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ments et frivoles causes naissent ordinairement si fameuses impressions. Cela mesme en empesche l'information; car pendant qu'on cherche des causes et des fins fortes et poisantes et dignes d'un si grand nom, on perd les vrayes; elles eschappent de nostre veue par leur petitesse; et à la verité, il est requis un bien prudent, attentif et subtil inquisiteur en telles recherches, indifferent, et non preoccupé. Iusques à cette heure, touts ces miracles et evenements estranges se cachent devant moy. le n'ay veu monstre et miracle au monde, plus exprez que moy mesme on s'apprivoise à toute estrangeté par l'usage et le temps; mais plus ie me hante et me cognoy, plus ma difformité m'estonne, moins ie m'entens en moy. Le principal droict d'advancer et produire tels accidents, est reservé à la fortune. Passant avant hier dans un village à deux lieues de ma maison, ie trouvay la place encores toute chaulde d'un miracle qui venoit d'y faillir par lequel le voysinage avoit esté amusé plusieurs mois; et commenceoient les provinces voysines de s'en esmouvoir, et y accourir à grosses trouppes de toutes qualitez. Un ieune homme du lieu s'estoit ioué à contrefaire, une nuict, en sa maison, la voix d'un esprit, sans penser à aultre finesse qu'à iouyr d'un badinage present: cela luy ayant un peu mieulx succedé qu'il n'esperoit, pour estendre sa farce à plus de ressorts, il y associa une fille de village, du tout' stupide et niaise ; et feurent trois enfin, de mesme aage et pareille suffisance et de presches domestiques en feirent des presches publicques, se cachants soubs l'autel de l'eglise, ne parlants que de nuict, et deffendants d'y apporter aulcune lumiere. De paroles qui tendoient à la conversion du monde, et menace du iour du iugement (car ce sont subiects soubs l'auctorité et reverence desquels l'imposture se tapit plus ayseement), ils veindrent à quelques visions et mouvements si niais et si ridicules, qu'à peine y a il rien si grossier au ieu des petits enfants. Si toutesfois la fortune y eust voulu prester un peu de faveur, qui sçait iusques où se feust accreu ce battelage? Ces pauvres diables sont à cette heure en prison; et porteront volontiers la peine de la sottise commune, et ne sçay si quelque iuge se vengera sur eulx de la sienne. On veoid clair en cette cy, qui est descouverte: mais en plusieurs choses de pareille qualité, surpassants nostre cognoissance, ie suis d'advis que

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Tout à fait. E. J.

nous soustenions' nostre iugement, aussi bien à reiecter qu'à recevoir.

Il s'engendre beaucoup d'abus au monde, ou, pour le dire plus hardiement, touts les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de nostre ignorance, et que nous sommes tenus d'accepter tout ce que nous ne pouvons refuter : nous parlons de toutes choses par preceptes et resolution. Le style, à Rome, portoit que cela mesme qu'un tesmoing deposoit pour l'avoir veu de ses yeulx, et ce qu'un iuge ordonnoit de sa plus certaine science, estoit conceu en cette forme de parler, « Il me semble. On me faict haïr les choses vraysemblables, quand on me les plante pour infaillibles : i̇'ayme ces mots, qui amollissent et moderent la temerité de nos propositions : « A l'adventure, Aulcunement, Quelque, On dict, le pense, » et sembla bles et si i'eusse eu à dresser des enfants, ie leur eusse tant mis en la bouche cette façon de respondre, enquestante, non resolutifve : « Qu'est ce à dire? le ne l'entens pas, Il pourroit estre, Est il vray!» qu'ils eussent plustost gardé la forme d'apprentifs à soixante ans, que de representer les docteurs à dix ans, comme ils font. Qui veult guarir de l'ignorance, il fault la confesser.

