le sang en estoit monté au bout, ils les bleceoient de quelque legiere poincte, et puis se les entresuceoient.

maniere estoit de ioindre estroictement leurs mains

Les medecins disent que les poulces sont les maistres doigts de la main, et que leur etymo

latine vient de pollere 3. Les Grecs l'appellent avrizep, comme qui diroit une aultre main. Et il semble que par fois les Latins les prennent aussi en ce sens de main entiere :

Adioustons encores une histoire voysine de ce propos, que Seneque recite en l'une de ses lettres: Tu sçais, dict il escrivant à Lucilius 4, que Har-logie pasté, la folle de ma femme, est demeuree chez moy, pour charge hereditaire: car, de mon goust, ie suis ennemy de ces monstres; et si i'ay envie de rire d'un fol, il ne me le fault chercher gueres loing, ie ris de moy mesme. Cette folle a subitement perdu la veue. Ie te recite chose estrange, mais veritable: elle ne sent point qu'elle soit aveugle, et presse incessamment son gouverneur de l'emmener, parce qu'elle diet que ma maison est obscure. Ce que nous rions en elle, ie te prie croire qu'il advient à chascun de nous; nul ne cognoist estre avare, nul convoiteux : encores les aveu

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Sed nec vocibus excitata blandis,
Molli pollice nec rogata surgit 4.
C'estoit à Rome une signification de faveur,
de comprimer et baisser les poulces,

Fautor utroque tuum laudabit pollice ludum 5,
et de desfaveur, de les haulser et contourner au
dehors:

Converso pollice vulgi,

Quemlibet occidunt populariter 6.

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Les Romains dispensoient de la guerre ceulx | pusillanimité, pour dire qu'elle est aussi de la qui estoient blecez au poulce, comme s'ils n'a- feste, n'ayant peu se mesler à ce premier roolle, voient plus la prinse des armes assez ferme. Au- prend pour sa part le second, du massacre et guste confisqua les biens à un chevalier romain du sang. Les meurtres des victoires s'exercent qui avoit, par malice, couppé les poulces à deux ordinairement par le peuple, et par les officiers siens ieunes enfants, pour les excuser d'aller aux du bagage: et ce qui faict veoir tant de cruauarmees : et avant luy, le senat, du temps de la tez inouïes aux guerres populaires, c'est que cette guerre italique, avoit condemné Caius Vatienus canaille de vulgaire s'aguerrit et se gendarme1 à prison perpetuelle, et luy avoit confisqué touts à s'ensanglanter iusques aux coudes, et deschises biens, pour s'estre à escient couppé le poulce de queter un corps à ses pieds, n'ayant ressentila main gauche, pour s'exempter de ce voyage'. ment d'aultre vaillance: Quelqu'un, dont il ne me souvient point3, ayant gaigné une battaille navale, feit coupper les poulces à ses ennemis vaincus, pour leur oster le moyen de combattre et de tirer la rame. Les Atheniens les feirent coupper aux Aeginetes, pour leur oster la preference en l'art de marine 4.

En Lacedemone, le maistre chastioit les enfants en leur mordant le poulce 5.

CHAPITRE XXVII. Couardise, mere de la cruauté. l'ay souvent ouy dire que la couardise est mere la couardise est mere de la cruauté et si, ay par experience apperceu que cette aigreur et aspreté de courage malicieux et inhumain, s'accompaigne coustumierement de mollesse feminine; i'en ay veu des plus cruels, subiects à pleurer ayseement, et pour des causes frivoles. Alexandre, tyran de Pheres, ne pouvoit souffrir d'ouyr au theatre le ieu des tragedies, de peur que ses citoyens ne le veissent gemir aux malheurs de Hecuba et d'Andromache, luy qui, sans pitié, faisoit cruellement meurtrir tant de gents touts les iours. Seroit ce foiblesse d'ame qui les rendist ainsi ployables à toutes extremitez? La vaillance, de qui c'est l'effect de s'exercer seulement contre la resistance,

