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Mais l'amour des autres envers nous n'est pas seulement l'objet de notre vanité et la nourriture de notre amourpropre, c'est aussi le lit de notre faiblesse. Notre âme est si languissante et si faible, qu'elle ne saurait se soutenir, si elle n'est comme portée par l'approbation et l'amour des hommes.

SUR LES AMITIÉS EN GÉNéral.

Il se glisse tant de recherches secrètes dans les amitiés, que je n'oserais presque dire que j'estime quelqu'un, dans la crainte que tout ce que je sens pour lui ne se réduise à m'aimer moi-même, n'y ayant rien de plus ordinaire que de n'aimer dans les autres que les sentiments favorables qu'ils ont pour nous. Il y a peu d'amitiés qui n'aient quelque chose de la cabale.

DES JUGEMENTS HASARDÉS.

La plupart des hommes reçoivent facilement des impressions, sans chercher à les éclaircir. Comme il est plus commode de les supposer vraies que d'examiner si en effet elles le sont, l'amour-propre fait prendre ordinairement ce parti; et il n'y a pour cela qu'à laisser agir les deux grands ressorts de la conduite des hommes, la paresse et la vanité.

La paresse nous éloigne du soin de nous informer exactement des choses; la vanité, nous attachant à nos opinions, nous fait appréhender d'être obligés de nous en dédire.

C'est par là que les impressions les plus fausses ne s'effacent point.

L'amour-propre ne laisse pas de trouver son compte en cet état si on ne condamne pas les gens, on se croit aussi dispensé par-là de les justifier, de les défendre, de les ap

prouver; on affaiblit par ce doute les louanges qu'on leur donne; on obscurcit l'éclat de leurs vertus, et on les tient à son égard dans un état de rabaissement, en les considérant comme des personnes suspectes.

DES SOUPÇONS.

Il y a des gens qui n'osent s'éclaircir de leurs soupçons, de crainte de choquer ceux sur le compte desquels ils les ont conçus, en s'ouvrant à eux.

Mais il y a bien de l'apparence que l'amour-propre a plus de part dans cette réserve que la charité.

La charité n'est pas si timide, parce qu'elle ne suppose pas si facilement que ceux à qui l'on expose ses soupçons puissent s'en blesser : elle croirait leur faire injure de leur attribuer une délicatesse aussi injuste que cellelà; elle sait même entrer dans ces éclaircissements d'une manière si simple et si humble, qu'il est presque impossible de s'en blesser.

DE L'EXPÉRIENCE.

Le grand écueil de tous les hommes et surtout des jeunes gens, est de vouloir éprouver si ce qu'on leur présente comme dangereux l'est réellement. Ils croient qu'ils jugeront mieux de tout par leur propre essai que par les lumières d'autrui ou la simple défense de la foi.

SUR LA CHARITÉ.

La charité de ce monde n'est-elle pas souvent tellement couverte de cendres, que si elle se conserve au dedans elle ne jette au dehors aucune chaleur? A combien de personnes est-elle souvent épineuse? et combien est-il souvent à craindre que ces épines ne nous blessent et ne nous fassent des plaies dangereuses?

Il n'y a donc pas quelquefois moins d'avantage à être séparé de ses amis que d'être en liaison avec eux, parce qu'il est difficile que ce commerce ne produise des diversités de sentiments, et qu'il n'y a presque personne entre les gens de bien qui sache se modérer quand il n'a pas les mêmes lumières que les autres.

DE L'EMPLOI DU TEMPS.

Il ne faut pas s'imaginer qu'il faille tant de choses pour remplir et notre temps et notre esprit : il se nourrit, il se divertit même de tout, quand il y est obligé; il n'y a que l'espérance de jouir de quelque chose de plus agréable qui le dégoûte de ce qu'il trouve en sa puissance.

L'ennui est une maladie inconnue à nos petites villes, parce que chacun y est pressé et entassé dans sa condition, et n'a pas moyen d'être mieux. Souvent on s'ennuie aussi, parce que l'on ne sait ce que l'on a à faire.