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Iris est fille de Thaumantis 3: l'admiration est fondement de toute philosophie; l'inquisition, le progrez; l'ignorance, le bout. Voire dea, il y a quelque ignorance forte et genereuse, qui ne doibt rien en honneur et en courage à la science: ignorance pour laquelle concevoir il n'y a pas moins de science qu'à concevoir la science. le veis en mon enfance un procez que Corras, conseiller de Thoulouse, feit imprimer, d'un accident 1 Suspendions. C.

2 CIC. Academ. II, 47. J. V. L.

pulcher (l'arc-en-ciel, ou Iris), et ob eam causam, quia spe3 C'est-à-dire, de l'admiration (0αūμα, αтoç). « Est enim ciem habet admirabilem, Thaumante dicitur esse natus. »

CIC. de Nat. deor. III, 20. On voit qu'il faudrait lire dans Montaigne, non pas Thaumantis, mais Thaumas. J. V. L. 4 Ou plutôt Coras, savant jurisconsulte, né à Toulouse en 1513. Longtemps persécuté comme calviniste, malgré la protection du chancelier l'Hospital, qui admirait ses talents, il finit par étre assassiné à la conciergerie de Toulouse, avec trois cents autres prisonniers, le 4 d'octobre 1572, peu de temps après la Saint-Barthélemy: on le revêtit ensuite de sa rote de conseiller, avec deux de ses collègues massacrés comme lui, et on les pendit à l'orme du palais. Les œuvres de Jean Coras ont été recueillies en deux volumes in-fol. Lyon, 1556 et 58; Wittenberg, 1603; et sa vie a été écrite en latin par Jacques Coras le poëte, qui était de la mème famille. La cause célebre dont Montaigne parle ici est celle du faux Martin Guerre, sur laquelle le jurisconsulte de Toulouse avait publié un commentaire, imprimé à Paris en 1565, et réimprime à Bruges la même année, par Hubert Goltz. Voyez aussi, sur

estrange; de deux hommes qui se presentoient | lement avecques eulx, sinon si imperieusement. Qui establit son discours par braverie et commandement, monstre que la raison y est foible. Pour une altercation verbale et scholastique, qu'ils ayent autant d'apparence que leurs contradicteurs; videantur sane, non affirmentur modo 1: mais en la consequence effectuelle qu'ils en tirent, ceulx cy ont bien de l'advantage. A tuer les gents, il fault une clarté lumineuse et nette, et est nostre vie trop reelle et essentielle, pour guarantir ces accidents supernaturels et fantastiques.

l'un pour l'aultre. Il me souvient (et ne me souvient aussi d'aultre chose) qu'il me sembla avoir rendu l'imposture de celuy qu'il iugea coulpable, si merveilleuse et excedant de si loing nostre cognoissance et la sienne, qui estoit iuge, que ie trouvay beaucoup de hardiesse en l'arrest qui l'avoit condemné à estre pendu. Recevons quelque forme d'arrest qui die, « La cour n'y entend rien; » plus librement et ingenuement que ne feirent les Areopagites, lesquels se trouvants pressez d'une cause qu'ils ne pouvoient desvelopper, ordonnerent que les parties en viendroient à cent

ans '.

Quant aux drogues et poisons, ie les mets hors de mon compte; ce sont homicides, et de la pire espece : toutesfois en cela mesme, on diet qu'il ne fault pas tousiours s'arrester à la propre confession de ces gents icy; car on leur a veu par fois s'accuser d'avoir tué des personnes qu'on trouvoit saines et vivantes. En ces aultres accusations extravagantes, ie diroy volontiers que c'est bien assez qu'un homme, quelque recommendation qu'il aye, soit creu de ce qui est humain : de ce qui est hors de sa conception, et d'un effect supernaturel, il en doibt estre creu lors seulement qu'une approbation supernaturelle l'a auctorisé. Ce privilege qu'il a pleu à Dieu donner à aulcuns de nos tesmoignages, ne doit pas estre avily et communiqué legierement. l'ay les aureilles battues de mille tels contes : « Trois le