Nec nisi bellantis gaudet cervice iuvenci 7,

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Et lupus, et turpes instant morientibus ursi, Et quæcumque minor nobilitate fera est 2: comme les chiens couards, qui deschirent en la maison et mordent les peaux des bestes sauvages qu'ils n'ont osé attaquer aux champs. Qu'est ce qui faict, en ce temps, nos querelles toutes mortelles; et qu'au lieu que nos peres avoient quelque degré de vengeance, nous commenceons à cette heure par le dernier; et ne se parle, d'arrivee, que de tuer ? qu'est ce, si ce n'est couardise?

Chascun sent bien qu'il y a plus de braverie et desdaing à battre son ennemy qu'à l'achever, et de le faire bouquer 3 que de le faire mourir; davantage, que l'appetit de vengeance s'en assouvit et contente mieulx; car elle ne vise qu'à donner ressentiment de soy voylà pourquoy nous n'attaquons pas une beste ou une pierre quand elle nous blece, d'autant qu'elles sont incapables de sentir nostre revenche; et de tuer un homme, c'est le mettre à l'abry de nostre offense. Et tout ainsi comme Bias 4 crioit à un meschant homme : « Ie sçay que tost ou tard tu en seras puny, mais ie crains que ie ne le veoye pas; et plaignoit les Orchomeniens de ce que la penitence que Lyciscus eut de la trahison contre eulx commise, venoit en saison qu'il n'y avoit personne de reste de ceulx qui en avoient esté

s'arreste à veoir l'ennemy à sa mercy: mais la interessez, et ausquels debvoit toucher le plaisir

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de cette penitence : tout ainsin est à plaindre la vengeance, quand celuy envers lequel elle s'employe perd le moyen de la souffrir; car comme le vengeur y veult veoir pour en tirer du plaisir,

Se gendarmer, se mettre en humeur, en posture d'homme qui veut combattre. Verbis, vultu, habituque præferre ferocem pugnatorem. MONET.

2 Le loup, et l'ours, et les animaux les moins nobles, s'acharnent sur les mourants. OVIDE, Trist. III, 5, 35.

3 Faire bouquer quelqu'un, c'est lui faire dépit, le faire enrager, l'obliger à céder. RICHELET.

4 PLUTARQUE, Des delais de la iustice divine, c. 2. — Montaigne se trompe en disant que Bias plaignait les Orchoméniens; c'est Patrocle, un des interlocuteurs du dialogue, qui cite cet exemple de la vengeance trop lente des dieux sur le traitre Lyciscus. C.

I

il fault que celuy sur lequel il se venge y veoye | n'estoit qu'aux lutins de luicter les morts. » Celuy aussi pour en recevoir du desplaisir et de la re- qui attend à veoir trespasser l'aucteur duquel il pentance. «< Il s'en repentira,» disons nous; et veult combattre les escripts, que dict il, sinon pour luy avoir donné d'une pistolade en la qu'il est foible et noisif? On disoit à Aristote, teste, estimons nous qu'il s'en repente? au re- que quelqu'un avoit mesdict de luy : « Qu'il face bours, si nous nous en prenons garde, nous trou- plus, dit il 3, qu'il me fouette, pourveu que ie n'y verons qu'il nous faict la moue en tumbant; il ne sois pas. » nous en sçait pas seulement mauvais gré, c'est bien loing de s'en repentir; et luy prestons le plus favorable de touts les offices de la vie, qui est de le faire mourir promptement et insensiblement: nous sommes à conniller 2, à trotter, et à fuyr les officiers de la iustice qui nous suyvent; et luy est en repos. Le tuer est bon pour eviter l'offense à venir, non pour venger celle qui est faicte; c'est une action plus de crainte que de braverie, de precaution que de courage, de deffense que d'entreprinse. Il est apparent que nous quittons par là et la vraye fin de la vengeance, et le soing de nostre reputation; nous craignons, s'il demeure en vie, qu'il nous recharge d'une pareille : ce n'est pas contre luy, c'est pour toy, que tu t'en desfais.

