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DES RAPPORTS ÉQUIVOQUES.

On corrige à tout moment dans ce qu'on écrit des équivoques qui s'y glissent, de peur qu'elles ne portent de faux sens dans l'esprit des autres; on prévient les doutes qui peuvent s'exciter dans leur esprit sur ce qu'on leur propose, et les fausses conséquences qu'on en pourrait tirer; et avec tout cela on n'évite pas que ce qu'on écrit ne soit mal pris et mal entendu, et qu'on ne soit obligé à de longs éclaircissements.

Que doit-il donc arriver dans ces entretiens passagers où l'on n'apporte ni soins, ni application, ni précaution; où l'on n'exprime la plupart des choses qu'imparfaitement, et s'en remettant souvent à l'intelligence de ceux à qui l'on parle?

Le sens de nos expressions n'est pas tout renfermé dans les termes dont on se sert pour s'exprimer; il dépend quelquefois des discours qui ont précédé. Un ton, une inflexion, un geste, un air de visage, en change la signification, et souvent mème il dépend des pensées de ceux à qui l'on parle de sorte que, si faute d'attention ils ne prennent pas garde à cette suite, à ce ton, à cet air, ils se trompent presque toujours dans l'intelligence de ce qu'on leur dit, et conçoivent un tout autre sens que celui qu'on voulait leur donner.

DU SCANDALE.

Le monde a donné au mot SCANDALE une signification fort resserrée; car il n'entend d'ordinaire par ce terme que les actions qu'il appelle scandaleuses, c'est-à-dire celles qui frappent l'esprit par leur énormité, et y causent de l'hor

renr.

Scandale, religieusement parlant, signifie ce qui cause

NICOLE. PENSÉES.

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une chute, un péché, ou ce qui est capable d'en causer : ainsi scandaliser, c'est donner occasion de chute à quelqu'un.

Il y a souvent plus de scandale dans certaines actions qui ne frappent point l'esprit d'un sentiment d'horreur et qui se glissent doucement dans l'âme, parce qu'elles sont au contraire communément approuvées ou tolérées.

DU DUEL.

L'opinion que la chimère de L'HONNEUR est un si grand bien qu'il le faut conserver mème aux dépens de la vie, est ce qui a produit si longtemps la rage brutale des gentilshommes de France.

Si l'on ne parlait jamais de ceux qui se battent en duel que comme des gens insensés et ridicules; si l'on ne représentait jamais ce fantôme D'HONNEUR, qui est leur idole, que comme une chimère ou une folie; si l'on avait soin de ne former jamais d'image de la vengeance que comme d'une action basse et pleine de lâcheté; les mouvements que sentirait une personne offensée seraient moins vifs : mais ce qui les augmente, c'est la fausse impression qu'il y a de la lâcheté à souffrir une injure.

DU PASSÉ ET DE L'AVENIR.

Le passé est un abîme sans fond qui engloutit toutes les choses passagères; l'avenir est un autre abîme impé nétrable. L'un de ces abîmes s'écoule continuellement dans l'autre, l'avenir se décharge dans le passé, en coulant par le présent.

L'homme est placé entre ces deux abîmes.

DE L'OBLIGATION AU SEcret.

Le droit de dépôt a toujours été sacré entre les hom

mes, et l'on a toujours cru avec raison qu'on ne pouvait le violer sans un excès de lâcheté ou de perfidie: il n'est pas nécessaire pour cela que celui qui confie un dépôt à un autre tire des assurances expresses de sa fidélité; il s'y engage suffisamment en le recevant. Or, que fait-on dans un entretien particulier, sinon de rendre celui à qui on parle dépositaire des pensées secrètes qu'on lui confie?

Soit donc que l'on exige expressément le secret, ou non, c'est toujours un dépôt dont on ne doit pas croire pouvoir disposer que selon les intentions de celui qui l'a confié.

SUR LA RECONNAISSANCE.

Sénèque a dit: Vous ne devez pas prétendre qu'on vous ait obligation des services que vous rendez aux autres; car ce n'est pas par le désir de les servir que vous faites ces choses, c'est parce que vous ne pouvez demeurer avec vous-même.

