elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux. LXXX. Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, disent: Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un chez moi à la bouche. Ils feraient mieux de dire: Notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc., vu que d'ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du ieur. LXXXI. La piété chrétienne anéantit le moi humain, et la civilité humaine le cache et le supprime. LXXXII. Si j'avais le cœur aussi pauvre que l'esprit, je serais bienheureux; car je suis merveilleusement persuadé que la pauvreté est un grand moyen pour faire son salut. LXXXIII. J'ai remarqué une chose, que, quelque pauvre qu'on coit, on laisse toujours quelque chose en mourant. LXXXIV. J'aime la pauvreté, parce que Jésus-CHRIST l'a aimée. J'aime les biens, parce qu'ils donnent moyen d'en assister les misérables. Je garde la fidélité à tout le monde. Je ne rends pas le mal à ceux qui m'en font; mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, où l'on ne reçoit pas le mal ni le bien de la plupart des hommes. J'es saye d'être toujours véritable, sincère et fidèle à tous les hommes. J'ai une tendresse de cœur pour ceux que Dieu m'a unis plus étroitement. Soit que je sois seul, ou à la vue des hommes, j'ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui doit les juger, et à qui je les ai toutes consacrées. Voilà quels sont mes sentiments; et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et qui, d'un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d'orgueil et d'ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de la grâce à laquelle tout en est dû, n'ayant de moi que la misère et l'horreur. LXXXV. La maladie est l'état naturel des chrétiens, parce qu'on est par là, comme on devrait toujours être, dans la souffrance des maux, dans la privation de tous les biens et de tous les plaisirs des sens, exempt de toutes les passions qui travaillent pendant tout le cours de la vie, sans ambition, sans avarice, dans l'attente continuelle de la mort. N'est-ce pas ainsi que les chrétiens devraient passer la vie? Et n'est-ce pas un grand bonheur quand on se trouve par nécessité dans l'état où l'on est obligé d'être, et qu'on n'a autre chose à faire qu'à se soumettre humblement et paisiblement? C'est pourquoi je ne demande autre chose que de prier Dieu qu'il me fasse cette grâce. LXXXVI. C'est une chosc étrange que les hommes aient voulu comprendre les principes des choses, et arriver jusqu'à connaître tout! Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinic comme la nature. LXXXVII. La nature a des perfections pour montrer qu'elle cst l'image de Dieu; et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image. LXXXVIII. Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, que de ne pas être fou. LXXXIX. Otez la probabilité, on ne peut plus plaire au monde : mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire. XC. L'ardeur des saints à rechercher et pratiquer le bien était inutile, si la probabilité est sûre. XCI. Pour faire d'un homme un saint, il faut que ce soit la grâce; et qui en doute ne sait ce que c'est qu'un saint et qu'un homme. XCII. On aime la sûreté. On aime que le pape soit infaillible en la foi, et que les docteurs graves le soient dans leurs mœurs, afin d'avoir son assurance. XCIII. Il ne faut pas juger de cc qu'est le pape par quelques paroles des Pères, comme disaient les grecs dans un concile (règle importante!), mais par les actions de l'Église et des Pères, et par les canons. XCIV. Le pape est le premier. Quel autre est connu de tous? Quel autre est reconnu de tous ayant pouvoir d'influer par tout le corps, parce qu'il ticrt ia maîtresse branche, qui influe partout? XCV. Il y a hérésie à expliquer toujours omnes de tous, et hérésie à ne pas l'expliquer quelquefois de tous. Bibite ex hoc omnes: les huguenots, hérétiques, en l'expliquant de tous. In quo omnes peccaverunt: les huguenots, hérétiques, en exceptant les enfants des fidèles. Il faut donc suivre les Pères et la tradition pour savoir quand, puisqu'il y a hérésie à craindre de part et d'autre. XCVI. Le moindre mouvement importe à toute la nature; la mer entière change pour une pierre. Ainsi, dans la grâce, la moindre action importe pour ses suites à tout. Donc tout est important. XCVII. Tous les hommes se haissent naturellement. On s'est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n'est que feinte, et une fausse image de la charité; réellement ce n'est que haine. Ce vilain fonds de l'homme, figmentum malum, n'est que couvert; il n'est pas ôté. XCVIII. Si l'on veut dire que l'homme est trop peu pour méritar la communication avec Dieu, il faut être bien grand pour en juger. XCIX. Il est indigne de Dieu de se joindre à l'homme misérable; mais il n'est pas indigne de Dieu de le tirer de sa misère. C Qui l'a jamais compris! Que d'absurdités !... Des pécheurs purifiés sans pénitence, des justes sanctifiés sans la grâce de JÉSUS-CHRIST, Dieu sans pouvoir sur la volonté des hommes, une prédestination sans mystère, un Rédempteur sans certitude. CL. Unité, multitude. En considérant l'Église comme unité, le pape cn est le chef comme tout. En la considérant comme multitude, le pape n'en est qu'une partie. La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion; l'unité qui n'est pas multitude est tyrannie. CII. Dicu ne fait point de miracles dans la conduite ordinaire de son Église. C'en serait un étrange, si l'infaillibilité était dans un; mais d'être dans la multitude, cela paraît si naturel, que la conduite de Dicu est cachée sous la nature, comme en tous ses ouvrages. CIII. De ce que la religion chrétienne n'est pas unique, ce n'est pas une raison de croire qu'elle n'est pas la véritable. Au contraire, c'est ce qui fait voir qu'elle l'est. CIV. Dans un État établi en république, comme Venise, ce serait un très-grand mal de contribuer à y mettre un roi, et à opprimer la liberté des peuples à qui Dieu l'a donnée. Mais, dans un État où la puissance royale est établic, on ne pourrait violer le respect qu'on lui doit sans une espèce de sacrilege; parce que la puissance que Dieu y a atta |