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aussi aigres, mais c'est pour l'ordinaire que l'on craint les peines dont les lois menacent ceux qui ont recours à des moyens violeuts.

DES ROIS.

Être roi proprement, c'est avoir des sujets et n'avoir point d'amis. Être roi, c'est avoir des personnes qui suivent nos sentiments, et n'en avoir point qui nous disent les leurs avec liberté.

On parvient à cette royauté en deux manières, ou en obligeant ses amis d'agir et de parler en sujets, et en supprimant leurs sentiments; ou en ne choisissant pour amis que des sujets, c'est-à-dire que des personnes qu'une longue soumission ait accoutumées à n'avoir pas d'autres sentiments que les nôtres.

DE LA FLATTERIE.

On altère la vérité par le mensonge des flatteries; on la cache par le silence.

Mais il ne tient le plus souvent qu'à nous de la distinguer dans l'un et dans l'autre. Car il y a toujours quelque chose de vrai dans la flatterie même, et le silence a aussi son langage. Saint Jérôme a dit quelque part, à cette occasion: silentium loquens, UN SILENCE PARLANT.

Pour comprendre ce qu'il peut y avoir de vrai dans la flatterie, il n'y a qu'à distinguer le sens précis des expressions d'avec les pensées qu'elles nous donnent lieu de lire dans l'esprit de ceux qui s'en servent. Il n'y a point de vé rité dans le sens précis des expressions des flatteurs, puis. que nous prenons ici le terme de flatterie pour une fausse louange. Ainsi ceux à qui on donne des louanges n'en doivent pas conclure ni qu'ils aient effectivement ces qualités qu'or. leur attribue, ni qu'il y ait des gens qui le croient; mais

seulement que ces qualités sont louables en elles-mêmes, et qu'il serait à souhaiter qu'ils les eussent: c'est-à-dire qu'ils peuvent apprendre par là, non ce qu'ils sont, mais ce qu'ils devraient être.

C'est la réflexion que fait un Père de l'Eglise sur la louange que Cicéron donne à César, de N'OUBLIER rien que les injures NIHIL OBLIVISCI NISI INJURIAS. « Dicebat hoc, dit-il, tam magnus laudator aut tam magnus adulator; sed si laudator talem Cæsarem noverat; si autem adulator, talem esse debere ostendebat principem civitatis, qualem illum fallaciter prædicabal'.

Non-seulement le flatteur ne croit pas ce qu'il dit, mais. il suppose de plus que celui qu'il flatte est assez dupe pour se laisser tromper par des flatteries, et pour les prendre pour des louanges sincères. Enfin, comme c'est par intérêt et non par inclination qu'on se porte à la flatterie, et que l'on s'en sert seulement comme d'un moyen pour obtenir des grands ce qu'on prétend d'eux, il faut que les flatteurs jugent encore que ceux à qui ils donnent ces fausses louanges sont assez amoureux d'eux-mêmes pour se laisser gagner par cette tromperie; de sorte que si tout ce qui est dans l'esprit d'un flatteur était développé et exprimé, on pourrait le réduire à cet étrange compliment:

« Ne vous imaginez pas, monsieur, que je croie rien de «ces louanges que ma bouche vient de prononcer; j'ai

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• pour vous tout le mépris que vous méritez: mais comme

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je sais que vous êtes assez vain pour croire qu'on ait dans le cœur les sentiments d'estime que je vous témoi

Ce que Cicéron disait à César, observe saint Augustin, «<elait une grande louange ou une grande flatterie : si c'était une louange, il fallait qu'il crùt que César était tel en effet; et si c'était une flatterie, il « montrait par la que celui qui commande à un Etat doit avoir les quaa lités qu'il attribuait faussement à César.» (S. AUGUSTIN, Ep. 138, n. 16.)

NICOLE. PENSÉES.

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gne, et que votre extrême amour-propre pourra vous ⚫ disposer par là à m'accorder les grâces que j'ambitionne, j'ai cru, pour les obtenir, devoir employer un moyen qui « devrait au contraire m'en priver. »

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Voilà ce que les grands pourraient voir dans l'esprit de la plupart des gens qui les louent, s'ils savaient joindre aux expressions de ces flatteurs ce qu'ils pourraient connaître de leurs pensées. Mais comme cela les incommoderait, ils aiment mieux n'ètre pas si pénétrants, et s'arrêter à l'écorce des paroles.