Les sorcieres de mon voysinage courent hazard de leur vie, sur l'advis de chasque nouvel aucteur qui vient donner corps à leurs songes. Pour accommoder les exemples que la divine parole nous offre de telles choses, tres certains et irrefragables exemples, et les attacher à nos evenements modernes, puis que nous n'en veoyons ny les causes ny les moyens, il y fault autre engein 2 que le nostre : il appartient, à l'adventure, à ce seul tres puissant tesmoignage de nous dire: « Cettuy cy en est, et celle là; et non cet aultre.» Dieu en doibt estre creu, c'est vrayement bien raison; mais non pourtant un d'entre nous, qui s'estonne de sa propre narration (et necessairement il s'en estonne, s'il n'est hors du sens), soit qu'il l'employe au faict d'aultruy, soit qu'il l'em-veirent un tel iour, en levant : Trois le veirent ploye contre soy mesme.

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Je suis lourd, et me tiens un peu au massif et au vraysemblable, evitant les reproches anciens: Maiorem fidem homines adhibent iis, quæ non intelligunt. Cupidine humani ingenii, libentius obscura creduntur3. Ie veoy bien qu'on se courrouce; et me deffend on d'en doubter, sur peine d'iniures exsecrables nouvelle façon de persuader! Pour Dieu mercy, ma creance ne se manie pas à coups de poing. Qu'ils gourmandent ceulx qui accusent de faulseté leur opinion; ie ne l'accuse que de difficulté et de hardiesse, et condemne l'affirmation opposite, eguacette cause, le Discours préliminaire de l'Apologie pour Hérodote, par Henri Estienne, t. I, p. 29, éd. de 1735. J. V. L. 1 Voyez VALÈRE MAXIME, VIII, I; et AULU-GELLE, XII, 7. C.

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lendemain, en occident; à telle heure, tel lieu, ainsi vestu : » certes, ie ne m'en croiroy pas moy mesme. Combien treuve ie plus naturel et plus vraysemblable que deux hommes mentent, que ie ne fois qu'un homme, en douze heures, passe, quand et les vents, d'orient en occident! combien plus naturel, que nostre entendement soit emporté de sa place par la volubilité de nostre esprit destracqué, que cela, qu'un de nous soit envolé sur un balay, au long du tuyau de sa cheminee, en chair et en os, par un esprit estrangier! Ne cherchons pas des illusions du dehors et incogneues, nous qui sommes perpetucllement agitez d'illusions domestiques et nostres, Il me semble qu'on est pardonnable de mescroire une merveille, autant au moins qu'on peult en destourner et elider 2 la verification par voye non merveilleuse; et suy l'advis de sainct Augustin,

1 Pourvu qu'on propose ces faits comme vraisemblables, et qu'on ne les affirme pas. Cic. Acad. II, 27.

2 NICOT explique elider par escacher, et escacher veut dire écraser, detruire, anéantir. C.

"

« Qu'il vault miculx pencher vers le doubte que vers l'asseurance, ez choses de difficile preuve et dangereuse creance. »

Il y a quelques annees que ie passay par les terres d'un prince souverain, lequel en ma faveur, et pour rabbattre mon incredulité, me feit cette grace de me faire veoir en sa presence, en lieu particulier, dix ou douze prisonniers de ce genre, et une vieille entre aultres, vrayement bien sorciere en laideur et deformité, tres fameuse de longue main en cette profession. Ie veis et preuves et libres confessions, et ie ne sçay quelle marque insensible sur cette miserable vieille; et m'enquis, et parlay tout mon saoul, y apportant la plus saine attention que ie peusse; et ne suis pas homme qui me laisse gueres garrotter | le iugement par preoccupation. Enfin, et en conscience, ie leur eusse plustost ordonné de l'ellebore que de la ciguë; captisque res magis mentibus, quam consceleratis, similis visa1 : la iustice a ses propres corrections pour telles maladies. Quant aux oppositions et arguments que des honnestes hommes m'ont faict, et là, et souvent ailleurs, ie n'en ay point senty qui m'attachent, et qui ne souffrent solution tousiours plus vraysemblable que leurs conclusions. Bien est vray que les preuves et raisons qui se fondent sur l'experience et sur le faict, celles là, ie ne les desnoue point; aussi n'ont elles point de bout: ie les trenche souvent, comme Alexandre son nœud. Aprez tout, c'est mettre ses coniectures à bien hault prix, que d'en faire cuyre un homme tout vif.

