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VI.

Il ne faut pas se méconnaître : nous sommes corps autant qu'esprit, et de là vient que l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées! Les preuves ne convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes; elle incline les sens, qui entraînent l'esprit sans qu'il y pense. Qui a démontré qu'il sera demain jour, et que nous mourrons? et qu'y a-t-il de plus universellement cru? C'est donc la coutume qui nous en persuade; c'est elle qui fait tant de Turcs et de païens; c'est elle qui fait les métiers, les soldats, etc. Il est vrai qu'il ne faut pas commencer par elle pour trouver la vérité; mais il faut avoir recours à elle quand une fois l'esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et de nous teindre de cette croyance qui nous échappe à toute heure; car d'en avoir toujours les preuves présentes, c'est trop d'affaire. Il faut acquérir une croyance plus facile, qui est celle de l'habitude, qui, saus violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Ce n'est pas assez de ne croire que par la force de la conviction, si les sens nous portent à croire le contraire. Il faut donc faire marcher nos deux pièces ensemble: l'esprit, par les raisons qu'il suffit d'avar vues une fois en sa vie; et les sens, par la coutume, et en ne leur permettaut pas de s'incliner au contraire.

ARTICLE IV.

Marques de la véritable religion.

I.

La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer Dieu. Cela est bien juste. Et cependant aucune autre que la nôtre ne l'a ordonné; elle doit encore avoir connu la concupiscence de l'homme, et l'impuissance où il est par lui-même d'acquérir la vertu. Elle doit y avoir apporté les remèdes, dont la prière est le principal. Notre religion a fait tout cela; et nulle autre n'a jamais demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre.

II.

Il faut, pour faire qu'une religion soit vraie, qu'elle ait connu notre nature; car la vraie nature de l'homme, son vrai bien, la vraie vertu et la vraie religion, sont choses dont la connaissance est inséparable. Elle doit avoir connu la grandeur et la bassesse de l'homme, et la raison de l'une et de l'autre. Quelle autre religion que la chrétienne a connu toutes ces choses?

III.

Les autres reiigions, comme les païennes, sont plus populaires; car elles consistent toutes en extérieur mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur. Elle élève le peuple à l'intérieur, et abaisse les superbes à l'extérieur; et n'est pas parfaite sans les deux car il faut que le peuple entende l'esprit de la let

tre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre, en pratiquant ce qu'il y a d'extérieur.

IV.

Nous sommes haïssables; la raison nous en couvainc. Or, nulle autre religion que la chrétienne ne propose de se hair. Nulle autre religion ne peut donc être reçue de ceux qui savent qu'ils ne sont dignes que de haine. Nulle autre religion que la chrétienne n'a connu que l'homme est la plus excellente créature, et en même temps la plus misérable. Les uns, qui ont bien connu la réalité de sou excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d'eux-mêmes; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, cat traité d'une superbe ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l'homme. Nulle religion que la nôtre n'a enseigné que l'homme nait en péché; nulle secte de philosophes ne l'a dit nulle n'a donc dit vrai.

V.

Dieu étant caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n'est pas véritable; et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Cette religion, qui consiste à croire que l'homme est tombé d'un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d'éloignement de Dieu, mais qu'enfin il serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses. Car Dieu voulant se former un peuple saint, qu'il séparerait de toutes les autres nations, qu'il délivrerait de ses ennemis, qu'il mettrait dans un lieu de repos, a pro

mis de le faire, et de venir au monde pour cela ; et il a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venuc. Et cependant, pour affermir l'espérance de ses élus dans tous les temps, il leur en a toujours fait voir des images et des figures; et il ne les a jamais laissés sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut. Car, dans la création de l'homme, Adam était le témoin et le dépositaire de la promesse du Sauveur, qui devait naître de la femme. Et quoique les hommes, étant encore si proche de la creation, ne pussent avoir oublié leur création et leur chute, et la promesse que Dieu leur avait faite d'un Rédempteur, néanmoins, comme dans ce premier âge du monde ils se laissèrent emporter à toutes sortes de désordres, il y avait cependant des saints, comme Enoch, Lamech et d'autres, qui attendaient en patience le CHRIST promis dès le commencement du monde. Ensuite Dieu a envoyé Noé, qui a vu la malice des hommes au plus haut degré; et il l'a sauvé en noyant toute la terre, par un miracle qui marquait assez et le pouvoir qu'il avait de sauver le monde, et la volonté qu'il avait de le faire, et de faire naître de la femme celui qu'il avait promis. Ce miracle suffisait pour affermir l'espérance des hommes et la mémoire en étant encore assez fraîche parmi eux, Dieu fit des promesses à Abraham, qui était tout environné d'idolâtres, et il lui fit connaître le mystère du Messie qu'il devait envoyer. Au temps d'Isaac et de Jacob, l'abomination s'était répandue sur toute la terre: mais ces saints vivaient en la foi; et Jacob, mourant et bénissant ses enfants, s'écrie, par un transport qui lui fait interrompre son discours: J'attends, ô mon Dieu, le Sauveur que vous avez promis: Salutare tuum exspectabo, Domine. ( Genes. 49, 18.)

Les Égyptiens étaient infectés, et d'idolatrie, et de ma gie; le peuple de Dieu même était entraîné par leurs cxemples. Mais cependant Moïse et d'autres voyaient celui qu'ils ne voyaient pas, et l'adoraient en regardant les biens éternels qu'il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses divinités; les poëtes ont fait diverses théologies; les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes : et cependant il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie, qui n'était connu que d'eux.

Il est venu enfin en la consommation des temps et depuis, quoiqu'on ait vu naître tant de schismes et d'hérésies, tant renverser d'Etats, tant de changements en toutes choses, cette Église, qui adore celui qui a toujours été adoré, a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c'est que cette religion, qui a toujours duré, a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d'une destruction universelle; et toutes les fois qu'elle a été en cet état, Dieu l'a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. C'est ce qui est étonnant, et qu'elle s'est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans.

VI.

Les États périraient, si on ne faisait plier souvent le lois a la nécessité. Mais jamais la religion n'a souffert cela, et n'en a usé. Aussi il faut ces accommodements, ou des miracles. Il n'est pas étrange qu'on se conserve en pliant, et ce n'est pas proprement se maintenir; et encore périssent-ils enfin entièrement : il n'y en a point qui ait duré quinze cents ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.

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