Au royaume de Narsingue, cet expedient nous demeureroit inutile: là, non seulement les gents de guerre, mais aussi les artisans desmeslent leurs querelles à coups d'espee. Le roy ne refuse point le camp à qui se veult battre, et assiste, quand ce sont personnes de qualité, estrenant le victorieux d'une chaisne d'or; mais pour laquelle conquerir, le premier à qui il en prend envie peult venir aux armes avec celuy qui la porte; et pour s'estre desfaict d'un combat, il en a plusieurs sur les bras.

Si nous pensions, par vertu, estre tousiours maistres de nostre ennemy, et le gourmander à nostre poste, nous serions bien marris qu'il nous eschappast, comme il faict en mourant. Nous voulons vaincre, mais plus seurement qu'honnorablement; et cherchons plus la fin que la gloire, en nostre querelle.

Asinius Pollio, pour un honneste homme moins excusable, representa une erreur pareille; qui ayant escript des invectives contre Plancus, attendoit qu'il feust mort pour les publier : c'estoit faire la figue à un aveugle, et dire des pouilles à un sourd, et offenser un homme sans sentiment, plustost que d'encourir le hazard de son ressentiment. Aussi disoit on pour luy, « que ce

Pistolade, pistoletade, coup de pistolet. Ces deux mots se trouvent dans NICOT. C.

A nous cacher dans des trous, comme des connils, des lapins. E. J.

Nos peres se contentoient de revencher une iniure par un desmenty, un desmenty par un coup, et ainsi par ordre; ils estoient assez valeureux pour ne craindre pas leur adversaire vivant et oultragé : nous tremblons de frayeur, tant que nous le veoyons en pieds; et qu'il soit ainsi, nostre belle practique d'auiourd'huy porte elle pas de poursuyvre à mort, aussi bien celuy que nous avons offensé, que celuy qui nous a offensez ? C'est aussi une espece de lascheté qui a introduict en nos combats singuliers cet usage de nous accompaigner de seconds, et tiers, et quarts: c'estoit anciennement des duels; ce sont à cette heure rencontres et battailles. La solitude faisoit peur aux premiers qui l'inventerent, quum in se cuique minimum fiduciæ esset 4; car naturellement quelque compaignie que ce soit apporte confort et soulagement au dangier. On se servoit anciennement de personnes tierces, pour garder qu'il ne s'y feist desordre et desloyauté, et pour tesmoigner de la fortune du combat: mais depuis qu'on a prins ce train, qu'ils s'y engagent eulx mesmes, quiconque y est convié ne peult honnestement s'y tenir comme spectateur, de peur qu'on ne luy attribue que ce soit faulte ou d'affection ou de cœur. Oultre l'iniustice d'une telle action, et vilenie, d'engager à la protection de vostre honneur aultre valeur et force que la vostre, ie treuve du desadvantage à un homme de bien, et qui pleinement se fie de soy, d'aller mesler sa fortune à celle d'un second : chascun court assez de hazard pour soy, sans le courir encores pour un aultre, et a assez à faire à s'asseurer en sa propre vertu pour la deffense de sa vie, sans commettre chose si chere en mains tierces. Car s'il n'a esté expressement marchandé au contraire, des quatre, c'est une partie liee; si votre second est à terre, vous en avez deux sus les bras, avecques raison: et de dire que c'est supercherie, elle l'est voirement; comme de charger, bien armé, un homme qui n'a qu'un tronçon d'espee, ou tout

* C'est Plancus lui-même qui fit cette réponse: Nec Plancus illepide, Cum mortuis non nisi larvas luctari. PLINE, dans sa Préface à Vespasien, vers la fin. C. 2 Noisif, querelleux. NICOT. C.

3 DIOG. LAERCE, IX, 18. C.

4 Parce que chacun se détiait de soi-même.

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