Le langage du silence consiste dans les pensées. Le silence même fait voir l'esprit de ceux qui se taisent par certaines considérations. Par exemple, quand on évite de parler d'un certain défaut devant les grands, cela prouve qu'on les y croit sujets, et qu'on a peur qu'ils ne prennent pour eux ce qu'on en dirait.

DU POSSIBLE ET DE L'IMPOSSIBLE.

Il semble que l'ignorance où les hommes sont de la puissance de la nature leur ôte tout droit de définir ce qui est possible ou impossible, puisque pour le faire il faut savoir toute l'étendue des causes, et tous les ressorts qui composent les machines des corps.

Combien y a-t-il de choses qui nous eussent paru impossibles, si l'expérience ne nous avait fait voir qu'elles ne le sont pas ?

Qui eût dit qu'avec un peu de poudre on ferait sauter des montagnes? qu'en frottant une aiguille à une pierre, elle acquerrait la propriété de se tourner toujours vers le pôle? Que de raisons on aurait trouvées pour montrer que ecla était impossible!

Qui n'aurait jamais vu l'opération que les chimistes ap

pellent précipitation, ne regarderait-il pas comme impossible la promesse que ferait un chimiste de séparer en un instant toutes les parties du corail, des perles, ou de l'or, répandues dans une quantité d'eau, et liées avec toutes les parties de cette cau? De quel agent, dirait-il, pourrait-on se servir? Mais, nonobstant toutes ces belles raisons, une goutte d'une certaine matière en fera l'effet.

Qui sait même s'il n'y a point dans la nature quelque liqueur capable de faire précipiter toutes les humeurs étrangères qui changent le corps? La nature peut bien former un foie, une rate, un poumon dans le ventre des mères, de je ne sais quelle matière: pourquoi ne pourra-t-elle pas, avec une autre matière, réformer ce qu'il y a de gâté dans ce foie, dans cette rate, dans ce poumon?

Il n'y a point, dit-on, d'agent dans la nature capable d'opérer cet effet; mais dans toutes les causes uniques on croyait de même qu'il n'y en eût point avant qu'on les eut trouvées.

DU BONHEUR EN GÉNÉRAL.

Le bonheur ne nous est guère sensible en cette vie que par la délivrance du mal. Nous n'avons pas de biens réels et positifs.

Heureux celui qui voit le jour! dit un aveugle; mais un homme qui voit clair ne le dit plus.

Heureux celui qui est sain! dit un malade; quand il est sain, il ne sent plus le bonheur de la santé.

DU RAPPROCHEMENT DES OBJETS.

Il n'y a que la charité qui nous puisse faire entendre l'Écriture, parce qu'il n'y a qu'elle qui puisse nous donner les mouvements exprimés par l'Écriture, sans lesquels on n'y voit rien que de confus, d'obscur, et de mort.

C'est l'amour qui anime nos pensées et qui les approche de nous. Un palais vu de loin est comme une masse confuse; mais en s'en approchant on distingue les objets, on aperçoit des colonnes, des ordres d'architecture.

Quand nous voyons les choses sans amour, on ne les voit que de loin.

DE L'OPINION DU VULGAIRE SUR LES PLAISIRS.

La vanité est un assaisonnement général qui rend agréables la plupart des choses; et qui aurait ôté cette vue des jugements des hommes, dont elle nourrit leur amour-propre, on trouverait qu'elles seraient sans goût, ou du moins incapables d'être recherchées avec tant d'ardeur.

C'est pourquoi il est utile, pour reconnaître ce qu'il y a de réel dans la jouissance des biens, d'en séparer ce que la vanité y mêle, c'est-à-dire d'en retrancher autant que l'on peut ce plaisir trompeur et imaginaire qui naît de la vue de ces jugements; et le meilleur moyen d'y parvenir est de considérer quelle serait la disposition des hommes à l'égard de ces objets, s'ils étaient seuls au monde.

Croit-on, par exemple, qu'un homme qui serait seul prît la peine de courir tout un jour après un cerf ou un lièvre avec peine et mille fatigues, en pouvant aisément le tuer d'un coup de fusil? je ne le pense pas. Donc la chasse n'est pas un plaisir qui naisse de l'action même. Ce n'est pas ce cerf ou ce lièvre qui nous divertit, mais une infinité d'idées et de fantaisies que nous y joignons.

Personne ne voudrait chasser à condition de ne s'entretenir jamais de la chasse. C'est donc cet entretien qui nous plaît; et cet entretien nous plaît, parce qu'il marque nos pensées, qui sont la nourriture ordinaire des pensées des autres.

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