On recite par divers exemples (et Præstantius de son pere 2), que, assopy et endormy bien plus lourdement que d'un parfaict sommeil, il fantasia estre iument, et servir de sommier3 à des soldats : et ce qu'il fantasioit, il l'estoit 4. Si les sorciers songent ainsi materiellement; si les songes par fois se peuvent ainsin incorporer en effects, encores ne croy ie pas que nostre volonté en feust tenue à la iustice : ce que ie dis, comme celuy qui n'est pas iuge ny conseiller des roys, ny s'en estime de bien loing digne; ains homme du commun, nay et voué à l'obeïssance de la raison publicque, et en ses faicts, et en ses dicts. Qui mettroit mes resveries

Il me sembla qu'il y avait en cela plus de folie que de crime. TITE-LIVE, VIII, 18.

2 Voyez la Cité de Dieu de S. AUGUSTIN, XVIII, 48. C. 3 De cheval de somme. E. J.

4 Quod ita, ut narravit, factum fuisse compertum est. S. AUGUSTIN, Cité de Dicu, XVIII, 18.

en compte, au preiudice de la plus chestifve loy de son village, ou opinion, ou coustume, il se feroit grand tort, et encores autant à moy; car en ce que ie dis, ie ne pleuvis' aultre certitude, sinon que c'est ce que lors i'en avois en la pensee, pensee tumultuaire et vacillante. C'est par maniere de devis que ie parle de tout, et de rien par maniere d'advis; nec me pudet, ut istos, fateri nescire, quod nesciam 2: ie ne seroy pas si hardy à parler, s'il m'appartenoit d'en estre creu; et feut ce que ie respondis à un grand, qui se plaignoit de l'aspreté et contention de mes enhortements. Vous sentant bandé et preparé d'une part, ie vous propose l'aultre, de tout le soing que ie puis, pour esclaircir vostre iugement, non pour l'obliger. Dieu tient vos courages, et vous fournira 3 de chois. Ie ne suis pas si presumptueux, de desirer seulement que mes opinions donnassent pente à chose de telle importance: ma fortune ne les a pas dressees à si puissantes et si eslevees conclusions. Certes, i'ay non seulement des complexions en grand nombre, mais aussi des opinions assez, desquelles ie desgousteroy volontiers mon fils, si i'en avoy. Quoy, si les plus vrayes ne sont pas tousiours les plus commodes à l'homme? tant il est de sauvage composition!

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A propos, ou hors de propos, il n'importe; on dict en Italie, en commun proverbe, que celuy là ne cognoist pas Venus en sa parfaicte doulceur, qui n'a couché avecques la boiteuse. La fortune ou quelque particulier accident ont mis, il y a long temps, ce mot en la bouche du peuple et se dict des masles comme des femelles; car la royne des Amazones respondit au Scythe qui la convioit à l'amour, ăpiota ywîòç cipɛï4, le boiteux le faict le mieulx. En cette republique feminine, pour fuyr la domination des masles, elles les stropioient dez l'enfance, bras, iambes, et aultres membres qui leur donnoient advantage sur elles, et se servoient d'eulx à ce seule ment à quoy nous nous servons d'elles par deçà. I'eusse dict que le mouvement destracqué de la boiteuse apportast quelque nouveau plaisir à la besongne, et quelque poincte de doulceur à ceulx

Je ne garantis. C.