C'est un prétexte par lequel on pourrait presque toujours justifier l'ingratitude. Il semble que nous ne soyons obligés qu'à ceux qui ont eu un dessein formé de nous être utiles, et non pas à ceux qui, cherchant leur intérêt ou leur plaisir, nous ont rencontrés sur leur chemin comme par hasard mais, par cette règle, adieu la reconnaissance. Ainsi, pour la conserver, il faut s'arrêter au bienfait, saus remonter à sa source.

Il ne faut pas subtiliser en matière de reconnaissance : elle s'évapore en subtilisant.

DE LA MORALE.

La morale est la science des hommes, et particulièrement des princes, puisqu'ils ne sont pas seulement hommes, mais qu'ils doivent aussi commander aux hommes: ce qu'ils ne sauraient faire s'ils ne se connaissent eux-mê

mes et les autres dans leurs passions et leurs défauts, et s'ils ne sont instruits de tous leurs droits.

DE LA DIVERsité des OPINIONS.

Les gens du monde méprisent intérieurement les philosophes et les enfants, les uns comme se repaissant de spé culations vides et creuses, les autres comme s'attachant à un vain plaisir.

Les philosophes méprisent et les gens du monde, comme n'étant pas touchés des beautés de la nature et de l'esprit, et les enfants, comme étant trop touchés des objets des sens.

Les enfants ne méprisent personne : ils jouissent sans réflexion de la beauté de l'objet qui les attire. Je pense que, bien que toutes ces trois dispositions soient défectueuses, celle des enfants l'est moins que les autres.

Si tout le monde avait des palais, personne ne se trouverait heureux d'en avoir. Qui est-ce qui compte entre les avantages de sa condition de voir le soleil, les étoiles, les nuées, les campagnes, les montagnes ? Toutes les beautés de la nature ne nous sont rien, parce qu'elles sont communes à tous; et l'envie que les hommes ont de se dislinguer les a portés à attacher leur plaisir à des parterres, à des lambris, à des vases, à quelques ornements, qui sont moins beaux que les objets communs exposés à tous les regards

Le plaisir des hommes est donc un plaisir de vanité.

Ces plaisirs de l'orgueil sont proprement ceux dont les hommes sont insatiables; ils se dégoûtent de tous les autres; mais ils ne se lassent jamais de ceux-là, parce qu'il y a des bornes dans les plaisirs des sens, et qu'il n'y en a point dans ceux de l'orgueil.

Les objets extérieurs ne sont colorés que quand les rayons qui nous les font voir passent par le prisme, et qu'ils se brisent en passant; ce qui s'appelle réfraction: c'est le milieu par où ils passent qui leur donne cet éclat. Rien, de même, ne paraît vif et agréable à notre esprit que ce qui passe par notre cœur.

Le cœur est ce milieu qui altère la couleur naturelle des objets, et qui nous les fait paraître autres qu'ils ne sont en effet; et cela est vrai à l'égard de toutes choses: car, comme un prisme colore toutes sortes d'objets, de mêine les plus indignes objets passant par notre cœur y peuvent recevoir un éclat et une couleur trompeuse qui peut nous les rendre agréables.

Quand on voit les objets renversés par un prisme, on ne les voit plus colorés.

Quand on regarde le monde par la vue de la foi, il nous paraît sans éclat, et sans l'agrément qui n'était pas dans les choses mêmes, mais qu'elles empruntaient de la corruption de notre cœur.

HONNEUR.

Ce qu'on appelle HONNEUR en général n'a presque point d'objet certain les hommes le placent où ils veulent, selon leur fantaisie, et il y a peu de choses honorables qui ne puissent devenir honteuses par un autre tour d'imagination; de sorte que quoiqu'il ne dépende pas de l'opinion de nous faire aimer l'honneur, et que cette inclination soit naturelle, il dépend néanmoins de l'opinion de l'attacher à une chose plutôt qu'à une autre.

DE L'ORIGINE DES CÉRÉMONIES ET DES ÉGARDS DUS AUX

GRANDS.

Si les hommes étaient parfaitement raisonnables, il eût

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