SUR LES LANGUES.

En général on ne distingue pas assez les langues vivantes d'avec les langues mortes dans celles-ci l'usage ne change plus; ainsi le mot qui n'est pas bon selon l'ancien usage ne peut le devenir; mais dans les autres, quelque fixées qu'elles semblent être, il est impossible qu'il n'arrive toujours quelque changement dans l'usage.

Il est donc avantageux, pour enrichir les langues vivantes, que des personnes judicieuses soient un peu hardies à se servir de nouveaux mots et de nouvelles phrases. Il y a bonheur et malheur; les uns passent et les autres ne passent pas. Il est certain que ces sortes de hardiesses conviennent surtout et méritent plus particulièrement d'être favorisées dans de grands ouvrages, dans

les histoires, où l'on a besoin d'une grande variété de mots et de phrases, pour éviter avec leur aide une trop grande ressemblance de manières de s'exprimer, qui est au style ce que la monotonie est à la prononciation.

SUR LE LANGAGE, ET SUR QUELQUES EXPRESSIONS OUTRÉES.

Quoique le langage des honimes dépende d'une institution publique, parce que c'est le commun des hommes qui donne le sens aux mots, et qu'on est obligé de s'y conformer en parlant pour le public; néanmoins l'obligation de cette loi n'est pas si étroite que l'on ne s'en puisse souvent dispenser avec de certaines précautions. Les entretiens particuliers sont des sociétés particulières qui ont leurs lois et leurs conventions à part: ainsi, sans avoir égard au sens public ou vulgaire de certains mots, on peut y donner des sens particuliers, pourvu que l'on en avertisse suffisamment. Quoique la signification publique d'un terme soit fort odieuse, on s'en peut néanmoins servir quelquefois en un sens qui n'enferme qu'une idée innocente; et c'est même une espèce d'agrément dans le discours.

Par exemple, le mot LIBERTINAGE a un sens grammatical et un sens public; selon le sens public, il signifie une disposition impie envers Dieu et envers la religion: un libertin est un homme qui a de mauvais sentiments sur la foi, qui a secoué le joug, qui s'est mis au-dessus des sentiments que le commun du monde a du bien et du mal.

Mais ce même mot, dans le sens grammatical, ne signifie qu'un simple excès de liberté en quoi que ce soit; et ce sens n'est pas fort cxtraordinaire: car un homme,

par exemple, qui serait ennemi des contraintes, dira sans se déshonorer qu'il est trop libertin pour s'assujettir à tant de choses; et il ne faut que le concours de quelques circonstances pour déterminer ce mot à ce sens.

DES ABUS DE LA PRÉVENTION.

Il faut se défier des maximes générales, parce qu'il y a peu de vérités générales : elles ont toutes leurs exceptions et leurs bornes, et l'on en peut faire des applications trèsfausses, parce que l'esprit, étant occupé de la vérité apparente de la maxime, examine souvent avec peu de soin les sujets où il l'applique.

Les maximes de la jurisprudence ne dispensent jamais de celles de la raison : ainsi ce qu'elle condamne comme injuste et déraisonnable ne peut être justifié par aucun principe ni aucune maxime d'une autre science.

Il n'y a point de principe de raison plus évident que celui-là, Qu'il faut se rendre aux choses claires.

Il y a un devoir de conviction, de persuasion, parce que nous la devons à l'évidence; un devoir de doute, parce qu'il est contre la raison de ne pas douter des choses douteuses; et un devoir d'opinion, c'est-à-dire qu'il y a obligation de juger qu'une chose dont on nous apporte des preuves plus vraisemblables est en effet plus vraisem blable.

DE LA DÉLICATESSE ET DE LA FAIBLESSE DE L'ESPRIT.

On peut avoir l'esprit très-juste, très raisonnable, tres-agréable, et très-faible en même temps.

L'extrême délicatesse de l'esprit est une espèce de faiblesse; on sent vivement les choses, et on succombe à ce sentiment si vif.

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