2 Et je n'ai pas honte, comme eux, d'avouer que j'ignore ce que je ne sais point. CIC. Tusc. quæst. I, 25. 3 Vous fournira les moyens de choisir. E. J.

4 Montaigne traduit ce passage grec après l'avoir cité. Erasme, dans ses Aduges, n'a pas oublié le proverbe, Clandus optime virum agit; mais il ne dit point d'où il l'a pris. On le trouve dans le Scholiaste de THEOCRITE, sur l'idylle 4, v. 62, et dans MICHEL APOSTOLIUS, Proverb. centur. 4, num. 43. C. C'est sans doute d'après cette opinion que les anciens ont fait du boiteux Vulcain l'époux de Vénus. E. J

I :

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qui l'essayent; mais ie viens d'apprendre que | soupple et erratique que nostre entendement; c'est mesme la philosophie ancienne en a decidé le soulier de Theramenes', bon à touts pieds: et il elle dict que les iambes et cuisses des boiteuses est double et divers; et les matieres, doubles et ne recevants, à cause de leur imperfection, l'a- diverses. « Donne moy une dragme d'argent, liment qui leur est deu, il en advient que les disoit un philosophe cynique à Antigonus. « Ce parties genitales, qui sont au dessus, sont plus n'est pas present de roy,» respondit il. « Donne plaines, plus nourries et vigoreuses; ou bien moy doneques un talent. Ce n'est pas present que ce default empeschant l'exercice, ceulx qui pour cynique. » en sont entachez dissipent moins leurs forces, et en viennent plus entiers aux ieux de Venus: qui est aussi la raison pourquoy les Grecs descrioient les tisserandes, d'estre plus chauldes que les aultres femmes, à cause du mestier sedentaire qu'elles font, sans grand exercice du corps. Dequoy ne pouvons nous raisonner à ce prix là? De celles icy ie pourrois aussi dire que ce tremoussement que leur ouvrage leur donne ainsin assises, les esveille et solicite, comme faict les dames le croulement et tremblement de leurs coches.

2

Ces exemples servent ils pas à ce que ie disois au commencement: Que nos raisons anticipent souvent l'effect, et ont l'estendue de leur iurisdiction si infinie, qu'elles iugent et s'exercent en l'inanité mesme, et au non estre? Oultre la flexibilité de nostre invention à forger des raisons à toutes sortes de songes, nostre imagination se treuve pareillement facile à recevoir des impressions de la faulseté, par bien frivoles apparences; car par la seule auctorité de l'usage ancien et publicque de ce mot, ie me suis aultrefois faict accroire avoir receu plus de plaisir d'une femme, de ce qu'elle n'estoit pas droicte, et mis cela au compte de ses graces.

Torquato Tasso, en la comparaison qu'il faict de la France à l'Italie3, dict avoir remarqué cela, que nous avons les iambes plus grailes que les gentilshommes italiens, et en attribue la cause à ce que nous sommes continuellement à cheval: qui est celle mesme de laquelle Suetone tire une toute contraire conclusion; car il dict, au rebours, que Germanicus avoit grossy les siennes par continuation de ce mesme exercice 4. Il n'est rien si

1 ARISTOTE, Problèmes, sect. 10, probl. 26.

2 L'ébranlement et l'agitation de leurs carrosses. E. J. 3 «< I nobili francesi, in universale, hanno le gambe assai sottili, rispetto al rimanente del corpo: mà di ciò per avventura la cagione non si deve riferire alla qualità del cielo, mà alla maniera d'ell' esercizio; perciocchè cavalcando quasi continuamente, esercitano poco le parti inferiori, si che la natura non vi trasmette molto di nodrimento, etc. » Paragone dell' Italia alla Francia, pag. 11. Nella parte prima delle Rime e Prose del sig. TORQ. TASSO, in Ferrara, an 1585. C. 4 SUÉTONE, Caligula, c. 3. C.

Seu plures calor ille vias et cæca relaxat Spiramenta, novas veniat qua succus in herbas: Seu durat magis, et venas adstringit hiantes; Ne tenues pluvia', rapidive potentia solis Acrior, aut Borea penetrabile frigus adurat 3. Ogni medaglia ha il suo riverso 4. Voylà pourquoy Clitomachus disoit anciennement, que Carneades avoit surmonté les labeurs d'Hercules, pour avoir arraché des hommes le consentement, c'est à dire l'opinion et la temerité de iuger 5. Cette fantasie de Carneades, si vigoreuse, nasquit, à mon advis, anciennement de l'impudence de ceulx qui font profession de sçavoir, et de leur oultrecuidance desmesuree. On meit Aesope en vente, avecques deux aultres esclaves: l'achepteur s'enquit du premier ce qu'il sçavoit faire; celuy là, pour se faire valoir, respondit monts et merveilles, qu'il sçavoit et cecy et cela; le deuxiesme en respondit de soy autant ou plus; quand ce feut à Aesope, et qu'on luy eut aussi demandé ce qu'il sçavoit faire : «< Rien, dit il, car ceulx cy ont tout preoccupé; ils sçavent tout 6. » Ainsin est il advenu en l'eschole de la philosophie : la fierté de ceulx qui attribuoient à l'esprit humain la capacité de toutes choses, causa en d'aultres, par despit et par emulation, cette opinion, qu'il n'est capable d'aulcune chose : les uns tiennent en l'ignorance cette mesme extremité que les aultres tiennent en la science; à fin qu'on ne puisse nier que l'homme ne soit immoderé par tout, et qu'il n'a point d'arrest, que celuy de la necessité et impuissance d'aller oultre.

1 Voyez ÉRASME, sur le proverbe Theramenis cothurnus, auquel Montaigne fait allusion. C.

2 SÉNÈQUE, de Benef. II, 17. C.

3 Souvent, dit Virgile, il est bon de mettre le feu dans un champ stérile, et de brûler les restes de la paille :

Soit qu'en la (la terre) dilatant par sa chaleur active,
Il ouvre des chemins à la séve captive;
Soit qu'enfin resserrant les pores trop ouverts
D'un sol que fatiguait l'inclémence des airs,
Aux froides eaux du ciel, au souffle de Borée,
Au soleil dévorant, il en ferme l'entrée.

VIRG. Georg. I, 89, trad. par Delille.

4 Toute médaille a son revers. Proverbe italien.
5 CICERON, Acad. II, 34. C.

6

PLANUDE, 'ie d'Esope. J. V. L.

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CHAPITRE XII.

De la physionomie.

braves exploicts de sa vie, et en sa mort, on le sent tousiours monté sur ses grands chevaulx : cettuy cy ralle à terre'; et d'un pas mol et ordinaire, traicte les plus utiles discours, et se conduict, et à la mort, et aux plus espineuses traverses qui se puissent presenter au train de la vie humaine.

Quasi toutes les opinions que nous avons sont prinses par auctorité et à credit : il n'y a point de mal; nous ne sçaurions pirement choisir que par nous, en un siecle si foible. Cette image des Il est bien advenu, que le plus digne homme discours de Socrates que ses amis nous ont lais-d'estre cogneu et d'estre presenté au monde pour nous ne l'approuvons que pour la reverence exemple, ce soit celuy duquel nous ayons plus de l'approbation publicque; ce n'est pas par nostre certaine cognoissance: il a esté esclairé par les cognoissance : ils ne sont pas selon nostre usage; plus clairvoyants hommes qui feurent oneques; s'il naissoit, à cette heure, quelque chose de pa- les tesmoings que nous avons de luy sont admireil, il est peu d'hommes qui le prisassent. Nous rables en fidelité et en suffisance. C'est grand n'appercevons les graces que poinctues, bouffies, cas, d'avoir peu donner tel ordre aux pures imaet enflees d'artifice : celles qui coulent soubs la ginations d'un enfant, que sans les alterer ou naïfveté et la simplicité, eschappent ayscement estirer 3, il en ayt produict les plus beaux effects à une veue grossiere comme est la nostre; elles de nostre ame: il ne la represente ny eslevee, ont une beaulté delicate et cachee; il fault la veue ny riche; il ne la represente que saine, mais nette et bien purgee, pour descouvrir cette secertes d'une bien alaigre et nette santé. Par ces crette lumiere. Est pas la naïfveté, selon nous, vulgaires ressorts et naturels, par ces fantasies germaine à la sottise, et qualité de reproche? So- ordinaires et communes, sans s'esmouvoir et sans crates faict mouvoir son ame d'un mouvement se picquer, il dressa non seulement les plus reiglees, naturel et commun; ainsi diet un païsan, ainsi dict mais les plus haultes et vigoreuses creances, acune femme il n'a jamais en la bouche que cotions et mœurs qui feurent oncques. C'est luy chers, menuisiers, savetiers et massons; ce sont qui ramena du ciel, où elle perdoit son temps, inductions et similitudes tirees des plus vulgaires la sagesse humaine, pour la rendre à l'homme, et cogneues actions des hommes; chascun l'en- où est sa plus iuste et plus laborieuse besongne 4. tend. Soubs une si vile forme, nous n'eussions ia- Veoyez le plaider devant ses iuges; veoyez par mais choisy la noblesse et splendeur de ses conquelles raisons il esveille son courage aux hazards ceptions admirables, nous qui estimons plates et de la guerre; quels arguments fortifient sa pabasses toutes celles que la doctrine ne releve, tience contre la calomnie, la tyrannie, la mort, qui n'appercevons la richesse qu'en monstre et et contre la teste de sa femme : il n'y a rien d'emen pompe. Nostre monde n'est formé qu'à l'osten- prunté de l'art et des sciences; les plus simples tation les hommes ne s'enflent que de vent; et y recognoissent leurs moyens et leur force; il n'est se manient à bonds, comme les balons. Cettuy possible d'aller plus arriere et plus bas. Il a faict cy ne se propose point de vaines fantasies: sa grand' faveur à l'humaine nature, de monstrer fin feut, Nous fournir de choses et de preceptes combien elle peult d'elle mesme. qui reellement et plus ioinctement servent à la vie :

Servare modum, finemque tenere, Naturamque sequi'.

Il feut aussi tousiours un et pareil', et se monta, non par boutades, mais par complexion, au dernier poinct de vigueur ou pour mieulx dire, il ne monta rien, mais ravalla plustost et ramena à son poinct originel et naturel ; et luy soubmeit la vigueur, les aspretez et les difficultez. Car, en Caton, on veoid bien à clair que c'est une allure tendue bien loing au dessus des communes; aux

Régler ses actions, garder la loi du devoir, suivre la nature. LUCAIN parlant de Caton, II, 381.

a Cic. de Offic. I, 26.

Nous sommes, chascun, plus riches que nous ne pensons: mais on nous dresse à l'emprunt et à la queste; on nous duict à nous servir plus de l'aultruy que du nostre. En aulcune chose l'homme ne sçait s'arrester au poinct de son besoing: de volupté, de richesse, de puissance, il en embrasse plus qu'il n'en peult estreindre; son avidité est incapable de moderation. Ie treuve qu'en curiosité de sçavoir, il en est de mesme : il se taille de la

1 Selon COTGRAVE, raller à terre, c'est courir vite, et raser la terre, comme font certains oiseaux. C.

a L'édition de 1588 ajoute, fol. 460, « soit pour iuger, soit pour rapporter. »>

3 Ou les étendre, les agrandir. E. J.

4 CIC. Academ. 1, 4, fait développer par Varron ce caractère moral de la philosophie de Socrate. J. V. L.

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